11 | 2020

Ce volume est composé de deux dossiers thématiques.

Le premier dossier recueille des contributions consacrées « À la recherche du dénouement : théâtre, poésie, roman, conte, cinéma ».

 Les articles présentés dans la seconde section reprennent quelques-unes des interventions présentées lors de la Journée d’étude « José Moreno Villa en su exilio mexicano, ochenta años después », qui s’est tenue au Mont-Saint-Aignan le 18 novembre 2019. À l’occasion du 80eanniversaire de l’exil de 1939 et dans le cadre de la Série internationale des rencontres « Ochenta años después », organisée par la UAB (Barcelone) sous la direction de Manuel Aznar Soler (Grupo de estudios del Exilio literario / GEXEL), cette Journée s’est centrée sur la présence et l’actualité de l’œuvre de Moreno Villa, notamment sa production en prose (écriture autobiographique, essai, œuvre journalistique, correspondance) dans son évolution au sein des réseaux intellectuels instaurés en Amérique par les républicains espagnols.  

À la recherche du dénouement : theâtre, poésie, roman, conte, cinéma

Comment vivre après le passage des dieux ? Le mythe d’Amphitryon et ses dénouements dramatiques : les tensions entre l’intime et le spectaculaire

Ariane Ferry


Résumés

À travers une étude diachronique et comparatiste des dénouements de quelques réécritures dramatiques du mythe d’Amphitryon qui mettent en scène une épiphanie spectaculaire, cet article tente de répondre la question suivante : comment vivre après le passage des dieux lorsqu’on est confronté à la finitude humaine ?

Texte intégral

1Le dénouement d’une pièce de théâtre peut-il déclencher une vocation comparatiste de chercheuse en littérature comparée ? Oui, dès lors que cette pièce, en l’occurrence Amphitryon, ein Lustspiel nach Molière (1807), réécriture révisionniste, s’émancipe de son modèle déclaré pour poser au mythe grec des questions qui se radicalisent dans une dernière scène audacieuse et durablement perturbante. C’est en 1985, à la suite de la découverte éblouie de la pièce de Heinrich von Kleist, grâce à une version radiophonique diffusée sur France Culture et servie par des interprètes de haute volée – Laurent Terzieff dans le rôle de Jupiter, Bernard Giraudeau dans celui d’Amphitryon et Claude Piéplu dans celui de Sosie – que j’ai décidé de consacrer d’abord mon année de maîtrise – dirigée par Pierre Brunel –, puis une thèse, entreprise sous la direction de Daniel Mortier, un livre1 et quelques articles à l’étude des métamorphoses d’un mythe littéraire qui doit presque tout au théâtre. Si je reviens à cette anecdote fondatrice, c’est parce qu’elle a beaucoup à voir avec le sujet de cet ouvrage : le dénouement et ses enjeux. Le corpus dramatique des réécritures du mythe montre qu’aucun auteur ne peut faire l’économie d’une dernière scène où le dieu Jupiter, mettant fin à la confusion, se déclare pour se séparer d’Amphitryon, celui qu’il a doublé pour lui emprunter sa femme. Mais les dernières scènes révisées par Kleist, en rupture complète avec l’hypotexte moliéresque, m’ont sidérée et émue au point que j’ai voulu comprendre ce qui se passait là précisément et pourquoi. Si cette rupture dramaturgique, idéologique et anthropologique m’est apparue avec autant de violence, c’est que j’avais déjà quelques points de comparaison dramatiques – avant et après Kleist : Plaute, Molière, que Kleist suit de près, au moins dans les deux premiers tiers de sa pièce, et Giraudoux qui, à sa façon, répond à ce qui m’a semblé alors (j’ignorais à ce moment-là l’existence la pièce de John Dryden) comme un coup de force opéré par Kleist dans le dénouement et qui repose dans l’alliance paradoxale et presque insupportable du spectaculaire et de l’intime, avec une focalisation inédite sur le personnage d’Alcmène, épouse d’Amphitryon élue malgré elle par le maître des dieux.

2Cette séparation du dieu d’avec les hommes coïncidant avec une épiphanie scénique soulève une question, celle de l’après, question qui n’a de sens que dans le temps humain : comment faire pour vivre après le passage des dieux, expression que je reprends de deux tragédies d’Euripide (Les Bacchantes et Médée) ? Comment concilier la blessure intime causée par ce bref passage dans le cœur d’Amphitryon et d’Alcmène et la célébration bruyante de cette élection divine et de ce héros promis – Hercule – par la communauté thébaine ? C’est au fond la question qu’ouvre Molière implicitement quand il conjugue l’absence d’Alcmène sur la scène et le silence d’Amphitryon face aux paroles de Jupiter, que pose Kleist de manière plus abrupte, et surtout plus tragique que ne le faisait John Dryden, et avec laquelle des dramaturges plus récents ont joué sur un mode plus ou moins sérieux. Qu’est-ce qui se dénoue entre le dieu et les hommes, qu’est-ce qui peut ou ne peut plus se renouer entre l’homme et la femme ainsi élus, exposés, trahis peut-être en même temps qu’honorés ?

