Sommaire
5 | 2020
Unmoored Languages
This volume explores the complex relations developing between a literary text and the world beyond the representational function. Not content to capture, narrate or describe the existing world, writers keep creating autonomous worlds and inventing new languages to account for yet unmapped territories and experiences. As the materiality of language and its poetic quality come out, the sounds, rhythms and visual effects of the text become living milieu rather than material or simple instruments subordinated to thought. Though the effect first produced upon the reader may well be of strangeness or obscurity, such unmooring of language warrants a valuable extension of language likely to bring back to the reader buried, unsuspected emotions and aesthetic experiences, should she be willing to adopt an open type of reading, more fluid than the automatic system of conventional associations on which reading largely relies. In this collection, writers and literary scholars from the U.S. and France focused on the nature of the mutations to which unmoored language is submitted, as well as on the various ways in which the text makes sense in spite of all. How to describe that which exceeds language rather than avoid the confrontation by relegating it into the vague category of the ineffable? Throughout, literary, linguistic or philosophical analyses have as their horizon the vision of language reflected by the unmoored text, as well as of the relations between language and the world.
- Anne-Laure Tissut et Oriane Monthéard Introduction
- Rob Stephenson Trans(positions)(mutations)(formations)itions
- Thomas Byers Weighing Anchors: The Pleasures of Readers
- Monica Manolescu Lectures de la déliaison dans The Flame Alphabet de Ben Marcus
- Stéphane Vanderhaeghe Tentative d’approche d’une fiction spéculative
- Léopold Reigner Interwoven readings: R. Brautigan’s Trout Fishing in America and R. Stephenson’s Passes Through
- Mélissa Richard Merged readings
- Sarah Boulet Shut up and fill in the gaps with something multifaceted
- Paule Lévy Lost in Translation : Figures de la déliaison dans Leaving the Atocha Station de Ben Lerner
- Judith Roof Jazz Mislaid Jazz: Rhythm has No Boundaries
- Yannicke Chupin “Unmoor your thinking for an instant” Autoannotation et déliaison dans The Mezzanine (Nicholson Baker) et Brief Interviews with Hideous Men (D.F. Wallace)
- Melissa Bailar Lipogrammatic Criticism: Inspirations from La Disparition
- Florian Beauvallet Les formes déliées de Kapow! d’Adam Thirlwell : avatars d’une pensée en mouvement
- Zach Linge “Theory of/and Original Writing After Deconstruction”
- Maud Bougerol Ré-ancrer la langue ? – “Moran’s Mexico: A Refutation by C. Stelzmann” de Brian Evenson
- Célia Galey-Gambier Sharing and Distributing the Sensible in Jackson Mac Low’s Dance-instruction-poems The Pronouns (1964)
5 | 2020
Ré-ancrer la langue ? – “Moran’s Mexico: A Refutation by C. Stelzmann” de Brian Evenson
Maud Bougerol
This paper examines the reader’s required participation in the process of re-ordering the text in an attempt to re-anchor meaning. First the questioning of narrative authority through competing frames is analysed, together with the figures of erasure and concealment used to thwart any easy access to meaning. Textual excess is then considered, as yet another means of disorientation. Finally, the metafictional dimension of the text and the materiality of language it highlights are shown to be further incentives for the reader to connect and make sense through multiple interpretations.
1Dans son recueil de nouvelles The Wavering Knife, publié en 2004, Brian Evenson s’intéresse aux phénomènes de flottement, de fluctuation et d’hésitation qui caractérisent le rapport du lecteur à l’univers qui lui est proposé. Le lecteur est en effet confronté à une fiction mimant une réalité plausible qui, toutefois, le « déconforte » profondément, pour paraphraser Roland Barthes dans Le Plaisir du texte1. Le langage dans la fiction de Brian Evenson ne joue pas son rôle de médiateur entre le lecteur et le sens. L’accès à la représentation d’un monde relativement familier, qui semble de prime abord acquis, est rapidement compromis par une langue faussement simple. À défaut, le lecteur a accès à un univers qui, s’il ressemble en apparence à celui qui l’entoure, l’invite sous couvert de familiarité à questionner ce qui le rend profondément étranger au sien.
2La nouvelle qui nous intéresse plus particulièrement ici s’intitule « Moran’s Mexico: A Refutation by C. Stelzmann »2. Sur le mode comique, ce pastiche d’article universitaire met en scène C. Stelzmann, un chercheur allemand dont les qualifications et méthodes de recherche apparaissent bien troubles. Son article est une virulente critique de la traduction de l’œuvre de son grand-père, A. Stelzmann, par un certain Moran. Le texte d’A. Stelzmann est un guide touristique sur le Mexique dont il décrit le contenu comme « forever scrupulous, exact »3. En effet, Moran, qu’il qualifie d’« indifferent scoundrel »4, a selon lui défiguré le texte de son estimé grand-père, et produit un ouvrage qui ne ressemble en rien à l’original. Sa démonstration est nourrie de nombreuses citations des deux textes, et le lecteur n’a d’autre choix que de se rendre à l’évidence : un texte de fiction, au contenu inquiétant, a remplacé l’ouvrage utilitaire. Toutefois, alors que C. Stelzmann souligne les incohérences du texte cible et continue de vilipender Moran, des notes du traducteur anglais de l’article de l’universitaire apparaissent en bas de page pour le tourner en ridicule.
