Les Temps épiques
Structuration, modes d’expression et fonction de la temporalité dans l’épopée

sous la direction de Claudine Le Blanc (maître de conférences HDR en littérature comparée à l’Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3) et de Jean-Pierre Martin (professeur émérite de langue et littérature du Moyen Âge à l’Université d’Artois)

Le volume constitue les actes du septième congrès du Réseau Euro-Africain de Recherches sur les Épopées (REARE), organisé conjointement par Ursula Baumgardt (INaLCO/Llacan), Romuald Fonkoua (Paris-Sorbonne), Claudine Le Blanc (Sorbonne Nouvelle/CERC) et Jean-Pierre Martin (Université d’Artois/Textes et Cultures), qui s’est tenu à Paris les 22, 23 et 24 septembre 2016 à l’INaLCO et  à la Sorbonne. Il propose une exploration de la question de la temporalité dans l’épopée, question qui reste paradoxalement peu étudiée de façon systématique, en vingt-sept études couvrant un très vaste empan géographique et historique (de l’Afrique à l’Inde, de l’Antiquité aux séries contemporaines), précédées d’une introduction par les coordinateurs.

Les temps épiques
  • Claudine Le Blanc et Jean-Pierre Martin  Dédicace
  • Claudine Le Blanc et Jean-Pierre Martin  Introduction

Personnages historiques dans la Sīrat ʿAntar : une temporalité originale. Le cas d’Alexandre le Grand

Julien Decharneux


Résumés

Dans cet article, nous suggérons que la mention d’Alexandre le Grand au sein de l’Épopée de ʿAntar vise à souligner le rôle prophétique que le conteur tente de conférer à son protagoniste principal, ʿAntar. En effet, les traditions populaires arabes au sujet d’Alexandre le Grand lui attribuent un rôle religieux tout particulier et prépondérant au sein de la protohistoire de l’Islam, celui de propagateur du monothéisme. Nous suggérons que l’insertion de cette figure mythique contribue à l’élaboration d’une temporalité prophétique au sein de l’épopée et remet en question le statut octroyé à ce texte dans la socio-culture médiévale où il a fleuri.

This article discusses the occurrences of the figure of Alexander the Great in the Sīrat ʿAntar, one of the most famous medieval Arabian epics. This epic, which belongs to the popular genre of the siyar šaʿbiyya (popular epics), relates the life (sīra) of the famous preislamic black poet and warrior ʿAntara bin Šaddād. Although the text often has the hero interact with famous Arab and non-Arab historical figures in order to confer upon the text a pseudo-historical tone, the references to Alexander the Great in the text appear to serve a slightly different purpose. Alexander plays a very minor role in the Sīrat ʿAntar – he does not even interact with the hero but is only referred to. However, these references made to the Macedonian king, although insignificant for the narrative itself, give us a glimpse at the very temporality wherein the epic is intended to unfold.
Quite interestingly, there existed in medieval times an Arabic epic concerning the life of Alexander the Great, the Sīrat al-Iskandar. In this text, Alexander is presented as a Prophet travelling around the world to convert peoples to monotheism. This article shows that the Alexander to which the Sīrat ʿAntar refers is precisely this Alexander, prophet and king, depicted in the Sīrat al-Iskandar. In mentioning Alexander’s name in the text, we argue that the storyteller aims at establishing a kind of prophetic typology between ʿAntar and Alexander, in order to confer upon the former a sacred dimension.
The study of the mentions of Alexander the Great in the Sīrat ʿAntar therefore contributes to the reassessment of the status bestowed upon Arabic popular epics in medieval times. It also suggests that the different Arabic epics interact and complete each other to a significant extent, a phenomenon that remains ill-studied in modern scholarship.

Texte intégral

1La Sīrat ʿAntar est une narration épique arabe longue de plusieurs milliers de pages relatant les hauts faits guerriers du célèbre poète arabe noir ʿAntara ibn Šaddād qui aurait vécu au tournant des vie et viie siècles en Arabie préislamique. Ce récit appartient, à côté d’autres gestes telles la Sīrat Banī Hilāl ou la Sīrat Baybars, au genre des siyar šaʿbiyya (« biographies populaires ») qui étaient récitées par des conteurs en place publique pour le plus grand bonheur du peuple auquel elles étaient principalement destinées à l’époque médiévale du moins.

2Probablement en gestation avant le xe siècle, l’Épopée de ʿAntar devient particulièrement populaire durant la période mamelouke (1250-1517), époque à laquelle le texte même de la geste atteint son dernier stade de développement avant de se figer aux alentours du xve siècle. Les plus anciens manuscrits complets de l’épopée datent d’ailleurs du xve siècle et c’est à cet état du texte que correspondent les différentes versions imprimées en notre possession. En l’absence d’une étude approfondie des manuscrits fragmentaires plus anciens, les études contemporaines se sont principalement appuyées sur cette version de l’épopée et c’est sur ce même texte que nous nous basons ici1.