3Revenons aux fondamentaux du mythe d’Amphitryon qui se développe et se cristallise dans la tragédie grecque par amplification du premier épisode de la geste d’Héraklès, dont la fonction est de légitimer son statut de héros. Le premier récit un peu consistant qui raconte cet épisode se trouve dans le texte d’Hésiode intitulé Le Bouclier d’Héraclès2 et qui met en évidence la visée providentialiste de sa conception : Zeus doit engendrer un héros d’une force exceptionnelle qui purgera la terre de ses monstres. Y sont également soulignés les vertus – beauté et fidélité conjugale – de la mère choisie pour le porter. Les circonstances du mariage sont ensuite relatées et elles ont la même fonction dans le récit que les observations du narrateur sur la nuit qui favorise ces noces illégitimes : justifier le fait qu’Alcmène ne puisse se rendre compte de la substitution du dieu au mari et ainsi affirmer son innocence. Le mariage n’a pas été consommé et Alcmène ne voit pas l’homme à qui elle se donne – dans cette version, rien ne dit que Zeus prenne l’apparence d’Amphitryon. Lorsque l’époux revient peu après, il possède à son tour sa femme et engendre Iphiclès, récit de superfétation destiné à expliquer les qualités différentes des jumeaux. Pas de drame, au sens trivial du terme, pas de crise conjugale.

4Ce schéma narratif s’est progressivement compliqué par addition d’autres éléments (motif de la longue nuit, transformation de Zeus en Amphitryon, découverte par Amphitryon de l’adultère) et par focalisation, dans la tragédie, sur ce qui suit l’épisode de la conception et permet sa dramatisation : la découverte par le mari de l’adultère et sa colère. Le mythe d’Amphitryon n’existe pas hors de la « chaîne historique des œuvres »3 dramatiques qui le constitue, mais ses premiers maillons ont été perdus. Des tragédies perdues de Sophocle et d’Euripide il ne reste presque rien, mais certaines hypothèses ont été formulées sur ce qui pouvait en constituer la trame et surtout le dénouement4 : l’épouse abusée est accusée d’avoir jeté le déshonneur sur son époux et condamnée à périr sur le bûcher, situation pathétique s’il en est. L’Alcmène d’Euripide se serait alors achevée sur un coup de théâtre, Zeus sauvant du feu la jeune femme en déclenchant une tempête avant de révéler sa future paternité, dans un dénouement relevant de la catastrophe heureuse – cas de figure décrit par Aristote dans La Poétique.

5La dimension spectaculaire de ce dénouement est attestée par l’iconographie et par une allusion amusante qu’y fait – selon le principe de la référence métathéâtrale décalée cher au comique latin – un personnage d’esclave de la comédie de Plaute, Rudens, au vers 86, pour souligner la violence d’une tempête qui a arraché les tuiles d’un toit. Plaute connaissait donc l’Alcmène d’Euripide et il jouait avec les conventions théâtrales comme avec les souvenirs que son public conservait de représentations antérieures. Si le dénouement d’Amphitryon puise dans un fonds tragique5 – colère vengeresse et aveugle d’Amphitryon qui provoque son foudroiement, récit par Bromia de l’intervention divine pour favoriser l’accouchement d’Alcmène et du premier combat d’Hercule contre les serpents envoyés par Junon, ultime adresse apaisante du dieu à Amphitryon –, il relève pleinement de la comedia qui recycle ces éléments de façon ludique. Il n’en reste pas moins que la dramaturgie tragique de ce dénouement a perduré après la pièce de Plaute, devenue l’hypotexte fondateur d’une longue lignée de réécritures depuis le Moyen Âge jusqu’à des pièces contemporaines.

6La tragédie confrontait Alcmène « la fidèle » au rejet brutal de son époux et au péril d’une mort dont elle n’était délivrée que par l’intervention du dieu qui l’avait rendue coupable en faisant d’elle une femme adultère. La comédie a certes transformé la nature de ce péril : ce qui est en jeu, ce n’est plus la vie d’Alcmène, mais la survie d’un amour partagé et confiant. Péril de mort, non plus pour les corps, mais pour l’amour, pour la raison d’être de ce couple – un péril qui menace, c’est à noter, Alcmène comme Amphitryon chez les modernes. Nous voudrions, ces rappels faits, mettre en évidence certains déplacements opérés par les modernes dans la conception et la mise en scène de quelques dénouements des versions dramatiques du mythe d’Amphitryon, déplacements qui ont permis d’opérer une mise en tension du spectaculaire à visée collective et politique qui marque l’épiphanie du dieu et de l’intime qui se donne à voir dans la confrontation finale d’Alcmène et d’Amphitryon.

7Le spectacle de la puissance divine a deux fonctions dans ces dénouements : affirmer la puissance des dieux tout en manifestant visuellement, dans l’axe vertical du dispositif scénographique, le mouvement de la séparation qu’ils opèrent d’avec les hommes ; marquer la fin de la comédie qu’ils se sont donnée et ont offerte au spectateur et dont l’efficacité tient à la multiplication des quiproquos et à la confusion qu’ils générèrent chez les mortels. Mais progressivement, au cœur de ce spectacle, de cette démonstration de la puissance des dieux, va être exhibé un drame plus intime, celui qui touche Amphitryon et Alcmène : comment ensuite affronter la conscience de cette faute devenue publique ; comment vivre ensemble après le passage des dieux ?

