Sommaire
5 | 2020
Unmoored Languages
This volume explores the complex relations developing between a literary text and the world beyond the representational function. Not content to capture, narrate or describe the existing world, writers keep creating autonomous worlds and inventing new languages to account for yet unmapped territories and experiences. As the materiality of language and its poetic quality come out, the sounds, rhythms and visual effects of the text become living milieu rather than material or simple instruments subordinated to thought. Though the effect first produced upon the reader may well be of strangeness or obscurity, such unmooring of language warrants a valuable extension of language likely to bring back to the reader buried, unsuspected emotions and aesthetic experiences, should she be willing to adopt an open type of reading, more fluid than the automatic system of conventional associations on which reading largely relies. In this collection, writers and literary scholars from the U.S. and France focused on the nature of the mutations to which unmoored language is submitted, as well as on the various ways in which the text makes sense in spite of all. How to describe that which exceeds language rather than avoid the confrontation by relegating it into the vague category of the ineffable? Throughout, literary, linguistic or philosophical analyses have as their horizon the vision of language reflected by the unmoored text, as well as of the relations between language and the world.
- Anne-Laure Tissut et Oriane Monthéard Introduction
- Rob Stephenson Trans(positions)(mutations)(formations)itions
- Thomas Byers Weighing Anchors: The Pleasures of Readers
- Monica Manolescu Lectures de la déliaison dans The Flame Alphabet de Ben Marcus
- Stéphane Vanderhaeghe Tentative d’approche d’une fiction spéculative
- Léopold Reigner Interwoven readings: R. Brautigan’s Trout Fishing in America and R. Stephenson’s Passes Through
- Mélissa Richard Merged readings
- Sarah Boulet Shut up and fill in the gaps with something multifaceted
- Paule Lévy Lost in Translation : Figures de la déliaison dans Leaving the Atocha Station de Ben Lerner
- Judith Roof Jazz Mislaid Jazz: Rhythm has No Boundaries
- Yannicke Chupin “Unmoor your thinking for an instant” Autoannotation et déliaison dans The Mezzanine (Nicholson Baker) et Brief Interviews with Hideous Men (D.F. Wallace)
- Melissa Bailar Lipogrammatic Criticism: Inspirations from La Disparition
- Florian Beauvallet Les formes déliées de Kapow! d’Adam Thirlwell : avatars d’une pensée en mouvement
- Zach Linge “Theory of/and Original Writing After Deconstruction”
- Maud Bougerol Ré-ancrer la langue ? – “Moran’s Mexico: A Refutation by C. Stelzmann” de Brian Evenson
- Célia Galey-Gambier Sharing and Distributing the Sensible in Jackson Mac Low’s Dance-instruction-poems The Pronouns (1964)
5 | 2020
Lectures de la déliaison dans The Flame Alphabet de Ben Marcus
Monica Manolescu
Cet article propose une lecture du roman The Flame Alphabet (2012) de Ben Marcus en tant que déliaison et déstructuration active de certains modèles vénérables du langage, de l’enfance et de la transcendance, mais aussi méditation exubérante et iconoclaste bien que funèbre sur le langage, dans un univers romanesque qui repose entièrement sur le postulat d’un langage devenu toxique.
This paper offers to read Ben Marcus’s The Flame Alphabet against its premises, thus unmooring the stated destroying potentials of language from its performative, creative powers. This iconoclastic meditation on the double nature of language, between destruction and creation, open onto a larger reflection on a creative practice that keeps defining itself anew while exploring the potentials of the letter.
1Une brève incursion théorique dans la « déliaison » à partir de l’ouvrage de Sylvie Triaire sur l’esthétique de la déliaison chez Flaubert (2002) permet de saisir la nature paradoxale, négative et affirmative, du concept. Le préfixe négatif confère un pouvoir de fragmentation et de décomposition au terme, renvoyant au geste qui « défait les liages », à partir du latin « ligatio ». Il existe également un potentiel positif et affirmatif de la « déliaison » qui renvoie non pas à la racine verbale « ligare » (« lier »), mais à l’adjectif « delicatus », « qui charme les sens, attrayant », qui désigne la souplesse et la finesse. Dans le domaine de l’écriture, on peut évoquer les « pleins » et les « déliés » des signes typographiques ou calligraphiés, qui renvoient à la dimension physique de l’écriture, épaisseur contre finesse du trait.
2Dans son acception de rupture et de séparation, le terme connaît plusieurs théorisations marquantes dans différents domaines, notamment dans l’esthétique et dans la psychanalyse en lien avec l’interprétation littéraire. En esthétique, Marc Jimenez fait appel au concept de « déliaison » pour désigner la genèse de l’esthétique moderne et le processus de libération de celle-ci envers les influences des autorités religieuses et morales, qui lui a permis de se consolider en tant que domaine philosophique distinct à partir du xviiie siècle. Pour caractériser ce processus historique, Jimenez préfère le terme de « déliaison » à celui de « rupture », car ce dernier lui semble plus adapté à l’art moderne. Je retiens en particulier le fait que la « déliaison » rendrait compte de la lente évolution de l’esthétique en tant que champ, alors que la « rupture » désignerait une forme plus brutale et violente de séparation, marquée aussi par un élément de contestation1.
