Sommaire
Les Temps épiques
Structuration, modes d’expression et fonction de la temporalité dans l’épopée
sous la direction de Claudine Le Blanc (maître de conférences HDR en littérature comparée à l’Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3) et de Jean-Pierre Martin (professeur émérite de langue et littérature du Moyen Âge à l’Université d’Artois)
Le volume constitue les actes du septième congrès du Réseau Euro-Africain de Recherches sur les Épopées (REARE), organisé conjointement par Ursula Baumgardt (INaLCO/Llacan), Romuald Fonkoua (Paris-Sorbonne), Claudine Le Blanc (Sorbonne Nouvelle/CERC) et Jean-Pierre Martin (Université d’Artois/Textes et Cultures), qui s’est tenu à Paris les 22, 23 et 24 septembre 2016 à l’INaLCO et à la Sorbonne. Il propose une exploration de la question de la temporalité dans l’épopée, question qui reste paradoxalement peu étudiée de façon systématique, en vingt-sept études couvrant un très vaste empan géographique et historique (de l’Afrique à l’Inde, de l’Antiquité aux séries contemporaines), précédées d’une introduction par les coordinateurs.
- Claudine Le Blanc et Jean-Pierre Martin Dédicace
- Claudine Le Blanc et Jean-Pierre Martin Introduction
- Poétique de la pérennité : temps épique et anthropologie de la durée
- Emmanuelle Poulain-Gautret Maître(sse) du temps ? La temporalité dans Florence de Rome
- Maïmouna Kane Raoul de Cambrai ou le refus de la temporalité du divin
- Pascale Mougeolle Construire l’instant : poétique de la répétition dans l’épopée occidentale
- Bochra Charnay La temporalité dans la Geste hilalienne : ruptures et intrusions
- Amadou Oury Diallo La configuration du temps dans les épopées du Foûta-Djalon
- Amadou Sow Repères temporels, instance de narration et typologie des épopées peules (Samba Guéladio Diégui, Guélel et Goumallo, Boûbou Ardo Galo et L’Épopée du Foûta Djalon, la chute du Gâbou)
- Manuel Esposito Une tentative d’abolition du Temps : la narration en tant que défi lancé à la mort dans le Roland furieux de L’Arioste
- Dimitri Garncarzyk Des bardes pressés, ou de l’urgence d’écrire au xviiie siècle des « épopées d’actualité »
- Isabelle-Rachel Casta Le temps gelé : une épopée du Néant (The Leftovers, Les Revenants) ?
- Claudine Nédelec Les épopées travesties, « appropriées à l’histoire du temps » (France, xviie siècle)
- Éthique du temps épique
- Ursula Baumgardt Structures narratives et représentations du temps dans l’épopée peule du Mâssina (Mali)
- Abdoulaye Keïta « La bataille de Makka » ou quand le présent sert la théâtralisation du futur
- Claudine Le Blanc Temps épique, temps dramatique : la délibération dans l’épopée indienne (Mahâbhârata, VIII)
- Patricia Rochwert-Zuili La temporalité dans la geste cidienne : aspects poétiques et socio-politiques
- Marion Bonansea Le « futur passé » : récit de guerre épique et expérience du temps
- Catherine Servan-Schreiber Temporalité de la vendetta dans les épopées indiennes du Bandit d’honneur
- Marguerite Mouton L’épique intempestif à l’ère du roman
- Isabelle Weill Distorsions et parallèles temporels dans des romans épiques anglais relatant les exploits de capitaines de la Royal Navy à l’époque révolutionnaire et napoléonienne
- Hors temps : le récit du présent
- Jean Derive Le régime temporel dans la narration de l’épopée
- Cheick Sakho La temporalité dans les traditions épiques ouest-africaines : une imprécision caractéristique du genre épique
- Xavier Luffin Temporalité et religion dans la tradition épique arabe. Trois cas de figure
- Julien Decharneux Personnages historiques dans la Sīrat ʿAntar : une temporalité originale. Le cas d’Alexandre le Grand
- Christina Ramalho Les représentations épiques romantiques de l’époque coloniale au Brésil
- Ibrahima Wane Le temps et l’espace dans l’épopée de l’Almaami Maalik Sii du Bunndu
- Blandine Koletou Manouere L’énonciation temporelle dans Le Mvett de Tsira Ndong Ndoutoume
- François Dingremont Le kairos, une référence temporelle pour l’Odyssée
- Ana Rita Figueira La mise en scène du temps dans le Bouclier d’Achille (Iliade, 18, 477-617)
La temporalité dans la geste cidienne : aspects poétiques et socio-politiques
Patricia Rochwert-Zuili
Fondé sur l’étude et la comparaison de la Chanson de mon Cid et de la Chanson de Rodrigue, cet article décrit, d’une part, le système de référentialité temporelle de ces deux principaux représentants de l’épopée médiévale espagnole en identifiant des points communs et des différences, et montre, d’autre part, comment, à travers la valeur symbolique des chiffres et le recours aux formules, aux répétitions, ou encore aux parallélismes, les jongleurs inscrivent dans le récit les aspirations de ceux qui, au XIIIe puis au XIVe siècle, en Castille, s’employaient à gravir la hiérarchie des états ou à conforter la place qu’ils occupaient.
Based on the study and comparison of the Cantar de Mio Cid and the Cantar de Rodrigo, this article describes the system of temporal referentiality of these two main representatives of Spanish epic poetry by identifying common points and differences, and shows how, through the symbolism of numbers and the use of formulas, repetitions, or parallels, the jugglers inserted in the text the aspirations of those who, in the thirteenth and the fourteenth centuries, in Castile, tried to ascend the hierarchy or to consolidate their place in the society.
1Au regard de celui de la geste française, le corpus de la geste espagnole parvenu jusqu’à nous est bien maigre : à peine quelque 5000 vers répartis dans trois chansons, dont deux assez lacunaires. Conservée à la Bibliothèque nationale d’Espagne dans un manuscrit du xive siècle, la version du xiiie siècle de la Chanson de Mon Cid1 présente le texte le plus complet, bien qu’il manque le premier folio et l’avant-dernier folio du septième cahier du manuscrit. Elle compte 3735 vers. Viennent ensuite les 1164 vers d’une version très fragmentaire – le début du poème est en prose et le texte apparaît tronqué à la fin – de la Chanson de Rodrigue ou Chanson des enfances de Rodrigue, conservée dans un manuscrit du xve siècle de la Bibliothèque nationale de France2 à la suite du texte de la Chronique de Castille composée, tout comme le poème dont elle reprend d’ailleurs les principaux épisodes, au tournant des xiiie et xive siècles3. Enfin, une centaine de vers d’une Chanson de Roncevaux se trouvant aux Archives de Navarre4 et dont la composition daterait du deuxième tiers du xiiie siècle, complètent le corpus, la trace de l’existence d’autres chansons n’étant perceptible qu’à travers le récit des chroniques5. L’essentiel des témoignages manuscrits de l’épopée espagnole est donc, on le voit, centré sur la matière cidienne.
