Sommaire
Les Temps épiques
Structuration, modes d’expression et fonction de la temporalité dans l’épopée
sous la direction de Claudine Le Blanc (maître de conférences HDR en littérature comparée à l’Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3) et de Jean-Pierre Martin (professeur émérite de langue et littérature du Moyen Âge à l’Université d’Artois)
Le volume constitue les actes du septième congrès du Réseau Euro-Africain de Recherches sur les Épopées (REARE), organisé conjointement par Ursula Baumgardt (INaLCO/Llacan), Romuald Fonkoua (Paris-Sorbonne), Claudine Le Blanc (Sorbonne Nouvelle/CERC) et Jean-Pierre Martin (Université d’Artois/Textes et Cultures), qui s’est tenu à Paris les 22, 23 et 24 septembre 2016 à l’INaLCO et à la Sorbonne. Il propose une exploration de la question de la temporalité dans l’épopée, question qui reste paradoxalement peu étudiée de façon systématique, en vingt-sept études couvrant un très vaste empan géographique et historique (de l’Afrique à l’Inde, de l’Antiquité aux séries contemporaines), précédées d’une introduction par les coordinateurs.
- Claudine Le Blanc et Jean-Pierre Martin Dédicace
- Claudine Le Blanc et Jean-Pierre Martin Introduction
- Poétique de la pérennité : temps épique et anthropologie de la durée
- Emmanuelle Poulain-Gautret Maître(sse) du temps ? La temporalité dans Florence de Rome
- Maïmouna Kane Raoul de Cambrai ou le refus de la temporalité du divin
- Pascale Mougeolle Construire l’instant : poétique de la répétition dans l’épopée occidentale
- Bochra Charnay La temporalité dans la Geste hilalienne : ruptures et intrusions
- Amadou Oury Diallo La configuration du temps dans les épopées du Foûta-Djalon
- Amadou Sow Repères temporels, instance de narration et typologie des épopées peules (Samba Guéladio Diégui, Guélel et Goumallo, Boûbou Ardo Galo et L’Épopée du Foûta Djalon, la chute du Gâbou)
- Manuel Esposito Une tentative d’abolition du Temps : la narration en tant que défi lancé à la mort dans le Roland furieux de L’Arioste
- Dimitri Garncarzyk Des bardes pressés, ou de l’urgence d’écrire au xviiie siècle des « épopées d’actualité »
- Isabelle-Rachel Casta Le temps gelé : une épopée du Néant (The Leftovers, Les Revenants) ?
- Claudine Nédelec Les épopées travesties, « appropriées à l’histoire du temps » (France, xviie siècle)
- Éthique du temps épique
- Ursula Baumgardt Structures narratives et représentations du temps dans l’épopée peule du Mâssina (Mali)
- Abdoulaye Keïta « La bataille de Makka » ou quand le présent sert la théâtralisation du futur
- Claudine Le Blanc Temps épique, temps dramatique : la délibération dans l’épopée indienne (Mahâbhârata, VIII)
- Patricia Rochwert-Zuili La temporalité dans la geste cidienne : aspects poétiques et socio-politiques
- Marion Bonansea Le « futur passé » : récit de guerre épique et expérience du temps
- Catherine Servan-Schreiber Temporalité de la vendetta dans les épopées indiennes du Bandit d’honneur
- Marguerite Mouton L’épique intempestif à l’ère du roman
- Isabelle Weill Distorsions et parallèles temporels dans des romans épiques anglais relatant les exploits de capitaines de la Royal Navy à l’époque révolutionnaire et napoléonienne
- Hors temps : le récit du présent
- Jean Derive Le régime temporel dans la narration de l’épopée
- Cheick Sakho La temporalité dans les traditions épiques ouest-africaines : une imprécision caractéristique du genre épique
- Xavier Luffin Temporalité et religion dans la tradition épique arabe. Trois cas de figure
- Julien Decharneux Personnages historiques dans la Sīrat ʿAntar : une temporalité originale. Le cas d’Alexandre le Grand
- Christina Ramalho Les représentations épiques romantiques de l’époque coloniale au Brésil
- Ibrahima Wane Le temps et l’espace dans l’épopée de l’Almaami Maalik Sii du Bunndu
- Blandine Koletou Manouere L’énonciation temporelle dans Le Mvett de Tsira Ndong Ndoutoume
- François Dingremont Le kairos, une référence temporelle pour l’Odyssée
- Ana Rita Figueira La mise en scène du temps dans le Bouclier d’Achille (Iliade, 18, 477-617)
Une tentative d’abolition du Temps : la narration en tant que défi lancé à la mort dans le Roland furieux de L’Arioste
Manuel Esposito
Une partie de la critique – Benedetto Croce en tête – a longtemps voulu considérer L’Arioste comme un poète qui aurait choisi de se détourner de son temps. Certains ont même voulu voir dans le Roland furieux un « chef-d’œuvre de littérature désengagée ». Nous voulons montrer que le problème est au-delà de ces considérations : le Roland furieux porte en lui les traces des guerres d’Italie et c’est précisément sa portée anthropologique que nous avons cherché à mettre en évidence. Enfin, nous voudrions tenter de comprendre comment la narration dans le Roland furieux peut être considérée comme un défi lancé à la mort.
