Les Temps épiques
Structuration, modes d’expression et fonction de la temporalité dans l’épopée

sous la direction de Claudine Le Blanc (maître de conférences HDR en littérature comparée à l’Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3) et de Jean-Pierre Martin (professeur émérite de langue et littérature du Moyen Âge à l’Université d’Artois)

Le volume constitue les actes du septième congrès du Réseau Euro-Africain de Recherches sur les Épopées (REARE), organisé conjointement par Ursula Baumgardt (INaLCO/Llacan), Romuald Fonkoua (Paris-Sorbonne), Claudine Le Blanc (Sorbonne Nouvelle/CERC) et Jean-Pierre Martin (Université d’Artois/Textes et Cultures), qui s’est tenu à Paris les 22, 23 et 24 septembre 2016 à l’INaLCO et  à la Sorbonne. Il propose une exploration de la question de la temporalité dans l’épopée, question qui reste paradoxalement peu étudiée de façon systématique, en vingt-sept études couvrant un très vaste empan géographique et historique (de l’Afrique à l’Inde, de l’Antiquité aux séries contemporaines), précédées d’une introduction par les coordinateurs.

Les temps épiques
  • Claudine Le Blanc et Jean-Pierre Martin  Dédicace
  • Claudine Le Blanc et Jean-Pierre Martin  Introduction

Le temps gelé : une épopée du Néant (The Leftovers, Les Revenants) ?

Isabelle-Rachel Casta


Résumés

Les monumenta sériels se reconnaissent à ce qu’ils exhaussent les données de départ en grands invariants eschatologiques : un groupe humain en souffrance, deux ou trois héros porteurs d’espérance ou de malignité, des événements inédits… À ce canevas épique aisément identifiable, deux séries apportent une dimension et une angoisse plus radicales : le syndrome du « temps gelé ». Il s’agit d’abord des Revenants (Fabrice Gobert, France, 2012-2015), où les morts reviennent reprendre leur place parmi les vivants tout comme, second exemple, pour la série américaine The Leftovers (Damon Lindelof, Tom Perrotta, USA, 2014-2016), où une communauté se soude et se déchire autour d’un événement traumatique fondateur : le temps sériel épique gèle… et flamboie en même temps.

On an easily identifiable epic canvas, two series bring a more radical dimension and anguish : what could be called the "frozen time" syndrome. It is first Revenants (Fabrice Gobert, France, 2012-2015), where the dead return to take their place among the living - which has no chance to re-temporalize, just like, second example, for the American series present in the titular litany. In The Leftovers (Damon Lindelof, Tom Perrotta, USA, 2014-2016), a community welds itself and tears itself around a traumatic event founder: the disappearance, October 14, of two percent of the population… without trace, no explanation or reason. Around the "sheriff", disenchanted figure of a guide himself bruised, the small town of Mapleton interminably waits for an apocalypse, a revelation… but only him answer the chronicle of an absence, the song of a departure, song of desolation; The Revenants also reappear in a closed setting, a mountain village hovering over a dam, as if to metaphorise, by a limited and anxious space, a time itself suspended and constrained. Epic, in the sense that a whole community will have, under the worrisome guidance of a few individuals not necessarily benevolent, to cross a time / place still unheard, without trace or path, "apeiron apeirata", say the Greeks… mourning lasts even in the presence of the redivivus (but what is dead can not really revive or long). Can the wonder of the resurrection be written in the hollows and whites of our human time? The catabase, one of the great epic topoï, usually sends one or two alive… to the dead (Aragorn, or Dante and Virgil…); but it is infinitely more rare that it is the dead who return, them, in "horde" (title of the last episode, season One, of the Revenants) among the alive ones. It is as if these epic narratives were working together to sew the time of the living and the dead : those who would flee are trapped in the circularity of a collective neurosis, and those who would like to remain - the Revenants - are expelled towards the hereafter without care; and each takes up, without knowing it or knowing it, his dark march. Serial time freezes… and blazes at the same time.

Texte intégral

L’anticipation contemporaine […] porte une pensée prisonnière d’un terrible paradoxe tendu entre deux idéaux […]. Elle crée ainsi les matrices de discours scientifiques à venir par les effets conjugués de curiosité et d’ignorance.
Thierry Jandrok1

1Les monumenta sériels se reconnaissent à ce qu’ils exhaussent et réarticulent les données de départ en grands invariants de notre inquiétude eschatologique : un groupe humain en souffrance, deux ou trois héros porteurs d’espérance ou de malignité, des événements inédits… À ce canevas épique aisément identifiable (comme dans Lost ou The Warriors, en français Les Guerriers de la Nuit2), deux séries apportent une dimension et une angoisse plus radicales : ce que l’on pourrait appeler le syndrome du « temps gelé ». Il s’agit d’abord des Revenants3 où les morts reviennent reprendre leur ( ?) place parmi les vivants – ce qui n’a aucune chance de se re-temporaliser, tout comme, second exemple, dans la série américaine présente dans la litanie titulaire. En effet, dans The Leftovers4, une communauté se soude et se déchire autour d’un événement traumatique fondateur : la disparition, un 14 octobre, de deux pour cent de la population, sans trace, ni explication, ni raison. Autour du « shérif » Kevin Garvey, figure assez brutale et désenchantée d’un guide lui-même meurtri, la petite ville de Mapleton attend interminablement une apocalypse, une révélation… mais seuls lui répondent la chronique d’une absence, le chant d’un départ, cantique de la désolation. Les Revenants eux aussi réapparaissent dans un cadre fermé, village de montagne butant sur un barrage, comme pour métaphoriser, par un espace borné et anxiogène, un temps lui-même suspendu et contraint. La petite ville où se déroulent ces événements ressemble par ailleurs aux gated communities américaines : un lotissement, un barrage, des barrières, une étrange police. Une fois l’engloutissement avéré, quelques survivants, quasi-ermites, restent dans les demeures dévastées, comme après chaque grande catastrophe : La Nouvelle-Orléans, Fukushima… L’armée contrôle les lieux, apportant encore une barrière supplémentaire, celle de l’autorité, des interdits sanitaires, de la suspicion généralisée à l’encontre de ces demi-fous qui prétendent rencontrer des morts.