2Fondée à la fois sur un matériau historique et légendaire, la Chanson de Mon Cid et la Chanson de Rodrigue rapportent les hauts faits de celui que l’on considère comme le principal héros de la Castille, Rodrigue Díaz de Vivar (≈ 1040-1099), une figure portant les aspirations d’une aristocratie chevaleresque désireuse de gravir les marches de la hiérarchie des états et de faire valoir ses droits auprès de la royauté face à la haute noblesse. En effet, la Chanson de Mon Cid, qui s’ouvre in medias res sur le bannissement de l’infançon Rodrigue, présente une quête : il s’agit, pour l’exilé, non seulement de recouvrer son honneur ainsi que la grâce royale en accumulant prouesses guerrières et richesses, mais aussi d’imposer au roi Alphonse VI (1072-1109) le lien de dépendance personnelle destiné à corriger les effets néfastes du lien de dépendance naturelle valorisé dans le texte par les représentants de la haute noblesse. Or il apparaît qu’au moment de la composition de la Chanson, ces deux régimes de la seigneurie figuraient parmi les principaux thèmes de la réflexion politique en Castille6. De même, la Chanson de Rodrigue, qui retrace notamment les faits de jeunesse de Rodrigue sous le règne de Ferdinand Ier (1035-1065), illustre-t-elle, à travers les prouesses du héros, petit-fils de citoyen et fils d’un boutiquier7 puîné, selon le texte, les aspirations des chevaliers et des hommes des villes ainsi que celles des bâtards et des puînés de l’aristocratie à un moment où les fors marquaient précisément la réduction des droits héréditaires de ceux qui étaient défavorisés par la naissance8. Il convient donc d’observer la façon dont s’articulent, dans ces deux poèmes, le temps de la narration et le temps de l’histoire, quelle est la vocation des références temporelles et dans quelle mesure on peut déceler entre les deux textes les signes d’une évolution tant du point de vue poétique que socio-politique. J’aborderai ces questions en décrivant le système de référentialité temporelle propre à chacun des poèmes puis en m’intéressant à la valeur exemplaire des divers éléments observés.
Le temps de la référentialité
3En puisant dans l’histoire, ou dans ce qui était admis comme faisant partie de l’histoire, une part de sa matière narrative, et en présentant une série d’épisodes qui généralement se succèdent dans le temps9, le récit épique s’apparente au récit historiographique ou du moins, tente de s’identifier à ce dernier10. Ainsi la temporalité est-elle avant tout un élément qui contribue à la vraisemblance de la geste. Telle est en particulier la fonction des indicateurs temporels renvoyant à la durée de l’action.
4Cet aspect est particulièrement manifeste dans la Chanson de mon Cid où l’on peut suivre, selon un ordre chronologique, les aventures du héros sous le règne du roi Alphonse VI à travers trois Chants dont l’action se déroule sur une période de plus de cinq années, d’après ce que l’on peut déduire des nombreuses références temporelles qui jalonnent le récit. En effet, outre les jours ou les semaines que les personnages passent à se déplacer et à livrer bataille11, on nous indique que le Cid mit trois ans à conquérir les terres se trouvant autour de Valence12, mais aussi que les infants de Carrión, après leur mariage avec les filles de Rodrigue, restèrent deux ans dans cette ville :
v. 1167-1169 :
En terre de Maures prenant et gagnant,
Et dormant le jour et la nuit chevauchant,
À gagner ces villes Mon Cid a mis trois ans13.
v. 2270-2271 :
Le Cid et ses gendres à Valence sont restés.
Les infants y demeurent bien près de deux années14 ;
5On notera d’ailleurs que la précision est telle, notamment dans le Premier Chant, appelé communément Chant de l’exil, que le récit prend la forme d’un journal15 où sont d’abord rapportés les faits du héros pendant les neuf jours de délai dont il dispose pour quitter la Castille, puis les premières semaines passées à conquérir les terres du Levant et à accumuler du butin. Aussi est-ce principalement dans cette partie que l’on trouve, par exemple, la phrase formulaire évoquant le chant du coq et l’avènement d’un jour nouveau :
v. 235-236 :
En hâte chantent les coqs et veut s’éclairer l’aube,
Quand arriva à Saint-Pierre le bon Campéador16.
v. 323-325 :
Passant va cette nuit, le matin va venant ;
Au second chant du coq, [ils sellent leur cheval].
Sonnent les matines dans la plus grande hâte17 ;
6Cependant, si ces références temporelles donnent au récit un effet de réel, leur vocation est aussi de souligner la situation d’urgence dans laquelle se trouvent le Cid et ses compagnons et de susciter l’adhésion du public à leur cause, tout en le maintenant en haleine. Telle est également la fonction de ces rappels, où le jongleur s’adresse à son auditoire sous forme d’apostrophe :
v. 306-307 :
Six jours de leur terme sont passés déjà ;
Trois courent encore, sachez, pas davantage.18
v. 413-414 :
Le lendemain matin, à chevaucher ils pensent ;
Ce jour il a de terme, sachez, pas davantage ;19
7On remarquera d’ailleurs que les vers 306-307 introduisent une ellipse puisque la formule que l’on trouvait précédemment au vers 235 marquait le passage du premier au deuxième jour du délai fixé par le roi.
8Un autre des éléments qui contribue à retenir l’attention du public est le rythme qu’imprime le jongleur au récit à travers l’emploi d’indicateurs temporels tels que les adverbes « apriessa » et « privado » ou les verbes « non detardar » ou « non vagar » – traduits dans notre texte de référence par l’expression « en hâte ». Nombreux sont les exemples. Ils évoquent la hâte des personnages avant et pendant l’exil20, mais aussi la promptitude avec laquelle le roi et le Cid se rendent à l’entrevue destinée à l’accord du pardon royal et à la demande des filles de Rodrigue en mariage21, ou encore la rapidité avec laquelle les hommes du Cid accomplissent ses ordres22. On retiendra ici un passage décrivant la façon dont le héros accueille les chevaliers qui se joignent à lui dans l’exil et au sein duquel, à l’expression de la hâte formulée au présent de l’indicatif23 se mêle en outre le recours au passé, dans une alternance des temps verbaux24 propre à la poésie épique :
v. 297-298 :
En hâte il chevauche, les recevoir sortait, un sourire ébaucha ;
Chacun s’approche, la main baiser lui va.25
9Le rythme effréné de l’action et l’alternance des temps verbaux sont du reste les principaux éléments que la Chanson de mon Cid et à la Chanson de Rodrigue ont en commun.
10À plusieurs reprises, en effet, le jongleur de la Chanson de Rodrigue souligne la hâte avec laquelle les personnages vont au combat, généralement au moyen d’adverbes, tel que « priuado », auquels s’ajoute une variation des temps verbaux. C’est par exemple le cas de ce passage où le Cid part affronter le Maure Burgos de Ayllón :
v. 455-457 :
L’appel parvint à Rodrigue dans son repos d’après-dîner ;
Qu’on réveillât son père, nul n’y devait songer !
Ils revêtent leurs armes et se hâtent de chevaucher26.
11Toutefois, hormis ces éléments, le traitement du temps est assez différent dans les deux poèmes. En effet, si dans la Chanson de mon Cid, on observe une continuité et une progression de l’action27, dans la Chanson de Rodrigue, les scènes, qui ne donnent pas toujours lieu à de longs développements et peuvent être fort éloignées dans le temps, s’enchaînent rapidement et parfois de façon confuse, comme si le but du jongleur était surtout de graver dans la mémoire de l’auditoire quelques faits marquants28.