A part of the critic – especially Benedetto Croce – have for a longtime considered Ludovico Ariosto as poet who would have deliberatly chosen to turn away from his own time. Some critics have even seen in the Orlando furioso “a masterpiece of disengaged literature”. We would like to prove that the problem is beyond those considerations : the Orlando furioso is marked by the traces – we could even say the wounds – of the great wars of Italy. We want to higlight specifically the anthropological dimension of Ariosto’s epic poem. To conclude, we would like to understand how the narration in the Orlando furioso may be considered as a challenge to death.
« L’air de son Italie était encore empli
De ces fantômes que la mémoire et l’oubli
Composent à partir des formes de la guerre1. »
« Vous savez […] les armées font toujours des dégâts,
quelles que soient les idées qu’elles apportent2. »
1Il s’agira, par cette lecture du Roland furieux, de comprendre dans quelle mesure il pourrait exister une corrélation entre la structure du poème de L’Arioste, qui repose entièrement sur l’entrelacement et l’enchâssement des récits, et le moment historique au cours duquel L’Arioste fait le choix de donner une telle structure à son poème. C’est-à-dire : confronter temps vécu et temps raconté, ou encore le Temps de l’Histoire et le Temps de la Fiction ; ou, pour le dire avec Ricœur, « existe[rait-il] entre l’activité de raconter une histoire et le caractère temporel de l’expérience humaine une nécessité qui n’est pas purement accidentelle3 » ?
2Le Roland furieux repose entièrement sur l’entrelacement de deux temporalités. Comme l’a remarqué Italo Calvino :
Le [Roland furieux] se dédouble continuellement sur deux plans temporels : celui de la chevalerie fabuleuse et celui du présent politico-militaire ; un courant d’impulsions vitales se communique du temps des paladins […] aux guerres italiennes du xvie siècle (où à l’apologie des actions de [la dynastie d’Este], se superposent de plus en plus les expressions amères inspirées par le tourment de l’Italie envahie)4.
3C’est précisément sur ce point-là que nous voudrions nous arrêter afin de lire le poème de L’Arioste.
4Ainsi considérerons-nous tout d’abord la structure du Roland furieux afin de comprendre quelles stratégies narratives L’Arioste met en place pour jouer avec le Temps. Nous nous arrêterons sur ce qu’Italo Calvino n’hésite pas à appeler « le mouvement errant de la poésie de L’Arioste5 » que l’on peut considérer comme un exemple de « configuration pluridimensionnelle » selon l’expression de Ricœur. Nous démontrerons que le choix d’une telle structure est directement lié au temps depuis lequel L’Arioste compose le Roland furieux : c’est-à-dire le moment des guerres d’Italie, caractérisé par de nouvelles façons de faire la guerre (nouvelles techniques), et qui apparaît comme un moment où l’Histoire se fracture : c’est depuis cette fracture qu’émerge la matière du poème de L’Arioste. Ce qui nous amènera enfin à considérer dans quelle mesure la narration ariostesque constitue un défi lancé à la mort.
La structure du Roland furieux : « le mouvement errant de la poésie de L’Arioste »
5Commençons par la structure du Roland furieux. L’Arioste use principalement de deux techniques narratives qui visent à rendre la narration infinie et à suspendre le temps : l’entrelacement des récits et l’enchâssement des récits.
6En ce qui concerne la première technique narrative, l’entrelacement des récits, il est possible de la présenter ainsi : L’Arioste commence un récit, l’interrompt, en reprend un autre, différent encore de celui par lequel il avait commencé et répète ce schéma tout au long de son poème. L’Arioste passe sans cesse d’un récit à l’autre, avec la particularité qu’à aucun moment un quelconque principe ne vient tenter de mettre en ordre les récits. Au moment où L’Arioste interrompt son récit et où il choisit de se lancer dans la narration d’un autre récit, le temps et l’action sont suspendus, au moins jusqu’à ce que L’Arioste les reprenne en charge, ce qui peut ne pas être immédiat : plusieurs chants séparent parfois un récit de sa suite. Les récits se démultiplient et s’entrecroisent, à tel point qu’Italo Calvino voit dans le Roland furieux une œuvre régie par une « structure polycentrique », comme le remarque Judith Labarthe :
L’Arioste introduit une unité narrative et stylistique que n’a pas l’Orlando innamorato, mais sur un mode discontinu. En effet, il compose un « poème à structure polycentrique » (Italo Calvino). Un épisode découle d’un autre, dans une dilatation intérieure, suscitant de nouvelles symétries et de nouveaux contrastes. Le résumer reste un défi difficile : de brefs romans sont sans cesse inclus dans le roman principal, qui s’interrompt, puis reprend, les digressions intervenant sans cesse. L’œuvre est construite selon « un mouvement zigzaguant en lignes brisées » (Italo Calvino) et les errances des personnages semblent être un reflet de celles du dessin du poème6.
7L’Arioste fait donc le choix du multiple plutôt que de l’unité, du désordre plutôt que de l’ordre et la critique le lui reproche dès le xvie siècle. Les écrits que le Tasse7 consacre à l’épopée en constituent l’exemple le plus célèbre. Par la structure qu’il donne à son poème, L’Arioste s’éloigne très nettement du modèle épique aristotélicien et le subvertit. En une formule, Francesco De Sanctis a su concentrer la spécificité du Roland furieux : « Ici [dans le Roland furieux], c’est du désordre que vient l’ordre, et c’est la variété qui constitue l’unité8 ».