3André Green emploie ce terme pour examiner les modalités de lecture du texte littéraire dans une perspective psychanalytique2.
L’analyste, à partir des traces qui demeurent offertes à son regard-écoute, ne lit pas le texte, il le délie. […] En deçà des processus de liaison, il retrouve la déliaison que la liaison a recouverte. L’interprétation psychanalytique sort le texte de son sillon. Délirer = mettre hors du sillon. L’analyste délie le texte et le ‘délire’3.
4À la question « que fait le psychanalyste devant un texte » Green répond qu’il le soumet à deux types de lectures concomitantes, l’une rigoureuse et l’autre « flottante ».
La lecture rigoureuse se double ici d’une lecture lâche, lecture flottante. La lecture flottante n’est pas une lecture négligente, au contraire. Elle est attentive à tout ce qui est supposé tromper l’attente du lecteur. Elle suit les fils du texte […], mais en refusant le fil d’Ariane que le texte propose au lecteur. Ce fil est celui qui tend le texte vers son but, celui qui a le dernier mot, qui est le terme de son sens manifeste4.
5La déliaison serait donc une façon de lire le texte à rebours de l’évidence, sans se contenter de suivre de près les fils apparents, mais plutôt en faisant ressortir les fils invisibles ou imperceptibles qui se tissent dans l’épaisseur du texte. Je retiens donc cette notion de l’acte de lecture en tant que déliaison théorisée par Green, qui permettra d’interroger les possibilités d’une lecture déliée de The Flame Alphabet non pas dans une perspective psychanalytique, mais dans une perspective plus largement herméneutique qui nous encourage à douter du sens apparent du « langage toxique ».
6Les significations de la déliaison mises en évidence par Jimenez et Green (la déliaison en tant que forme insidieuse de rupture, la déliaison en tant qu’interprétation du texte à l’encontre de l’évidence) projettent deux perspectives négative et affirmative de la déliaison. Dans l’intervalle qui les sépare se joue toute l’ambiguïté du terme et aussi toute l’ambiguïté du projet de Ben Marcus dans The Flame Alphabet. Stéphane Vanderhaeghe souligne la nature double du langage chez Ben Marcus (sa « doublure »), à savoir son élan contre la mimésis, qui s’accompagne paradoxalement d’une intensification outrancière de celle-ci. La même tension contradictoire se donne à voir dans le fonctionnement de la déliaison marcusienne, qui repose sur une chorégraphie entre décomposition et recomposition, à savoir, dans le cas de The Flame Alphabet, sur une tension entre le langage présenté comme nocif et destructeur et le langage qui, dans la lettre même du texte, exhibe sa cohérence et son pouvoir d’agrégation.
7La forme de déliaison la plus élémentaire introduite par The Flame Alphabet est de nature mimétique et relève du cadre spatial de la narration : une Amérique vaguement reconnaissable, contre laquelle se projette un récit dont le principe de progression est celui de la dégénérescence inexorable des corps et des esprits souffrant d’une forme de pathologie fatale, provoquée d’abord par la parole des enfants, puis par toute forme de langage lu, parlé et écrit5. Fable philosophique et esthétique, The Flame Alphabet invente un univers qui ne cesse de nourrir une réflexion méta-linguistique dans le médium du langage lui-même, créant donc une spirale de l’auto-référence que même le silence ne peut rompre, le silence étant dans le roman une forme de langage parmi d’autres.
Le pouvoir du langage : corps et maladie
8En reliant parole et maladie, en inventant une maladie provoquée par la parole, Marcus s’inspire des religions où le langage est doté d’un grand pouvoir de transformation et de performativité, en particulier le judaïsme. Des références aux textes bibliques sont disséminées dans le roman, dans les nombreux exposés savants qu’affectionne le narrateur, qui rappellent l’érudition parodique de Borges, Calvino et Nabokov, manifeste dans les titres de chroniques anciennes inexistantes, d’auteurs inventés, de précis pédants d’histoire, de botanique ou de linguistique. On trouve le procédé chez Borges dans Tlön, Uqbar, Orbis Tertius (1940), chez Nabokov dans Ada (1969) ou chez Calvino dans Si par une nuit d’hiver un voyageur (1979).
9Les Psaumes et l’Apocalypse servent de références dès les premières pages, avec leur insistance sur le pouvoir de vie et de mort de la parole et surtout du nom de la personne, sauf que les citations sont apocryphes (pour ainsi dire) : « And they were killed with their own names », « Beware your name, for it is the first venom » (12). Le discours crée ses propres références en suivant la rhétorique biblique de l’avertissement et de la prophétie. La référence biblique n’est pourtant que superficielle, une illusion métaphysique, car le Logos tout puissant, qui inscrit son emprise de vie et de mort dans la création et la destruction, se décline ici selon le paradigme d’une parole toxique. C’est une des déliaisons opératoires de Marcus, qui transfère la parole biblique d’un régime de la présence et de la puissance vers un régime de la contamination et de la déshérence. Ce régime rappelle la fiction gothique et ses avatars dans la science-fiction, comme par exemple dans I Am Legend de Richard Matheson (1954). La narration du contact viral imaginé par Matheson, avec ses projections dans un monde post-apocalyptique et post-humain inspiré par la guerre froide, est réinventée par Marcus selon les modalités d’un genre nouveau, que l’on pourrait appeler « le gothique du langage ». Chez Matheson, le vampire traditionnel est réinventé en tant qu’objet d’étude scientifique, et devient le fruit des mutations subies par les humains suite aux guerres chimiques et à la pollution. Chez Marcus, la vampirisation se fait de manière plus subtile et plus inexorable, par le biais d’actes de langage : la parole affaiblit le corps et l’esprit, et tue, en fin de compte. La notion d’une parole toxique et mortelle contredit les croyances anciennes au sujet du langage comme prémisse de la vie et du maintien en vie : selon la légende, des enfants élevés en silence, sans aucune présence langagière dans leur entourage, selon les ordres du roi Frédéric II de Prusse, avaient tous dépéri.