12En effet, bien qu’une partie importante de la Chanson rapporte les exploits successifs du jeune Rodrigue à travers l’évocation de la bataille qu’il livre dès l’âge de douze ans à peine contre le comte Gómez de Gormaz, père de Chimène, puis des cinq autres batailles suivantes qu’il s’impose pour mériter sa femme, le récit ne se limite pas à l’expositon de ces faits. On trouve en particulier, avant l’entrée en scène de Rodrigue, trois passages qui nous ramènent aux origines de la Castille : celui au sein duquel apparaît l’épisode légendaire des deux premiers juges qui régnèrent en Castille – Laín Calvo et Nuño Rasura29 – , celui de la restauration de l’évêché de Palencia30 et enfin, celui qui retrace les conditions dans lesquelles les gentilshommes castillans issus du lignage du juge Laín Calvo choisirent Ferdinand Ier, descendant de Nuño Rasura, pour régner sur la Castille, et où est mentionnée l’origine du Cid, petit-fils de Laín Calvo et d’une comtesse léonaise31. De même, le passage décrivant le moment où les fils de Pierre de Campóo chassèrent l’évêque de Palencia apparaît-il en contrepoint de l’action de Rodrigue :
v. 732-735 :
Les fils de Pierre de Campóo, le comte très honoré,
Lorsqu’ils surent que Rodrigue avait quitté la contrée,
Sont entrés dans Palencia, qui d’abord fut un comté,
Et, à son grand déshonneur, le prélat en ont chassé32.
13Au vu de ces éléments, on comprendra donc que le jongleur de la Chanson de Rodrigue ait fréquemment recours aux ellipses, nous donnant ainsi à voir une succession d’événements ou d’éléments qui semblent être mis bout à bout, souvent sans transition ni indicateur temporel33. On relèvera, à titre d’exemple, la façon dont s’enchaînent le moment où Rodrigue, ayant été marié à Chimène, retourne finalement à Saint-Pierre de Cardeña avec son père après avoir déclaré au roi Ferdinand qu’il ne verra sa femme qu’après avoir remporté cinq batailles et celui où se présente la première bataille, celle qui l’oppose au Maure Burgos de Ayllón et ses alliés :
v. 447-452 :
Père et fils s’en retournent après avoir pris congé ;
À Saint-Pierre de Cardeña ils s’en vont passer l’été.
Le Maure Burgos d’Ayllón fièrement a chevauché,
Et le tenant de Sepúlveda, Bulcor le très honoré,
Et son frère Tosios d’Olmedo, qui de richesse est comblé.
Cinq mille cavaliers maures s’étaient ce jour-là rassemblés34.
14Cependant, même si elles sont moins nombreuses que dans la Chanson de Mon Cid, on trouve ça et là, dans la Chanson de Rodrigue, quelques références temporelles précises. Je reviendrai ici sur celles qui me semblent les plus importantes et les plus révélatrices de la représentation du temps dans ce poème. Les unes concernent la durée des combats, toujours très brève, et permettent au poète de célébrer la victoire du héros :
v. 470-472 :
Un jour et une nuit, puis une demi-journée,
Le combat fut en balance et le tournoi disputé ;
Rodrigue enfin l’emporta, le Seigneur en soit loué !35
15Les autres associent symboliquement les faits contés à des fêtes du calendrier liturgique chrétien, selon un procédé qui rapproche le discours épique du discours historiographique36, comme dans le passage évoquant la prise de Tolède par les Maures :
v. 145-149 :
Et oyez ce qui advint dans le cours de cette année :
L’archevêque de Tolède se trouvant en sa cité,
Le jour des Rameaux, à Bisagra, célébrant messe chantée,
Au moment de la passion, les Maures sont arrivés
Et ils ont pris Tolède, hormis le [prélat honoré]37.
16Enfin, les dernières références auxquelles je me rapporterai38 concernent l’indication des délais dont disposent les sujets du royaume pour se présenter à une joute ou à un duel, ou pour aller à la cour lorsqu’ils y sont appelés. Ainsi nous dit-on que les hommes de Diègue Laínez et du comte de Gormaz s’affrontent neuf jours après le défi lancé par le comte39. De même est-il précisé que le roi accorde un délai de trente jours à Rodrigue pour aller à Saint-Jacques-de-Compostelle avant de combattre le comte navarrais Martín González40. Enfin, le jongleur mentionne à plusieurs reprises, au moyen de la phrase formulaire « au bout de trente jours comptés » (« treinta días contados41 »), le délai que s’attachent à respecter tous ceux qui sont appelés à la cour. Il s’agit donc d’éléments qui ne peuvent qu’attirer notre attention, non seulement parce qu’ils constituent les quelques rares indicateurs temporels précis que l’on trouve dans ce poème, mais aussi parce certains se répètent.
17De fait, si le traitement du temps diffère dans les deux poèmes, tous deux fondent leur propos sur des rappels, des répétions et des parallélismes dont la fréquence, pour reprendre les termes employés par Georges Martin dans un article consacré à la temporalité dans le récit historique médiéval42, est destinée à illustrer une loi. Cela nous amène à observer la fonction exemplaire des références temporelles dans les deux chansons.
Le temps de l’exemplarité
Naissance et performance guerrière
18Les correspondances qui s’établissent entre les différents indicateurs temporels contribuent à distinguer un modèle de représentation où s’illustre le rapport entre naissance et performance guerrière. Dès le début de la Chanson de Mon Cid, ces deux notions apparaissent intimement liées à travers l’épithète épique attribuée au Cid « qui en bonne heure a ceint l’épée » (« el que en buen ora çinxo espada43 ») que l’on trouve dès le vers 57, puis à plusieurs reprises avant le récit de la première bataille. Ainsi, cette épithète, à laquelle s’ajoute celle qui apparaît à maintes reprises dans le poème – « qui en bonne heure est né » (« el que en buen ora nasco ») –, place-t-elle d’emblée le parcours du héros sous le signe de la réussite. C’est ce que confirment les paroles de l’ange Gabriel qui apparaît au Cid en songe avant qu’il ne quitte la Castille :
v. 406-409 :
« Chevauchez, Cid, le bon Campéador,
Jamais en si bon point ne chevaucha baron !
Tant que tu vivras tes faits heureux seront. » 44
19Les victoires militaires qui se succèdent ne sont donc que l’illustration, chaque fois plus éclatante, de la performance guerrière du chevalier et avec elle, de son ascension sociale. Du reste, l’évocation de la barbe du héros qui ne cesse de croître, révélant chaque jour un peu plus l’invincibilité du chevalier, en est la preuve :
v. 1238 : Voilà que croît sa barbe, chaque jour plus longue est45.
20On remarquera également à quel point le discours du Cid est voué à illustrer son désir, qui s’exprime sous la forme d’un défi, de voir sa situation et celle de ceux qui l’entourent changer et progresser. Tel est le cas lorsqu’il évoque les biens et les richesses qu’il entend remporter. Ainsi dit-il aux hommes qui l’accompagnent en exil :
v. 301-302 :
Vous qui pour moi laissez maisons et héritages,
Avant que je ne meure, du bien ayez de moi46 ;
21et promet-il de faire de même avec sa femme et ses filles :
v. 825 : Si je vis un temps seront dames riches47 !
22De fait, les paroles qu’il prononce après la conquête de Valence, grâce à laquelle il devient un puissant seigneur, permettent d’observer dans le texte une évolution :
v. 1268-1269 :
Moins nombreux nous partîmes de la cité de Vivar !
Ores avons richesse, plus en aurons en avant48 !