8Le poème de L’Arioste est un labyrinthe9, comme nous le suggère Calvino : il ne cesse de « faire des plis10 » selon le mot de Deleuze : « Un labyrinthe est dit multiple, étymologiquement parce qu’il a beaucoup de plis. Le multiple ce n’est pas seulement ce qui a beaucoup de parties, mais ce qui est plié de beaucoup de façons11. » Dans le Roland furieux nous retrouvons bien « le pli qui va à l’infini » ; avec L’Arioste, véritablement, « [l]e problème n’est pas comment finir un pli, mais comment le continuer […], le porter à l’infini12. » L’Arioste ne cesse de retravailler le Roland furieux pendant seize ans, dans un seul but : porter à l’infini la narration, rendre impossible toute fin. Les récits sont si enchevêtrés, qu’il est difficile de réduire le Roland furieux, de parvenir à en avoir une vue d’ensemble13. Toutefois, on peut dire que le Roland furieux repose sur deux trames principales :
Les trames principales, rappelons-le, sont au nombre de deux : la première raconte comment Roland devint fou furieux par suite de son amour malheureux pour Angélique, comment les armées chrétiennes, par suite de l’absence de leur champion, risquèrent de perdre la France, et comment la raison perdue par Roland fut retrouvée sur la Lune par Astolphe et rendue à son légitime propriétaire, lui permettant ainsi de reprendre sa place dans les rangs chrétiens. Parallèle à cette trame, une autre raconte les amours prédestinées mais toujours différées de Roger, champion du camp sarrasin, et de la guerrière chrétienne Bradamante, et tous les obstacles qui s’opposent à leur destin nuptial, jusqu’à ce que le guerrier parvienne à changer de camp, à recevoir le baptême et à épouser sa vaillante amoureuse14.
9Au-delà de ces deux trames et des récits qui en dérivent, on retiendra surtout le siège de Paris, par lequel se croisent tous les récits du Roland furieux. Ce point est déterminant : c’est la guerre qui réunit tous les fils narratifs du Roland furieux, seule constante, seule règle dans ce poème qui n’est fait que d’exceptions. La guerre est le centre du poème de L’Arioste : Calvino évoque Paris comme le « point stable15 » du poème de L’Arioste :
Les deux trames principales et leurs nombreuses ramifications se déroulent en s’entrelaçant, mais se nouent elles-mêmes au tronc plus proprement épique du poème, c’est-à-dire aux développements de la guerre entre l’empereur Charlemagne et le roi d’Afrique Agramant. Cette épopée proprement dite se concentre essentiellement dans un bloc de chants qui traitent du siège de Paris par les Maures, de la contre-offensive chrétienne, et des discordes dans le camp sarrasin. Le siège de Paris est un peu comme le centre de gravité du poème, de même que Paris en est le centre géographique16.
10Venons-en maintenant à la deuxième technique narrative majeure dont use L’Arioste : l’enchâssement des récits. Au sein même des récits qui s’entrelacent, les personnages deviennent eux-mêmes narrateurs ; à partir du moment où l’un des personnages devient narrateur, le temps depuis lequel se fait la narration est suspendu, et cette suspension du temps entraîne un retrait de l’action : pour se faire narrateurs, les personnages doivent cesser d’agir.
11Le dispositif est invariablement le même : en chemin, un personnage en rencontre un autre qui lui raconte le malheur qui lui est arrivé et ces récits forment de véritables récits autonomes. Insistons sur ce point : c’est le malheur des hommes qui suscite la narration dans le Roland furieux ; pensons ici à Raymond Queneau dans Une histoire modèle : « L’histoire est la science du malheur des hommes. […] Les récits imaginaires ne peuvent avoir pour sujet que le malheur des hommes, sinon, ils n’auraient rien à raconter. […] Tout le narratif naît du malheur des hommes17. » Cette proposition de Queneau ressemble bien à une variation sur un thème homérique. Nous pouvons, par exemple, penser au récit de Pinabel au chant II, que (de l’octave XXXVII à l’octave LVII), à Dalinde au chant V (de l’octave V à l’octave LXXXIV), ou encore à celui d’Astolphe au chant VI (de l’octave XXXII à l’octave LIII).
12Si nous avons voulu évoquer ces techniques narratives, c’est afin de rendre visible au mieux la « configuration pluridimensionnelle » du Roland furieux. La structure du Roland furieux n’est pas multiple par accident, mais constitue une réponse au temps vécu par L’Arioste, marqué par un ensemble de bouleversements qui rendent impossible le fait de concevoir le temps de manière linéaire ; ainsi, la configuration du temps dans le Roland furieux tente de répondre à cette impossibilité de parvenir à une conception linéaire du temps : le chaos et le désordre du Roland furieux, sa structure narrative si singulière, peuvent être lus comme une réponse au chaos et au désordre dans lequel l’Italie est alors plongée. Italo Calvino a été particulièrement attentif au bouleversement des valeurs dont le Roland furieux garde la trace lorsqu’il note : « Le jeu de L’Arioste est celui d’une société qui s’éprouve comme ayant à élaborer et à conserver une vision du monde, mais qui, en même temps, devine quel vide se forme sous ses pas, dans des craquements sismiques18. » Le temps dans le Roland furieux correspond donc à ce que Paul Ricœur définit comme la « chronologie brisée » :
Il est clair qu’une structure discontinue convient à un temps de dangers et d’aventures, qu’une structure linéaire plus continue convient au roman d’apprentissage dominé par les thèmes du développement et de la métamorphose, tandis qu’une chronologie brisée, interrompue par des sautes, des anticipations et des retours en arrière, bref une configuration délibérément pluridimensionnelle, convient mieux à une vision du temps privée de toute capacité de survol et de toute cohésion interne19.