8Du point de vue du scénario, ce sont les dieux qui investissent l’espace humain pour y prendre un plaisir double, celui de la chair (pour le maître des dieux, l’autre, Mercure, étant contraint à compenser sa frustration par les coups et humiliations qu’il impose à Sosie et Amphitryon, sous le masque de Sosie) et celui de la mystification et du jeu – ce deuxième aspect étant accentué chez Plaute, comme chez son premier imitateur français Rotrou (Les Sosies, 1638). Les Amphitryon sont donc assez fréquemment construits de manière à fabriquer l’espace dramatique de cette comédie dans laquelle les dieux sont acteurs et dont ils sont les premiers spectateurs, puisqu’ils prétendent jouir de la confusion des hommes : le dénouement referme la parenthèse d’une comédie fondée sur la substitution toute provisoire des dieux à deux hommes, Amphitryon et Sosie, un général thébain victorieux et son esclave/valet. On trouve donc des éléments communs à l’exposition de ces comédies (prologue ou premières scènes) et à leur dénouement : l’utilisation de la machinerie et/ou d’effets spéciaux ; une poétique métathéâtrale.

9Si l’on examine le processus de la prise d’identité d’autrui par les dieux, on constate que l’aptitude des dieux à se métamorphoser, donnée pré-dramatique, est devenue un invariant dramatique sans cesse réactualisé des personnages de Jupiter et Mercure. Dans la pièce de Plaute, Jupiter et Mercure considèrent leur prise de rôle sous l’angle d’un simple vestitum / costume (III, 1) qu’ils prennent et abandonnent quand bon leur semble. Bon nombre de dramaturges fileront ainsi la métaphore théâtrale, s’attachant à représenter des dieux comédiens, soucieux d’assumer au mieux un rôle de composition – chez Giraudoux, Jupiter recevra même un cours de théâtre de Mercure, incarné par Louis Jouvet lors de la création en 1929. Le visage factice est évoqué tantôt à travers l’image du maquillage, dont on se débarbouillera avec de l’ambroisie au terme de la comédie (Molière, III, 9, v. 1884-1885), tantôt représenté à travers un jeu de masques qui désignent à la fois la ressemblance et l’altérité entre copie et original : en 1968, Peter Hacks prévoit ainsi un système de masques décrit dans la didascalie inaugurale, que je traduis : « Les masques des dieux sont dorés, ceux des humains couleur chair. Jupiter et Mercure, lorsqu’ils se transforment en Amphitryon et Sosie, portent sur leur masque doré, des masques parfaitement identiques à ceux d’Amphitryon et de Sosie, mais dorés. Des masques noirs les rendent invisibles », invisibilité qui devient effective au cours de la comédie et souligne leur altérité alors même qu’ils sont parmi les hommes –on a un procédé équivalent dans God’s Gift de John Banville (2000) : le masque n’est là que pour signifier la ressemblance, pas pour troubler le public. Dès Plaute, le jeu comique repose en effet, du point de vue du spectateur, sur l’existence d’un signe diacritique6 permettant de distinguer les dieux des hommes en dépit de ce qui peut contribuer à les faire apparaître semblables (costume, masque). Ce jeu développe la capacité du public à jouir de l’ironie involontaire de certains énoncés, par exemple lorsque Alcmène de Rotrou perçoit l’aura nouvelle émanant du corps de son époux divin :

Il semble, que ce corps, tienne des destinées,
L’heur de ne vieillir pas, avecque les années,
Et ce teint, que les soins ne sauraient altérer :
Jette un éclat nouveau, qui vous fait révérer7.

10L’Alcmène de Kleist célèbre la beauté du corps de l’homme aimé et son rayonnement – après la nuit passée avec le dieu. Elle reconnaît ainsi à son cœur défendant une distinction possible entre deux perceptions d’Amphitryon : la veille, elle l’a découvert « plus beau que jamais » (II, 4, v. 1188). Et elle frôle la vérité en devinant la présence du divin dans ce corps d’homme « fidèle à la réalité, mais transfiguré dans le divin » (II, 4).

11Les dieux usurpateurs d’identité se distinguent de ceux dont ils ont imité la forme corporelle, le nom et la mémoire, par leur puissance et par leurs objectifs. Ils devraient, en présence des hommes, s’en tenir à leur personnage alors même qu’ils restent des dieux et ne l’oublient jamais. Mais les tensions entre rôle à jouer et désir de reconnaissance sont fréquentes dans les pièces, et elles ne s’apaisent que lorsque vient l’heure de la levée des masques et que les dieux peuvent paraître ce qu’ils sont. La révélation de la présence des dieux parmi les hommes se fait alors spectacle, précisément au dénouement, au moment où les dieux s’en vont pour que cesse la confusion. Ce spectacle n’est pas destiné aux seules dupes de la divine comédie : il se donne devant des témoins, appelés par Amphitryon pour le reconnaître contre l’usurpateur et, dans certaines versions, devant des représentants du peuple de Thèbes. La présence de cette foule sur le plateau met en abyme le dispositif spectaculaire du dénouement : témoins et gens du peuple sont autant de spectateurs internes qui médiatisent pour le spectateur externe le processus de réception de l’épiphanie par ceux qui n’ont pas été victimes du passage des dieux sur la terre : ébahissement et reconnaissance. L’élection d’Alcmène et la protection annoncée par le dieu pour Thèbes réjouissent cette foule. Mais qu’en est-il des « victimes » –de ce qu’ils ressentent, disent ou manifestent par leur corps dans cette liesse générale ?