10La maladie du langage chez Marcus se situe au-delà de la signification des mots, au-delà de la bénédiction, comme de la malédiction, qui dans la Bible sont les actes langagiers les plus hautement performatifs, avec les miracles réalisés par la parole. Le narrateur insiste sur le fait que le sens des mots n’est pas en cause, car il n’a jamais eu de pouvoir : « She might have thought it was what she said that hurt us : the actual words in their scathing specifics, as if meaning itself ever had that kind of power » (20). Dans l’ubiquité toxique du roman, les mots tombent dans une catégorie générale où ils s’uniformisent en tant qu’agents pathologiques, indépendamment de leurs significations individuelles.
11Le thème de la transcendance langagière (déchue) croise dans le roman le thème hébraïque et celui de la judaïté. Le narrateur et sa femme font partie d’une secte mystérieuse de juifs sylvestres, qui gardent leurs rituels secrets et, cachés dans des trous creusés dans le sol, écoutent, à l’aide d’un équipement complexe de câbles et d’écouteurs, les sermons du bien nommé Rabi Burke (rappelant Edmund Burke et son traité sur la nature du sublime). Ces sermons perdent leur attrait au fil du texte et leur source transcendante est remise en question. Le trou creusé dans le sol, alors qu’il promettait la plénitude d’une parole venant d’en haut, devient une forme vide, un creux, une béance où le personnage s’engouffre pour traverser des tunnels d’une noirceur labyrinthique. Tous les alphabets s’avèrent toxiques, mais l’alphabet des flammes, référence à l’alphabet hébraïque6, garde son pouvoir de fascination pour le narrateur. Celui-ci s’attelle à un long travail artisanal sur différentes matières et utilise différents instruments pour créer une lettre inexistante dans l’alphabet des flammes, une lettre nouvelle qui contiendrait toutes les autres, une sorte d’Aleph borgesien, sauf que, ironie suprême, cette lettre artisanale est elle aussi un véhicule mortifère, qui achève Claire, la femme du narrateur.
12La transformation opérée par le langage s’inscrit dans le régime de la maladie nauséabonde, qui émerge dans une exploration minutieuse du corps en décomposition, dominée par une insistance sur le dégoût. Marcus appartient à une lignée de représentations du corps comme source et médium du dégoût particulièrement bien illustrée par les modernistes. Le changement qu’on entend dans l’impératif « Listen for a change » (60), de la bouche de Claire, est aussi le changement du corps en déclin, qui se donne à voir et à sentir dans ses aspects les plus repoussants suite aux attaques de la parole. Le langage ne terrasse pas de façon fulgurante, comme lors de certaines morts subites dont il est question dans les Psaumes7, mais dans une lente agonie entropique. La « déliaison » lente et insidieuse évoquée par Jimenez semble particulièrement appropriée, à l’opposé de la violence de toute « rupture ». Les symptômes exhibés par les parents souffrants sont difficiles à exprimer au début, mais donnent lieu par la suite à des explorations phrastiques de plus en plus élaborées, obsessionnelles dans leur insistance sur les sensations corporelles et les perspectives organiques abjectes : « Pain is too soft a word for the reaction. Crushing was more accurate, an intolerable squeezing in the chest and the hips, though I didn’t have measurements to support the claim » (4). Tout au long de la première moitié du roman, le mari aide sa femme à se nourrir et à se maintenir en vie, dans des passages d’une écriture minutieuse, qui décompose chaque geste et magnifie chaque détail :
I helped Claire downstairs and tried to get her to eat. I pushed some eggs at her, even though I knew that soon I’d be scraping those eggs into the trash. I gave her the sippy cup of juice and forced her hand around a piece of bread. She did not fight my attentions. I pulled her over to the sink and cleaned off what I could. A yolk stain at the corner of her mouth resisted my rough scrubbing until I realized it was no stain, but jaundice blooming under her skin. (5)
13Chorégraphie domestique qui n’est pas dépourvue d’une certaine tendresse, cette scène où la mère devient un enfant mélange tache de nourriture et tache corporelle, le jaune d’œuf et la jaunisse, la nourriture, la salissure et la maladie dans un enchaînement troublant. L’adjectif « blooming » complexifie et problématise la phrase, avec sa suggestion d’un jaune floral, de nature végétale, qui pousserait dans la chair, sous la peau8. Fleur, corps, maladie et aliment se combinent dans cette métaphore stratifiée de la tache douteuse, résultat de la maladie linguistique. Le procédé de la liaison n’est donc pas absent de l’écriture de Marcus, on le voit dans de telles explorations minutieuses, mais il demeure localement valide, car au niveau supérieur, The Flame Alphabet en tant que système et en tant que vision romanesque joue sur la défaite ample et assurée des liages qui retiennent le langage dans un réseau historique d’interprétations.