13Tous les principaux éléments du Roland furieux sont présents : les interruptions, les anticipations, les retours en arrière. Il est intéressant de noter que Calvino parle de « ligne brisée » pour décrire le mouvement spécifique du Roland furieux et que Ricœur parle ici de « chronologie brisée » : il y a bien une forme de déchirure qui travaille le poème de L’Arioste de l’intérieur.
La poésie de L’Arioste naît de la guerre
14La poésie de L’Arioste naît de la guerre. Pour le comprendre, arrêtons-nous sur une date : 1494. Tout tourne autour de cette date : « 1494 constitue une date de changement symbolique pour L’Arioste et pour sa génération, tant sur le plan historique que sur le plan biographique20. » C’est l’année au cours de laquelle commencent les guerres d’Italie et c’est précisément l’année où L’Arioste commence à écrire. L’Arioste accomplit ses premières expériences littéraires en des temps d’irréversibles bouleversements : il a exactement vingt ans en 1494, année reconnue comme un véritable pivot dans l’histoire de l’Italie21, par Machiavel (dans L’Art de la guerre, livre VII) et Guicciardini (dans ses Souvenirs) : « La littérature dévastée par les armes. Voilà la toile de fond sur laquelle se développe l’expérience existentielle et culturelle de L’Arioste22. » La violence est telle que la littérature n’en ressort pas indemne ; plus encore que « dévastée », elle est transformée par la guerre. L’imaginaire de L’Arioste est marqué – dès sa jeunesse – par la présence de la guerre qui ne le quittera plus puisque les guerres d’Italie ne s’achèveront que bien après sa propre mort. Sa première « œuvre » – du moins celle qui nous est parvenue – est un écrit sur la guerre :
C’est à 1494 que remontent – comme L’Arioste le raconte lui-même dans sa sixième satire et selon les déductions des historiens les plus dignes de confiances – son choix de se consacrer à l’étude des lettres ainsi que sa première composition, une élégie latine intitulée A Filiroe (Ad Philiroen), dans laquelle le poète, préoccupé par l’amour et par la nature, s’oppose à Charles Quint attaquant l’Italie avec son armée23.
15Nous sommes bien loin d’une certaine image de la Renaissance. À côté de ce que certains « philosophes répètent : “L’homme est un grand miracle” (Magnus miraculum est homo) 24 », la Renaissance est une période marquée par d’importants conflits, par de nombreuses guerres, qui voit se développer de nouvelles pratiques de guerre, dues – pourtant – à ces mêmes progrès qui font « la gloire de l’Homme ». La guerre devient donc de plus en plus meurtrière et L’Arioste est un témoin direct de ces « avancées techniques » : par son statut d’homme de cour qui le rattache d’abord au cardinal Hippolyte d’Este, puis au duc Alphonse d’Este.
16Toutefois, une partie de la critique a voulu considérer L’Arioste comme un poète qui se serait détourné de son temps par la composition même de son œuvre ; c’est que lui reprochera par exemple Benedetto Croce25. Or, si L’Arioste choisit une telle structure narrative, si singulière, c’est précisément à cause des événements qui marquent son temps. Aussi nous semble-t-il impossible de considérer le Roland furieux comme un « chef-d’œuvre de la littérature désengagée26 », comme nous le suggère Christian Bec :
Nulle part non plus il ne se penche, à la différence de tant d’autres écrivains de son temps […], sur les problèmes du bon et du mauvais gouvernement, sur les fondements et les méthodes du pouvoir et sur la structure des institutions. […] Le récit des amours de Roger et de Bradamante n’est-il pas en soi typique d’un poème dynastique, qui a pour fonction de célébrer les origines et la noblesse des Este et de présenter leur histoire sous la lumière la plus favorable tout en recouvrant les épisodes fâcheux sous des zones d’ombre ou de splendeur ? Au-delà de ses maîtres et de leurs alliés, L’Arioste célèbre aussi l’institution monarchique […] ; il chante la société néo-féodale et les valeurs qu’elle revendique ou s’attribue (grâce, générosité, loyauté, courage, fidélité au prince27 et à la parole donnée, solidarité de classe28)29.