3Ce texte, dont le dispositif s’organise sur plusieurs plans, invite le lecteur à adapter son mode de lecture au fur et à mesure de la nouvelle. Le contrat de lecture initial — celui du pastiche de l’article universitaire — est rapidement faussé, sinon remis en question par l’intervention dans le texte de digressions sous formes d’anecdotes, de citations très longues, mais aussi de nombreuses autres voix que celle du narrateur. Pourtant, le texte ne contient presque aucun dialogue. La nouvelle bascule tantôt dans le territoire du comique, tantôt dans celui de l’inquiétant, sans que le cadre donné par C. Stelzmann ne soit jamais brisé à proprement parler. En effet, il est constamment remis en question. Selon le phénomène mentionné dans l’introduction au présent volume par Anne-Laure Tissut et Oriane Montheard, le texte semble se générer lui-même. L’écriture engendre ses propres points d’ancrage qui semblent se multiplier à l’infini, et fait référence à des éléments hors de la portée du lecteur, appelant une lecture déliée, telle que la définit André Green : « [la lecture déliée] est attentive à tout ce qui est supposé tromper l’attente du lecteur. Elle suit les fils du texte […] mais en refusant le fil d’Ariane que le texte propose au lecteur. »5 En effet, dans son article intitulé « La déliaison », André Green propose la chose suivante : « [la] déliaison est l’étape nécessaire à une nouvelle liaison, différente de celle de l’œuvre, liaison qui obéit à la logique du processus primaire […]. [L’analyste] produit alors à son tour un texte : celui de sa construction. »6 Selon André Green, il appartient donc au lecteur de re-lier le texte délié. Il s’agit ici pour ce dernier de faire émerger ce qui a été recouvert par le travail de l’écrivain — ce que Green appelle la secondarité du texte — afin d’avoir accès à son contenu primaire.
4Mais que se passe-t-il lorsque cette nouvelle liaison, ce ré-ancrage du texte, est opéré par le narrateur lui-même ? Brian Evenson, à travers la figure de C. Stelzmann, mime le travail du critique, de l’analyste, de l’universitaire, et devient ainsi lui-même « lecteur-écrivain et écrivain-lecteur »7. J’aimerais donc proposer que le texte de cette nouvelle offre la démonstration d’un premier ré-ancrage. Ici le texte littéraire fait montre de sa secondarité en faisant apparaître des phénomènes de liaison et de déliaison préexistants qui participent de l’expérience proposée au lecteur. Il nous appartient donc de déterminer la teneur possible de cette expérience de lecture face à un tel texte. Dans quelle mesure le lecteur peut-il s’engager dans une lecture dé-liante d’un texte déjà re-lié ? À quoi donne accès le ré-ancrage du texte par le lecteur de Brian Evenson, une fois sa déliaison mise au jour ?
5J’étudierai dans un premier temps le fonctionnement de cette nouvelle dont les points d’ancrage sont systématiquement brouillés. J’entreprendrai ensuite d’en faire une lecture dé-liante avant de tenter de répondre à la question suivante : peut-on ré-ancrer ce texte de Brian Evenson ?
Pluralité, digressions, recouvrement : quels points d’ancrage ?
6Jusqu’à huit voix différentes apparaissent dans ce texte. La plupart n’ont pas de lien avec les autres, elles semblent autonomes. Ce que j’appellerai la narration primaire est prise en charge par C. Stelzmann, qui annonce le sujet de son article dès la première phrase de la nouvelle : « Though ostensibly billed as a translation of A. Stelzmann’s Mexico, Kultur- und Wirtshaftkundliches (Berlin: Otto Quitzow Verlag, 1927), Moran’s Mexico soon abandons this pretense »8. L’utilisation du mot « pretense » prépare d’emblée l’exposé de C. Stelzmann qui fournit le cadre de la nouvelle, simulacre de discours sur le simulacre, pétri de faux-semblants.
7À ce texte primaire s’ajoutent les gloses du traducteur de l’article, sous la forme de notes de bas de page, par exemple : « [Translator’s Note:] […] Stelzmann’s attempt to show himself conversant in authentic American slang […] makes one question Stelzmann’s ability with English, makes one wonder if his English is good enough to properly apprehend the strengths and purpose of Moran’s translation »9. Le lecteur comprend alors que C. Stelzmann, d’origine allemande, a écrit son texte dans sa langue natale, et qu’il a affaire à une traduction en langue anglaise. Cet ajout au texte de C. Stelzmann modifie immédiatement et profondément le regard porté par le lecteur sur la narration primaire.