14Tiraillé symboliquement entre les fluides corporels, les déchets alimentaires et les taches organiques, le corps de la femme se raidit et se rétrécit, et seul un geste mécanique du mari permet de lui redonner un semblant de sourire : « With my fingers I tried to reshape her mouth. […] Her face had the weight of clay » (98). Encore un geste de déliaison, ce modelage du potier qui travaille le visage de sa femme devenu matière inerte, argile brute, incapable d’expression, rappelle le travail du créateur, mais d’un créateur sans pouvoir de guérison ni de vie. Multipliant les références performatives aux actes de langage et aux actes de transformation de la matière, le roman questionne sans arrêt le pouvoir du langage et le pouvoir de la fiction à créer dans le sens monumental (exegi monumentum), durable et constructif de la tradition, insistant sur la faiblesse, l’inefficacité et la négativité.
15La démarche d’écriture est elle aussi remise en question, présentée comme une forme de souffrance physique, une entaille des lettres dans le corps même de celui qui écrit : « There was something blackening to the act of writing words, like carving into flesh. My hand felt foreign. It would not cooperate » (135). La main séparée du corps, qui refuse d’obéir, fait écho à la main qui tente de redonner un vague sourire éphémère à la femme moribonde. Le corps est le lieu d’inscription douloureuse de la parole et de l’écriture, matière morcelée, en pleine dégradation, qui ne peut pas se régénérer.
Enfance et déliaison
16Après le modèle mystique du langage biblique dont Marcus détourne les tropes, un deuxième modèle mis à mal est celui d’une certaine représentation romantique et consensuelle de l’enfance. Le langage devient menace (« the threat of language », 109) dans la bouche des enfants, qui comprennent vite qu’ils jouissent d’un pouvoir langagier redoutable et s’en servent sans états d’âme. Cette rupture que Marcus opère avec violence dans la représentation de l’enfance conduit à l’émergence d’une vision troublante non seulement de l’enfance, mais aussi de la famille et des relations parents-enfants, affectées par la maladie du langage qui rend ceux-ci vulnérables les uns aux autres, capables de se supporter seulement en silence.
17L’adage romantique bien connu, « The child is father of the man »9, avec son idée de l’enfant source de sagesse et incarnation de l’innocence, a bien évidemment été écorché par la psychanalyse et par certaines représentations littéraires ambiguës de l’enfant. Mais Marcus va encore plus loin dans la transformation de l’enfant en représentant la fille du couple, Esther, comme une figure monstrueuse et belliqueuse, dépourvue d’émotion et de toute conscience de la filiation, qui se nourrit de l’acharnement contre ses parents. Le narrateur l’imagine mal vivre sans eux, à savoir sans l’objet de sa haine : « I worried for her without a world of older people to loathe » (154). Les parents, eux, ne dérogent pas à une certaine idée conventionnelle de la responsabilité et de l’affection parentale, même s’ils sont obligés de se tapir dans une petite cachette obscure sous l’escalier de leur maison qu’ils appellent « grotte » (« cave », 106) pour échapper à leur fille, dans une version domestique du gothique. Ils décident finalement de la quitter pour tenter d’échapper à la souffrance d’origine linguistique qu’elle leur inflige. D’ailleurs l’ensemble des adultes, dans une scène cauchemardesque, laissent derrière eux leurs enfants pour échapper ainsi à la mort.
18Le narrateur présente la vie domestique, la vie de la famille comme une série de tortures où chaque moment se mue en une forme de contagion et de contamination sous le contrôle de l’enfant devenu agent de la maladie et tortionnaire d’un genre nouveau, qui agit sur ses parents par le simple fait de parler. C’est le cas du dîner familial, du pique-nique ou de la fête d’anniversaire, autant de moments conventionnels de socialisation familiale. La famille en elle-même se mue en unité privilégiée de contamination. Le narrateur cite un certain Jacob Gallerus (vraisemblablement inventé), qui, au début du xixe siècle, identifia sa propre famille comme source de maladie et qui déconseilla par conséquent le dialogue interfamilial, vu comme une forme d’inceste malsain : « a form of inbreeding, he called it, to listen to his family » (83).