23et celles que l’on trouve à la fin de la bataille contre le roi Búcar célèbrent sa réussite :
v. 2494 : Pauvre fus jadis et riche je suis ores49,
24Le jeu qui s’opère dans ces passages entre le futur, le présent et un passé révolu est révélateur de ce qui se joue dans le poème. Au modèle d’une chevalerie résolument tournée vers l’avenir et souhaitant imposer dans le présent ses propres valeurs, s’oppose celui d’une haute noblesse profondément ancrée dans le passé. C’est ce que montrent les paroles de Minaya Álvar Fáñez, le bras droit du Cid, lorsqu’il défie les infants de Carrión au cours du procès de Tolède, en évoquant non seulement, à travers leurs méfaits, la déchéance de leur lignage, mais en annonçant aussi l’élévation des filles du Cid à un rang supérieur, dans un discours où l’on voit clairement s’imposer le modèle vassalique de la dépendance destiné à corriger les effets néfastes du modèle naturel :
v. 3443-3445 :
Vous êtes de la nature des gens de Beni-Gómez,
D’où venaient des comtes de valeur et de renom ;
On voit bien aujourd’hui la manière qu’ils ont50 !
v. 3449-3450 :
Elles étaient jadis vos paires entre vos bras l’une et l’autre ;
Seigneurs les appellerez et leurs mains baiserez ores51 ;
25Les vers 3724-3725 : « Ores les rois d’Espagne en sa parenté sont / Tous reçoivent honneur par qui naquit en point bon. » (« Oy los reyes d’Espanna sos parientes son ; / A todos alcança ondra por el que en buen ora naçió52. ») placés à la fin de la chanson, après l’évocation du mariage des filles du Cid avec les infants de Navarre et d’Aragon, ne font donc que clore une démonstration dont le propos était perceptible dès le début du récit à travers une série d’anticipations et de parallélismes.
26On pourrait du reste aller plus loin et voir, à travers les correspondances qui s’établissent entre les références temporelles, la volonté, de la part du jongleur, de signifier, avant ces vers conclusifs, l’importance du pouvoir acquis par le Cid en tant que grand seigneur de Valence. C’est ce dont témoignent les vers décrivant la réaction du Cid et celle du roi à l’annonce du déshonneur que les infants de Carrión ont infligé à leurs épouses, où l’on trouve la même phrase formulaire :
v. 2826-2827 :
Quand on le lui apprit, Mon Cid le Campéador
Pensa et médita une heure tout du long53 ;
v. 2953 : Le roi se tut et médita une heure tout du long54 :
27Si l’élément temporel permet ici de souligner la gravité de l’événement et de retenir l’attention du public, il établit aussi un rapport d’équivalence entre les deux personnages.
28De même, il semble que l’opposition entre le modèle d’une chevalerie susceptible de s’élever grâce à la performance guerrière et l’anti-modèle d’une haute noblesse incompétente et profondément enracinée dans le passé soit inscrite symboliquement dans les références temporelles elles-mêmes. L’examen de ces dernières révèle en effet que la plupart de celles qui désignent la durée des batailles ou des conquêtes du Cid et de ses hommes sont des multiples de 3 et/ou de 5 – le siège d’Alcocer dure quinze semaines (v. 573), le Cid met trois ans à conquérir les terres entourant Valence (v. 1167-1169), il se donne moins de quinze jours pour vaincre le roi Yúcef (v. 1665-1666) et surtout, il conquiert Valence au terme de neuf mois de siège (v. 1207-1210). En revanche, les uniques indicateurs temporels associés au couple antagonique incarné par les infants de Carrión renvoient au chiffre 2. La Chanson dit en particulier, comme on l’a vu plus haut, qu’ils restèrent près de deux ans à Valence (v. 2271) et qu’ils se présentèrent pour affronter les hommes du Cid en duel avec deux jours de retard (v. 3537).
29Observons à présent la Chanson de Rodrigue, où le jongleur inscrit l’action du héros à la suite du récit des origines de la Castille et fait de Rodrigue, non seulement le descendant du juge citoyen Laín Calvo qui fut chargé de garder la terre, mais aussi le fils du cadet de ce dernier :
v. 221-223 :
Guerroyant le roi de León, Diègue Laínez, le cadet,
Tint la frontière de Saldaña au temps lointain qui est passé55.
30Or quand le roi Ferdinand marie Rodrigue à Chimène qui est, elle, fille de comte, le héros s’impose une épreuve où s’illustre, tout comme dans la Chanson de Mon Cid, la primauté de la prouesse guerrière :
v. 438-441 :
« Vous m’avez épousé, sire, plus de force que de gré ;
Mais au Christ je fais promesse que vos mains ne baiserai
Ni ne verrai mon épouse en lieu désert ni peuplé
Avant d’emporter cinq victoires en bonne bataille rangée56 ! »
31Dès lors, il s’agit pour le jeune Rodrigue, dont le père avait aussi épousé une comtesse (v. 260-261), de se montrer digne de ce mariage, mais aussi de donner tout son sens au lien de dépendance vassalique. Ainsi trouve-t-on plus loin, à la fin du récit de la première bataille que remporte Rodrigue, un rappel de ce pacte et l’annonce de futures prouesses guerrières qui, selon des procédés identiques à ceux que l’on rencontre dans la Chanson de mon Cid, font office d’anticipation :
v. 484-486 :
« Roi, ton vassal ne suis pas, mais vois ce qu’ai rapporté.
Cinq victoires t’ai promises le jour où fus épousé :
J’ai remporté l’une d’elles ; aux autres je vais songer57. »
32Ces passages nous permettent donc d’observer comment, dans la Chanson de Rodrigue, la prouesse guerrière, érigée en qualité intrinsèque de l’aristocratie castillane, apparaît comme un critère de valorisation sociale invalidant toute forme de discrimination liée à la naissance ou à l’ordre hiérarchique58. À cela s’ajoute la valorisation du service royal dont le chevalier s’acquitte de façon exemplaire.
Service royal et respect du droit
33Comme nous l’avons vu précédemment, l’auteur de la Chanson de Rodrigue évoque à plusieurs reprises le respect scrupuleux, de la part des personnages, d’un délai du trente jours pour se rendre à la cour. Tel est le cas du comte Fernán González lorsqu’il se présente à l’entrevue à laquelle l’a convié le roi de León59, des Castillans appelés par le comte Sanche qui désire faire de son comté un royaume pour son fils Sanche Abarca60, des Léonais, des Asturiens, Galiciens, Aragonais, Navarrais et Castillans qui se présentent à la cour de Ferdinand Ier au début de son règne61, ou encore des comtes de Carrión et de Castille qui se rendent à la cour pour assister au jugement de ceux qui ont vendu le royaume :
v. 713-715 :
Les comtes de Carrión et de Castille ont pris la nouvelle en gré.
Ils ont juré leur foi et fait serment de vérité
D’aller au roi Ferdinand au bout de trente jours comptés62.
34La répétition de cette phrase formulaire n’est pas anodine. Elle renvoie en effet à ce que préconisait, dans le dernier tiers du xiiie siècle, le code alphonsin des Sept Parties. Les trois premiers cas semblent se faire l’écho, à quelques variantes près, de l’obligation pour les sujets du royaume ayant reçu des châteaux en héritage, de venir rendre hommage au nouveau roi dans un délai de 30 jours, selon la loi 22 du titre 13 de la Deuxième partie :
Dès que le nouveau roi commence à régner, ou au plus tard dans les trente jours qui suivent, tous ceux qui auraient sur sa seigneurie des châteaux qu’ils auraient reçus par donation royale doivent venir lui rendre hommage63.
35Le troisième exemple renverrait, quant à lui, au délai maximum qui était fixé pour que les témoins se présentent à un procès64.
36À cela s’ajoutent des développements significatifs, comme dans le passage où la mention de ce délai, appliqué à un duel, révèle les rapports qu’entretiennent dans le texte l’aristocratie chevaleresque, la haute noblesse et la royauté. Il s’agit de l’épisode où le roi Ferdinand Ier, ayant été défié par Martin González pour le compte du roi de Navarre, accorde à Rodrigue, qui est le seul des sujets du roi castillan à vouloir accomplir son devoir d’auxilium, un délai de trente jours pour venir affronter le comte navarrais, lequel manifeste son mécontentement face à cette décision :
v. 548-564 :
Le roi d’Aragon me défie sans que l’aie provoqué ;
Il veut Calahorra, de force ou bien de gré,
Ou au nom du royaume un homme pour jouter.