3Parmi les différentes épopées arabes médiévales, la Sīrat ʿAntar peut certainement être considérée comme l’une des plus emblématiques. Néanmoins, il a souvent été souligné qu’elle pouvait également être distinguée sur le plan stylistique ainsi que sur le plan du contenu2. Alors que la plupart de ces siyar (sg. : sīra) recourent volontiers à des éléments d’ordre fantastique et s’écartent, à certains moments du moins, fortement du style de la littérature dite « savante », l’Épopée de ʿAntar reste en grande partie dans les limites de l’« historiquement vraisemblable ». De plus, il convient de souligner que le récit s’élabore très souvent sur la base de données historiques attestées dans l’historiographie arabe médiévale. En effet, on sait que les siyar šaʿbiyya sont à l’origine des narrations élaborées ou fortement influencées par les récits historiographiques médiévaux tels que les ayyām al-ʿarab, les maġāzī et les futūḥāt qui relataient les batailles de l’ère préislamique ainsi que les campagnes militaires et les conquêtes des débuts de l’Islam3. De même, il apparaît très nettement que le Tārīḫ d’al-Ṭabarī ou encore le Kitāb al-aġānī d’al-Iṣfahānī comptent parmi les sources d’inspiration du ou des compositeur(s) de l’Épopée de ʿAntar4.

4Parmi ces données historiques affleurant au fil du récit, nous pouvons notamment citer la présence abondante de figures illustres de la tradition littéraire arabe avec lesquelles le héros interagit. Comme nous l’avons dit, ʿAntar est considéré jusqu’à aujourd’hui comme l’un des plus grands poètes de l’ère préislamique. Le conteur profita donc de cette occasion pour insérer dans la trame un grand nombre d’autres poètes de la Ǧāhiliyya5 dont les noms étaient très certainement connus des auditeurs médiévaux6. La présence de ces figures littéraires dans le récit a pour effet de fournir à la narration un cadre spatio-temporel bien précis, celui d’une Arabie préislamique fantasmée où les Arabes passent le plus clair de leur temps à déclamer de la poésie et guerroyer. Néanmoins, il serait réducteur d’affirmer que la mention de personnage historique dans le texte se limite à cet effet de style.

5Dans cet article, nous nous pencherons sur les principales références au personnage d’Alexandre le Grand au sein la Sīrat ʿAntar et nous verrons que, pour insignifiant que soit son rôle pour le déroulement général de l’intrigue, l’occurrence de son nom à diverses reprises vers la fin de l’épopée doit être comprise comme indicatrice de la temporalité tout à fait spécifique dans laquelle l’auteur inscrit le récit. Plus précisément, nous tenterons de montrer que la mention d’Alexandre le Grand et les divers détails fournis à son sujet mettent en évidence la volonté très nette du conteur de conférer une dimension sacrée au texte, à son héros principal et, par extension, à la temporalité au sein de laquelle le récit se déploie. Nous verrons enfin que l’identification de cette temporalité ouvre toute une série de questionnements quant au contexte socio-historique de composition de la Sīra. Le recours à la figure d’Alexandre invite à repenser en partie les identités du conteur de l’épopée et de son public, mais également à reconsidérer le statut qui lui fut conféré à l’époque médiévale. En effet, notre étude suggère que la figure de ʿAntar était nimbée d’une aura prophétique dans l’esprit du conteur et peut-être également pour l’auditoire auquel celui-ci s’adressait.

Alexandre ou la légitimation historique du récit

6Comme nous l’avons brièvement évoqué dans les lignes introductives qui précèdent, les références à la figure d’Alexandre le Grand dans l’Épopée de ʿAntar semblent se multiplier vers la fin de la geste et ce, particulièrement au sein d’un épisode du huitième et dernier volume des éditions les plus courantes de la version égyptienne (miṣrī). Dans cet épisode, ʿAntar mène l’armée de l’empereur byzantin sur une île nommée al-Waḥāt (« l’Oasis ») gouvernée par un certain al-Ṣaffāt. Après la mort de ce roitelet et la levée par le héros d’une succession d’obstacles entravant sa progression sur l’île, ʿAntar atteint le palais du souverain par lequel serait jadis passé le roi Alexandre. À l’intérieur se trouve une porte verrouillée par les effets d’un enchantement. À tour de rôle, plusieurs protagonistes tentent de l’ouvrir sans succès jusqu’à ce que ʿAntar y parvienne. La porte donne sur une pièce dans laquelle est étendu un cheval noir enchaîné, qui se révèle être un djinn nommé Sahlab, qu’al-Ḫidr – un personnage central de la mystique musulmane – avait fait prisonnier pour avoir osé combattre Alexandre le Grand (al-Iskandar en arabe) en ces mêmes lieux des siècles auparavant. ʿAntar veut le tuer car il sait que c’est précisément un djinn qui, quelque temps plus tôt, donna la mort à son fils al-Ġaḍbān en ce même palais. Sahlab soutient toutefois qu’il n’est pas l’auteur de ce meurtre et promet à ʿAntar de lui livrer les vrais meurtriers s’il le délivre de ses chaînes. Celui-ci accepte, le djinn tient parole et permet à ʿAntar de venger son fils défunt7.