19Le dîner familial, dans The Flame Alphabet, est un moment douloureux de déliaison, où le partage traditionnel de parole et de nourriture donne lieu au déperissement des parents, qui se blottissent en eux-mêmes et résistent en silence : « Dinner provided the first localized site of language exposure » (38). La bouche d’Esther devient le lieu honni d’où s’échappe une parole infestée : « From Esther’s mouth came something that was causing a chemical disruption, like a mist borne on the climate » (38) ; « There was a soiled quality to her words, something oily that made them, literally, hard to wear » (39). Le narrateur écarte la métaphore comme procédé et processus de transfiguration et propose à la place une compréhension de la parole comme littéralement huileuse, collant à la peau, impossible à détacher. La parole devient substance pulvérisée, matière fine atomisée qui se répand dans l’air et attaque le corps et l’esprit. Soumise à l’attaque d’un simple monologue de sa fille, la mère se retranche en elle-même : « she had vanished into herself, ghosted out […]. In her eyes I saw nothing. They had gone to glaze » (39). La parole qui colle à la peau, dégoûtante et corrompue, devient une potentielle expérience impure pour le lecteur, qui est immergé dans l’univers naturaliste de la pourriture et du déchet. Lors du même dîner où la mère chancelle sous les paroles de sa fille, le père fait partager au lecteur une vision de son assiette comme immanence organique insupportable : « my food, some kind of porridgy loaf that was supposed to be a risotto, oozing over my plate like the inner mush of an animal, was bringing up my own small swell of nausea » (39). La parole littéralement négative dans The Flame Alphabet se donne à entendre et à voir dans des sonorités en chaîne, dans les formes matérielles des lettres qui se propagent telle une contamination. La lettre « o » se dédouble dans « risotto », « oozing » et « food » comme pour signifier matériellement la béance d’une bouche ouverte, démultipliée, la béance de la bouche de l’enfant et des plaies qu’elle provoque.
20L’enfant, bien que déchu de son statut de modèle d’innocence et de pureté, demeure jusqu’à un certain point une figure intouchable et invincible, à nouveau sur la base d’un verset biblique inventé par Marcus : « No one cared to connect the line from Lamentations that declares ‘And not one child fell to the plague’ » (16). Seuls les enfants demeurent à leur domicile, seuls survivants de ces jours apocalyptiques (« in our final days », 88), tels des guerriers qui dressent des barrières infranchissables pour les parents : « creating barriers of speech so putrid you could not cross them » (88). Le narrateur finit par rejeter le terme même d’enfant, car les mutants ne correspondent pas à l’idée, obsolète dans le roman, de l’enfance : « The children — they should have been called something else — barked toxic vocals through megaphones as they held hands in the street » (96).
21A ceci près que les enfants ne peuvent pas échapper à la progression lente du temps et, vers l’adolescence, perdent leur immunité à la parole et tombent malades à leur tour. Telle Esther, la fille du couple, qui partagera le sort habituel des adultes victimes du langage. Dans la veine combinée de la science-fiction, du roman d’horreur à teinte médicale et du roman noir, les enfants deviennent victimes d’un processus atroce d’extraction d’un sérum d’immunité appelé « jeu d’enfant » (« childplay »), qui sert aux adultes d’antidote à la maladie. L’enfant est à la fois bourreau et victime, et c’est ce sérum qui permet au narrateur d’écrire les pages que nous lisons sans succomber à la malédiction de la lettre écrite. Vengeance de l’adulte et défaite définitive de l’enfant sur le plan de la représentation, l’extraction du sérum se lit comme une forme de justice poétique, éthiquement douteuse, bien sûr, mais efficace sur le plan esthétique, car seul ce sérum permet de supporter le langage et de le manier. Toute production discursive résulte donc d’un acte de violence envers des enfants, les seuls en possession du « jeu d’enfant » et de ses pouvoirs d’immunisation10. Cette perversité aux origines du discours accroît le malaise du lecteur, qui comprend désormais que dans cet univers tout usage de la parole repose sur le fait d’avoir tué ou d’être tué soi-même. Un lien fort se tisse entre langage et mort, entre langage et souffrance physique, entre langage et torture, ce qui confère à l’acte d’écriture et de lecture une dimension éthiquement négative, intolérable.
Ne plus écouter, ne plus lire : lecture et déliaison
22Ce sont la bouche et l’oreille qui souffrent le plus dans The Flame Alphabet, même si tout le corps est globalement meurtri. Si la bouche fait le choix du silence, l’oreille, elle, ne peut pas se protéger durablement, sauf à renoncer à l’ouïe dans un geste d’une violence mémorable, où le narrateur tente de se percer le tympan avec une aiguille. Il ne s’agit pas d’une simple automutilation psychotique, mais d’une tentative pour projeter le corps au-delà du langage, dans un régime de la surdité ou du mutisme volontaires :
(I would) drive a needle into my head so that I could deafly handle the vocal cloud of a child. The pain was deep. For a moment I heard distant crying. A person, a bird, a siren. Warm liquid filled my ear, poured down my face. I touched it, expecting to draw back bloody fingers, but the liquid was clear. Clear and warm. LeBov’s needle didn’t work. I could hear perfectly from the punctured ear. I only hollowly contemplated approaching the other ear with the needle, ramming it in to balance the pain. (132-133)
23Le geste reste pourtant sans conséquence et le personnage est soumis jusqu’à la fin à la torture de la parole, soulagé seulement par le sérum extrait des corps des enfants. Dans la dernière partie du roman, interné dans une institution hybride, moitié hôpital, moitié pénitencier (qui n’est pas sans rappeler l’institution qui clôt I Am Legend de Richard Matheson), il voit d’autres patients obligés de porter des casques, probablement soumis à des séquences sonores douloureuses. Le narrateur les appelle des « martyrs du langage » (164). Marcus se place dans cette perspective du langage en tant qu’instrument de torture et du corps mutilé afin d’échapper à la parole, introduisant ainsi la déliaison suprême, celle où l’individu serait volontairement imperméable au langage parlé car organiquement impuissant à le recevoir et à l’émettre. Marcus revisite peut-être des versions mystiques ou esthétiques du renoncement aux sens comme voie vers la transfiguration intérieure. Le lecteur serait peut-être lui aussi tenté d’échapper à la lecture, de se soustraire à un discours qui ne cesse de présenter le langage comme véhicule et instrument de la douleur et de l’affaiblissement. « Ne plus écouter » serait alors synonyme de « ne plus lire », renoncer à participer aux rituels langagiers de la torture sans cesse présentés par le roman. Le roman semble ainsi suggérer une dynamique qui va paradoxalement contre sa propre nature, contre le partage et la réception. La surdité, la cécité et le mutisme deviennent alors des maladies qui permettent d’échapper au langage et de rester en vie, mais leur bénéfice devient manifeste seulement au fil de la lecture, lors d’une réflexivité perverse du langage qui met en garde contre lui-même.