12Le rétablissement de l’ordre comique ou l’utopie de l’effacement : telle était la formule que j’avais choisie, au moment de conclure ma thèse, pour exprimer la dimension paradoxale des dénouements de mon corpus. Il n’est pas rare que la violence ait sa place dans le dénouement des comédies, notamment dans celles de Molière, violence qui s’exerce le plus souvent, de manière symbolique ou pas contre le méchant ou l’homme à marotte. Mais dans ce cas précis, la violence spectaculaire, psychologique et verbale qu’exerce le dieu est employée pour rétablir un ordre perturbé par le dieu lui-même. Par ailleurs, certains dénouements font douter de la valeur réparatrice de ce retour à l’ordre imposé par le dieu perturbateur : comment réparer, effacer ce qui a été si ce n’est en faisant perdre la mémoire de ce qui a été ? Mais un dieu peut-il admettre de disparaître dans les oubliettes de la mémoire des hommes ?

13Ces questions ont beaucoup à voir avec ce qu’on pourrait appeler l’ambivalence générique de ces dénouements amphitryoniens, que je voudrais questionner à partir du repère historique et critique fourni par l’article « Dénouement » du Dictionnaire dramatique8 de Laporte et Chamfort paru en 1776. La lecture de ce texte permet de montrer comment s’articulent ici deux manières de faire relevant, pour l’une de la comédie, pour l’autre de la tragédie, mixité générique consubstantielle au traitement de ce mythe, quand bien même les auteurs se réclament de la comédie9. Au xviiie siècle, l’intervention des dieux à la fin d’une tragédie comme moyen de tout résoudre est jugée avec sévérité par les Français qui y voient une commodité, un « postiche » :

Quoique les Anciens aient souvent tiré les Dénouements de leurs Pièces, du fond des sujets, témoins l’Œdipe & l’Électre de Sophocle, il faut avouer que dans cette partie de l’Art, ils sont très inférieurs aux Modernes, & souvent au-dessous d’eux-mêmes. Quand l’intrigue & l’embarras étaient au comble, un Dieu ou une Déesse descendaient du Ciel & tranchaient le nœud que le Poète ne pouvait dénouer. C’est ainsi qu’Euripide en use dans les deux Iphigénie, dans Oreste, dans Andromaque, dans les Suppliantes, dans Rhésus, dans les Bacchantes, dans Hélène, &c. Les Dénouements d’Alceste & de Médée ne sont pas moins postiches. Sophocle lui-même se sert de ce moyen dans Philoctète, où Hercule descend du Ciel pour combattre l’opiniâtreté de son ami, & l’envoyer au Siège de Troie.
C’est à cette partie de l’Art Dramatique, que les Modernes semblent s’être le plus attachés. Ils exigent qu’un Dénouement naisse du fond du sujet, & de l’obstacle même qui semble le retarder. Ils veulent qu’il soit préparé sans entrevue ; que l’action, dans un balancement continuel, tienne l’âme des Spectateurs incertaine & flottante jusqu’à son achèvement10.

14L’intrigue développée dans les Amphitryon fait que l’épiphanie naît bien du fond du sujet, puisque les dieux n’interviennent pas dans ces pièces en dei ex machina, mais occupent de bout en bout la scène comme doubles des personnages et meneurs de jeu. En raison du sujet aussi la reconnaissance est la péripétie qui fonde l’efficacité du dénouement. Mais par ailleurs, la reconnaissance, procédé pathétique cher à la tragédie, joue un rôle dans bien des dénouements de comédie où elle vise d’autres effets. Dans la continuité de ces remarques, une autre question centrale de la dramaturgie classique est abordée : celle du vraisemblable et du merveilleux.

De toutes les péripéties, la reconnaissance est la plus favorable à l’Intrigue & au Dénouement ; à l’Intrigue, en ce qu’elle est précédée par l’incertitude & le trouble qui produisent l’intérêt ; au Dénouement, en ce qu’elle y répand tout à coup la lumière, & renverse en un instant la situation des Personnages et l’attente des Spectateurs. Aussi a-t-elle été pour les Anciens une source féconde de situations intéressantes & tableaux pathétiques. La reconnaissance est d’autant plus belle que les situations dont elle produit le changement, sont plus extrêmes, plus opposées, que le passage en est plus prompt.

À ces moyens naturels d’amener le Dénouement, se joint la machine ou le merveilleux ; non celui dont les Anciens faisaient usage, mais un merveilleux qui a sa vraisemblance dans les mœurs de la Pièce & dans la disposition des esprits. Quoiqu’il ne soit souvent, aux yeux de la raison, qu’une folie ridicule & bizarre, il n’est pas moins une vérité pour l’imagination séduite par l’illusion & échauffée par l’intérêt. Toutefois, pour produire cette espèce d’enivrement qui exalte les esprits, & subjugue l’opinion, il ne faut pas moins que la chaleur de l’enthousiasme. Une action où doit entrer le merveilleux, demande plus d’élévation dans le style & dans les mœurs, qu’une action toute naturelle. Il faut que le Spectateur emporté hors des choses humaines par la grandeur du sujet, attende & souhaite l’entremise des Dieux dans des périls ou des malheurs dignes de leur assistance11.

15Dans les Amphitryon, la reconnaissance « renverse » bien « en un instant la situation des Personnages », mais elle répond à « l’attente des Spectateurs ». Et parce que l’on est dans le dénouement d’une comédie, l’irruption du merveilleux ne produit pas les mêmes effets, la grandeur du sujet (l’épiphanie) étant minorée par le spectacle de ceux qui, tout au long de la pièce, ont été victimes de quiproquos et de méprises, se sont entêtés dans l’erreur et peinent à l’admettre. Le spectateur, averti des origines de la confusion qui a régné, ne se sent pas « floué » par un éclaircissement qui ne le concerne en rien, puisqu’il a toujours su qui était qui, et que de son point de vue, tout était annoncé :

Dans la Comédie, le Dénouement n’est, pour l’ordinaire, qu’un éclaircissement qui dévoile une ruse, qui fait cesser une méprise, qui détrompe les dupes, qui démasque les fripons, qui achève de mettre le ridicule en évidence. […] Souvent même il n’est Comique qu’autant qu’il est annoncé. Dans la Tragédie, c’est le Spectateur qu’il faut séduire : dans la Comédie, c’est le Personnage qu’il faut tromper ; & l’un ne rit des méprises de l’autre, qu’autant qu’il n’en est pas de moitié12.