2Épique, au sens où toute une communauté va devoir, sous la guidance inquiétante de quelques individus pas forcément bienveillants, traverser un temps / lieu encore inouï, sans trace ni chemin, l’apeiron, diraient les Grecs… Le deuil dure même en présence du redivivus (mais ce qui est mort ne saurait revivre vraiment, ni longtemps). L’épopée de la résurrection peut-elle s’écrire dans les creux et les blancs de notre temps humain ? La catabase, l’un des grands topoï épiques, envoie généralement un ou deux vivants chez les morts (Aragorn, ou Dante…) ; mais il est infiniment plus rare que ce soient les morts qui reviennent, eux, en « horde » (titre du dernier épisode des Revenants, saison I) parmi les vivants. Signe de recommencement ou de figement, temps du dés-astre absolu, ou au contraire promesse de renouveau et de re-départ ?

3Tout se passe comme si ces récits épiques s’employaient à coudre ensemble le temps des vivants et celui des morts : ceux qui voudraient fuir sont piégés dans la circularité d’une névrose collective, et ceux qui voudraient tant rester – les Revenants – sont expulsés vers l’au-delà sans ménagement ; les cohortes de fantômes douloureux se croisent un instant, mais les deux « durées » ne se poursuivront pas ensemble, et chacun reprend, sans le vouloir ni le savoir, sa temporalité sans destin, et sa fuite sans fin.

4Le temps sériel gèle… et flamboie en même temps ; de ce paradoxe, il convient de tirer matière à réflexions. Ces remarques s’organiseront en trois moments : le premier examinera l’épique sériel comme parabole du Renoncement (« Tant de choses auxquelles il faut renoncer… ») ; le second empruntera à Rick Yancey (La 5e vague) l’affirmation d’une humanité résistante jusqu’à l’achèvement de son elliptique terrestre (« Si je suis la dernière, alors je suis l’Humanité »), et le troisième s’interrogera sur la fonction d’intersigne et de commentaire post-apocalyptique assumée par les épopées en question : « et magna testatur voce per umbras » (« il témoigne, d’une grande voix, parmi les ombres »).

« Tant de choses auxquelles il faut renoncer5… »

5De nombreuses séries et/ou films tournent autour d’un noyau de glace, moment obscur à jamais dérobé, événement inouï qui amène à reconfigurer tout ce que l’on croyait savoir ou avoir : dans Flashforward (2009-2010), par exemple, l’humanité est restée inconsciente pendant 2 minutes et 17 secondes… des avions sont tombés, des voitures se sont percutées, et on ne sait pas ce qui s’est passé pendant ce laps de temps à la fois dérisoire et essentiel ; mais chacun y a clairement distingué son « futur » ! ce « blanc » dans le temps humain (ou ce « noir » téléfilmique au début de Battlestar Galactica, par exemple) achève un monde et en commence un autre, autrement et ailleurs ; il est donc topique de lier l’épique sériel au post-apocalyptique, dans la mesure où l’événement traumatique majeur a lieu au début et que nous assistons à l’histoire des survivants… ce qui est le contraire absolu de, entre autres, Melancholia, le film de Lars von Trier, où la destruction finale totale anéantit notre monde sans aucun espoir de survie ou de salut. Le torrent de feu nous engloutit et tout devient noir, alors que dans Les 1006 ou The Leftovers il s’agit de continuer… coûte que coûte, soit en regagnant la Terre longtemps après son irradiation (le chiffre lui-même de « Cent » dit la restriction draconienne des humains autorisés – ou condamnés ? – à revenir y vivre), soit en acceptant de maintenir l’ordre dans un univers absurde et dangereux.

6Rester ou revenir sur Terre, ce n’est pas tout à fait la même chose que ressusciter. Or, la série intitulée Les 4 4007 propose dès 2004 un scénario assez comparable à la geste héroïco-horrifique de Fabrice Gobert : des « disparus » reviennent, exactement dans l’état où ils étaient avant leur évaporation, ils surgissent dans la brume, à Seattle, dans un sfumato inquiétant qui restera à peu près sans réponse quatre saisons. On peut objecter à ce rapprochement que les uns sont morts – tout ce qu’il y a de plus morts – et les autres seulement « enlevés », « ravis »… mais leur retour, dans un monde qui s’est tant bien que mal remis de leur départ, est tout aussi improbable, difficile, douloureux.

7La vocation épique rend crédible l’arrivée délicate des morts dans notre modernité suburbaine : lumière froide et bleutée, cadrage bizarroïde, limpidité trompeuse d’un lac de retenue… Dans Les Revenants, tout est présent pour nous égarer, en juxtaposant au « connu » d’une région française assez banale « l’inconnu » d’un parcours de cauchemar : de l’autre côté des eaux répandues du barrage, vivent les ressuscités dans une perpétuelle aube livide, qui baigne les « maisons-témoins » d’un lotissement abandonné, adossées à de la végétation sans charme ni couleur. La circulation silencieuse se fait en radeau, où les êtres debout ont l’air en effet de glisser magiquement sur le miroir des eaux… (« un radeau s’éloignant doucement de la rive au clair de lune », rappelle Clélia Cohen, LRCC, saison II, épisode 1). Tout se passe comme si les revenants avaient ramené avec eux une dilatation immobile du Temps (ils ne vieillissent plus), qui glace toutes les entreprises humaines « normales ».

8Pourtant, de grotte inquiétante en chalet perché, de routes hantées – on ne sort jamais de leur circularité – en sentier abrupt, se configure un « paysage de fantaisie » demi-onirique où glissent des silhouettes qui ne devraient pas se trouver là. C’est la collusion du familier et de l’étrange, du coutumier et de l’impossibilium, que synthétise le décor filmé par Fabrice Gobert, Frédéric Goupil, son co-réalisateur, et Patrick Blossier8 ; on s’y sent mal car ces chemins qui ne mènent nulle part (tout est consommé) finissent exactement par évoquer ce qu’ils sont : l’enfer. Un enfer chatoyant en de brefs instants, au fond duquel patiente on ne sait quel nocher funèbre9.