8De courts extraits du texte original de A. Stelzmann apparaissent ponctuellement dans l’article. Ils sont cités exclusivement par C. Stelzmann. Toutefois, ces passages ne sont jamais traduits en anglais : ils figurent ici soit en allemand, soit occasionnellement en espagnol. Ils ne sont donc pas accessibles à un lecteur qui serait uniquement anglophone. C. Stelzmann cite aussi des extraits de la fameuse traduction qu’il critique, le Mexico de Moran, pour appuyer sa thèse. Ces extraits sont de plus en plus longs, entrecoupés des observations de C. Stelzmann, jusqu’à ce que l’universitaire laisse presque toute la place au texte critiqué, qui semble s’imposer presque totalement dans l’économie de la nouvelle.
9Le traducteur, dans ses notes de bas de page, convoque lui aussi différentes voix. Il reproduit notamment, comme on le voit aux pages 68 et 69, un article du Stillwater Newspaper, organe de presse fictionnel. Cet article de journal fait à son tour intervenir deux voix étrangères à C. Stelzmann mais aussi au traducteur lui-même : celles des officiers Clive « Jerry » Jenkins et Robert « Jersey » McKay. L’article relate la tentative de C. Stelzmann de récupérer l’exemplaire original du guide touristique de son grand-père chez Moran sous le titre suivant : « Mad German Invades Local Home »10. Le traducteur cite aussi Simon Bladlock, critique et auteur d’un article sur Mexico de Moran.
10Chacune de ces voix est présentée dans le texte comme une figure d’autorité. Ici il s’agit à la fois de l’autorité dans sa définition première, à savoir « un ascendant grâce auquel quelqu’un se fait respecter, obéir, écouter »11, mais aussi de celle de l’auteur, de celui qui porte cet ascendant. C. Stelzmann est un universitaire qui compose un article scientifique. Le traducteur produit le texte qui fera autorité pour les lecteurs anglophones. A. Stelzmann est l’auteur, selon son petit-fils, d’un ouvrage de référence. Moran, initialement traducteur, devient auteur au fur et à mesure que sa traduction s’éloigne du texte original. Dans une certaine mesure, les policiers, l’auteur de l’article du Stillwater Newspaper et Simon Bladlock, le critique littéraire, représentent aussi différentes formes d’autorité, factuelle ou intellectuelle.
11Tout au long de la nouvelle, des voix se font constamment entendre pour remettre en question l’autorité d’une autre. Ailleurs, ce sont des erreurs, des maladresses linguistiques ou des éléments étranges qui amènent le lecteur à questionner l’autorité de la voix qui s’exprime alors. Ceux-ci font surface lorsque C. Stelzmann note une des premières anomalies dans la traduction du guide de son grand-père. Il cite à titre d’exemple le texte de Moran : « As I was walking the streets of Laredo, as I was out walking Laredo one day, I spied a young German all wrapped in white linen–a linen of Am-Euro manufacture, white as Aunt May »12. Le lecteur est dépaysé d’entrée de jeu. Les repères sont brouillés jusque dans la syntaxe, où les deux structures faussement tautologiques se font écho tout en générant un langage en mutation. Les références à l’Amérique et à l’Europe, qui émergent à travers la figure du jeune allemand parcourant les rues d’une ville texane, Laredo, se rencontrent et se mêlent dans le terme « Am-Euro ». Comme le lecteur peut le constater, même sans être germanophone, cette traduction n’a rien à voir avec le passage original que C. Stelzmann cite à titre de comparaison : « Das künftige Erfordernis der Weltpolitik ist ein Am-Europa, Ein Amerika-Europa »13. On pourrait traduire cette phrase ainsi : « le besoin futur de la politique mondiale est une Am-Europe, une Amérique-Europe ». Point de référence au Mexique ici. Quelques phrases plus loin, C. Stelzmann poursuit sa démonstration :
after seventeen pages of introducing Mexico, Moran suddenly offers a sentence which thrusts an unidentified first person narrator, apparently a young German, into a small Texas town. To what end? Who is this young German intended to be?14
12Le traducteur s’empresse alors de noter, en bas de page :
Mr. Stelzmann (the younger) seems to have misunderstood the English original of the sentence, equating the “I” of the passage with the linen-wrapped young German encountered. From there, he slides easily into the belief that the young German must represent his grandfather15.