7Il apparaît en surface que le personnage d’Alexandre ne retient que peu l’attention du conteur dans cet épisode. En effet, la plupart des mentions d’Alexandre semblent moins constituer un enjeu direct pour la narration qu’être utilisées comme techniques narratives afin de souligner l’authenticité des événements relatés. Ainsi, alors que le conteur narre l’avancée de ʿAntar dans une pièce du palais, il décrit les objets qu’il y voit dont un vêtement, une ceinture et une couronne. Le texte précise alors dans ces termes : « Cet habit, cette ceinture et cette couronne avaient appartenu au roi Alexandre8. » Ces objets ne revêtant aucune importance pour le récit, il semble que la mention du nom d’Alexandre dans ce cadre contribue à donner au texte une certaine profondeur historique. L’existence incontestable d’Alexandre impliquerait que l’anecdote qu’on lui attribue devienne elle aussi incontestable. Par extension donc, l’occurrence du nom d’Alexandre dans le récit viserait à conférer une historicité au lieu dans lequel le héros ʿAntar évolue. Il s’agit là d’un procédé littéraire tout à fait classique et toute figure historique éminente aurait à cet endroit pu être utilisée pour produire cet effet.

8Toutefois, la référence au roi grec dans cet épisode ne peut à notre sens être réduite au seul artifice littéraire que nous avons décrit. En effet, des enjeux plus profonds sous-tendent les occurrences du nom d’Alexandre dans le récit et ceux-ci ne transparaissent qu’à deux conditions. D’une part, ces enjeux doivent être compris dans le contexte de la longue trajectoire de la figure d’Alexandre dans la littérature arabe et particulièrement dans la littérature populaire. D’autre part, il nous paraît que l’objectif poursuivi par le conteur de l’Épopée de ʿAntar lorsqu’il cite Alexandre à cet endroit de la narration est mieux compris lorsqu’on étudie la structure d’ensemble de l’épopée.

Al-Iskandar / Ḏū l-Qarnayn : une figure orientale centrale

9Dans un épisode qui précède celui que nous avons évoqué plus haut, ʿAntar atteint un autre palais que le conteur décrit en ces termes :

Et on l’a appelé le « Palais de la vie éternelle » et dans un récit de Wahb bin Munabbih, on le mentionne sous le nom de « Palais Blanc » qu’al-Iskandar bin Dārab, al-Rūmī [Alexandre fils de Dārab, le Grec], surnommé Ḏū l-Qarnayn [le Bicornu], avait construit lorsqu’il fit le tour du monde alors qu’il invitait les peuples par lesquels il passait à embrasser la foi9.

10Dans cet extrait, la batterie d’informations données par le conteur au sujet du palais et d’Alexandre est bien trop importante pour postuler une simple instrumentalisation du roi grec dans un souci de légitimation du texte. En réalité, ce passage trahit le statut d’Alexandre dans l’esprit du conteur.

11Il faut saisir qu’Alexandre le Grand occupe une place centrale dans la tradition arabo-musulmane. Bien plus qu’un personnage historique auquel les historiographes musulmans se réfèrent dans leurs chroniques, Alexandre a occupé très tôt une place de choix au sein de cette culture puisque la mystérieuse figure coranique de Ḏū l-Qarnayn (« le Bicornu ») était déjà identifiée au roi grec – à juste titre d’ailleurs – par les commentateurs avant le ixe siècle10. Dans la foulée, une série de légendes appartenant au genre des qiṣaṣ al-anbiyā’ (« récits des prophètes ») furent rapidement attribuées à cet « al-Iskandar-Ḏū l-Qarnayn11 ».

12Il est difficile de déterminer le statut de ces qiṣaṣ al-anbiyā’ dans la culture populaire de l’époque mais ils eurent manifestement un impact substantiel puisque le rôle religieux prépondérant conféré à Alexandre dans ces récits y fut magnifié et servit de base à l’élaboration d’une épopée arabe sur la vie d’Alexandre, la Sīrat al-Iskandar. Ce texte met largement en avant son rôle prophétique et relate dans sa majeure partie le tour du monde missionnaire du roi grec auquel Dieu aurait assigné la mission de convertir l’univers au monothéisme dans le but de préparer à la future venue du prophète de l’islam12.

13L’ensemble des détails avec lesquels le nom d’Alexandre apparaît dans la Sīrat ʿAntar concorde trop avec le portrait qu’en dresse la Sīrat al-Iskandar pour nier l’existence d’une certaine relation entre les deux textes. C’est en effet à cet Alexandre à cheval entre le statut de figure historique éminente d’une part, et de prophète d’autre part, que le conteur de l’Épopée de ʿAntar se réfère comme plusieurs éléments textuels le confirment.

14Premièrement, nous avons vu dans l’extrait susmentionné qu’al-Iskandar est qualifié de « fils de Dārab ». L’Alexandre dépeint dans la Sīrat al-Iskandar se voit également attribuer la filiation de ce Dārab qui ne serait autre que le roi achéménide Darius. Il s’agit là d’une étrange association qui remonterait probablement au Shâh-Nâme de Firdawsī où on attribue ce même lignage au Macédonien. Cette caractéristique aurait été reprise par divers auteurs arabes avant d’influencer le compositeur de la Sīrat al-Iskandar13.