Aux gentilshommes de ma cour je m’en suis plaint assez ;
Hélas, pour me répondre, il ne fut homme né !
Répondras-tu, Rodrigue, vassal de ma parenté,
Petit-fils de Laín Calvo, que Diègue a engendré ? »
Rodrigue lui dit alors : « Sire, je l’ai en gré.
Mais pour nous combattre, donnez-nous un délai :
Au patron de Saint-Jacques, pèlerin veux aller,
Et à Rocamadour, si Dieu l’avait en gré. »
Le roi lui répondit : « Trente jours sont assez. »
Le comte vivement s’est dressé sur ses pieds :
« Roi, dit-il, trente jours sont un bien grand délai !
Je ne veux plus attendre, même pour un comté ! »
Rodrigue lui dit alors : « Pourquoi vous lamenter ?
Les jours de mai sont courts quand au diable on est voué65 ! »
37Or la suite de l’épisode montre combien, pour Rodrigue, le respect de ce délai est important, comme on peut le voir au moment où il questionne sa mère après son pélerinage à Saint-Jacques-de-Compostelle :
v. 570-578 :
À la comtesse Thérèse Núñez, de retour a demandé :
« Depuis que m’en fus à Saint-Jacques, combien de jours sont-ils passés ?
« Aujourd’hui vingt-six, dit-elle, demain ving-sept seront comptés. »
Quand Rodrigue l’entendit, il s’en est offensé :
« Chevaliers, à vos chevaux ! Chevauchons sans tarder !
Notre service allons faire au roi Ferdinand couronné ;
Au-delà de trois jours, le terme sera passé ! »
Avec trois cents gentilshommes Rodrigue s’en est allé66.
38Il convient donc de se demander pourquoi la Chanson de Rodrigue insiste autant sur ce délai.
39Contemporaine de la Chanson de Rodrigue, la Chronique de Castille, où nos deux poèmes ont d’ailleurs été mis en prose, nous offre la réponse. L’œuvre, qui célèbre l’union idéale de la royauté et de la chevalerie en une période où la première avait pu conforter son pouvoir grâce à la seconde, ne manque pas de rappeler, à travers Rodrigue, ce que doit respecter un roi s’il veut maintenir la paix dans son royaume. En effet, dans un passage ajouté par le chroniqueur, on voit le Cid déclarer au roi Alphonse VI qu’il n’acceptera sa grâce et ne lui portera secours contre les Maures qu’à la condition qu’il accorde aux gentilshommes non plus un délai de neuf jours pour quitter le royaume lorsqu’ils sont bannis, mais de trente jours, et qu’il respecte aussi les droits et les privilèges des gentilshommes et des citoyens et ne les soumet pas à des impôts de façon arbitraire, car sinon, ils pourraient se rebeller67.
40Telle serait la vocation de ces « trente jours comptés » mentionnés à plusieurs reprises dans la Chanson de Rodrigue : montrer que la préservation et la paix du royaume reposent sur l’alliance entre la royauté, l’aristocratie chevaleresque et les villes et sur le respect de leurs droits et devoirs respectifs. Ainsi le jongleur inscrit-il son récit dans le présent de ses destinataires. Du reste, l’ancrage de la Chanson à Palencia et l’évocation, au début du texte, de la légende des juges de Castille, ne sont sans doute pas étrangers aux affrontements qui se produisirent au sein de cette ville en 1300, entre l’évêque et le conseil municipal, notamment au sujet de la nomination annuelle des alcades, affaire dans laquelle l’arbitrage de la royauté fut sollicité68.
41Ainsi donc, si l’étude de la temporalité dans la Chanson de Mon Cid et la Chanson de Rodrigue met au jour quelques variantes ayant trait, notamment, à la chronologie épisodique et au rythme, elle permet aussi de distinguer tous les aspects d’une « mythologie de groupe69 ». Essentiellement centrée sur les prouesses successives du héros ordonnées dans « un esthétique crescendo70 », la première décrit une ascension destinée à illustrer les perspectives sociales qui, dans la Castille du xiiie siècle, pouvaient s’offrir à la chevalerie, en particulier dans le cadre de la seigneurie féodale. Remontant aux origines légendaires de la Castille mais présentant une chronologie plus confuse où se détachent, par la répétition, quelques références temporelles, la seconde illustre la primauté de la performance sur la naissance ou sur toute considération d’ordre hiérarchique, et présente les moyens par lesquels, au xive siècle, chevaliers gentilhommes et bons-hommes des villes, mais aussi puînés et bâtards de l’aristocratie, pouvaient faire valoir leurs droits et s’élever. Telle est la façon dont les références temporelles contribuent à mettre en lumière les principaux enjeux socio-politiques de ces deux chansons71.
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Chronologie épisodique
Chanson de Mon Cid (3735 vers, début xiiie siècle, ms. Vitr. 7-17, Biblioteca Nacional de España)
Premier Chant (« Chant de l’exil », v. 1-1083)
- Conséquences de l’ordre de bannissement sur les biens du Cid à Vivar
- Les Burgalais refusent d’ouvrir les portes de leurs maisons
- Négoce avec les deux marchands juifs de Burgos, Raquel et Vidas
- Sortie de Castille
- Bataille de Castejón
- Bataille d’Alcocer
- Bataille contre les rois maures Fáriz et Galve
- Première ambassade de Minaya Álvar Fáñez en Castille
- Bataille contre le comte de Barcelone
Deuxième Chant (« Chant des noces », v. 1084-2277)
- Conquête de Valence et de ses environs
- Deuxième ambassade de Minaya en Castille – le roi Alphonse VI accorde son pardon au Cid et Chimène et ses filles le rejoignent à Valence
- Bataille contre le roi Yúçef du Maroc
- Troisième ambassade de Minaya, accompagné de Pero Bermúdez – Les infants de Carrión demandent au roi de les marier avec les filles du Cid
- Entrevue avec le roi – le Cid accepte la proposition du roi
- Noces
Troisième Chant (« Chant de l’affront de Corpes », v. 2278-3735)
- Épisode du lion du Cid qui sort de sa cage et revèle la lâcheté des infants de Carrión
- Bataille contre le roi Búcar
- Affront de Corpes
- Ambassade de Muño Gustioz qui demande justice au roi pour le compte du Cid
- Procès de Tolède
- Duels judiciaires opposant les hommes du Cid aux infants de Carrión
- Mariage des filles du Cid avec les fils des rois de Navarre et d’Aragon
Chanson de Rodrigue (1164 vers, début xive siècle, ms. Esp. 12, Bibliothèque Nationale de France, fol. 188r°-201v°)
- Origines de la royauté castillane
- Restauration de l’évêché de Palencia
- Ferdinand et les lignages de Castille
- Enfances de Rodrigue
- Victoire de Rodrigue sur le roi maure Burgos de Ayllón et ses alliés
- Victoire de Rodrigue sur le comte navarrais Martin González
- Victoire de Rodrigue sur les comtes félons et les cinq rois maures
- Les fils de Pierre de Campóo chassent l’évêque de Palencia – Victoire de Rodrigue
- Refus du roi Ferdinand, sur les conseils de Rodrigue, de payer le tribut impérial
- Éloge de Ferdinand Ier
- Arrivée des troupes espagnoles en France pour défendre le droit de ne pas payer le tribut impérial
- Les armées se rencontrent
- Victoire de Rodrigue sur le comte du Savoie
- Les armées castillanes sont aux portes de Paris
- Entrevue avec le pape
- Naissance d’un infant (fils du roi Ferdinand et de la fille du comte de Savoie)
1 Il s’agit du manuscrit Vitr. 7-17. Selon ce qu’affirment les vers 3731-3733, le texte de la chanson aurait été composé en l’an 1245 de l’ère hispanique, ce qui correspond à l’année 1207 de l’ère chrétienne : « Qui ce livre écrivit, / Dieu lui donne paradis ! Amen ! / Pierre Abad l’écrivit au mois de mai / De l’ère de mille deux cent et quarante-cinq années. » Voir Georges Martin (trad.), Chansons de geste espagnoles. Chanson de Mon Cid, Chanson de Rodrigue, Paris, Flammarion, 2005, p. 202. Texte original : « ¡ Quien escriuió este libro, / dél’ Dios paraýso ! ¡ Amén ! / Per Abbat le escriuió en el mes de mayo / En era de mill e CCXLV annos. » Voir Georges Martin (éd. et trad.), Chanson de Mon Cid / Cantar de Mio Cid, Paris, Aubier, 1996, p. 304, dorénavant noté Cantar de Mio Cid.