13Ce passage est le premier indice montrant que la narration de C. Stelzmann est vouée à fonctionner sur le modèle du glissement, par l’utilisation de l’expression « he slides easily into the belief ». Ici, l’autorité de C. Stelzmann en tant que chercheur, ses capacités scientifiques en somme, sont remises en question par le lecteur puisqu’il ne semble pas tout à fait maîtriser les outils dont il se sert pour étayer sa démonstration. Mais c’est aussi en tant que narrateur primaire que son autorité est mise en cause, puisque le texte est passé par la médiation du traducteur avant d’arriver jusqu’à nous. En outre, il apparaît au fur et à mesure de la nouvelle être celui qui a le moins d’autorité, puisque son texte est le seul à subir cette entremise.
14Ici, Brian Evenson amène le lecteur à considérer la figure du paradoxe. Il donne pour vraies plusieurs propositions qui sont mutuellement exclusives, et ne donne jamais l’ascendant à l’une ou à l’autre. Ainsi, ne sachant qui est porteur d’une parole fiable, puisque les formes d’autorité se succèdent et se contredisent, le lecteur est incapable de se raccrocher à aucun point d’ancrage solide. Au contraire, trop de points d’ancrage potentiels s’offrent à lui.
15De nombreuses digressions viennent perturber le fil de la narration de C. Stelzmann. Le texte semble être constamment interrompu. Les notes du traducteur offrent une première diversion, puisqu’elles sont nombreuses et longues. Elles ralentissent la lecture et modifient le regard porté par le lecteur sur l’univers donné. La narration primaire propose déjà elle aussi un grand nombre de digressions, dues aux parallèles hasardeux que C. Stelzmann tente d’établir entre le texte de son grand-père et la traduction de Moran. Ainsi, suite à l’extrait cité plus haut, C. Stelzmann s’interroge sur la mention d’une certaine « Aunt May » :
Most puzzling of all is the perhaps metaphorical reference to an « Aunt May. » My grandfather had strictly Bavarian aunts possessed of strictly Bavarian names (Gretta, for instance, wife of my maternal uncle Klaus Beringer, known for her spaetzle)16.
16Cette explication ralentit l’accès du lecteur à la suite du texte. Bien qu’elle semble de prime abord être une tentative de restitution de points de repère géographiques et culturels, cette multiplication de points d’ancrage stéréotypés voire caricaturaux met en scène l’artificialité de la démarche. Brian Evenson met ici l’accent sur la fausse piste presque autoproclamée qui est celle de la quête des origines de C. Stelzmann, ce dernier cherchant avant tout la pureté du texte original et refusant la pluralité du texte cible.
17Le traducteur est lui aussi contaminé par cet excès de glose. Des anecdotes ou des descriptions techniques nourrissent ses notes. Ce procédé est particulièrement marquant lorsque C. Stelzmann explique lors d’une énième digression que la femme de Moran est originaire de la ville de Picher, dans l’Oklahoma, ville qu’il définit comme bien ennuyeuse comparée à la fictionnelle Boya dont Moran parle dans son livre. Le traducteur écrit alors en note :
In fact, Stelzmann is wrong about Picher; it has at least as many eccentricities as Boya, perhaps more. Picher is a mining town, built up around a series of lead retrieval operations which have left chat piles of chalky, flaky limestone chips throughout the area, some more than 40 feet tall. The mining has left hollow spaces under the town; from time to time the ground will rush out from under a house, the house collapsing, or a child will disappear, sucked under the ground. It is an odd, unearthly town, the landscape grey and moonlike, the population in steady decline17.
18Ici, le traducteur compare une ville appartenant à la réalité du lecteur, Picher, qui est effectivement une ville fantôme, à la fictionnelle Boya. L’absurdité d’une telle comparaison est un prétexte à l’émergence de figures gothiques dans la description de la ville, décor hanté qui enfouit ses habitants. On peut citer les mots « odd », « unearthly », « moonlike », qui caractérisent un paysage au bord de l’effondrement. Les allitérations en [], [f] et [k] renforcent cette impression de désagrégation. Les informations ici fournies par le traducteur font basculer la nouvelle, pendant quelques instants, dans le domaine de l’inquiétant. L’effet produit par le glissement opéré dans la narration met le lecteur dans une position inconfortable. Un nouveau monde insoupçonné émerge et vient perturber l’expérience de lecture jusqu’alors balisée. Un phénomène semblable se produit à la lecture du texte de Moran qui, lui aussi, tire le lecteur vers le domaine de l’étrange.