24Cette scène de l’oreille percée fait penser à une autre, tirée du roman Mon nom est Rouge d’Orhan Pamuk (1998), où le Maître Osman, le miniaturiste en chef du sultan Mourad III, dans l’Istanbul du xvie siècle, pénètre avec émerveillement dans la bibliothèque remplie de milliers de manuscrits, et, ne souhaitant plus revoir le monde, se perce les yeux avec une aiguille qui avait déjà servi, quelques décennies auparavant et dans le même but, à Behzad, autre grand miniaturiste :
Comme on perce l’extrémité d’un œil d’autruche pour le vider avant de le peindre, posément et avec force, j’ai enfoncé sans hésiter la pointe de l’aiguille dans ma pupille droite. Le malaise que j’ai ressenti venait non de la sensation, mais de la vision de ce que j’avais fait. Après l’avoir enfoncée sur la longueur d’une phalange, j’ai retiré l’aiguille. […] J’ai procédé, en souriant, au même travail sur mon autre œil. Puis je me suis tenu un long moment sans bouger ; à regarder le monde, chaque objet. […] Qu’y a-t-il de plus beau que de se rappeler le monde, sans cesse, tel qu’il est vu par Dieu, en regardant les plus belles miniatures 11 ?
25Il s’agit aussi pour le Maître Osman d’exprimer sa fidélité envers un certain modèle de représentation ancestrale, qui sera vraisemblablement influencé et remplacé par le modèle occidental de représentation. La cécité de l’artiste est ici une forme de bonheur superlatif qui permet de préserver l’image pure dans l’esprit, sans que la prétendue impureté du monde et l’impureté des représentations jugées corrompues ou douteuses viennent troubler cet idéal.
26On retrouve une réflexion sur le langage en tant que virus chez William Burroughs, en des passages disséminés dans grand nombre de ses écrits, à tel point qu’une anthologie de ses textes s’intitule Word Virus. Voici un exemple tiré de « Operation Rewrite », texte inclus dans le roman The Ticket That Exploded (1962) :
The word is now a virus. The flu virus may once have been a healthy lung cell. It is now a parasitic organism that invades and damages the lungs. The word may once have been a healthy neural cell. It is now a parasitic organism that invades and damages the central nervous system. Modern man has lost the option of silence. Try halting your sub-vocal speech. Try to achieve even ten seconds of inner silence. You will encounter a resisting organism that forces you to talk. That organism is the word12.
27Malgré une convergence similaire entre parole et maladie chez Burroughs et Marcus, Burroughs semble idéaliser le silence et le considérer dans une relation de rupture par rapport au langage, alors que chez Marcus le silence est une forme de langage.
28Face au roman de Marcus, la difficulté majeure consiste à interpréter l’ambition d’arriver à un état d’existence non-linguistique, où le langage existerait simplement comme latence et ne s’actualiserait pas. Se projeter au-delà du langage ne rime pas, dans The Flame Alphabet, avec un état idéal pré-linguistique. La mémoire traumatique de la contagion linguistique empêche toute forme d’idéalisation. Marcus ne cesse de défaire les modèles forts du langage pour placer celui-ci dans une contingence organique marquée par une déshérence que le langage lui-même accélère et aggrave. Le lecteur suit ce déclin d’origine linguistique, et l’expérience de lecture devient expérience de contamination, mais c’est une expérience paradoxalement forte, alors que le langage lui-même dans The Flame Alphabet est source d’affaiblissement inexorable. Placer le langage du côté toxique et allergène alors qu’il est la matière même d’un tour de force linguistique spectaculaire relève d’une ironie toute marcusienne. Je vois dans cette ambiguïté l’horizon positif de la déliaison que j’évoquais au début de mon article, là où le langage est médium privilégié d’expérimentation. La lecture flottante ou « lâche », la lecture-déliaison de Green permet de lire The Flame Alphabet contre son sens manifeste, à savoir comme un discours sur le langage dont la nature et le fonctionnement contredisent l’idée centrale d’un langage toxique, porteur de négativité et agent de la négation. Une telle lecture rappelle la façon surprenante dont Nabokov interprète le refus de Tatiana à Eugène Onéguine dans les notes à sa propre traduction du poème de Pouchkine. Nabokov, attentif à toutes les nuances de cette partie du texte, lit dans le rejet de Tatiana le sens opposé :
(Tatiana’s) answer to Onegin does not at all ring with such dignified finality as commentators have supposed it to do. Mark the intonations in XLVII, the heaving breast, the broken speech, the anguished, poignant, palpitating, enchanting, almost voluptuous, almost alluring enjambments, a veritable orgy of run-ons, culminating in a confession of love that would have made Eugene’s experienced heart leap with joy13.