15Deuxièmement, nous avons vu que la description du palais citée plus haut est attribuée à un certain Wahb bin al-Munabbih. Il s’agit d’un chroniqueur musulman yéménite du viiie siècle bien connu par ailleurs puisqu’il est abondamment cité par les commentateurs plus tardifs (Ibn Isḥāq [m. 767], Ibn Hišām [m. 828/33], al-Ṭabarī [m. 923], etc.) au sujet de la figure coranique de Ḏū l-Qarnayn. Pratiquement aucun texte de cet auteur ne nous est parvenu. Néanmoins, il est intéressant de relever que son écrit au sujet du Yémen préislamique (Kitāb al-mulūk al-mutawwaǧa) nous fut transmis de manière fragmentaire grâce au Kitāb al-tiǧān d’Ibn Hišām. Dans celle-ci, Wahb bin al-Munabbih associe le nom de Ḏū l-Qarnayn à un roi du Yémen qui aurait conquis les peuples infidèles14. Il n’est donc pas étonnant dans ce contexte qu’on ait attribué la Sīrat al-Iskandar à Wahb bin al-Munabbih. L’attribution de la « paternité » d’une épopée à une figure littéraire éminente de la tradition est un procédé tout à fait classique dans la littérature populaire arabe. Ainsi, le conteur de l’Épopée de ʿAntar rappelle fréquemment au cours du récit – mais de manière complètement apocryphe cette fois – que le célèbre littérateur al-Aṣmaʿī (m. 828), ainsi que plusieurs autres auteurs comme Abū ʿUbayda, sont les chroniqueurs de la geste15.

16Enfin, la mention d’un personnage nommé al-Ḫiḍr et associé au nom d’Alexandre à plusieurs reprises dans notre texte indique que le conteur se réfère explicitement à cette tradition. Al-Ḫiḍr est un protagoniste tout à fait prépondérant de la Sīrat al-Iskandar puisqu’il est celui qui convertit Alexandre au monothéisme et qui l’accompagne en tête de son armée dans toutes ses aventures. Il est d’ailleurs intéressant de noter que dans un passage au moins de l’Épopée de ʿAntar, le conteur se réfère à ce personnage non pas sous le nom d’al-Ḫiḍr mais bien sous le nom d’Abū l-ʿAbbās. Décrivant une fois de plus un palais, le conteur dit :

Il s’agissait de ruines du temps d’Alexandre et d’Abū l-ʿAbbās – que la paix soit sur eux – et les habitants de ce lieu étaient un peuple de djinns16.

17L’utilisation du nom d’Abū l-ʿAbbās pour désigner al-Ḫiḍr est une caractéristique qui semble propre au siyar parmi toutes les traditions arabes liées à Alexandre. En effet, ce patronyme n’est utilisé que dans la Sīrat al-Iskandar, la Sīrat Sayf Ḏī Yazan et la Sīrat Hamzat al-Pahlawān à notre connaissance17. Il n’est d’ailleurs pas anodin de voir qu’une connexion est établie à cet endroit avec la Sīrat Sayf Ḏī Yazan. D’une part, il s’agit, selon Doufikar-Aerts, de l’épopée la plus proche du point de vue stylistique de la Sīrat al-Iskandar. D’autre part, nous savons également qu’il s’agit d’un récit lié à la Sīrat ʿAntar puisque le célèbre orientaliste Edward W. Lane observa dans le Caire du xixe siècle que les ʿAnātira (les conteurs de la Sīrat ʿAntar) possédaient également dans leur répertoire la Sīrat Sayf bin Ḏī Yazan18.

18Nous voyons donc que l’Alexandre auquel se réfère le conteur de l’Épopée de ʿAntar est une réminiscence de l’Alexandre dont fait état la Sīrat al-Iskandar. Ce personnage, en ce qu’il est considéré dans cette tradition comme une figure missionnaire, portant au monde le monothéisme, offre un rapport à la temporalité tout à fait particulier. Présenté comme un prophète, Alexandre n’est plus un personnage historique parmi d’autres, il apparaît bel et bien comme l’un des marqueurs temporels centraux (voir porteur du monothéisme) d’une temporalité historico-prophétique bien précise, celle de l’avènement de l’islam.

19Il n’est donc pas surprenant de noter que le conteur de l’Épopée de ʿAntar rappelle la dimension prophétique d’Alexandre et affirme dans l’extrait cité précédemment que le palais par lequel ʿAntar passe aurait été construit par le roi grec « lorsqu’il fit le tour du monde alors qu’il invitait les peuples par lesquels il passait à embrasser la foi ». Ailleurs, le conteur utilise même l’expression dīn al-Iskandar, c’est-à-dire « religion d’Alexandre », pour décrire cette nouvelle foi monothéiste propagée par le roi macédonien à travers le monde19.

La temporalité prophétique de la Sīrat ʿAntar

20Nous l’avons vu, les caractéristiques données au personnage d’Alexandre dans la Sīrat ʿAntar indiquent que c’est à l’Alexandre arabe et à son statut de prophète que le conteur fait allusion. Il convient maintenant de comprendre l’utilité d’une telle allusion au sein de l’épopée. En quoi la référence à la dimension prophétique d’Alexandre le Grand dans l’Épopée de ʿAntar sert-elle le récit ?