19Les figures de l’effacement et du recouvrement sont très présentes dans cette nouvelle. Après s’être procuré l’exemplaire original du guide touristique chez Moran, C. Stelzmann se rend compte qu’il a été copieusement annoté, voire parfois griffonné par le traducteur-auteur. Moran a en outre oblitéré les yeux d’A. Stelzmann sur une photo de sa carte d’identité que l’on retrouve page 70. Plus saisissante encore, la photo d’un cavalier est ainsi décrite : « The horse’s rider is word-ridden, unblemished only at the elbow, and his face has been drawn over and erased repeatedly until nothing remains except a grayish, dull, ovular absence »18. Un corps difficilement discernable, comme souvent dans la nouvelle et plus généralement dans l’œuvre de Brian Evenson, est décrit ici. L’expression « ovular absence » fait émerger l’image d’une fécondité impossible, d’un potentiel avorté qui attire l’attention non pas sur un futur envisageable, mais sur un présent vide, vain et stérile. De la même manière que les photos dans l’original de Moran sont « word-ridden », rongées par les mots, jusqu’à ce que l’image qui se trouvait là à l’origine soit indéchiffrable, témoin seulement d’une absence, le texte de la nouvelle est un travail de reproduction, d’effacement, et de recouvrement. Un jeu s’établit entre ce qui est visible et invisible puisque les différentes voix de la nouvelle effacent et recouvrent des éléments qui ne sont alors plus accessibles au lecteur, qu’il s’agisse du véritable contenu du guide touristique original, du rapport de Moran au texte de A. Stelzmann ou tout simplement du statut clinique et psychopathologique de C. Stelzmann. La secondarité du texte se fait manifeste, et attire l’attention du lecteur sur l’absence qu’elle met au jour. Ce dernier devient alors un enquêteur malgré lui, critique et analyste à la suite de C. Stelzmann. Dès lors, l’expérience de lecture consiste à faire émerger ce qui reste d’un texte antérieur qui aurait la primauté sur celui qui se trouve devant lui, maquillé par un palimpseste donné comme dispositif premier. Le texte appelle alors une lecture dé-liante, puisque les repères semblent détisser la matière de la nouvelle, au lieu de l’ancrer dans un monde stable.
Glissements, évitement, déconfort : expérience de la déliaison
20L’écriture déliée se fait tout d’abord manifeste dans la structure de la narration primaire. La forme de l’article universitaire utilisée ici a semble-t-il une portée esthétique plus que limitée : la démarche est clinique. Le lexique appartient à un niveau de langue très soutenu que l’on attend dans une production universitaire. Parfois, certains mots hissent le texte vers un registre plus affecté, presque désuet, par exemple lorsque C. Stelzmann qualifie Moran de « wastrel »19, emploie l’adjectif « ovular »20 là où « oval » aurait convenu, ou lorsqu’il utilise le mot « presagement »21 là où il aurait pu facilement utiliser le terme « omen ». De tels emplois abondent dans la nouvelle. Si cette utilisation du lexique permet à l’auteur de tirer le texte vers le domaine de la parodie, on peut aussi y voir une manière de faire dévier l’univers du texte. Le lecteur comprend le sens des mots, mais leur présence le trouble, puisque ces lexèmes sont inhabituels. Un glissement s’opère ainsi dans la langue, indice subtil de ce que Jean-Jacques Lecercle appelle « textual excess » dans The Violence of Language, et qui rappelle l’existence d’un « délire » inhérent au texte22. De manière plus radicale encore, des mots inventés se glissent dans le langage de C. Stelzmann qui, enragé par les théories postmodernes, les décrit comme « postmodern gobblygoo and pishradish »23.
21D’autres éléments participent à cet excès du langage chez Brian Evenson, notamment les incohérences qui se font manifestes au fil du texte, en particulier dans les passages cités en allemand et en espagnol. Si pour un lecteur non-germanophone ou non-hispanophone les énoncés semblent de prime abord acceptables, ils sont pourtant truffés de fautes de grammaire et de lexique. Un des exemples les plus marquants est le titre de l’ouvrage de A. Stelzmann lui-même, cité plus haut, auquel il semble manquer un mot puisque « Wirtshaftkundliches »24, qui semble être un nom commun puisqu’il commence par une majuscule, est en fait décliné comme un adjectif grâce au suffixe « –es », et n’existe pas dans le dictionnaire allemand. Il semble être un dérivé de « Wirtschaft », qui signifie « l’économie », auquel on a ajouté le suffixe inventé « –kundlich ». Bien évidemment, ces modifications ne sont pas directement accessibles à la première lecture. Elles fonctionnent comme des traces de ce que Jean-Jacques Lecercle appelle le « reste », fruit non pas d’une « corruption » mais d’une « conversion » du texte25.
22La nouvelle s’amuse à perdre le lecteur. C. Stelzmann décrit ainsi une photo se trouvant dans le livre original de son grand-père : « a picture of a charro, stray dogs following at his heels as he peers into the window of a train »26. La note suivante du traducteur est insérée après le mot « charro » : « in C. Stelzmann’s original, the word, in italics, is churro, the term for an elongated, sugar-sprinkled Mexican pastry. I have taken the liberty of substituting charro, the term he surely meant to use »27 La traduction de « churro » est ici donnée, alors que c’est un terme relativement connu du lectorat. Le traducteur l’explicite, contrairement au terme « charro », qui n’est pas employé par les anglophones. Le lecteur n’est donc pas plus capable d’imaginer ce que représente la photographie après cette explication.