9Cette symphonie des bleus et des noirs, des beiges et des gris nous oblige à accommoder un regard sans cesse sollicité entre horizontalité trompeuse des eaux (elles montent, descendent, on s’y plonge aussi pour mourir ou pour ressusciter…) et verticalité anxiogène des montagnes, dans un espace contraint qui réverbère un temps « sorti de ses gonds », dirait Shakespeare ; car la horde figée des revenants semble attendre désespérément le signe / signal d’une épiphanie, d’un grand départ libérateur. Entre Gregory Crewdson10 et Bill Viola11, s’ordonne la scénographie naturalisée d’une sauvagerie enfouie, crevant en de brefs éclairs l’accoutumance géographique et temporelle qui est la nôtre ; c’est ce qui émane de l’article critique Le Monument aux Morts12, qui donne longuement la parole à Fabrice Gobert et son équipe (Emmanuel Carrère et Fabien Adda) dont il est le showrunner.

10Comme nous y invite la récente réédition des romans de Philippe Curval13, l’épopée contemporaine, toujours-déjà tentée / teintée par la rêverie steampunk du temps immobile et des étanchéités exaucées, parvient à conjuguer l’infiniment grand des dérives cosmiques et l’infiniment petit du post-humanisme, en transformant chaque homme en un possible immortel « augmenté14 ». Mais ce détour facilitateur d’éternité passe aussi par le pharmakon de la mort imminente…

11Au plan augural de la saison II des Revenants (une ambulance fonce, solitaire et tous feux allumés, sur la route obscure d’un barrage qui finit en impasse…), viennent se greffer une infinité de coupes, quasi immobiles, de silhouettes à peine détachées des fonds ombreux où le cadre les invite : cette exigeante et érudite réflexion sur les puissances et les impuissances de l’image comme constructeur de mondes fourmille de références et de rappels, et amène à confronter des souvenirs de vision que peut-être nous n’aurions jamais songé à exhumer. Au croisement de la sémiotique et de la linguistique, la pensée centrale d’une appropriation inconsciemment conflictuelle des cadrages persuade aussi des stratégies idéologiques profondes qui sous-tendent le moindre des « actes de monstration ». Êtres de langage, traversés par le langage des autres – fut-il cinématographique, nous n’échappons guère à cette double postulation qui fait de nous aussi, en termes de réception, le « monde possible » d’un « récit complet ». L’univers diégétique, proche voire similaire du/au monde réel et familier crée ainsi chez le spectateur une attente certaine. En effet, l’impression « d’irréalité » qui se dégage de cet extrait est progressivement supplantée par un « effet de réel » ayant pour conséquence de donner la fausse impression que l’épopée surnaturelle décrit « notre » monde. Et pourtant…

12Pourtant l’embellie ne dure pas : escarres, plaies, ecchymoses « signalent » que la corporéité des défunts est fragile, menacée et, bien entendu, provisoire ; le visage de Camille commence à se défaire, malgré les efforts de sa mère et de sa sœur pour maquiller les traces de décomposition ; Victor, l’enfant fétiche des ressuscités, porte au bras une plaie qui s’étend, et Serge (un tueur en série repentant) demeure dans un souterrain, de plus en plus couvert d’escarres, comme pour expier enfin ses crimes : le temps a repris son travail de sape, et l’armée des morts doit repartir, à jamais solidaire dans son malheur et son errance eschatologique.

13L’électricité coupée, les magasins pillés et ouverts à tout vent, les déchets tourbillonnant dans les rues vides manifestent bien, en effet, l’arrivée de l’Ange de la Mort : Lucy, la serveuse en nocher des Enfers court vêtu, mais cependant redoutable.

14Ces innombrables moments où les corps altérés ou modifiés forment un nouveau baroque, où l’horrifique et l’émouvant s’épousent sans contrainte, écrivent une esthétique du « comble », qui s’actualise ici dans le choix du jeune fantôme Victor / Louis Levanski, comme « icône » ; c’est son regard noir, ses traits indéfinissablement inquiétants et sa pâleur déconcertante qui « marquent » le best-seller inspiré par la série, illustrant le vers du poète gallois Dylan Thomas : « After the first death, there is no other ».

15Comment périphériser, comment contingenter les menaces sans visage et sans nom qui nous cernent, qui opposent à notre quotidienneté paisible, itérative et coutumière le souffle froid de ce temps d’après le temps, dont nous ne voulons rien savoir ? Ces séries du novum, de l’événement et de l’affrontement… agencent fictivement des réponses sous forme de défis, qui participent à la co-construction d’un nouvel épique à l’efficace reconnue. Cette problématique s’adosse d’ailleurs au récent ouvrage critique de Françoise Lavocat, Fait et fiction. Pour une frontière15, qui défend en fait le même « saltus » résultant du choc des mondes possibles16. C’est aussi la conviction d’Isabelle Périer qui rappelle que :

Les quêtes épiques mises en scène dans ces univers sont généralement la répétition de quêtes antérieures, sous une forme dégradée. Ainsi, ces récits possèdent une logique conservatrice qui insiste sur la circularité du temps : la quête du héros n’est que la réitération des quêtes antérieures […] Cette dimension cyclique du temps existe bien dans la culture antique, mais la perspective est différente17.

16Ce à quoi font écho les propos de Cyrielle Lebourg-Thieullent, pour qui :

Les auteurs placent au cœur de leurs récits les thèmes de la révolte et de la résistance qui serviront de moteur aux héros afin de renverser les régimes totalitaires qui les oppressent. Dans ces romans, la notion d’ethnicité et les messages qu’elle véhicule existent en marge de l’axe narratif principal18.

17Dans nos séries, les sectes et les charlatans pullulent (comme dans toute situation de crise violente et de dé-hiérarchisation des valeurs établies), même si l’habitus français laïc des Revenants est moins propice à la prolifération des illuminés : l’opposition entre Pierre Teissier, gourou « new age » et guide spirituel d’un refuge nommé « La main tendue », avec le curé de la paroisse, le père Jean-François, ne débouche sur rien d’autre que des trahisons en cascade : l’un est un ancien assassin, l’autre livre Simon – un mort-vivant – aux autorités… Les religions, officielles ou plus syncrétiques, ne valent presque rien en contexte.