2 Manuscrit Esp 12.
3 Sur la datation de la Chanson de Rodrigue, considérée comme un « poème épique tardif » voir Leonardo Funes et Felipe Tenenbaum, Mocedades de Rodrigo. Estudio y edición de los tres estados del texto, Woodbridge, Tamesis, 2004, p. XI-XXI. On pourra également consulter Georges Martin, Les Juges de Castille. Mentalité et discours historique dans l’Espagne médiévale, Annexes des cahiers de linguistique hispanique médiévale, Paris, Klincksieck, vol. 6, 1992, en particulier p. 442-471.
4 Manuscrit 212.
5 Face à cette geste « attestée », s’est développée, dès la fin du xixe siècle, la thèse de « l’état latent » de l’épopée espagnole, selon laquelle l’historiographie et le romancero garderaient la trace de l’existence d’autres poèmes. Voir Ramón Menéndez Pidal, Reliquias de la poesía épica española, Madrid, Espasa-Calpe, 1951 ; Carlos Alvar et Manuel Alvar (éd.), Épica medieval española, Madrid, Cátedra, 1991, en particulier p. 70-79, ou encore Diego Catalán, La épica española. Nueva documentación y nueva evaluación, Madrid, Seminario Menéndez Pidal / Universidad Complutense de Madrid, 2000.
6 Voir G. Martin (trad.), Chansons de geste espagnoles, p. 39-41.
7 v. 914.
8 G. Martin (trad.), Chansons de geste espagnoles, p. 63-64.
9 Voir la chronologie épisodique des deux chansons en annexe.
10 Sur ce point, voir Georges Martin, « Le récit héroïque castillan, (formes, enjeux sémantiques et fonctions socio-culturelles », Histoires de l’Espagne médiévale. Historiographie, geste, romancero, Annexes des Cahiers de linguistique hispanique médiévale, Paris, Klincksieck, vol. 11, 1997, p. 139-152, et en particulier p. 143-144. Voir aussi, pour l’épopée française, Jean-Pierre Martin, « L’imaginaire de la temporalité dans Raoul de Cambrai », dans Raoul de Cambrai entre l’épiques et le romanesque, Actes du colloque de l’Université Paris X, 20 novembre 1999, Littérales, 25, 1999, p. 25-44, p. 25.
11 Au vers 664, on apprend, par exemple, que le siège d’Alcocer dura trois semaines. Au vers 907, on nous indique que le Cid attendit son bras droit Alvare Fáñez pendant quinze semaines à Saragosse. De même nous signale-t-on, au vers 2969, que le Cid dispose de sept semaines pour rejoindre le roi à Tolède et au vers 3481, que les hommes du Cid et les infants de Carrión ont trois semaines pour venir s’affronter en duel. Quant aux récits de batailles, ils soulignent surtout la rapidité avec laquelle le Cid et ses hommes vainquent leurs adversaires, comme par exemple au vers 605 : « En une heure et un peu de temps, trois cents Maures sont tués » (« En vn ora e vn poco de logar CCC moros matan. », Cantar de Mio Cid, p. 96).
12 On sait que Rodrigue se rendit maître de Valence en 1094, mais il convient de préciser ici qu’aucune date précise n’est mentionnée dans le texte, que ce soit dans ce passage ou dans le reste du poème.
13 « En tierra de moros prendiendo e ganando, / E durmiendo los días e las noches trasnochando, / En ganar aquelas villas Myo Çid duró III annos. », Cantar de Mio Cid, p. 136.
14 « El Çid e sos hyernos en Valençia son rastados. / Hý moran los yfant[e]s bien cerca de dos annos ; », Cantar de Mio Cid, p. 208.
15 Voir Edmund de Chasca, El arte juglaresco en el Cantar de Mio Cid, Madrid, Gredos, 1re éd. 1967, 2e éd. augmentée, 1972, p. 93 : « En todo el Poema se nota esa puntual precisión en la especificación del tiempo. Pero esta regularidad resalta, más que en ninguna otra parte en el Cantar del Destierro, que puede compararse a un libro diario de tres años de la vida del Cid […] ».
16 « Apriessa cantan los gallos e quieren quebrar albores / Quando legó a San Pedro el buen Campeador. », Cantar de Mio Cid, p. 71-72.
17 « Passando ua la noch, / viniendo la mannana ; / A los mediados gallos, piessan de [ensellar]. / Tannen a matines a vna priessa tan grand ; », Cantar de Mio Cid, p. 76. On trouve, dans le Premier Chant, trois autres occurrences de la formule évoquant le chant du coq (v. 169, 209 et 316), qui ne réapparaît ensuite qu’au vers 1701, au sein du Deuxième Chant, avant le récit de la bataille du Cid contre le roi Yúçef du Maroc.
18 « Los VI días de plazo passados los an ; / Tres an por troçir, sepades que non más. », Cantar de Mio Cid, p. 76.
19 « Otro día mannana pienssan de caualgar ; / Es día á de plazo, sepades que non más ; », ibid., p. 82.
20 Dans le Premier Chant, on trouve neuf occurrences de l’adverbe « apriessa », v. 97, 99, 235, 297, 596, 697, 967, 986, 1057.
21 v. 1979 : « Le roi don Alphonse en hâte chevauchait » (« El rey don Alfonsso apriessa caualgaua, », Cantar de Mio Cid, p. 190) et v. 1985-1986 : « Dedans Valence, Mon Cid le Campéador / Point ne s’attarde, pour la vue s’adouba lors. » (« Dentro en Vallençia, Myo Çid el Campeador / Non lo detarda, pora las vistas se adobó. », loc. cit.).
22 Tel est le cas du passage où le héros demande à ses hommes de ramener ses filles à Valence après le déshonneur que leur ont fait subir leurs époux, les infants de Carrión, en les abandonnant et les laissant pour mortes dans la rouvraie de Corpes, v. 2841-2842 : « L’ordre de leur seigneur accomplissent aussitôt ; / En hâte chevauchent, le jour et la nuit marche font. » (« Non lo detardan el mandado de su sennor ; / Apriessa caualgan, los días e las noches andan. », Cantar de Mio Cid, p. 248).
23 Comme l’affirme en particulier Stephen Gilman, le présent historique place l’auditeur au sein même de la scène des événements et apporte vivacité au récit (cf. S. Gilman, Tiempo y formas temporales en el Poema de Mio Cid, Madrid, Gredos, 1961, p. 51).
24 D’après l’étude de Stephen Gilman (voir ibid.), dans la Chanson de mon Cid, les temps verbaux ont davantage une valeur aspectuelle que temporelle, comme on peut le voir, notamment, dans les passages marqués par l’alternance entre le présent et le passé (voir en particulier p. 31 et 131-141).