17L’argumentation de Christian Bec dans son ensemble nous semble ici contestable : si le poème de L’Arioste est épique par bien des aspects, il n’en est pas pour autant une épopée : bien au contraire, le Roland furieux est une parodie du genre épique, et doit être lu en tant que tel, avec recul et distance. En parodiant l’épopée, L’Arioste s’attaque au « genre national » par excellence ; la portée de son geste est plus grande que ne peuvent le laisser penser les apparences. Le poème épique se doit de participer à la fondation d’une entité politique, sociale, culturelle en lui reconnaissant une origine et en justifiant son existence (pensons au plus évident de tous les exemples : l’Énéide) : cet aspect est immédiatement « désamorcé » dans le poème de L’Arioste par la vision déformante de la parodie. Par la parodie, par l’ironie et par le rire – parfois amusé, souvent rageur – L’Arioste rend impossible une quelconque forme de fondation ou de légitimation du pouvoir. Pour Benedetto Croce l’ironie de L’Arioste « non è futile scherzo, ma qualcosa di assai più alto, qualcosa di schiettamente artistico e poetico30 ». Allons plus loin : puisque le pouvoir ne peut pas se fonder sur le poème, y puiser sa légitimité (comme c’était au contraire le cas avec l’Énéide), il est ainsi toujours déjà délégitimisé, destitué.
18Si nous voulons affirmer que le Roland furieux n’est pas un « chef-d’œuvre de littérature désengagée », nous ne voulons pas affirmer qu’il pourrait constituer un quelconque exemple de « littérature engagée », ce qui au-delà d’être anachronique serait particulièrement faux. Nous voulons montrer que le problème est au-delà : le poème de L’Arioste porte les traces de son temps, ainsi voulons-nous reconnaître la valeur anthropologique du Roland furieux, et nous voudrions affirmer avec Roland Barthes : « le savoir qu[e la littérature] mobilise n’est jamais entier ni dernier ; la littérature ne dit pas qu’elle sait quelque chose, mais qu’elle sait de quelque chose ; ou mieux : qu’elle en sait quelque chose – qu’elle en sait long sur les hommes31. »
19Quand bien même le poème est apparemment offert à Hyppolite d’Este, il ne faut pas oublier qu’un grand éclat de rire désacralisant et déformant l’accompagne ; comme le souligne Italo Calvino : il s’agit pour lui (et nous partageons cet avis) d’une « dédicace […] obligée, au Cardinal Hippolyte32 ».
20L’Arioste joue avec les codes de l’épopée. Prendre L’Arioste au premier degré, en faire une lecture littérale, constitue de toutes les erreurs la plus grave : cela revient à se priver de l’intelligence même du texte. Nous ne devons pas oublier que L’Arioste est par sa condition lié à la maison d’Este d’une façon qui ne lui permet en aucun cas de disposer de toute sa liberté33 (les Satires, une fois encore, sont claires sur ce point). La déraison des hommes est le moteur premier de l’action du Roland furieux : sans doute faut-il y voir une attaque faite à toute forme de superstition.
21Des références directes au présent de L’Arioste sont bien présentes dans le Roland furieux. Le poème de L’Arioste intègre des éléments « modernes », « nouveaux », au sein de l’univers épique :
Le poème chevaleresque, puis le poème héroïque, constituent un champ de la littérature de la Renaissance très sensible aux changements historiques, au moins à partir du Roland furieux. […] On relève dans le Roland furieux une attention portée aux événements de l’époque toujours plus large au cours de ses trois rédactions (1516, 1521, 1532), et c’est précisément ce rapport implicite entre la fable et la réalité extérieure qui constitue un des éléments les plus significatifs du poème, qui peut en conséquence fournir la mesure et les étapes du développement culturel au moment du point culminant de la splendeur de la Renaissance. En d’autres termes, le Roland furieux propose – particulièrement dans sa version définitive – un singulier relevé ainsi qu’une précise évaluation du « nouveau » qui se manifestait alors dans de nombreux champs du savoir34.
22Alberto Casadei reconnaît donc la valeur anthropologique de poème de L’Arioste : le Roland furieux, au-delà des corbellerie, enregistre bien les transformations de son temps. Les découvertes géographiques et les avancées techniques d’ordre militaire tiennent ainsi une place de choix dans le poème de L’Arioste. Ces « réalités » qui sont intégrées au sein de séries épiques, mythiques, viennent les faire dysfonctionner. Nous pouvons retrouver dans le chant XI du Roland furieux, et très particulièrement aux octaves XXIV à XXVI, des échos des guerres d’Italie :
La liste introduit un élément qu’il est possible de dater avec précision : il se trouve que la longue guerre entre François Ier et Charles Quint est en réalité le sujet de l’invective (« cette guerre / qui a mis le monde en pleurs, mais plus encore l’Italie », 27, 3-4) ; elle avait atteint son point culminant avec la Bataille de Pavie en 1525 et fut suivie par le Sac de Rome en 1527. Ces événements marquèrent profondément l’imaginaire collectif et en particulier celui des lettrés de l’époque : en ce qui le concerne, L’Arioste se rendit compte que les idéaux chevaleresques (et plus encore ceux incarnés par le roi de France) étaient désormais voués à disparaître, et que les armes à feu étaient absolument inévitables dans les batailles modernes, bien qu’elles soient détestables. L’importance de la présence même dans un poème chevaleresque d’un passage tel que celui cité, doit être soulignée : face aux bouleversements de 1525-1527, il n’est plus possible de taire la différence « technologique » entre la guerre antique et la guerre moderne35.