21Premièrement, on distingue très nettement dans le texte la volonté du conteur de lier les expériences de ʿAntar et d’Alexandre par-delà les barrières du temps. En effet, nous avons vu dans les passages précités que ʿAntar évolue au sein de palais bâtis et visités des siècles auparavant par le roi grec, ce qui évoque déjà un premier rapprochement entre les deux personnages. Deuxièmement, il faut souligner que le conteur affermit le lien entre les deux personnages par la médiation d’une sorte de prophétie. Lors de la rencontre de ʿAntar avec le djinn Sahlab dans l’épisode dont nous avons parlé, ce dernier explique au héros les raisons de son emprisonnement :

Al-Ḫiḍr – que la paix soit sur lui – m’emprisonna et me dit : « Vous [les djinns] êtes prisonniers en ce lieu jusqu’à ce qu’apparaisse ʿAntar bin Šaddād, le chevalier des ʿAbs et des ʿAdnān, et qu’il vous libère des chaînes20 […] ».

22En faisant d’abord passer le héros par des lieux jadis visités par Alexandre, puis en lui faisant revivre la même expérience que le roi et prophète grec quelques siècles plus tôt dans un cadre spatial identique (voir le palais), avec le même protagoniste (voir Sahlab, le djinn), le conteur suggère une filiation symbolique entre les deux personnages. Cette connexion entre les deux héros se précise un peu plus encore grâce à cette prophétie énoncée par al-Ḫiḍr. Il convient toutefois de saisir le sens profond de cette filiation symbolique qui, selon nous, ne peut s’éclairer qu’à la lumière d’une vue d’ensemble du projet porté par la Sīrat ʿAntar.

23En fait, depuis les toutes premières pages de l’épopée, le conteur s’efforce de donner à ʿAntar un rôle prophétique tout à fait prépondérant. Dans le prologue du récit, après quelques formules eulogiques, le conteur se met à justifier la raison d’être de ʿAntar qui, rappelons-le, était noir, né de l’union d’un notable de la tribu des ʿAbs et d’une esclave abyssine dont il hérita le statut servile :

Lorsque Allah – qu’il soit loué et exalté – voulut détruire l’arrogance et la fierté de ces gens, Il – qu’il soit loué – les humilia et les soumit avec la chose la plus dérisoire et la plus vile qu’il possédait. Cela ne fut pas pour lui une chose pénible. Il fit cela grâce à l’esclave que l’on décrivait comme « le Serpent des profondeurs de vallée », fort de cœur, de bonne naissance, le Seigneur des vallées, ʿAntara bin Šaddād. Il était pour son époque comparable à l’étincelle jaillissant d’un briquet et grâce à lui, Allah s’attaquait à la tyrannie de cet Âge d’ignorance (ǧāhiliyya) pour préparer la Terre à la venue de notre maître Muḥammad, le meilleur de la Création21.

24Le récit se poursuit ensuite avec une centaine de pages esquissant notamment les vies d’Abraham et de sa descendance dont est issue la tribu des ʿAbs, et donc par extension ʿAntar. Ainsi, si l’Épopée de ʿAntar est certes en apparence le récit biographique d’un poète de l’ère préislamique, ʿAntar, elle est avant tout le récit biographique d’un prophète oublié de la tradition musulmane, annonciateur de l’arrivée imminente de Muḥammad et de l’islam. Il est à ce titre intéressant de noter que le récit se prolonge bien au-delà de la mort du héros puisque l’épilogue de l’épopée narre l’émergence du Muḥammad et relate la vie de la fille de ʿAntar, nommée ʿUnaytra, se battant aux côtés du Prophète.

25C’est à notre sens dans ce cadre qu’il faut comprendre la mention d’Alexandre dans le récit et à plus forte raison, l’aventure que ʿAntar vit avec Sahlab le djinn dans le palais mentionné plus haut. En choisissant de mettre en évidence l’analogie entre Alexandre et ʿAntar, le conteur procède comme par un jeu de miroirs à l’accentuation du statut prophétique du héros22. Si bien entendu d’autres prophètes appartiennent à cette lignée prophétique, il apparaît que les expériences de ʿAntar et d’Alexandre sont davantage liées entre elles. D’abord, comme l’évoquait Armand Abel, l’Alexandre de la tradition musulmane est un prophète de l’universalité23. En décidant en cette fin d’épopée, de faire voyager ʿAntar dans des territoires orientaux et occidentaux bien éloignés de ses steppes désertiques natales, le conteur ne pouvait éviter l’analogie avec Alexandre ou plutôt avec l’Alexandre tel qu’il était dépeint dans les multiples récits de la tradition arabe. En outre, nous avons vu que les deux personnages étaient liés du point de vue fonctionnel puisqu’ils jouent tous deux le rôle d’annonciateur d’un changement de paradigme sur le plan religieux : celui du basculement des religions polythéistes à la religion monothéiste pour Alexandre (dīn al-Iskandar) et celui d’annonciateur de l’avènement de l’islam pour ʿAntar.