18En revanche, l’élan mormon vers toujours plus d’espace, toujours plus d’éloignement, soulève la série épique The Leftovers ; par exemple, Laurie Garvey, l’épouse du shérif, a intégré un groupe mystérieux aux allures de secte « The Guilty Remnants » (« les coupables restants »). Kevin souligne : « Il y a un an ils n’existaient pas. Aujourd’hui ils sont 50. D’où viennent-ils ? Que veulent-ils ? » (épisode 1). Laurie vit en communauté dans une vaste maison meublée du strict minimum et où sont affichés des slogans comme « We smoke because we have faith » ; « It won’t be long now » ; « We won’t let them forget » ; ils ne possèdent rien individuellement, s’habillent en blanc, ont fait vœu de silence. Ils n’ont pas de famille, juste un prénom, et organisent des actions-choc comme « le jour des héros » (14 octobre : 3 ans après, épisode pilote) où ils brandissent chacun une lettre pour former la phrase « save your breath » (épargnez votre salive, taisez-vous ; jeu de mots lié à leur tabagisme intense). Les membres de cette secte, The Guilty Remnants (abrégés en GR), multiplient ainsi les actions de provocation pour que jamais la population n’oublie ceux qui sont partis.

19Pandemonium, cour des miracles, exhibition de freaks et d’asociaux, voire de sociopathes, les marges « spirituelles » de l’événement sont toutes frappées de discrédit, ou d’infamie, car les guides eux-mêmes mentent, abusent, fuient – les mauvais bergers menant leur troupeau à l’abîme.

20Mais, semblent dire les concepteurs de la série The Leftovers, le plus grand thaumaturge de nos sociétés demeure encore le médium lui-même ; en arrière-plan, la télévision joue en effet le rôle de révélateur au niveau macro : dans l’épisode 1, les scientifiques, réunis en comité devant le Congrès avouent leur impuissance : « nous ne savons pas » ; dans un journal télévisé, on assiste à un débat entre une femme résolument cartésienne et un homme s’en remettant à Dieu ; des célébrités médiatiques se sont évaporées, comme Benoît XVI ou Jennifer Lopez ; et à l’asile où il est interné, le père de Kevin, lui-même commissaire avant de devenir fou, regarde une sitcom très populaire dans les années 1980 (Larry et Balki, en VO Perfect Strangers) dont le casting entier a disparu… mise en abyme ironique et douloureuse de notre propre posture scopique. C’est à peu près ce que constate Bruno Blanckeman :

À l’évidence de la charge anti-idéologique du récit correspond l’ambiguïté d’un système énonciatif et d’une poétique romanesque dans lesquels la polyphonie, les montages de discours dissonants, les jeux de mise en abyme, la dominante tonale de l’ironie créent autant de lignes de fuites qui contrarient la possibilité de toute thèse, de toute parole qui ne soit pas équivoque et de toute vision du monde qui ne soit pas intrinsèquement opaque19.

21Tout ce qui fournissait du sens s’est absenté, mais Kevin décide de fuir ce Néant tentateur en un ultime réflexe de « grand départ » ; nouveau Joseph Smith, il emmène sa petite troupe dispersée d’abord au Texas (saison II), puis toujours plus à l’Ouest, en Australie (saison III).

« Si je suis la dernière, alors je suis l’Humanité20 »

22Le héros emblématique porteur de valeurs, la descente chez les morts (deux fois, en ce qui concerne Kevin Garvey !), le départ, d’est en ouest, vers un lieu meilleur… et même les vaticinations de Patti, suicidée des GR devenue fantôme encombrant renvoient au schéma épique traditionnel, décrit et actualisé par Michel Briand :

Les littératures de l’imaginaire contemporain ne sont pas soumises à une espèce de mainstream thématique / stylistique, mais s’insèrent vraiment, par leur force de création et de subversion, y compris avec humour ou pathétique, dans une lignée parfois mal connue, ou reconnue pour des raisons superficielles, d’auteurs pourtant très anciens, parmi lesquels Homère, Sophocle, Lucien, Pétrone, et beaucoup d’autres ensuite, jusqu’à Tolkien, bien sûr, ou encore parmi d’autres, Berthelot21.

23Comme dans la saga mormone, le « voyage » mène le petit groupe attaché à Garvey, en début de saison II, de Mapleton (état de New York) où ils ne peuvent plus vivre, à « Jarden » (Est du Texas), ville du Miracle où personne n’a disparu lors du « Grand Départ » ; mais quoique appelée « Miracle » par ses habitants, cette ville qui semble en effet la contraction de « Jardin d’Eden » (Jarden), recèle ses drames et ses poisons.

24Si Kevin Garvey accepte d’entrer volontairement dans la mort (imaginée comme un hôtel sinistre à la Overlook, l’hôtel de Shining), c’est pour se débarrasser du fantôme de Patti, qui le hante insupportablement ; il choisit donc, héroïquement, de combattre un mal (être la proie d’un spectre) par un mal plus grand encore (aller en enfer, croiser les âmes des trépassés, au risque de ne jamais revenir).

25Il en va plus ou moins de même dans Les Revenants, puisque rompant délibérément, de même, avec l’apparence « réaliste » du début, une scène, dite de la « grotte de l’écorché » précipite Adèle (la vivante) et Simon (son fiancé fantôme) dans une dimension encore autre, dont elle ressort vêtue en mariée, prête à convoler spectralement avec son fiancé… dont elle vient d’avoir un enfant, Nathanaël, alors que lui-même est mort depuis dix ans. Allégorie, fantasme d’une dépressive, suicide déguisé ? On ne sait, mais cette brusque plongée dans les entrailles de la montagne a tout de l’initiation, sinon maçonnique, du moins ésotérique.

26Contre la contamination et la décomposition des corps, des relations, des solidarités, les morts ont un temps trouvé refuge au Domaine – l’équivalent du « Jarden » des Leftovers, isolé du monde par une étendue d’eau ; mais l’ingéniosité de Berg, un ingénieur fils du responsable de la rupture du barrage, réussit à évacuer le lac artificiel qui les protégeait… et leur errance doit alors reprendre, potentiellement éternelle, même si au dernier instant Lucy dépose le petit Nathanaël devant la porte d’une famille « humaine22 ».

27La série Wayward Pines23 (titre éponyme de la ville mystérieuse où se déroule l’intrigue) pose le même problème, mais autrement : un policier s’y retrouve piégé, sans jamais pouvoir en sortir ni communiquer avec l’extérieur ; la « ville fermée » semble donc un des motifs récurrents de l’épique sériel, piège dont on veut sortir sans jamais y parvenir, ou but suprême où on ne parvient jamais à entrer… comme le souligne la philosophe Sandra Laugier, lors de l’une de ses nombreuses chroniques consacrées au fait sériel :

La question de la relation privée devient une façon de poser la question politique : celle du lien de l’humain à sa société, de la possibilité d’une conversation véritable, et d’une vie publique commune24.