16Les deux auteurs du Dictionnaire dramatique introduisent enfin une autre notion qui nous intéresse, celle d’Achèvement, qui serait une sorte de conclusion au dénouement, d’épilogue grâce auquel on pourrait quitter les personnages en paix et pleinement réjoui.

[…] Il reste quelquefois des éclaircissements à donner sur le sort des Personnages, c’est ce qu’on appelle Achèvement. Les sujets bien constitués n’en ont pas besoin ; tous les obstacles sont dans le nœud ; toutes les solutions dans le Dénouement.

Le grand art en fait de Dénouement & de reconnaissance, est de les amener de manière qu’un mot, un coup d’œil suffise pour instruire ceux des Personnages, auxquels il serait difficile de rendre raison autrement de ce qui s’est passé13.

17Mais c’est là sans doute que le bât blesse en matière de dénouement dans les réécritures du mythe. L’Achèvement n’y est qu’un fait de discours, un discours proféré et imposé par les dieux : Jupiter peut ordonner à Amphitryon de se réconcilier avec son épouse comme chez Plaute, annoncer la naissance d’un fils extraordinaire (Molière), après avoir fait rendre raison à Amphitryon et Sosie de ce qui s’était passé grâce à la magie d’un dévoilement fulgurant et bruyant, il n’en reste pas moins qu’un malaise persiste, alors même que nous avons pu rire des colères d’Amphitryon et de la confusion qui régnait. Ce malaise, cette incertitude tient bien à l’après, à ce qui se passera après le passage des dieux dans la maison d’Amphitryon, entre lui, le mari cocufié, et elle, qui l’a trompé sans le savoir, mais en y trouvant du plaisir. Si « [l]e Dénouement doit fixer la destinée de tous les principaux Acteurs14 », a-t-on véritablement, chez Molière, Dryden, Kleist, et d’autres « dénouement », résolution des tensions et des conflits ?

18Dans plusieurs pièces, la force de frappe jupitérienne fait spectacle –un spectacle effrayant et délibérément impressionnant : chez Plaute et Rotrou, Amphitryon est frappé par la foudre à l’instant où il s’apprête à enfoncer la porte de la maison pour exterminer tous ses occupants. Si la puissance divine s’abat sur Amphitryon pour le ramener au calme, sa manifestation vise aussi à lui rappeler l’existence des dieux et leurs prérogatives sur les hommes qui, selon les époques, ont pris des significations diverses, Jupiter ayant pu incarner la tyrannie comme chez l’Anglais John Dryden, (1690) ou la justice, mais aussi l’homme idéal, chez l’Allemand Georg Kaiser15. Dans Zweimal Amphitryon, pièce écrite en plein conflit mondial (1943), Kaiser, se souvenant qu’Amphitryon est un militaire, fait de lui une machine de guerre, que l’anéantissement d’une ville plonge dans l’extase, un homme prisonnier de son armure et de ses pulsions mortifères, qui ne sait se projeter que dans un avenir de destruction. Le seul moment où Amphitryon et Alcmène partagent l’espace théâtral est une scène de procès, celui d’Amphitryon, accusé de vouloir imposer à Thèbes sa tyrannie. Condamné par la cité, Amphitryon s’en remet aux dieux. Zeus apparaît, révélant qu’il était prêt à exterminer une humanité mauvaise, mais que l’amour d’Alcmène pour son mari lui a inspiré le pardon.

19Chez l’Irlandais John Banville, c’est l’incrédulité d’Amphitryon / Ashburningham le bien nommé, qui attire sur lui une foudre punitive et presque mortelle. Lorsque Jupiter, au dénouement, se déclare face à Minna, avatar banvillien d’Alcmène, confrontée comme chez Kleist aux deux Amphitryons : « Yes, it was I; / As I am everywhere, and everywhen; / For I am Jupiter » (Oui, c’était moi ; / Comme je suis en tous lieux et éternellement, / car je suis Jupiter), c’est la stupéfaction : « He’s what ? He’s who ? » (Il est quoi ? il est qui ?), gémit la jeune femme. Le tonnerre gronde, Mercure surgit, mais Ashburningham fait toujours l’esprit fort, refusant d’accorder du crédit à pareille assertion (la rationalité et le refus des prodiges sont des invariants du personnage) : « I don’t pretend to know what’s going on, / But, sir, if you expect me to believe » (Je ne prétends pas savoir ce qui se passe, / Mais, Monsieur, si vous supposez que je vais croire). Mercure, sur un signe de tête de Jupiter, le touche à la poitrine et l’homme s’écroule en disant : « O God ! »16, l’expression lexicalisée et généralement employée sans référence au divin devenant l’aveu involontaire, et non dénué d’humour du point de vue du spectateur, d’une reconnaissance dont Aristote a montré les puissants effets dans la tragédie. Mais il s’agit bien de lui faire rendre raison de ce qu’il s’est passé… ce qui nous renvoie au fonctionnement de la reconnaissance comique pour Laporte et Chamfort.