26La mention d’Alexandre contribue donc à renforcer l’appartenance de ʿAntar à cette chaîne de prophètes qui débuta avec Abraham, dont Alexandre fut un maillon au même titre que ʿAntar, dernier représentant de cette dynastie prophétique, augurant l’arrivée imminente de Muḥammad, le sceau des Prophètes, et donc de la religion musulmane. Ainsi, il y a avec la mention du nom d’Alexandre dans l’Épopée de ʿAntar, une nette volonté d’inscrire le récit dans une temporalité bien précise, celle de l’islam.

Alexandre et le genre de la sīra : les traces d’un projet global

27Les mentions d’Alexandre le Grand au sein de ce récit, si brèves soient-elles, nous renseignent de manière détaillée sur le rapport au temps particulier que l’épopée entretient avec l’Histoire. Cependant, cette temporalité originale n’est pas propre à l’Épopée de ʿAntar mais la transcende puisque nous avons vu que la Sīrat al-Iskandar avait elle aussi pour objet de narrer un moment clé de la protohistoire de l’islam, à savoir la conversion du monde au monothéisme. Les deux textes soulignent d’ailleurs qu’Alexandre et ʿAntar n’existent que par la volonté de Dieu et se voient chacun attribuer une mission divine fort semblable. De même, alors que l’épilogue de la Sīrat ʿAntar met en scène la descendance de ʿAntar guerroyant aux côtés du Prophète, dans la Sīrat al-Iskandar, Alexandre exprime son souhait de vivre suffisamment longtemps pour se battre sous les ordres du Prophète Muḥammad24.

28Notons que l’Épopée de ʿAntar n’est pas la seule représentante du genre épique à évoquer Alexandre le Grand. Ainsi, selon Doufikar-Aerts, la Sīrat Sayf bin Ḏī Yazan est celle qui partage le plus de caractéristiques communes avec la Sīrat al-Iskandar et le héros de cette épopée est lui aussi nimbé d’une dimension prophétique. Là où la Sīrat ʿAntar accentue le lien entre Abraham et ʿAntar (ainsi qu’entre ʿAntar et Muḥammad) et que la Sīrat al-Iskandar souligne la filiation spirituelle entre Alexandre et Salomon, la Sīrat Sayf bin Ḏī Yazan met l’emphase sur le lien entre Sayf, le héros de cette épopée, et Moïse25.

29Cependant, au-delà du fait que les héros de ces épopées partagent des caractéristiques communes, il est intéressant d’observer que ces récits s’inscrivent tous dans une même temporalité en relation avec l’histoire de l’avènement de l’islam. Tout se passe comme si ces différents récits constituaient autant de volets distincts d’une même histoire, des livres différents traitant de différents prophètes appartenant à une même chaîne prophétique. Néanmoins, alors qu’Alexandre héritait naturellement d’une certaine légitimité prophétique dans la culture arabo-musulmane par sa mention sous le nom de Ḏū l-Qarnayn dans le Coran, ʿAntar ou même Sayf bin Ḏī Yazan ne bénéficiaient pas d’une telle autorité. Il convient donc de s’interroger au sujet du statut conféré à cette temporalité dans le contexte socio-historique de la récitation de l’épopée. En d’autres termes, ʿAntar fut-il réellement nimbé d’une aura prophétique dans l’imaginaire collectif des populations pour lesquelles l’épopée était déclamée à un moment de l’époque médiévale ? Il conviendrait de tenir compte de deux données fondamentales pour résoudre cette problématique : l’identité du public et celle du conteur d’épopée.

30Concernant le conteur de l’Épopée de ʿAntar – mais ceci vaut pour les conteurs d’épopées arabes quelles qu’elles soient –, nous ne possédons aucun témoignage direct relatif à l’époque médiévale. Khairallah a toutefois pointé certains éléments textuels qui indiquent que le chantre de l’Epopée de ʿAntar appartenait à l’ordre Qādiriyya, une communauté mystique musulmane, ou tout du moins qu’il en était extrêmement proche26. De plus, nous avons observé ailleurs que le conteur possédait également une bonne connaissance des qiṣaṣ al-anbiyā’, les « récits des prophètes27 ». Ceci permettrait en tout cas d’expliquer l’insistance répétée sur la dimension religieuse et prophétique de ʿAntar au fil de la narration.

31Quant à l’auditoire médiéval devant lequel le conteur se produisait, il est difficile de déterminer la manière dont il percevait réellement les héros de ces gestes compte tenu de la pauvreté du matériel historique dont nous disposons. Si à cette époque la performance épique était nécessairement adressée à l’homme du peuple, il convient de mentionner qu’elle constituait du même coup pour celui-ci, l’un des seuls points d’accès à sa disposition pour obtenir quelque lumière sur l’histoire de la tradition à laquelle il appartenait. Selon Rosenthal, les romans populaires tels que ceux dont nous venons de traiter se vendaient mieux que les textes d’historiographie savante à l’époque médiévale puisqu’ils étaient, toujours selon lui, les ouvrages les plus achetés après le Coran28. Ainsi, s’il ne faut certes pas perdre de vue la dimension divertissante de tels récits, il est tout de même difficile de penser que ceux-ci n’influençaient pas d’une manière ou d’une autre l’univers mental de l’auditeur moyennement éduqué.