25 « Apriessa caualga, reçbirlos salié,\Tornós’ a sonrisar ; / léganle todos, la mano.l’ ban besar. », Cantar de Mio Cid, p. 74.
26 J’utilise, pour la version française de cette chanson, la traduction de Georges Martin (trad.), Chansons de geste espagnoles (dorénavant notée Chanson de Rodrigue), et pour la version originale, je transcris le texte du manuscrit Esp. 12 de la Bibliothèque nationale de France. Ms. Esp. 12, fol. 193v°b : « A Rodrigo llegó el apellido, quando en siesta estaua adormido; / Deffendió que ninguno non despertasse a su padre, sol non fuesse vssado. / Métense a las armas e cavalgan muy priuado. »
27 Même si l’on trouve aussi quelques références temporelles précises dans la Chanson de Rodrigue, comme par exemple aux vers 819-820 – « Le bon roi Ferdinand, sept semaines comptées, / Attendit de combattre en bataille rangée » ; « E siete semanas por cuenta, estido el rey don Fernando, / Atendiendo batalla en vna lid en canpo. », ms. Esp. 12, fol. 198r°a –, elles ne confèrent pas au récit cette sensation de continuité de l’action que l’on observe dans la Chanson de mon Cid.
28 Je rapporte ici les propos de Diego Catalán dans La épica española, p. 527 : « El ritmo de la narración del Rodrigo contrasta abiertamente con el de las gestas españolas anteriores. Todo en él se cuenta apresuradamente, como si el poeta tratara tan sólo de suscitar con sus versos la memoria de las acciones en su auditorio y no de desarrollar las escenas ».
29 Chanson de Rodrigue, p. 205-206.
30 Ibid., v. 95-203.
31 Ibid., v. 204-292.
32 Ms. Esp. 12, fol. 197r°a : « Ffijos fueron del conde don Pedro del Canpo muncho onrrado, / Quando sopieron que Rodrigo, de los reynos era echado, / Entraron a Palençia por fuerça, que primero era condado, / E a muy grand dessonrra, echaron fuera al perlado. ».
33 Dans son introduction à la traduction de la chanson, Georges Martin parle de « confusion » et d’« anachronisme » (Voir Chansons de geste espagnoles, p. 49).
34 Ms. Esp. 12, fol. 193v°b : « Allí espedieron padre e fijo, al camino fueron entrados; / Ffuesse para Biuar a Sant Pedro de Cardeña por morar ý el verano. / Corryó el moro Burgos de Ayllón muy lozano, / Et el arrayaz Bulcor de Sepúlueda muy honrrado, / E su hermano Tosios, el arrayaz de Olmedo muy rico e mucho abondado. / Entre todos eran V mill moros a cauallo. ».
35 Ms. Esp. 12, fol. 194r°a : « Vn día e vna noche, fasta otro día mediado, / Estudo en pesso la batalla e el torneo mesclado; / Rodrigo vençió la batalla, ¡Dios sea loado! ».Voir aussi v. 686-691.
36 Sans doute est-ce là une preuve de la culture historiographique de l’auteur (sur ce point, voir G. Martin (trad.), Chansons de geste espagnoles, p. 49-50) et de l’influence de ce type de source sur son récit.
37 Ms. Esp. 12, fol. 190r°a-190r°b : « Et oyredes lo que aconteçió estonçe en aquel año: / Estando el arçobispo en el pueblo toledano, / En día de Rramos, en Visagra, la missa cantando, / A la ora de la passyón, entraron moros el poblado / E ganaron a Toledo, a menos del poblado. ».
38 À celles-ci s’ajoutent des références temporelles diverses : la référence aux dix-sept années durant lesquelles la Castille se rebelle (v. 206), aux quatre ans pendant lesquels le Maure Ayllón paye un tribut au Cid (v. 516-517), ou encore aux quatre années de trêve que réclament le pape, le roi de France et l’empereur (v. 1075-1076).
39 Cf. v. 314 : « Au bout de neuf jours vint le terme ; ils se hâtent de chevaucher » (Ms. Esp. 12, fol. 192r°a-192r°b : « A los nueue días contados, caualgam muy priuado. »).
40 Pour cet épisode, voir infra.
41 Voir v. 24, 69, 247, 715.
42 Voir G. Martin, « Temporalités (trois logiques temporelles du récit historique médiéval) », Histoires de l’Espagne médiévale. Historiographie, geste, romancero, Annexes des Cahiers de linguistique hispanique médiévale, Paris, Klincksieck, vol. 11, 1997, p. 57-68, p. 64.
43 Cantar de Mio Cid, p. 60.
44 « ‘¡ Caualgad, Çid, el buen Campeador, / ca nunqua\ En tan buen punto caualgó varón ! / Mientra que visquiéredes bien se fará lo to.’ », ibid., p. 82.
45 « Ya.l’ creçe la barba, e vale allongando », Cantar de Mio Cid, p. 140. Voir aussi v. 2059 : « Sa barbe contemplait, qui à croître fut prompte » (« Catando.l’ sedié la barba que tan ayna.l’ creçiera », Cantar de Mio Cid, p. 194).
46 « Vós que por mi dexades casas e heredades, / Enantes que yo muera algún bien uos pueda far ; », Cantar de Mio Cid, p. 76.
47 « ¡ Si les yo visquier serán duenas ricas ! », ibid., p. 110.
48 « Con más pocos yxiemos de la casa de Biuar ! / Agora auemos riquiza, ¡ más auremos adelant ! », ibid., p. 142.
49 « ¡ Antes fu minguado, agora rico só, », ibid., p. 228.
50 « De natura sodes de los de Vani Gómez, / Onde salién condes de prez e de valor ; / ¡ Mas bien sabemos las mannas que ellos han ! », Cantar de Mio Cid, p. 286.
51 « Antes las aviedes pareias pora en braços las tener, / Agora besaredes sus manos e lamarlas hedes sennoras ; », loc. cit.
52 Cantar de Mio Cid, p. 304.
53 « Quando ge lo dizen a Myo Çid el Campeador, / Vna grand ora penssó e comidió ; », ibid., p. 248.
54 « El rey vna grand ora calló e comidió : », ibid., p. 256.
55 Ms. Esp. 12, fol. 191r°a : « Aviendo guerra con el rey de León e con leonesses, el menor de Laýn Caluo, / Que.l’ dixieron Diego Laýnez, éste ovo a Saldaña por frontera. ».
56 Ms. Esp. 12, fol. 193v°b : « ‘Señor, vós me despossastes más a mi pessar que de grado, / Mas prométolo a Christus que vos non besse la mano, / Nyn me vea con ella en yermo nin en poblado / Ffasta que venza çinco lides en buena lid en canpo’ ».
57 Ms. Esp. 12, fol. 194r°b : « ‘Cata, – dixo – buen rey, qué te trayo, maguera non só tu vassallo. / De çinco lides que te prometí el día que tú me oviste desposado, / Vençido he la vna; yo cataré por las quatro.’ ».
58 Rappelons sur ce point ce qui est dit, au début de la chanson, du premier comte de Castille : « Les aînés ne firent rien de bon et le puîné fut le comte Ferrand González qui tint fort longtemps la Castille », p. 206, l. 29-31. (Ms. Esp. 12, fol. 188r°b : « E los mayores non valieron nada, et el menor fue el conde Ferrnand Gonçález que mantouo a Castilla muy grant tiempo. »).
59 v. 24 : « Il se rendit à la vue au bout de trente jours comptés. ». (Ms. Esp. 12, fol. 188v°b : « E a los treynta días contados fue el conde al plazo. »).