28Bien sûr, ce surgissement d’êtres disparus depuis longtemps du quotidien contemporain n’est pas toujours bien accueilli : lorsque Michel Costa, le plus âgé des personnages, voit revenir sa femme, Viviane, morte il y a 34 ans, il ne le supporte littéralement pas et se suicide, après l’avoir ligotée sur une chaise et avoir mis le feu à sa demeure ; mais on ne trouve aucun corps… N’aurait-elle pas, par sa sagesse désabusée et sans aigreur, de forts liens avec Ulysse, tel qu’il est vu par Sonia Salhi ?

Tours, détours, retournement sont les expressions qui organisent le champ sémantique de la métis dont Ulysse l’homme « aux mille tours » est la figure héroïque. […]. Sa métis est aussi une source créatrice d’illusion et de déguisement de la réalité sous une apparence trompeuse. Elle permet l’invention d’artifices par l’imitation du vivant qui fonctionnent comme des pièges25.

« et magna testatur voce per umbras26 »

29Sandra Laugier, déjà croisée ici, n’élude pas la rudesse visuelle de The Leftovers27, en effet âpre à suivre : « Oui certes, The Leftovers est une magnifique série, mais on ne peut dire qu’elle soit agréable à regarder28. »

30Pourtant, on peut établir une grande homologie de traitement entre les regards portés par les deux séries sur les enfants et les animaux. En effet, le territoire « aquatique » des Revenants est également peuplé d’animaux morts, peut-être « suicidés » (36, flottant autour des ruines de l’ancien village, comme s’ils avaient voulu fuir quelque chose d’épouvantable pour finalement se noyer là d’épuisement) ; nous sommes confrontés, conjointement à un temps désorbité, à une forme de zoo de morts, sous l’espèce d’une xéno-biologie (car les animaux ressuscitent aussi : papillon, chien…).

31Cette obscurité endémique, touchant les survivants de la grande disparition, rejoint le constat établi par Claire Cornillon à propos de la différence entre science-fiction et mythe :

En effet, la science-fiction nous semble être, par essence, une littérature « problématologique », selon le terme du philosophe Michel Mayer, c’est-à-dire une littérature de la question, qui déjoue la doxa par un récit et qui interroge le monde. Or le mythe, tel que le définissent les anthropologues ou les historiens de la religion, est un récit de la réponse : il répond à une interrogation suscitée par le monde29.

32C’est ce à quoi s’emploie l’épopée des Revenants ; l’argument, rappelons-le, est le suivant : dans une vallée française cernée par les montagnes et proche d’un barrage30, des familles bouleversées voient revenir leurs « chers disparus », tous morts de mort violente d’ailleurs, qui ne savent pas qu’ils sont morts (en tout cas au début) et qui veulent reprendre leur vie là où elle s’est arrêtée il y a deux, cinq, dix ou trente ans.

33Chacun des seize épisodes – par le jeu des prénoms, isolés ou duel – est un memento mori, un tombeau au sens littéraire du terme : mais le dernier de la saison I s’appelle « la Horde » et renoue avec l’imagier des morts-vivants, avançant en meute dans la brume, d’autant plus inquiétants qu’on n’en voit que les traces et les silhouettes. Les sous-bois spongieux et détrempés qu’arpentent, désorientés, les « nouveaux morts », les forêts inhospitalières où l’on retrouve les corps des gendarmes disparus en saison I… configurent une nature hostile, très éloignée de la « sylve » originelle des légendes et des robinsonnades, traversée cependant par des routes, des voitures, donc par la technologie humaine, contrairement à la wilderness des épopées anciennes.

34L’importance grandissante de Lucy Clarsen / Clairsene, la jeune « soi-disant » serveuse devenue bergère des morts, permet aux revenants de ne pas rester seuls et désespérés ; ressuscitée elle-même plusieurs fois, elle figure une sorte de ménade, dont la sexualité ouvre les portes de l’apaisement ou de la connaissance ; on la sent dépositaire d’un rite ancien, figure d’une « dyonisie » qui rappelle les prostituées sacrées des pratiques initiatiques.

35En effet, les huit épisodes de la saison I mêlent achérontique et catabase ; le village englouti réactive le sème de la frontière humide, toujours liée à la mort, à la barrière de l’aquaster qui permet un retour par le biais du miroir des eaux, où chacun croise son autre, son double ou son contraire, remonté du fond du temps pour resurgir à la lumière des vivants. Rappelons que c’est au fond d’un « puits » que Kevin parviendra à noyer enfin le fantôme ensanglanté et misérable de l’étrange Patty, la « GR » ennemie devenue peu à peu un autre lui-même… Chaque personnage est ainsi le « conducteur » psychopompe d’une entité, mais reste à savoir si les « vivants », justement, le sont tant que cela ! C’est exactement le rôle de Patty, qui à la façon d’une pythie divagante se met à vaticiner (épisode 7) :

Je veux que vous vous engagiez. […] je veux que vous compreniez ce qui est arrivé, ce qui est arrivé. Vanité de sommeil, espoir, rêve, désir insatiable, les chevaux du désastre plongent à travers l’argile lourde. Ô bien aimés lissez vos yeux fermés à moitié et le battement de votre cœur sur mon cœur, et vos cheveux sur ma poitrine, noyant l’heure solitaire de l’amour dans une profonde pénombre de repos et cachant leurs crinières en mouvement et leurs pieds agités.

36Il faudra, nous le disions, que Kevin aille la tuer jusque dans sa propre mort à lui (saison II, épisode 8), pour qu’elle trouve enfin la paix et cesse de le hanter. Or, on apprend en saison II que les Revenants que personne n’attend plus restent mutiques – littéralement sans voix – et qu’ils attendent désormais l’enfant de Simon et d’Adèle comme le messie, un messie post-apocalyptique, gage de leur retour sur une terre promise qui reste à trouver.