23Italo Calvino a lui aussi relevé l’importance des rapports qu’entretient le Roland furieux avec les événements qui marquent le xve et le xvie siècles :
L’attaque du chant suivant comporte […] presque toujours un élargissement de l’horizon, une prise de distance par rapport à l’urgence de la narration, sous la forme d’une introduction gnomique, ou d’une péroraison amoureuse, ou encore d’une métaphore élaborée, avant que ne soit repris le récit au moment où il avait été interrompu. Et c’est très précisément en ouverture des chants que se situent les digressions sur l’actualité italienne, qui abondent particulièrement dans la dernière partie du poème. Tout se passe comme si, à travers ces connexions, le temps où l’auteur vit et écrit faisait irruption dans le temps fabuleux de la narration36.
24Par le dispositif qui régit son poème, L’Arioste tente de suspendre le temps, le temps qui mène inéluctablement vers la fin du temps du récit. L’action est suspendue de manière récurrente afin de tenter de porter à l’infini les récits : une histoire commence, elle est interrompue, une autre commence et ainsi de suite. Le but est de sans cesse repousser la possibilité de la fin. Pendant les rédactions successives du Roland furieux, L’Arioste augmente son poème de l’intérieur37 parce qu’il ne parvient pas à le finir : on pourrait dire qu’il ne veut pas le finir puisqu’il le retravaille presque jusqu’au moment de sa propre mort. Comme le dit Calvino : le Roland furieux est un poème sans début ni fin. L’Arioste tente de repousser toujours plus loin le moment du « point final » (Ricœur).
Le temps, le récit, la mort
25Et maintenant, pour conclure, nous voudrions en venir à l’idée autour de laquelle tourne cette lecture du Roland furieux : dans le Roland furieux, le rapport au temps est déterminé par la mort, ce qui permet de mieux comprendre sa structure pluridimensionnelle. Le désordre créé par la « chronologie brisée » du Roland furieux répond au chaos du temps dans lequel vit L’Arioste ; l’Italie est ravagée par la guerre ; et cette idée d’une narration infinie apparaît alors comme un défi lancé à la mort elle-même, à la mort qui est partout autour de L’Arioste du fait de la guerre : tant que le récit continue, la mort est éloignée ; tant que le conteur est occupé à son activité de narration, il ne peut mourir. Tant que la narration ne s’arrête pas, la vie continue, autant celle des personnages dont les aventures sont contées, que celle du conteur. Pour rendre évidents les liens inextricables qui lient le temps, le récit, la mort, nous voudrions citer Carlo Levi :
Dans les montres se cache la mort, disait [Giuseppe Gioachino] Belli ; autrement dit le malheur de la vie individuelle, ce fragment, cette chose scindée et désagrégée, coupée de la totalité : la mort, qui est le temps, le temps de l’individuation, de la séparation, le temps abstrait qui roule vers sa fin. […] Tous les moyens sont bons, toutes les armes, pour échapper à la mort et au temps. Si la ligne droite est le plus court chemin entre deux points inévitables et fatidiques, les digressions augmenteront la longueur : et si ces digressions se compliquent, s’emmêlent, s’enchevêtrent au point de nous faire perdre leur trace, qui sait si la mort ne s’égarera pas, si nous ne pourrons rester à l’abri dans des cachettes toujours diverses38.
26On comprend alors qu’échapper au temps, cela revient à échapper à la mort : tout le projet de L’Arioste est contenu là. Nous citons ici Carlo Levi parce que la narration ariostesque est avant tout une tentative de fuite, caractérisée par l’art de la digression. Le rapport au temps, à la fois le temps vécu et le temps raconté, est déterminé par l’inéluctabilité de la mort : elle est partout autour de L’Arioste, elle est partout dans son poème. C’est par le siège de Paris, qui donne lieu à des descriptions de combats d’une extrême violence, que se croisent tous les récits du Roland furieux. La guerre et le sang réunissent tous les fils de la narration ariostesque. Nous avons évoqué plus tôt la « chronologie brisée » avec Ricœur : elle seule peut permettre les digressions infinies, elle est l’inverse de « la ligne droite [qui] est le plus court chemin entre deux points inévitables et fatidiques » évoquée par Carlo Levi.
27Le rapport au temps déterminé par la mort permet de comprendre la structure pluridimensionnelle du Roland furieux mais aussi le choix de l’ironie : il faut, une fois encore, en passer par Queneau : « Lorsque le narrateur sourit et dédaigne la mort, on appelle son récit un roman comique39. » L’une des grandes singularités du Roland furieux, comparativement au registre épique, c’est justement le fait que L’Arioste ne peut rien voir autrement qu’à travers le filtre de l’ironie. C’est aussi ce regard, ironique, qui éloigne irrémédiablement L’Arioste du ton noble et tragique de l’épopée.
28Tant que la narration ne s’arrête pas, la vie continue, autant celle des personnages dont les aventures sont contées, que celle du conteur :
Écrire pour ne pas mourir, écrit Foucault, […] ou peut-être même parler pour ne pas mourir est une tâche aussi vieille sans doute que la parole. Les décisions les plus mortelles, inévitablement, restent suspendues le temps encore d’un récit. Le discours, on le sait, a le pouvoir de retenir la flèche, déjà lancée, en un retrait du temps qui est son espace propre40.