23Ce procédé qui a cours tout au long de la nouvelle participe de la figure de l’évitement. Un « reste » est gardé pour plus tard, jamais explicité. Le texte fait constamment référence à des éléments qui sont inaccessibles au lecteur. Toutefois, c’est bien cette trace, cette absence manifeste à laquelle le lecteur ne peut pas de prime trouver un sens, qui caractérise la déliaison chez Brian Evenson. Selon Jean-Jacques Lecercle, la caractéristique première de ce « reste » est qu’il émerge dans le texte à travers les écarts de langue28. Il refait ici surface à travers la figure de l’évitement, puisque celle-ci permet de mettre l’accent sur ce qui est passé sous silence, plutôt que sur ce qui est explicité.
24Le texte de Moran, cité à de nombreuses reprises, pousse plus loin cette pratique d’une écriture déliée. L’erreur de C. Stelzmann est de tenter une lecture re-liante de ce texte, puisqu’il refuse de laisser se déployer la déliaison de la narration. Les extraits de Mexico sont résolument différents du reste de la nouvelle, tant en termes de genre qu’en termes de style. Moran décrit ainsi l’arrivée de son narrateur dans ce qui lui a été présenté comme « la cama de dientes »29, le lit de dents, traduit par erreur métonymique par C. Stelzmann comme « the chamber of teeth »30 :
25There was something odd about the walls, I could see from the flickering candle, but it was not until he thrust the candle near to both the walls and my face that I saw the wall studded with row upon row of teeth, some human, most animal. He took me from wall to wall and, stupefied, I saw each surface covered with teeth, the room always at my throat31.
26Dans ce scénario qui rappelle les rêves typiques de Freud où la perte des dents est associée à la masturbation, les structures qui semblent linguistiquement ou sémantiquement maladroites ou erronées (on peut citer « near to both the walls and my face » ou encore « the room always at my throat ») sont les signes d’une poéticité inhérente au texte, d’où s’échappe le « délire » dont parle Jean-Jacques Lecercle :
Crossing a linguistic frontier or attempting to displace it has roughly the same outcome as Freudian analysis, which brings the repressed material back to consciousness across the bar of censorship. This accounts for the strategic position of délire, as a form of literature that specializes in crossing frontiers, and that is also an expression of symptoms and attempts at bypassing censorship. In délire, the remainder is at work32.
27Ici, l’écriture produit du sens, mais au lieu de faire émerger une signification univoque et définitive, elle évoque au lecteur un agrégat de souvenirs et d’émotions.
28Plus loin, Moran décrit une scène claustrophobique au cours de laquelle son narrateur abandonne son compagnon, coincé entre les deux parois d’une grotte, sans lumière ni moyen de s’en extirper. Le passage consacré au « lit de dents » cité plus haut semble préparer en amont le lecteur à une expérience de lecture inquiétante, voire violente. Le détachement de la langue, son aspect presque cliniquement descriptif, est subtilement modifié, ce qui a pour conséquence de faire basculer le lecteur dans un entre-deux poétique, un inconfort langagier qui fait résonner un inconscient du texte chez le lecteur. Celui-ci l’amène à prendre part au récit. En effet, l’expérience de « déconfort » et le surgissement du « reste » forcent en quelque sorte le lecteur à remplir les blancs à l’aide de ses propres expériences et du travail de son inconscient.
29Si la déliaison est à l’œuvre dans cette nouvelle, il appartient au lecteur et à l’analyste, selon André Green, de re-lier le langage, une fois le « reste » mis au jour, puisque la lecture est un processus de ré-ancrage. Pourtant, j’aimerais proposer que la secondarité du texte, en tant qu’elle démontre ici sa propre artificialité, est en fait un processus tertiaire, une re-liaison mise en scène, déjà opérée dans la langue, qui ne serait en fait qu’un symptôme d’une déliaison plus profonde.
Miroir, résonances, excès : quel ré-ancrage possible ?