37Si le couple Adèle / Simon excipe du mythe (inversé) d’Orphée et d’Eurydice – donc lié au chant, au charme de l’incantation et du temps suspendu, c’est surtout autour de la « voix » de Victor (silencieux en première saison, mais plutôt bavard en saison II) que se déterminent bien des événements ; rappelons qu’il fut « assassiné » il y a 35 ans (1977) par Pierre et son complice ; on le sait en entendant ce dernier prononcer exactement la même phrase que celle dite par le tueur qui l’avait débusqué dans un placard… Mais il est « revenu » immédiatement après, et a vécu 35 ans près de son père, qui a accepté le « miracle » après un moment d’effarement. Seulement ce dernier, bien sûr, vieillit, car l’immortalité élit qui elle veut et oublie les autres. Victor, voyant son « père » mourir d’une crise cardiaque, pousse intérieurement un tel hurlement « reviens, reviens ! » que tous les morts se réveillent et commencent à souhaiter rentrer. Le sablier de la horde s’est retourné alors, et dans cette fissure inouïe se glissent les créatures de la nuit, effarées de ce qui leur arrive.

38Oui, on peut dire que ce cri d’amour traverse les mondes et ébranle l’au-delà ; alors, Nathan serait-il un deuxième Victor ? Et la petite fille adoptée par Nora et Kevin, dans The Leftovers, réconciliera-t-elle les « laissés pour compte » avec leur humanité et leur avenir ? Au fond, tout se passe un peu comme l’indiquent Arnaud Malherbe et Marion Festraëts, jeunes showrunners31 français lorsqu’ils parlent de la fin possible de The Leftovers : « Est-ce que finalement le “pourquoi ” est si important ? Ce qui nous intéresse, c’est le récit, les personnages, ce qu’elle (la série) dit sur l’Amérique32. »

39L’épopée du Néant que narrent ces nouvelles formes de fictions répond en tout cas plutôt bien à l’analyse de Thierry Jandrok, pour qui « les camps de concentration et la logique exterminatrice des Nazis […] ont tué les beautés traditionnellement attachées aux merveilles du passé. Les fées ont été incinérées dans les fours crématoires et au sein de la culture occidentale33. »

40En conclusion, rappelons que si Oswald Spengler a écrit qu’une bonne prose doit bannir la peur de la mort, alors les deux séries ont dû faire leur cette parole, car elles accèdent à un dépassement ; au cœur même de l’épopée ratée, on entrevoit toujours une ébauche de reconstruction. Le voile ne se déchire pas, certes, mais à la fin de The Leftovers s’insinue une « obscure clarté » qui rend moins pesantes les forces de la nuit ; après les combats, Les Revenants nous permettent aussi d’envisager la réconciliation ; l’épique post-apocalyptique n’est donc pas synonyme d’exténuation. En effet, ses héros ne meurent pratiquement pas ; ils partent, ils voyagent, ils font de leur mémoire un temps secret, une révolte. Leur quête ressemble à la nôtre, elle est en cela exemplaire : un jour ou l’autre, il faut mettre pied à terre et accepter la loi de l’inexorable, avant que les guetteurs ne fassent signe, que la nuit s’achève, que le sens afflue.

41Aussi convient-il de laisser le provisoire dernier mot au critique Frédéric Martel, qui lit dans ces (a)temporalités parfois absurdes et souvent dégradées, une parabole puissante de notre sentiment provisoire de perte, de vertige, d’inutilité et de fragilité :

Comme au début de toute révolution, nous ne percevons pas encore les formes du monde futur, pris que nous sommes dans l’effarement face à ce que nous voyons disparaître sous nos yeux, assis au milieu des débris du monde passé, incapables d’imaginer l’avenir34.

Bibliographie

Blanckeman, Bruno, « Idéologie(s) et roman(s) au xxie siècle », dans Modernités 38. Idéologie(s) et roman pour la jeunesse au XXIe siècle, dir. Gilles Béhotéguy, Christine Connan-Pintado et Gersande Plissonneau, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, 2015, p. 37-49.

Briand, Michel, « Transfictions et mythologie chez Francis Berthelot, autour de La Lune noire d’Orion, Mélusath et Hadès Palace », dans L’Antiquité dans l’imaginaire contemporain. Fantasy, science-fiction, fantastique, dir. Mélanie Bost-Fiévet et Sandra Provini, Paris, Classiques Garnier, 2014, p. 525-542.

Cornillon, Claire, « Moi Thésée, je découvrirai les chemins de l’espace. Sens et fonction des mythes gréco-latins dans les nouvelles de science-fiction », dans L’Antiquité dans l’imaginaire contemporain. Fantasy, science-fiction, fantastique, dir. Mélanie Bost-Fiévet et Sandra Provini, Paris, Classiques Garnier, 2014, p. 175-186.

Curval, Philippe, Cette chère humanité, Le dormeur s’éveillera-t-il ?, et En souvenir du futur, Clamart, Éditions La Volte, 2016.

Jandrok, Thierry, « Psychodynamique du merveilleux : fictions et réalités psychiques », dans Poétiques du Merveilleux. Fantastique, science-fiction, fantasy en littérature et dans les arts visuels, dir. Anne Besson et Evelyne Jacquelin, Arras, Artois Presse Université, 2015, p. 75-88.

Lavocat, Françoise, Fait et fiction. Pour une frontière, Paris, Seuil, 2016.

Lebourg-Thieullent, Cyrielle, « Une peau claire et lisse : la construction de l’ethnicité dans les dystopies pour la jeunesse », dans Modernités 38. Idéologie(s) et roman pour la jeunesse au xxie siècle, dir. Gilles Béhotéguy, Christine Connan-Pintado et Gersande Plissonneau, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, 2015, p. 217-227.

Martel, Frédéric, Mainstream, Paris, Flammarion, 2010.

Périer, Isabelle, « Un retour de l’épique », dans L’Antiquité dans l’imaginaire contemporain. Fantasy, science-fiction, fantastique, dir. Mélanie Bost-Fiévet et Sandra Provini, Paris, Classiques Garnier, 2014, p. 51-64.

Perrotta, Tom, Les Disparus de Mapleton, trad. Emmanuelle Ertel, Paris, Fleuve noir, 2013, rééd. 10/18, 2015.

Salhi, Sonia, « Aspirer au changement à travers un enseignement des valeurs incarnées par l’une des plus célèbres figures, de la mythologie grecque : Ulysse au pays des jasmins », dans Les Patrimoines littéraires à l’école, Tensions et débats actuels, dir. Marie-France Bishop et Anissa Belhadjin, Paris, Honoré Champion, 2015, p. 201-212.

Seth, Patrick, Les Revenants, trad. Sébastien Baert, Paris, Éditions Michel Lafon, 2015.

Yancey, Rick, La 5e vague, trad. Francine Deroyan, Paris, Robert Laffont, coll. « R », 2012.