32Dans une étude anthropologique produite dans les années 1980, Slyomovics nota que le conteur populaire de la Sīrat Banī Hilāl appartenant à une tribu hilalienne était persuadé de chanter la « vraie histoire des Arabes » et il en était de même pour son auditoire tout entier29. Bien que de telles données anthropologiques fassent défaut pour l’Épopée de ʿAntar à la période qui nous intéresse, notons que le célèbre auteur maghrébin Ibn Ḫaldūn relevait déjà au xive siècle des observations comparables à celles de Slyomovics concernant les tribus hilaliennes30. Toutefois, de là à considérer que ces observations valent également pour la Sīrat ʿAntar, la route est encore longue. De plus amples études concernant le contexte de récitation de ces épopées à l’époque médiévale sont nécessaires pour mettre à jour une telle problématique.

Conclusion

33Nous l’avons vu, la mention d’Alexandre le Grand au sein de l’Épopée de ʿAntar nous transporte dans le cadre d’une temporalité tout à fait spécifique qui, loin d’être propre à cette épopée, semble être le tronc commun de plusieurs gestes arabes. En effet, ce que nous révèle les diverses références à la Sīrat al-Iskandar dans la Sīrat ʿAntar, c’est que les temporalités respectives de ces deux récits avaient suffisamment de compatibilité pour que le conteur puisse confortablement établir une analogie entre les deux héros.

34Notre étude montre donc qu’on gagne fortement à étudier les relations d’interdépendance entre les épopées. L’apparition du nom d’Alexandre le Grand dans l’Épopée de ʿAntar montre en effet que les siyar šaʿbiyya ne sont pas des entités hermétiques mais qu’elles se répondent et se complètent l’une l’autre. Il s’agirait d’étudier de manière plus générale l’ensemble des phénomènes de transtextualité – ou plutôt de trans-oralité – au sein de ces textes pour en comprendre les relations et établir si, comme notre étude tend à le suggérer, plusieurs épopées arabes participent d’un objectif commun : celui de permettre aux populations devant lesquelles les conteurs se produisaient d’appréhender, sur un ton plus léger que celui des historiographes savants musulmans, un récit alternatif des grands moments de la protohistoire et de l’histoire de l’islam.

Bibliographie

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Notes

1 On distingue généralement deux grandes variantes de l’Épopée de ʿAntar : la version levantine (šāmī) et la version égyptienne (miṣrī). Dans cet article, je me base uniquement sur la version égyptienne du texte en suivant l’édition suivante : Sīrat ʿAntara ibn Šaddād, Beyrouth, al-Maktaba al-Ṯaqāfiyya, 1979, 8 vol.

2 Voir Edward W. Lane, An Account of the Manners and Customs of the Modern Egyptian, Cairo-New York, The American University in Cairo Press, 2003, p. 414.

3 Voir Giovanni Canova, « Sīra Literature », dans Ecyclopedia of Arabic Literature, dir. Julie S. Meisami et Paul Starkey, vol. 2, London-New York, Routledge, 1998, p. 726.

4 Pour une étude de cas sur les influences de la Chronique d’al-Ṭabarī dans le texte, voir par exemple Peter Heath, « ʿAntar hangs his muʿallaqa : History, fiction, and textual conservatism in Sirat ʿAntar ibn Shaddād », dans Fictionalizing the Past : Historical Characters in Arabic Popular Epic, dir. Sabrina Dorpmueller, Leuven, Peeters, 2012, p. 9-24. J’ai personnellement traité de cette thématique : Julien Decharneux, « Le Prophète oublié : Analyse littéraire d’un épisode de la Sīrat ʿAntar », mémoire de maîtrise en langues et littératures orientales, sous la direction de Xavier Luffin, Bruxelles, Université libre de Bruxelles, 2016.

5 La période dite de la Ǧāhiliyya (ou Jāhiliyya) désigne dans les sources arabes l’ère précédant l’émergence de l’Islam. Le mot ǧāhiliyya signifie littéralement « ignorance » de sorte que cette ère était conçue chez les auteurs arabes comme une période d’ignorance.

6 Pour l’analyse et la traduction d’un épisode entièrement dédié à la poésie, voir ibid.

7 Sīrat ʿAntara, op. cit., vol. 8, p. 55-94. Pour le résumé de cet épisode, voir Driss Cherkaoui, Le Roman de ʿAntar : Perspective littéraire et historique, Paris-Dakar, Présence Africaine, 2000, p. 86-87.

8 Sīrat ʿAntara, op. cit., vol. 8, p. 91.

9 Sīrat ʿAntara, op. cit., vol. 7, p. 31.

10 Concernant Alexandre le Grand dans le Coran, voir notamment Kevin van Bladel, « The Alexander Legend in the Qur’ān 18 :83-102 », dans The Qur’ān in its Historical context, dir. Gabriel S. Reynolds, London-New York, Routledge, 2008, p. 175-203.

11 Voir Faustina Doufikar-Aerts, « Alexander made history, whereas historians made Alexander : Reconstructing the ‘sīrafication’ of an ancient king », dans Fictionalizing the Past, op. cit., p. 101.