29Chaque récit est donc « un retrait du temps » : et de ce fait, il n’a pour seul but que d’éloigner, un instant, la mort. Foucault évoque cet impératif qui rend essentiel le récit et urgente la narration : « le récit [a] pour motivation, pour thème et prétexte, de ne pas mourir : on racontait jusqu’au petit matin pour écarter la mort, pour repousser cette échéance qui devait fermer la bouche du narrateur41. » L’important est de commencer, de lancer la narration, qu’« un espace s’ouvre », afin d’incessamment repousser l’instant où il se refermera.
Ariosto, Ludovio (dit L’Arioste), Roland furieux, édition bilingue, traduction et notes de Michel Orcel, présentation d’Italo Calvino, Paris, Le Seuil, 2000.
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1 Jorge Luis Borges, « Arioste et les Arabes », dans Œuvre poétique. 1925-1965, mise en vers français par Ibarra, Paris, Gallimard, coll. « Poésie / Gallimard », p. 151. « El aire de su Italia estaba henchido / De sueños, que con formas de la guerra / […] Urdieron la memoria y el olvido. »
2 Italo Calvino, Il baronne rampante, XXIX, dans Romanzi e Racconti, I, p. 772, en français dans le texte.
3 Paul Ricœur, Temps et Récit, I, Paris, Le Seuil, 1983, p. 105.
4 Italo Calvino, « Introduction », dans L'Arioste, Roland furieux, textes choisis et présentés par Italo Calvino, traduction de Nino Frank, Paris, GF-Flammarion, p. 16.
5 Ibid., p. 28.
6 Judith Labarthe, L’Épopée, Paris, Armand Colin, 2007, p. 180.
7 Nous renvoyons ici (pour la traduction française) au Discours sur l’art poétique, suivi de Discours du poème héroïque, traduit de l’italien, présenté et annoté par Françoise Graziani, Paris, Aubier, 1997.
8 Francesco De Sanctis, « L’Orlando Furioso », dans Storia della letteratura italiana, Turin / Paris, Einaudi / Gallimard, coll. « Biblioteca della Pléiade », p. 434-435. Nous traduisons : « Il disordine qui è ordine, e la varietà è unita. »
9 Italo Calvino, « Introduction », p. 178 : « Le poème que nous sommes en train de parcourir et d’interpréter est un labyrinthe où prennent origine d’autres labyrinthes ».
10 Gilles Deleuze, Le Pli. Leibniz et le Baroque, Paris, Les Éditions de Minuit, 1988, p. 5.
11 Ibid.
12 Ibid., p. 48.
13 Comme l’écrit Italo Calvino dans « La structure du Roland furieux », Défis aux labyrinthes, II, traduit par Michel Orcel, Paris, Le Seuil, 2003, p. 181 : « Il est […] impossible de définir synthétiquement la forme du Roland furieux : nous ne sommes pas face à une géométrie rigide ; on pourrait plutôt recourir à l’image d’un champ de forces, qui engendre sans cesse en lui-même d’autres champs de forces. Le mouvement est toujours centrifuge ; au début du poème, nous sommes déjà au beau milieu de l’action, et cela vaut pour le poème entier comme pour chaque chant et chaque épisode. »
14 Italo Calvino, « La structure du Roland furieux », art. cité, p. 183-184.
15 Nous renvoyons ici à Francesco De Sanctis, op. cit., p. 435 : « Parigi è un punto stabile […] ».
16 Italo Calvino, « La structure du Roland furieux », art. cit., p. 184.
17 Raymond Queneau, Une histoire modèle, Paris, Gallimard, 1966, p. 14-21.
18 Italo Calvino, « Introduction », p. 29.
19 Paul Ricœur, Temps et Récit, II, Paris, Le Seuil, 1984, p. 120, nous soulignons.
20 Stefano Jossa, Ariosto, Bologne, Il Mulino, 2009, p. 9. Nous traduisons : « Il 1494 costituisce […] una data di svolta simbolica per Ariosto e la sua generazione, sia sul piano storico sia su quello biografico. »
21 Nous renvoyons ici à l’article de Jean-Claude Zancarini, « Machiavel et Guicciardini. Guerre et politique au prisme des guerres d’Italie », Laboratoire italien, 10 / 2010 : http://laboratoireitalien.revues.org/500.
22 Stefano Jossa, op. cit., p. 9. Nous traduisons : « Le lettere violentate dalle armi. È questo lo sfondo su cui si sviluppa l’esperienza esistenziale e culturale di Ludovico Ariosto. »
23 Ibid., p. 7. Nous traduisons : « Al 1494 risalgono […] secondo quanto racconta egli stesso nella sesta satira e secondo le riscotruzioni degli storici più accreditati, sia la scelta di passare agli studi letterari sia il suo primo componimento, un’elegia latina intitolata A Filiroe (Ad Philiroen), nella quale a Carlo V che attacca l’Italia col suo esercito si contrappone il poeta, immerso nell’amore e nella natura. »
24 Eugenio Garin, L’Homme de la Renaissance, traduit de l’italien par Monique Aymard, Paris, Le Seuil, 1990, p. 8. Le philosophe en question est bien évidemment Giovanni Pico della Mirandola, dans les premières lignes de son Oratio de hominis dignitate.