20Au xviie siècle, le dispositif scénographique sur lequel fonctionnait la comédie de Plaute – une opposition entre intérieur et extérieur, bas et haut – était perçu comme nécessaire à la représentation des rapports entre hommes et dieux, et il le demeure comme figuration – parfois ironique – de leur toute-puissance.

21Le monde d’en bas est celui des hommes, tandis que le ciel, où Jupiter annonce qu’il va retourner à la fin de la pièce de Plaute, est l’univers des dieux, d’où ils sont venus, où ils retournent parfois au cours de l’intrigue, et où ils disparaîtront en un envol spectaculaire qui se manifeste poétiquement et scéniquement, grâce aux machineries qui ont survécu bien au-delà du xviie siècle où elles connurent une vogue certaine –avant de s’installer durablement sur la scène de l’opéra, que fréquenta aussi Amphitryon grâce à une collaboration de Jean Sedaine, adaptant librement Molière pour le livret, et d’André-Ernest-Modeste Grétry (1786). Un dieu ne quitte pas la scène sans les effets spéciaux qui le signalent aux yeux des hommes comme leur seigneur, maître et juge. Comme l’attestent les didascalies, la remontée des dieux au ciel continue à inspirer les dramaturges contemporains autant pour sa valeur symbolique que pour son efficacité spectaculaire. La pièce de l’Américain Overmyer, Amphitryon. After Kleist by way of Molière with a little bit of Giraudoux thrown in, créée à New York en avril 1995, fait apparaître les dieux sur un nuage et les fait disparaître dans la fumée, le tonnerre et les éclairs, la didascalie précisant : « They disappear in a wonderful stage effect »17 (III, 12). John Banville, qui est revenu au mythe d’Amphitryon après God’s Gift, « pièce à machines », avec un roman publié en 2009, The Infinities, s’empare avec ironie de cette « image » théâtrale fabriquée et figées par tant de dénouements scéniques amphitryoniens. Dans ce roman, les dieux de Banville, plus nombreux que de coutume, font leurs adieux aux hommes de la manière la plus discrète et secrète qui soit. Rien de spectaculaire, de grandiose, de terrible : une caresse, un murmure, c’est ainsi que les dieux annonceront, pour être en règle avec le mythe, la naissance de l’enfant à venir à Amphitryon/Adam –celui qui peut-être fera oublier à Helen la mort d’un autre enfant, non arrivé à terme et toujours présent dans sa mémoire. Pourtant Hermès, narrateur omniscient et caustique, se plaît à évoquer le traditionnel décollage divin de fin de partie, rendant hommage à la machinerie des dieux du théâtre :

Benny has gone, has stepped back into that old rackety machine to be winched up into the flies. Shortly the contraption will return for my father, who would be gone, now that he has given up the girl. See how he strides, as strong as ever was? It is always this way, when he lets them go.

Benny a disparu, il est remonté dans cette vieille machine bringuebalante pour être treuillé dans les cintres. Sous peu, l’engin reviendra chercher mon père, qui devrait être parti maintenant qu’il a renoncé à la fille. Vous le voyez s’éloigner, plus robuste que jamais ? Il est toujours comme cela, quand il les laisse filer18.

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Figure 1. Amphitryon, Frontispice de l’édition de 1682 (Paris, Chez Denys Thierry, Claude Barbin et Pierre Trabouillet, 8 vol.), dessin de Pierre Brissart, gravure de Jean Sauvé.

22Au théâtre, Jupiter ne se contente pas d’apparaître avec les attributs de sa divine puissance. Il discourt et sa parole a plusieurs visées : assumer ou annoncer la naissance d’Hercule, attester l’innocence d’Alcmène ou effacer sa faute, promettre protection et félicité au peuple thébain. Mais est-il possible d’annuler la faute d’Alcmène, de modifier, comme le demande sans se faire d’illusion l’Alcmène de Kleist à celui qu’elle croit toujours son époux, un « sort déjà accompli »19 ? Que faire aussi de cette culpabilité avérée, et publiée, au moment même où elle est niée par le dieu ? Lorsqu’un capitaine des gardes, suivant le dieu, dit chez Rotrou : « L’honnêteté d’Alcmène, est hors de tout soupçon », Amphitryon répond sans hésiter :

Elle a failli pourtant, d’une ou d’autre façon,
S’agissant de l’honneur, l’erreur même est un crime,
Rien ne peut que la mort rétablir son estime20.

23L’Alcmène de Giraudoux, ignorant qu’elle a déjà trompé son mari, mais avertie de la visite à venir du dieu, admet face à Jupiter qu’il ne lui déplaît pas, ce qui rend impossible son union avec le dieu : « Aurais-je à ce point le sentiment de tromper mon mari, avec un dieu qui m’inspirerait de l’aversion ? Ce serait pour mon corps une catastrophe, mais je me sentirais fidèle à mon honneur. »21 Car si l’honneur est sauf, l’amour peut-il l’être ? La proclamation de Jupiter, attestant l’honneur et la fidélité de la femme adultère du haut de son nuage a-t-elle jamais été autre chose qu’un leurre, agité par le dieu pour égarer la colère d’un époux ? La parole de Jupiter s’élève pour indiquer où est l’orthodoxie et elle prend appui sur une démonstration de force. Chez Plaute et Rotrou, la force de feu déployée par Jupiter est si fulgurante que les hommes en sont terrassés : Tous tombent évanouis. L’Amphitryon de Rotrou, reprenant conscience, gémit : « Je suis mort22 », avant que le récit de Céphalie ne le mette au fait des derniers événements. Le ciel s’ouvre et Jupiter paraît. Grâce à un rappel de la funeste fin des Titans, et au rappel de ses nombreux titres, son discours, composé de sept quatrains, contraint le général à accepter son sort :

Rassemble Amphitryon, et possède tes sens,
C’est bien ici le même foudre,
Dont je mis les Titans en poudre,
Mais il ne tombe pas, dessus les innocents.
Roi, Monarque des Rois, Dieu, Souverain des dieux,
Pour tirer ton esprit de peine
Et soutenir l’honneur d’Alcmène,
De mon trône éternel, je descends en ces lieux23.