30Le texte, à de nombreuses reprises, se révèle métafictionnel. Cette nouvelle est une réflexion sur la traduction, mais aussi sur les dangers d’une analyse de texte menée trop près de son sujet, tant C. Stelzmann est obsédé par Moran et son texte. Alors qu’aujourd’hui la figure de l’auteur tend à être séparée le plus nettement de sa fiction par les critiques, le personnage de C. Stelzmann montre les dangers de l’excès inverse. La folie est la seule conséquence possible des actes de C. Stelzmann qui tente d’élucider le mystère du texte de Moran en s’introduisant chez lui par effraction et en cherchant toutes les traces possibles de l’existence de son grand-père dans les pages de son livre. La nouvelle se termine ainsi sur un énième « délire » de la part de l’universitaire allemand :
One might thus aptly conclude this brief study [Leistungwerk] with the final image Moran’s Mexico offers, a photograph tacked on to the end of the narrative […]. The photograph is attributed to “Stelz, Mexico,” and the caption reads simply “Das Doppelbild”33. It shows a bare patch of earth, hard and shiny, perhaps a sunlit section of the earthen floor of a house. Across it is spread a shadow. The curve of shoulders and arms, the shape of a torso, the beginnings of a head, are discernible yet distorted, as if the image is either beginning to focus or is coming asunder, moving toward greater collapse. It is for us to determine which it shall be: focus or collapse. Shall we choose the former and allow Moran’s Mexico, with its constructed narrator, to stand? Or shall we opt rather to dismember the text so as to see the face behind it, smothered under Moran’s words, but still addressing us nonetheless?34
31Le terme « Leistungwerk », qui n’existe pas dans le dictionnaire allemand, peut se décomposer ainsi : d’une part « Leistung » signifiant la réussite, l’exploit, et d’autre part le verbe « werken » voulant dire travailler de ses mains. Notre narrateur-critique serait donc celui qui travaille à la réussite de l’œuvre. L’ironie du texte est à trouver dans le fait que C. Stelzmann est lui-même un « narrateur construit ». Le caractère ironique de ce commentaire métatextuel nous amène à chercher une troisième voie, plus opérante que celles de la mise au point ou de la chute proposées par C. Stelzmann (« focus or collapse »).
32Arrêtons-nous sur l’« image double » qui est proposée ici. La figure du double ne jaillit pas de deux images distinctes mais d’une seule et même image. Les formes sont floues, déformées, et font émerger pour le lecteur un délire scopique qui l’invite à interroger les morceaux irréconciliables d’un corps tronqué. C’est précisément ainsi que fonctionne la nouvelle. Cette image qui reflète ses manquements à l’infini renvoie le lecteur à sa propre expérience du texte : des formes apparaissent, des pistes sont esquissées, des indices sont donnés, mais le texte s’écrit en miroir de ses propres silences.
33Le langage attire l’attention du lecteur sur sa propre matérialité. Il témoigne d’un ré-ancrage inscrit dans le texte, d’une manipulation qui bloque l’accès du lecteur au texte primaire. Brian Evenson utilise notamment des jeux de langage qui semblent évacuer une expérience de lecture intuitive au profit de la reconnaissance du trait d’esprit. On peut voir ce procédé alors que C. Stelzmann vilipende la réception du texte de Moran par les critiques américains :
The proliferation of such irritants has caused certain less-than-promising young American jargoneers to wax loquacious over what they call my grandfather’s “proto-postmodernism”, or his “avant-post-modernism”, or even “(pre)(post)modernism.” The latter term strikes me as the most apt, but only if the letters “e-r-o-u-s” are inserted between the “t” and the “m”35.
34Ce passage métatextuel et critique — le lecteur se rappelle que Brian Evenson n’est pas étranger au milieu universitaire — est un jeu sur la langue, la lettre, la superposition et la construction de nouveaux signifiants. La « prolifération » mentionnée ici peut être interprétée comme celle du texte, qui invite le lecteur à prendre part à son élaboration, puisqu’il est amené à réinsérer de nouvelles lettres, à engendrer un excédent. Mais cet extrait attire surtout l’attention sur l’artificialité du langage critique, et se joue de la vanité de la quête langagière menée par le chercheur. C. Stelzmann est un personnage qui prend tout au pied de la lettre. Son interprétation du texte de Moran est très littérale, à défaut d’être littéraire. La poésie du texte de Moran lui échappe justement parce qu’il n’est pas capable d’en faire une lecture dé-liante, mais seulement délirante. Ici, il fait émerger la matérialité du langage à son insu. Le texte montre un aspect plastique de la langue qui n’a pas pour but de produire un sens, mais bien de faire résonner la matière langagière elle-même.
35Ailleurs, c’est le travail sur la polysémie qui produit une langue qui génère une multiplicité d’interprétations possibles. Après avoir cité un extrait du livre de Moran dans lequel le narrateur suit un homme à travers les collines, C. Stelzmann propose le commentaire suivant : « This is resoundingly bad advice for travelers. Moran encourages them to take actions that will cause their throats to be cut »36. L’utilisation de l’adverbe « resoundingly » fait bien entendu référence ici à quelque chose qui est sans équivoque. Toutefois, il serait malheureux d’ignorer la polysémie du mot : « resounding » signifie aussi « retentissant », « qui fait écho ». Ici le texte de Moran résonne dans la critique de C. Stelzmann qui contribue malgré lui au surgissement des émotions contenues dans Mexico.