Notes

1 Thierry Jandrok, « Psychodynamique du merveilleux : fictions et réalités psychiques », dans Poétiques du Merveilleux. Fantastique, science-fiction, fantasy en littérature et dans les arts visuels, dir. Anne Besson et Evelyne Jacqueli, Arras, Artois Presse Université, 2015, p. 86.

2 Film de Walter Hill (USA, 1979) dont l’atmosphère gothique évoque une réécriture de L’Anabase de Xénophon, de la plage de Coney Island aux bas-fonds du Bronx, aller puis retour, réarticulant ainsi la bataille de Counaxa avec les légendes proprement urbaines qui courent sur New York.

3 Les Revenants est une série télévisée française en deux saisons créée par Fabrice Gobert et diffusée depuis novembre 2012 sur Canal+ ; c’est une adaptation du film éponyme de Robin Campillo sorti en 2004. Aux États-Unis, la série a été diffusée à partir d’octobre 2013 sur Sundance Channel et aussi disponible sur Netflix.

4 The Leftovers est une série télévisée américaine en trois saisons créée par Damon Lindelof et Tom Perrotta, diffusée depuis juin 2014 sur HBO. Il s’agit de l’adaptation du roman éponyme (Les Disparus de Mapleton en français) de Perrotta. En France, la série est diffusée depuis juin 2014 sur OCS City en VOSTFr. L’action se passe dans une ville américaine moyenne, Mapleton, dans le comté de Westchester et l’État de New York, plutôt aisée : parmi les protagonistes, un beau commissaire, Kevin Garvey, sa fille adolescente Jill, sa meilleure amie, Lucy, la mairesse black de la ville, Nora Durst, une femme qui a perdu son mari et leurs enfants, son frère, un prêtre dont l’obsession est de dire la vérité sur certains disparus (il expose les secrets peu avouables pour séparer les coupables des innocents).

5 Tom Perrotta, Les Disparus de Mapleton, trad. Emmanuelle Ertel, Fleuve noir, 2013, rééd. 10/18, 2013.

6 Les 100 (The 100) est une série télévisée américaine post-apocalyptique dont le concept est imaginé par Alloy Entertainment et développé en parallèle au roman éponyme de Kass Morgan par Jason Rothenberg, diffusée depuis mars 2014 sur le réseau The CW. La série débute 97 ans après un holocauste nucléaire qui a décimé la population de la Terre, détruisant toute civilisation. Les seuls survivants étaient les 2 400 habitants des douze stations spatiales, qui étaient en orbite à ce moment-là et qui sont nommées l’« Arche ».

7 Les 4 400 (The 4 400) est une série télévisée américaine en 45 épisodes de 42 minutes, créée par Scott Peters, produite par American Zoetrope (propriété de Francis Ford Coppola) et diffusée entre juillet 2004 et septembre 2007 sur USA Network ; en France, à partir de février 2005 sur M6 ; le nombre 4 400 est inspiré des 144 000 évoqués dans l’Apocalypse de Jean (7 :4), représentant les élus des 12 tribus d’Israël.

8 Chef opérateur qui n’a travaillé qu’avec une seule caméra car « il est impossible de régler une lumière parfaite pour deux angles de vue différents et simultanés » (LRCC).

9 Dans le roman, l’être entre deux mondes est décrit ainsi : « […] se tenait une silhouette. Humaine. Crasseuse. La tête baissée, elle se couvrait le visage avec ses mains. Son corps nu était couvert de boue. L’individu baissa les mains et leva la tête. En apercevant son visage, Anton battit en retraite en hurlant » (Patrick Seth, Les Revenants, trad. Sébastien Baert, Paris, Éditions Michel Lafon, 2015, p. 408-409).

10 Photographe américain né en 1961 : ambiance crépusculaire, personnages figés, scène de crime peut-être… Voir Clélia Cohen dans « ‘Les Revenants’, morts vivaces » : « […] comme dans les photographies de suburbs américaines apparemment anodines de l’artiste Gregory Crewdson, grande référence plastique des Revenants » (Libération, 25 septembre 2015).

11 Vidéaste américain né en 1951, exposé en 2014 au Grand Palais : installations monumentales, corps en suspension (« L’ascension de Tristan »)… poèmes visuels, très proches des effets de figements dans LR.

12 Isabelle Poitte, Télérama no 3280, 21 novembre 2012, p. 36-40.

13 Cette chère humanité, Le dormeur s’éveillera-t-il ?, et En souvenir du futur, Clamart, Éditions La Volte, 2016.

14 Deux écrivains français majeurs auscultent depuis maintenant quelques années ce tropisme ré-armé vers l’ailleurs, mais surtout l’autrement, en décrivant les pandémies, les ravages bactériens, écologiques, de la hard science post-Tchernobyl… tout en « fixant » quelques personnages résistants, guerrières et guerriers d’un humanisme aux contours devenus invisibles. Lontano de Jean-Christophe Grangé, Pandemia de Franck Thilliez représentent bien cette nouvelle tendance épique « moyenne » (appartenant à la littérature moyenne, s’entend), qui fédère les lecteurs par la vitesse de traversée des espaces, l’étrangeté révélée des lieux que l’on pensait connus, la violence flamboyante des combats auxquels on ne s’attendait plus, conjugaison d’une barbarie ancienne et d’une technologie sidérante.

15 Françoise Lavocat, Fait et fiction. Pour une frontière, Paris, Seuil, 2016.

16 … car « quelqu’un s’apprêtait à y déverser une bactérie mortelle, un microbe qui allait s’attaquer à chacune de ses cellules et le détruire » (Pandemia, p. 601).

17 Isabelle Périer, « Un retour de l’épique », dans L’Antiquité dans l’imaginaire contemporain. Fantasy, science-fiction, fantastique, dir. Mélanie Bost-Fiévet et Sandra Provini, Paris, Classiques Garnier, 2014, p. 61.

18 Cyrielle Lebourg-Thieullent, « Une peau claire et lisse : la construction de l’ethnicité dans les dystopies pour la jeunesse », dans Modernités 38. Idéologie(s) et roman pour la jeunesse au xxie siècle, dir. Gilles Béhotéguy, Christine Connan-Pintado et Gersande Plissonneau, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, 2015, p. 227.