24Amphitryon se le tient pour dit et déclare qu’Alcmène « peut entre ses honneurs, compter un adultère », paradoxe qu’il devra désormais assumer. La version de l’histoire rendue publique par le dieu sera la seule et l’unique, relayée par le mari trompé lui-même qui poursuit :

Son crime la relève, il accroît son renom,
Et d’un objet mortel fait une autre Junon24.

25En contrepoint, Sosie, resté seul sur la scène, adresse au public ce commentaire plus fidèle sans doute à ce qu’Amphitryon, écrasé de cet excès d’honneurs, ressent en son for intérieur que ce consentement officiel :

Cet honneur, ce me semble, est un triste avantage,
On appelle cela lui sucrer le breuvage25.

26Chez Plaute et Rotrou, la naissance d’Hercule et l’annonce de ses futurs exploits réinscrivent en outre ces péripéties dans un ordre mythique qui tend à occulter le reste : de Junon à Jupiter, un même chant s’élève à la gloire du héros futur, faisant presque oublier que les pauvres humains ont été chargés de bois « plus que de besoin26 », bois du cocuage d’Amphitryon, bois du gourdin qui frappa Sosie.

27Molière a bouleversé l’ordonnance de ce dénouement centré sur la naissance du héros. Alcmène – toujours absente du dénouement – n’accouche plus. C’en est fini de la compensation visible et immédiate qu’accordait le dieu avec ce bébé prodigieux. L’épiphanie se produit à la fin d’un acte où Amphitryon n’a cessé d’être méconnu et humilié, ce qui a exacerbé son désir de vengeance. Il entre à nouveau en scène, prêt à en découdre. Mais une annonce de Mercure désamorce les tensions… et prévient toute contestation :

Oui, vous l’allez voir tous ; et sachez par avance
Que c’est le grand maître des dieux
Que, sous les traits chéris de cette ressemblance,
Alcmène a fait du ciel descendre dans ces lieux ;
Et quant à moi, je suis Mercure…27

28Les discours de Mercure, puis de Jupiter devraient résoudre la crise et rétablir l’ordre comique, mais qu’en est-il exactement ? Beaucoup d’interprétations ont été proposées de cette scène finale, l’une des plus pertinentes demeurant celle de René Pommier28, formulée dans un article où il s’interrogeait sur le caractère « insolite » d’un dénouement doux-amer, comme l’est aussi celui du Misanthrope écrit deux ans plus tôt.

D’ordinaire une comédie se termine dans l’euphorie générale. Tous les problèmes sont réglés, tous les conflits sont apaisés et tout le monde est content. Malheureusement, quand tout s’arrange pour les personnages, les spectateurs, eux, cessent de s’amuser. […] Il n’en est pas de même dans Amphitryon dont la dernière scène reste pleinement une scène de comédie. Et s’il en est ainsi, c’est parce que, dans cette dernière scène, on sent que les tensions ne sont qu’en partie apaisées et qu’il subsiste toujours un réel et profond malaise29.

29Certains des ingrédients habituels du dénouement comique sont présents, mais pour être détournés et prendre une portée satirique. Ainsi en va-t-il de la liesse qui s’empare des personnages secondaires : certains compagnons d’Amphitryon brûlent de féliciter le général thébain de son aventure. « Allons à ses pieds, avec joie, / Nous louer des bontés que son cœur nous déploie »30, s’exclamait Orgon, louant l’action du Prince, après que Tartuffe avait été démasqué. Tel est le geste de soumission, d’allégeance et de reconnaissance qu’attend probablement Jupiter de l’homme qu’il a cocufié et désamphitryonisé ; mais peut-on être à la fois l’imposteur masqué et celui qui rétablit la justice ? Le plus étonnant, observe avec justesse Pommier, est le « silence obstiné que garde Amphitryon jusqu’à la fin de la pièce »31, silence qu’un comédien pourra jouer de bien des façons… À partir du moment où Mercure annonce qui est son imposteur, Amphitryon ne dit plus mot en effet et le silence n’est pas toujours consentement… Jupiter, déconcerté par ce mutisme, s’empêtre dans un discours plus long que prévu ; il doit, d’une certaine manière, continuer à jouer Amphitryon et proférer à sa place les répliques attendues que l’autre refuse de prononcer. Il doit ainsi reprendre à son compte, sur le mode de l’assertion, un commentaire que faisait l’Amphitryon de Plaute, sans qu’on l’en priât :

Un partage avec Jupiter
N’a rien du tout qui déshonore32.