36Ici, le texte, en large part, fournit un excès de sens : trop de significations différentes, trop d’interprétations possibles jaillissent. À travers son narrateur, l’auteur pratique un excès de contrôle sur le texte, qui mime voire précède le travail de ré-ancrage normalement effectué par le lecteur. Puisque le narrateur est déjà « écrivain-lecteur » ou « lecteur-écrivain »37 de son propre récit, pour emprunter à nouveau les termes d’André Green, quel peut être le rôle du lecteur de cette nouvelle ? J’aimerais proposer que plutôt que de présider au surgissement d’un inconscient du texte, le rôle du lecteur est de faire résonner la multiplicité des inconscients du texte. Il ne s’agit pas ici de ré-ancrer la langue suite à une lecture dé-liante du texte, puisque ce travail est effectué (bien qu’artificiellement et de manière comiquement inadéquate) par C. Stelzmann, mais de faire émerger toutes les lectures dé-liantes possibles du texte.
37Dans cette nouvelle, Brian Evenson met en pratique une des formes spécifiques de la déliaison en fiction américaine ultra-contemporaine : l’excès de liaison. Le texte semble alors réagir à son propre langage. La conséquence est un excès, cette fois, de dé-liaison, qu’il appartient au lecteur de produire. L’expérience de lecture n’est pas tant un ré-ancrage qu’une réécriture, un ré-encrage, donc. Puisque le texte n’autorise aucune résolution, le lecteur met en pratique à plusieurs niveaux un travail du « reste », de l’absence manifeste qui fait référence non pas à une entité univoque mais à la totalité des signes effacés et recouverts.
Barthes Roland, Le Plaisir du texte [1973], Paris, Seuil, 2014.
Evenson Brian, « Moran’s Mexico: A Refutation by C. Stelzmann » [2004], The Wavering Knife, Tuscaloosa, University of Alabama Press, 2008.
Green André, « La déliaison », Littérature, no 3, vol. 3, 1971.
Lecercle Jean-Jacques, The Violence of Language, Londres, Routledge, 1990.
1 Roland Barthes, Le Plaisir du texte [1973], Paris, Seuil, 2014, p. 22-23 : « Texte de plaisir : celui qui contente, emplit, donne de l’euphorie ; celui qui vient de la culture, ne rompt pas avec elle, est lié à une pratique confortable de la lecture. Texte de jouissance : celui qui met en état de perte, celui qui déconforte […], fait vaciller les assises historiques, culturelles, psychologiques du lecteur ».
2 Brian Evenson, The Wavering Knife [2004], Tuscaloosa, University of Alabama Press, 2008, p. 65-79.
3 Ibid., p. 66.
4 Ibid., p. 65.
5 André Green, « La déliaison », Littérature, no 3, vol. 3, 1971, p. 37.
6 Ibid., p. 40.
7 Ibid., p. 34.
8 Brian Evenson, op. cit., p. 65.
9 Ibid., p. 68.
10 Ibid., p. 68.
11 Dictionnaire Larousse [en ligne] : https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/autorit%C3%A9/6838.
12 Ibid., p. 66.
13 Ibid., p. 66.
14 Ibid., p. 66.
15 Ibid., p. 66.
16 Ibid., p. 67.
17 Ibid., p. 72.
18 Ibid., p. 70-71.
19 Ibid., p. 65.
20 Ibid., p. 71.
21 Ibid., p. 71.
22 Jean-Jacques Lecercle, The Violence of Language, Londres, Routledge, 1990, p. 5.
23 Brian Evenson, op. cit., p. 68.
24 Ibid., p. 65.
25 Jean-Jacques Lecercle, op. cit., p. 9 : « What we first perceived as a corruption has turned out to be conversion ».
26 Brian Evenson, op. cit., p. 70.
27 Ibid., p. 70.
28 Jean-Jacques Lecercle, op. cit., p. 23.
29 Brian Evenson, op. cit., p. 73.
30 Ibid., p. 72.
31 Ibid., p. 74.
32 Jean-Jacques Lecercle, op. cit., p. 24.
33 Je traduis : l’image double.
34 Brian Evenson, op. cit., p. 79.
35 Ibid., p. 67.
36 Ibid., p. 74.
37 André Green, « La déliaison », Littérature, no 3, vol. 3, 1971, p. 34.
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Quelques mots à propos de : Maud Bougerol
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Maud Bougerol holds a PhD from the University of Rouen, entitled “Esthétique de la réserve in Brian Evenson’s novels and short stories”. It focuses on reception and reluctance. Her research in contemporary American literature led her to deliver lectures at the AFEA Conference in 2013 and 2016, respectively about cults in Evenson’s Last Days, and about posthuman wandering in Evenson’s short stories. She also participated in the 2015 International Brian Evenson Conference at the University Rennes 2 (proceedings of the conference to be published).