29Lire l’acceptation et la déclaration implicite d’amour dans ce rejet, c’est aller à l’encontre de l’évidence, refuser le fil d’Ariane que Green se propose de manière programmatique de ne pas suivre afin de libérer d’autres fils du texte, plus subtils et plus enfouis. De la même manière, nous pourrions lire The Flame Alphabet à rebours de son postulat, opérant ainsi une déliaison insidieuse entre la potentialité négative déclarée du langage et son pouvoir performatif et de création. La négation serait alors une forme d’assertion ou d’affirmation, la « liaison » toujours visible au sein de la « déliaison ». La quête d’une lettre non toxique et d’un langage non mortifère serait un reflet lointain et dégradé, mais non moins authentique et brûlant, des quêtes de la langue parfaite dans la culture européenne que décrit Eco dans son étude du même nom (1994).
30Ceci rappelle aussi l’ambiguïté constitutive de la théorie et de la pratique du langage que l’on trouve dans un roman comme As I Lay Dying (1930), où la voix d’Addie fait irruption d’outre-tombe pour exprimer une grande méfiance envers les mots, vus comme vides de sens et abjects : « words are no good, words don’t ever fit even what they are trying to say at », « words like spiders dangling by their mouths from a beam, swinging and twisting and never touching »14. En même temps, comme l’explique David Rampton, cette méfiance envers le langage s’exprime paradoxalement dans un langage qui suggère le contraire :
Addie’s impatience with language — “words dont ever fit even what they are trying to say at” — is often cited out of context as Faulkner’s own. She may think little of words and finish her sentences with superfluous prepositions, but she is very good at using them to convey what she is thinking, and the person who puts them in her mouth seems impressed by their power and quite good at demonstrating it too15.
31Tout comme la réponse négative de Tatiana à Eugène lue par Nabokov à rebours de son sens manifeste, la méfiance exprimée par Addie envers le langage serait une démonstration ambiguë du potentiel du langage.
32The Flame Alphabet, tout en parodiant les quêtes mystiques de la Kabbale, met au centre du discours une quête nourrie par la lettre. Cette quête est plutôt individuelle que collective. Dans les pages qui évoquent le travail artisanal sur l’invention d’une nouvelle lettre de l’alphabet hébreu, Marcus nous livre l’esquisse d’un projet esthétique fondé sur la création individuelle et non pas sur les visions systémiques, religieuses, philosophiques, historiques du langage : « We make the language in our own image » (244). La lettre à l’image du créateur (sans majuscule) est fondamentalement une forme d’expérimentation, une démarche exploratoire humble qui tente de pousser le médium linguistique vers ses limites pour le questionner, et le donner ensuite à lire et à entendre sous un jour nouveau. Ce que le narrateur appelle « my experimental letter » (223) n’est pas un signe mystique, mais un artefact banal fait de matières simples, fil, fer et cuir, obtenu après des heures de travail. Cette lettre expérimentale, où se retrouvent toutes les autres lettres de l’alphabet comme le veut la tradition, est peut-être une image du roman lui-même, synthèse de toute l’histoire culturelle du langage, signe ambigu d’une création qui cherche sans arrêt à se redéfinir et ne cesse d’explorer le potentiel de la lettre.
La Bible, Traduction œcuménique, Paris, Éditions du Cerf, 2004.
Eco Umberto, La Recherche de la langue parfaite dans la culture européenne, trad. Jean-Paul Manganaro, préf. Jacques Le Goff, Paris, Seuil, 1994.
Faulkner William, As I Lay Dying (1930), ed. Michael Gorra, New York / London, Norton, 2010.
Grauerholz James & Silverberg Ira (dir.), Word Virus. The William Burroughs Reader, New York, Grove Press, 1998.
Green André, « La déliaison », Littérature, no 3, 1971, p. 33-52.
Jimenez Marc, Qu’est-ce que l’esthétique ?, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1997.
Marcus Ben, The Flame Alphabet, London, Granta, 2012.
Matheson Richard, I Am Legend (1954), New York, Tor Books, 2007.
Pamuk Orhan, Mon nom est Rouge (1998), trad. Gilles Authier, Paris, Gallimard, 2001.
Pullman Philip, The Golden Compass, New York, Knopf, 1995.
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Rampton David, William Faulkner. A Literary Life, New York, Palgrave Macmillan, 2008.
Triaire Sylvie, Une Esthétique de la déliaison : Flaubert 1870-1880, Paris, Honoré Champion, 2002.
Unterman Alan (editor and translator), The Kabbalistic Tradition. An Anthology of Jewish Mysticism, Harmondsworth, Penguin Books, 2008, édition électronique.
Vanderhaeghe Stéphane, « Ben Marcus & the Question of Language (Some Notes & a Parenthesis) », Revue française d’études américaines, no 135, 2013/1, p. 66-79.