12 Faustina Doufikar-Aerts, Alexander Magnus Arabicus : A Survey of the Alexander Tradition through Seven Centuries : from Pseudo-Callisthenes to Ṣūrī, Paris, Peeters, 2010, p. 238-239.

13 Notons que la tradition visant à faire d’Alexandre le fils d’un autre que Philippe II de Macédoine remonte au fameux Pseudo-Callisthène, datant du iiie siècle apr. J.-C., où le chroniqueur faisait du roi grec le fils du pharaon Nectanébo. Voir Faustina Doufikar-Aerts, « Alexander made history », op. cit., p. 97-100.

14 Voir Faustina Doufikar-Aerts, Alexander Magnus Arabicus, op. cit., p. 139-141.

15 Voir Peter Heath, Thirsty Sword, op. cit., p. 151 ; Julien Decharneux, op. cit., p. 76.

16 Sīrat ʿAntara, op. cit., vol. 8, p. 80.

17 Voir Faustina Doufikar-Aerts, Alexander Magnus Arabicus, p. 269 ; Faustina Doufikar-Aerts, « Alexander made history », p. 103.

18 Voir Edward W. Lane, op. cit., p. 414.

19 Ceci rappelle bien entendu le statut coranique de ḥanīf notamment associé à Abraham. Ce terme désignerait, selon la tradition, un croyant qui ne serait ni un polythéiste, ni un juif, ni un chrétien mais un monothéiste n’ayant pas falsifié la révélation divine. L’expression coranique de millat Ibrāhīm (« religion d’Abraham ») désignant ce monothéisme précis, est d’ailleurs tout à fait parallèle à notre dīn al-Iskandar. Voir Sīrat ʿAntara, op. cit., vol. 8, p. 82.

20 Ibid., vol. 8, p. 92.

21 Ibid., vol. 1, p. 8.

22 Il s’agit là d’un procédé classique du genre épique arabe. Voir Peter Heath, Thirsty Sword, op. cit., p. 153-154.

23 Voir Armand Abel, « Dû l-Qarnayn, Prophète de l’universalité », Annuaire de l’Institut de Philologie et d’Histoire Orientales et Slaves 11, 1951, p. 5-18.

24 Voir Faustina Doufikar-Aerts, Alexander Magnus Arabicus, op. cit., p. 258.

25 Outre le fait que le rapport entretenu par Sayf à l’Islam est tout à fait intéressant (préscience, etc.), il est piquant de noter que la Sīrat Sayf bin Ḏī Yazan se pose en mythe fondateur de la Terre d’Égypte. Le héros enfante ainsi un fils qu’il nomme Miṣr et d’autres nommés selon les grandes localités égyptiennes (Asyūt, etc.). Ceci rappelle bien entendu le récit dit de la Table des nations. Voir Aboubakr Chraibi, « Le roman de Sayf ibn ḏī Yazan », Studia Islamica 84, 1996, p. 120.

26 Voir As’ad Khairallah, « “The Wine-cup of Death” : War as a Mystical Way », Qaderni di Studi Arabi 8, 1990, p. 171-190 ; voir aussi Armand Abel, « Formation et constitution du Roman de ʿAntar », dans La Poesia epica e la sua formazione, Rome, Accademia nazionale dei Lincei, 1970, p. 725.

27 Voir Julien Decharneux, op. cit., p. 41-43 ; p. 91-93.

28 Voir Franz Rosenthal, A History of Muslim Historiography, Leiden, Brill, 1968, p. 186.

29 Voir Susan Slyomovics, The Merchant of Art : An Egyptian Hilali Oral Epic Poet in Performance, Berkeley-London, University of California Press, 1987, p. 13.

30 Ibn Khaldûn, Le Livre des Exemples : Histoire des Arabes et des Berbères du Maghreb, trad. A. Cheddadi, vol. 2, Paris, Gallimard, 2012, p. 31.

Pour citer ce document

Julien Decharneux, « Personnages historiques dans la Sīrat ʿAntar : une temporalité originale. Le cas d’Alexandre le Grand », dans Les Temps épiques : Structuration, modes d’expression et fonction de la temporalité dans l’épopée, sous la direction de Claudine Le Blanc et Jean-Pierre Martin, Publications numériques du REARE, 15 novembre 2018 Licence Creative Commons

URL : http://publis-shs.univ-rouen.fr/reare/index.php?id=478

Quelques mots à propos de :  Julien Decharneux

Julien Decharneux a étudié la philologie orientale à l’Université libre de Bruxelles (ULB) où il s’est particulièrement intéressé à l’Épopée de ʿAntar. Il réalise actuellement un doctorat sur la cosmologie coranique en tant que chercheur FNRS (Aspirant) à l’ULB.

Il a publié « ʿAntar et les poètes des muʿallaqāt : l’épopée dans son rôle d’historiographie populaire », Diversité et Identité Culturelle en Europe (DICE) 12/2, 2015, p. 275-290, et « Un exemple de discours catalogique original dans l’Epopée de ʿAntar », Diversité et Identité Culturelle en Europe (DICE) 13/2, 2016, p. 121-134.