25 Nous renvoyons ici à Stefano Josse, op. cit., p. 134.
26 Christian Bec, « La littérature courtisane », dans Précis de littérature italienne, sous la direction de Christian Bec, Paris, Presses Universitaires de France, 1982, p. 145.
27 Souvenons-nous que L'Arioste lui-même dans sa première Satire revient sur le fait qu’il fut loin d’être « fidèle à son prince » et ce qu’il lui en coûta.
28 Nous pourrions même ici nous demander si l’argumentation de Christian Bec ne se contredit pas elle-même : si L'Arioste ne se préoccupe véritablement pas des problèmes de gouvernement, il ne peut pas non plus en faire l’éloge, dans la mesure où en faire l’éloge reviendrait à aborder la question des problèmes de gouvernement dans son poème.
29 Christian Bec, op. cit., p. 145.
30 Benedetto Croce, « Ludovico Ariosto », dans La Letteratura italiana, I, Bari, Laterza, 1961, p. 328.
31 Roland Barthes, Leçon, dans Œuvres complètes, V, nouvelle édition, revue, corrigée et présentée par Eric Marty, Paris, Le Seuil, 2002, p. 435.
32 Italo Calvino, « Introduction », p. 29.
33 Afin d’avoir un portrait précis d’Hippolyte d’Este, on se souviendra de Stendhal dans ses Promenades dans Rome.
34 Alberto Casadei, « I poeti, i cavalieri, le machine, gli spazi : scienza e tecnica in Arioso e Tasso », dans La Fine degli incanti : vicende del poema epico-cavalleresco nel Rinascimento, Milan, FrancoAngeli, 1997, p. 61. Nous traduisons : « Il poema cavalleresco e poi quello eroico costituiscono un settore della letteratura rinascimentale molto sensibile ai cambiamenti storici, almeno a partire dal Furioso. […] Nel Furioso si registra un’attenzione verso le vicende coeve sempre più ampia nella sue tre redazioni (1516, ’21, ’32), ed è proprio questo implicito confronto tra la favola e la realtà esterna a costituire uno degli elementi più significativi del poema, che può quindi fornire la misura […] dello sviluppo culturale nel periodo di massimo splendore del Rinascimento. In altre parole, il Furioso propone, particolarmente nella sua versione definitiva, uno speciale resoconto ed anche una precisa valutazione del “nuovo” che in molti campi del sapere si stava manifestando. »
35 Ibid., p 63-64. Nous traduisons : « L’elenco introduce un elemento precisamente databile : si svela infatti che il motivo dell’invettiva è la lunga guerra tra Francesco I e Carlo V (« […] questa guerra / che ’l mondo, ma più Italia, ha messo in pianti », 27, 3-4), che era culminata nel 1525 con la battaglia di Pavia, ed era stata seguita nel ’27 dal Sacco di Roma. Eventi, questi, che segnarono profondamente la sensibilità comune e in specie quella dei letterati dell’epoca : dal canto suo Ariosto si rese conto che gli ideali cavallereschi (ancora incarnati dal re di Francia) erano ormai giunti al tramonto, e che le armi da fuoco erano assolutamente imprescindibili, benché esecrabili, nelle battaglie moderne. Va dunque sottolineato quanto è importante la presenza stessa di un passo come quello citato in un poema cavalleresco : davanti agli sconvolgimenti del 1525-27 non è più possibile tacere la differenza “tecnologica” tra la guerra antica e quella moderna ».
36 Italo Calvino, « La structure du Roland furieux », art. cité, p. 181.
37 Ibid., p. 179 : « Pour arriver à l’édition de 1516, il avait travaillé douze ans ; il travaille seize ans pour en arriver à l’édition de 1532, et il meurt l’année suivante. Cette dilatation de l’intérieur, qui fait proliférer les épisodes à partir d’autres épisodes, en créant de nouvelles symétries et de nouveaux contrastes, me semble bien éclairer la méthode de construction de L'Arioste ; elle demeure le vrai moyen d’élargir ce poème de structure polycentrique et synchronique, dont les aventures se ramifient dans toutes les directions, se coupent et bifurquent sans cesse ».
38 Carlo Levi cité par Italo Calvino dans ses Leçons Américaines, « Rapidité », dans Défis aux labyrinthes, II, p. 47.
39 Raymond Queneau, op. cit., p. 21.
40 Michel Foucault, « Le langage à l’infini » (1963), dans Dits et Écrits, I, 1954-1975, Paris, Gallimard, coll. « Quarto », p. 278.
41 Ibid.
URL : http://publis-shs.univ-rouen.fr/reare/index.php?id=237
Quelques mots à propos de : Manuel Esposito
Manuel Esposito est doctorant contractuel au département de Littérature générale et comparée de l’université Sorbonne Nouvelle-Paris 3 et membre du CERC. Il travaille sur les interférences entre science, philosophie et littérature, la littérature italienne du xxe siècle, les relations entre littérature et cinéma.
Il a publié « Stendhal lecteur de L’Arioste », dans Le Suspense dans l’œuvre narrative de Stendhal, HB, Revue d’études stendhaliennes, no 19, 2015, et, avec Marine Aubry-Morici, « Robert Bazlen et le refus d’écrire. Approches du Stade de Wimbledon de Daniele Del Giudice », TRANS- [En ligne], no 20, 2016, Résister à la littérature.