19 Bruno Blanckeman, « Idéologie(s) et roman(s) au xxie siècle », dans Ibid., p. 43.

20 « Si c’est le cas, si je suis le dernier spécimen de l’humanité, putain, je ne vais pas laisser l’histoire se terminer comme ça. OK, je suis peut-être la dernière femme vivante, mais je suis encore debout. Je suis celle qui fait face au tireur sans visage dans les bois, sur l’autoroute abandonnée. Je suis celle qui ne s’enfuit pas, qui ne se contente pas de rester là, mais qui affronte. Parce que si je suis la dernière, alors je suis l’Humanité. Et si c’est notre ultime guerre, je suis son champ de bataille », Yancey Rick, La 5e vague, trad. Francine Deroyan, Paris, Robert Laffont, coll. « R », 2012, p. 148-149.

21 Michel Briand, « Transfictions et mythologie chez Francis Berthelot, autour de La Lune noire d’Orion, Mélusath et Hadès Palace » dans L’Antiquité dans l’imaginaire contemporain. Fantasy, science-fiction, fantastique, dir. Mélanie Bost-Fiévet et Sandra Provini, op. cit., p. 542.

22 Ce qui peut amener à une remarque : les prénoms dessinent eux aussi un réseau subtil d’allusions et d’allégeance… « Morgane » et « Viviane » en appellent au merveilleux arthurien, « Virgil » nous guide, comme autant de nouveaux Dante, au cœur des chemins d’un enfer revisité, Lucie et Claire (Séguret) « éclairent », et Esther et Nathan, fils de Simon, évoquent la tradition biblique et apostolique, surtout flanqués de Pierre (Teissier), de Paul (« frère » de Louis) et de Thomas.

23 Wayward Pines est une série télévisée américaine créée par Chad Hodge, d’après les romans Wayward Pines de Blake Crouch, et diffusée depuis mai 2015 sur le réseau Fox.

24 Sandra Laugier, « Chroniques Idées », Libération, 28-29 mars 2016, p. 33.

25 Sonia Salhi, « Aspirer au changement à travers un enseignement des valeurs incarnées par l’une des plus célèbres figures, de la mythologie grecque : Ulysse au pays des jasmins », dans Les Patrimoines littéraires à l’école, Tensions et débats actuels, dir. Marie-France Bishop et Anissa Belhadjin, Paris, Honoré Champion, 2015, p. 205.

26 Virgile (Énéide, VI, 619) : Phlegyas(que) Admonet et magna testatur voce per umbras.

27 Il est temps de noter l’extraordinaire vitalité des études, entretiens, colloques déjà consacrés à cette série pourtant brève : 3 saisons ; exemple : le 26 avril 2016, à l’ACE (anglophonie / communauté / écriture, Université de Rennes), une journée d’études a réuni Sarah Hatchuel, Pacome Thiellement, Hélène Machinal, Florent Favart, Vladimir Lifschutz, et Claire Cornillon ; un an auparavant, le 25 avril 2015, au Forum des images (Festival séries mania), un dialogue philosophique s’était déjà engagé entre Sarah Hatchuel et Pacome Thiellement à propos de la même série : « Grace period is over ».

28 Sandra Laugier, « Chroniques Idées », Libération, 28-29 mars 2016, p. 33.

29 Claire Cornillon, « Moi Thésée, je découvrirai les chemins de l’espace. Sens et fonction des mythes gréco-latins dans les nouvelles de science-fiction », dans L’Antiquité dans l’imaginaire contemporain. Fantasy, science-fiction, fantastique, dir. Mélanie Bost-Fiévet et Sandra Provini, op. cit., p. 176.

30 En fait, deux : le premier, détruit après la catastrophe, est plus ou moins couvert de végétation ; l’autre, récent, forme la route sur laquelle Laure et Julie tentent de s’enfuir… et d’où Michel Costa va se suicider en se jetant dans le vide.

31 Sur cette fonction, on peut voir l’émission Showrunners, les coulisses des séries TV américaines (2015, documentaire de Des Doyle, Irlande, 55 mn) ; le réalisateur a invité Joss Whedon, J. J. Abrams, Ron D. Moore (Battlestar Galactica) pour expliquer l’importance de ce « chef d’orchestre » aux multiples responsabilités (Série Club).

32 « The Ends », Libération, 27-28 août 2016, propos recueillis par Guillaume Launey, p. v du cahier intérieur « Les séries font la loi ». La solution élue par les scénaristes est en effet audacieuse : ce sont les « héros » qui ont en fait disparu aux yeux des autres – qui continuent de vivre une vie « normale », certes diminuée par l’absence de 98 % de la population, mais malgré tout à peu près sauvegardée ; morale : on est toujours le leftover de quelqu’un d’autre !

33 Thierry Jandrok, « Psychodynamique du merveilleux : fictions et réalités psychiques », dans Poétiques du Merveilleux. Fantastique, science-fiction, fantasy en littérature et dans les arts visuels, dir. Anne Besson et Evelyne Jacquelin, op. cit., p. 86.

34 Frédéric Martel, Mainstream, Paris, Flammarion, 2010, p. 308.

Pour citer ce document

Isabelle-Rachel Casta, « Le temps gelé : une épopée du Néant (The Leftovers, Les Revenants) ? », dans Les Temps épiques : Structuration, modes d’expression et fonction de la temporalité dans l’épopée, sous la direction de Claudine Le Blanc et Jean-Pierre Martin, Publications numériques du REARE, 15 novembre 2018 Licence Creative Commons

URL : http://publis-shs.univ-rouen.fr/reare/index.php?id=308

Quelques mots à propos de :  Isabelle-Rachel Casta

Isabelle-Rachel Casta, professeur émérite à l’Université d’Artois, est spécialiste en études sérielles, fantastiques et criminelles ; elle questionne aussi les récits post-apocalyptiques et les dystopies, miroirs obscurs de notre modernité… En outre, elle écrit sur les « thanatofictions », liées aux scènes récurrentes d’autopsie dans les romans et les séries.
Elle a publié Pleins feux sur le polar, Paris, Klincksieck, coll. « 50 questions », 2012, 206 p. ; une « trilogie des ombres » aux Éditions universitaires européennes, Sarrebruck : Au comble des fictions, jeux intertextuels et récits policiers, 2016, 73 p. ; À la tombée des temps : un romanesque de la Chute ?, 2017, 196 p. ; Une charte des solitudes : figures du Mal et Rédemption, 2017, 157 p.