60 v. 69 : « Les Castillans s’y rassemblent au bout de trente jours comptés ». ((Ms. Esp. 12, fol. 189r°b : « A los treynta días conplidos, ayúntanse ý los castellanos. »).
61 v. 247-250 : « Les Léonais arrivèrent au bout de trente jours comptés ; / Asturiens et Galiciens les avaient accompagnés. […] ». (Ms. Esp. 12, fol. 191r°b : « Que veniessen a sus cortes a los treynta días contados. / Allý vinién leonesses et con gallizianos e con asturyanos; / […] »).
62 Ms. Esp. 12, fol. 196v°b : « Quando lo sopieron los condes de Carrión e de Castilla, todos se alegraron. / Et feziéronla jurar en las manos, e omenaje le otorgar / Que a treynta días contados fuessen ant’el rey don Fernando. ».
63 « Titre XIII. Comment doit être le peuple dans sa façon de connaître, honorer et garder son roi », dans Georges Martin (dir.), Alphonse X le Sage, Deuxième partie, Paris, SEMH-Sorbonne - CLEA (EA 4083) (Les Livres d’e-Spania, « Travaux en cours », 1), 2010, [En ligne], URL : http://e-spanialivres.revues.org/79, loi XXII, § 24.
64 Voir Troisième partie, titre 15, loi 1. La loi ajoute que ce délai pouvait être repoussé de deux autres périodes de trente jours.
65 Ms. Esp. 12, fol. 195r°a-195r°b : « Enbióme desafiar el rey de Aragón, e nunca ge lo ove buscado; / Enbióme dezir que.l’ diesse a Calahorra amidos o de grado, / O que.l’ diesse vn justador de todo el mi regnado. / Querelléme en mi corte a todos los fijosdalgo, / ¡Non me respondió omne nado! / Respóndele tú, Rodrigo, mi pariente e mi vasallo, / Fijo eres de Diego Laýnez e nieto de Laýn Caluo’ / Essas horas dixo Rodrigo: ‘Señor, pláçeme de grado. / Atal plazo nos dedes que pueda ser tornado: / Que quiero yr en romerýa al padrón de Santiago, / Et a santa María de Rocamador, sy Dios quesiere guissarlo.’ / Essas horas dixo el rey: ‘En treynta días avrás afarto’. / El conde con grand bien, en pie fue leuantado, / Et dixo: ‘Rey, ¡en treynta días, mucho es grand plazo! / ¡Que más me quería ver con Rrodrigo que quien me diesse vn condado!’ / Estonçe dixo Rodrigo: ‘Conde, ¿por qué vos quexades tanto? ¡Que a quien diablos han de tomar, chica es posiesta de mayo!’ ».
66 Ms. Esp. 12, fol. 195r°b : « A la condessa doña Theresa Núñez, e apriessa ovo preguntado: / ‘Señora, ¿quántos días ha passados que yo fue en romerýa a Santiago?’ / Et dixo la condessa: ‘Oy passan veynte e seys días, / Cras serán los veynte e syete días llegados.’ / Quando esto oyó Rodrigo, fue mal amanzellado, / E dixo: ‘¡Caualgat mis caualleros, e non querades tardarlo! / Vayámosnos seruir al buen rey don Fernando; / ¡Que tres días ha, non más, para complirse el plazo!’ / A los caminos entró Rodrigo con treçientos fijosdalgo. ».
67 « E el Çid gradeçióle la merçed que le fazía, mas díxole que nunca vernía a la su merçed si non le otorgase lo que le quería demandar. E él otorgógelo. E el Çid estonçe demandó que otorgase a los fijosdalgo que quando oviese alguno de salyr de la tierra, que ouiese treynta días de plazo, así commo ante avían nueue días, e que non pasase contra ningunt fijodalgo nin omne çibdadano syn ser oýdo commo deuía por derecho, nin pasase a las villas nin a los otros lugares contra sus preuillejos nin contra sus buenos vsos, nin les echase pechos ningunos desaforados, sy non, que se le pudiesen alçar toda la tierra por esto fasta que ge lo emendase » (« III. Alfonso VI », dans Patricia Rochwert-Zuili (éd.), Crónica de Castilla, Paris, SEMH-Sorbonne - CLEA (EA 4083) (Les Livres d’e-Spania, « Sources », 1), 2010, [En ligne], URL : http://e-spanialivres.revues.org/182, chap. 36, § 143).
68 Voir G. Martin (éd.), Chansons de geste espagnoles, p. 63. La documentation fait en effet état de cet événement (Voir Jesús Coria et Santiago Francia (éd.), Reinado de Fernando IV (1295-1312), Colección de documentos para la historia de Palencia (III), Palencia, Aretusa Ediciones, 1999, notamment doc. 19 (1er mai 1300), « Testimonio notarial de los problemas acaecidos entre el obispo y concejo palentinos acerca del nombramiento anual de alcaldes », p. 125-132).
69 G. Martin, « Le récit héroïque castillan », p. 144-145 et 152. Sur ce point, les deux chansons ne diffèrent pas des chansons françaises. En guise d’illustration, je citerai ici les propos de Jean-Pierre Perrot : « La chanson de geste, dont le récit raconte un événement fondateur que la performance réinstalle dans le présent de l’auditeur par sa prolifération quasi rituelle, entretient avec la temporalité un rapport particulier qui est celui du mythe et du rite ». Voir J.-P. Perrot, « L’écriture épique au Moyen Âge. Imaginaire et création dans la chanson de geste (L’exemple de La Chanson de Roland) », dans Jean Derive (dir.), L’Épopée. Unité et diversité d’un genre, Paris, Karthala, 2002, p. 31-56, p. 52-53.
70 G. Martin (éd), Chansons de geste espagnoles, p. 25.
71 Comme l’a démontré Jean-Pierre Martin pour l’épopée française, « […] le temps est porteur de sens. […] L’épopée reconstruit le passé collectif pour donner sens au présent » (Voir « L’imaginaire de la temporalité dans Raoul de Cambrai », p. 44).
URL : http://publis-shs.univ-rouen.fr/reare/index.php?id=328
Quelques mots à propos de : Patricia Rochwert-Zuili
Patricia Rochwert-Zuili est professeur de littérature et de civilisation de l’Espagne médiévale à l’Université d’Artois. Elle est membre du laboratoire Textes & Cultures (EA 4028) et co-responsable de l’équipe interne TransLittéraires. Ses recherches portent sur le Moyen Âge espagnol (historiographie castillane des XIIIe et XIVe siècles, chanson de geste espagnole, chevalerie, reines et infantes, correspondances de femmes, édition de sources) ainsi que sur le roman historique contemporain sur le Moyen Âge. Elle a publié « Recherches sur la mise en prose des poèmes héroïques dans l’Histoire d’Espagne. Le Cantar Primero du Poème du Cid dans la Chronique de vingt rois », Cahiers de linguistique hispanique médiévale, 22, 1998-1999, p. 131-160 (http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/cehm_0396-9045_1998_num_22_1_891), Crónica de Castilla, édition et présentation de Patricia Rochwert-Zuili, Paris, SEMH-Sorbonne (Les Livres d’e-Spania, « Sources », 1), 2010 (http://e-spanialivres.revues.org/63) et, en collaboration avec Hélène Thieulin-Pardo, « La correspondance des femmes en Europe au Moyen Âge : quelques observations et un exemple », dans « Correspondances et paysages : premiers regards sur l’entre-deux », L’Entre-deux, 1 (1), janvier 2017, 28 p. (http://www.lentre-deux.com/1.1.1.ROCHWERT-THIEULIN)