Vanderhaeghe Stéphane, « The Age of Wire and String de Ben Marcus: une langue en déshérence », Revue française d’études américaines, no 137, 2013/3, p. 108-118.
Wolfson Elliott R., Language, Eros, Being. Kabbalistic Hermeneutics and Poetic Imagination, New York, Fordham University Press, 2005.
1 Marc Jimenez, Qu’est-ce que l’esthétique ?, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1997. Voir aussi la discussion de la déliaison chez Jimenez que l’on trouve chez Triaire, p. 60-64.
2 André Green, « La déliaison », Littérature, no 3, 1971, p. 33-52.
3 André Green, op. cit., p. 38. Voir aussi les commentaires sur le modèle de la « déliaison » proposé par Green chez Triaire, p. 65-70.
4 André Green, op. cit., p. 37.
5 Pour résumer l’intrigue, dans The Flame Alphabet, le langage est devenu littéralement toxique. Les enfants sont la source de ce poison linguistique : leurs voix et paroles rendent les adultes malades. Le protagoniste, Sam, et sa femme, Claire, souffrent de la maladie que leur inflige leur fille, Esther. Le roman se passe dans une Amérique dystopique. Un aspect important consiste à présenter des communautés et des individus juifs qui se cachent dans des huttes construites secrètement dans la forêt pour entrer en contact avec des sources de sagesse religieuse, notamment un rabbin nomme Burke, par le biais de transmissions radio. Alors que la société entre en phase de désintégration, les parents fuient leurs enfants pour éviter l’aggravation de la maladie. Sam est capturé et enfermé dans un camp/laboratoire de recherche où il tente d’inventer de nouvelles formes de langage non toxiques.
6 En effet, dans la tradition de la Kabbale, l’hébreu et les lettres de l’alphabet hébreu ont un pouvoir indéniable et sont un reflet du monde spirituel fait de lumière : « For the mystics language itself and even the Hebrew letters are a symbolic reflection of that spiritual world of light ». Alan Unterman (editor and translator), The Kabbalistic Tradition. An Anthology of Jewish Mysticism, Harmondsworth, Penguin Books, 2008, édition électronique. Voir en particulier le chapitre 5. Il est nécessaire de souligner qu’il s’agit bien de l’hébreu en tant que langue perçue, dans la tradition mystique, comme naturelle et non pas conventionnelle, essentielle et non pas contingente. Voir Elliott R. Wolfson, Language, Eros, Being. Kabbalistic Hermeneutics and Poetic Imagination, New York, Fordham University Press, 2005, p. 207. Dans la tradition mystique de la Kabbale, le nom de Dieu est à l’origine de tous les autres mots et il est censé contenir toutes les lettres de l’alphabet : « The twenty-two letters are depicted as branches stemming from a tree whose trunk is inscribed with YHWH, the root word that is the origin of all language, the mystical essence of Tora » (Wolfson, 208).
7 Voici deux exemples tirés des Psaumes : « Que la ruine fonde sur eux ! Qu’ils descendent vivants aux enfers, car la méchanceté est chez eux, elle est en eux » (Psaume 55,16) ; « Tu caches ta face, ils sont épouvantés ; tu leur reprends le souffle, ils expirent et retournent à leur poussière » (Psaume 104, 29).
8 Ceci fait penser à L’Écume des jours de Boris Vian et au nénuphar qui pousse dans le poumon droit de Chloé.
9 William Wordsworth, « My Heart Leaps Up » (1807).
10 La violence envers les enfants mise en scène dans un cadre de laboratoire de recherche et d’expérience médicale rappelle un thème présent dans la fiction du genre fantasy pour adolescents, notamment dans le traitement de l’« intercision » dans le premier volume de la trilogie His Dark Materials de Philip Pullman, intitulé The Golden Compass (publié au Royaume-Uni sous le titre Northern Lights) en 1995.
11 Orhan Pamuk, Mon nom est Rouge, trad. Gilles Authier, Paris, Gallimard, 2001, p. 450-451.
12 James Grauerholz & Ira Silverberg (dir.), Word Virus. The William Burroughs Reader, New York, Grove Press, 1998, p. 208.
13 Vladimir Nabokov, in Aleksandr Pushkin, Eugene Onegin. A Novel in Verse (1823-1831), trad. Vladimir Nabokov (1964), Princeton, Princeton University Press (Bollingen Series), revised edition, 1975, vol. 3, p. 241.
14 William Faulkner, As I Lay Dying, ed. Michael Gorra, New York / London, Norton, 2010, p. 99.
15 David Rampton, William Faulkner. A Literary Life, New York, Palgrave Macmillan, 2008, p. 50.
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Quelques mots à propos de : Monica Manolescu
Université de Strasbourg — EA SEARCH
Monica Manolescu is a professor of American literature at the University of Strasburg. Her research focuses on 20th century and contemporary American literature and also on 20th century and contemporary American art. She has published two books on Vladimir Nabokov (Presses Universitaires de France, 2009 and Presses Universitaires de Bordeaux, 2010) and has co-edited several journal issues and collective volumes. Her latest book is entitled Cartographies of New York and Other Postwar American Cities. Art, Literature and Urban Spaces (Palgrave Macmillan, 2018). She is a junior member of the Institut Universitaire de France (2019-2024).