30Le mutisme radical d’Amphitryon ne laissant augurer aucun assentiment explicite, le dieu est contraint de se l’accorder à lui-même, ce qui rend la chose suspecte, et comique. L’effet de son discours est du reste amoindri par la remarque de Sosie en aparté, d’accord avec celui de Rotrou : « Le Seigneur Jupiter sait dorer la pilule33 ». Jupiter, poursuivant son discours, est obligé de reconnaître la souffrance d’Amphitryon : cela suppose que son accablement est visible et n’a pas disparu quand il a appris l’identité de son imposteur. Alors que la supériorité de son adversaire lui interdit à jamais l’idée d’une vengeance, c’est le moment que choisit Jupiter pour lui annoncer – maladresse, ou cruauté supplémentaire – la naissance d’Hercule :

Sors donc des noirs chagrins que ton cœur a soufferts.
Et rends le calme entier à l’ardeur qui te brûle :
Chez toi doit naître un fils qui, sous le nom d’Hercule,
Remplira de ses faits tout le vaste univers34.

31Subtile manière de dire à Amphitryon qu’il ne sera pas le père du fils qui naîtra dans sa propre maison ; piètre consolation que de lui promettre que ce fils fera parler de lui partout. Entre Amphitryon et Jupiter, les comptes ne seront jamais réglés ; l’homme se tait, Alcmène est absente. Molière ne rétablit pas l’ordre comique : le couple d’amoureux ne se reconstitue pas, le mari n’applaudit pas et se tait, le valet se montre plutôt ironique sur « l’infaillible bonheur »35 promis par le dieu. Les spectateurs comme les successeurs de Molière ont donc en quelque sorte été abandonnés aux ambiguïtés et aux irrésolutions de cette scène finale, situation qui n’a pas été sans conséquences sur la réception créatrice de la pièce. Dryden (1690), Kleist (1807), puis Giraudoux (1929) et d’autres après eux transformeront tour à tour ce dénouement fondé sur le déséquilibre entre les parties, incomplet aussi en raison du silence-absence des époux bruyamment honorés. Et ils feront revenir Alcmène sur la scène pour la confronter à la présence physique de deux Amphitryon, et à son « erreur ».

32Chez Dryden, tout est fait pour désacraliser l’épiphanie : Mercure, pressé de régler ses propres affaires de cœur, révèle à Phaedra, Bromia et Gripus (seconds couteaux de la comédie), puis à Sosie, que le rival d’Amphitryon est un dieu, tout comme lui, Mercure, qui ne s’en retournera pas au Ciel tant que Phaedra ne l’aura pas épousé. L’action suit là un cours entièrement comique, avec la signature d’un contrat de mariage entre le « filou » et la « canaille ». Phaedra, sans illusion sur la fidélité du dieu, songe déjà à prendre un amant riche et benêt. C’est dans ce contexte qu’un coup de tonnerre retentit, que Jupiter sort de la maison et bâcle un petit discours, imité de Molière, mais resserré (on passe de 36 à 25 vers). Dans une amplification des deux vers de Molière se rapportant au futur Hercule, Jupiter promet au couple un héros qui écrasera les tyrans et redressera les torts avant de conclure :

And murm’ring Men, unwilling to be freed,
Shall be compell’d to Happiness, by need.

Et ceux qui protestent, qui ne veulent pas être libérés,
Seront contraints au bonheur, par nécessité36.

33Le héros salvateur est évoqué par son propre géniteur en des termes pour le moins inquiétants pour les humains. Que doit-on penser d’un bonheur non choisi, d’un de ces « bonheurs infaillibles » qu’évoquait le Sosie de Molière ? Le discours du dieu est par ailleurs perturbé par un double parasitage, Mercure redoublant le rôle de commentateur ironique dévolu à Sosie depuis Rotrou. Il remarque à mi-voix qu’« Amphitryon et Alcmène restent tous deux silencieux, ne sachant comment prendre la chose »37 ; Alcmène rejoint certes son époux, mais après de nouveaux incidents qui pourraient bien alimenter de futures disputes conjugales : sommée de reconnaître le véritable Amphitryon, elle choisit le bon, qui la repousse violemment…. Mercure et Sosie se partagent dans cette version la fonction contestataire et critique et c’est Mercure qui conseille aux officiers obséquieux de garder pour eux leurs congratulations : l’heure n’est plus à l’union sacrée chez les Olympiens, ce qui ruine entièrement l’effet du dénouement comme spectacle politique. Quant au mythe, il est également moqué : en un redoublement burlesque, Sosie réclame lui aussi un fils destiné à devenir le valet d’Hercule. Non que Sosie rêve à des aventures héroïques pour cet enfant. Son vœu est tristement pragmatique : à chaque fois qu’Hercule abattra un homme, ce fils pourra faire les poches du mort et soutenir ainsi ses vieux parents. Le dénouement de Dryden est donc dévastateur : fidélité, honneur, héroïsme, toutes ces valeurs sont battues en brèche. Le dramaturge conclut en satiriste, comme il avait commencé, ce qui lui permet, comme Plaute, mais avec des procédés différents, de tenir le public à distance par rapport à la situation des personnages, l’empathie n’étant pas ici l’effet recherché.

34Kleist procède exactement l’inverse en rapprochant le spectateur des personnages blessés, alors même qu’il amplifie la dimension spectaculaire du dénouement en augmentant le nombre de personnages présents dans l’espace scénique. Le spectateur est confronté directement au drame de chacun des protagonistes en cette scène qui tient du procès38, de l’épiphanie et du duo amoureux, duo redoublé, puisqu’Amphitryon et Jupiter cherchent l’un et l’autre à rétablir, ou à préserver encore un instant, l’amour d’Alcmène.

35Tous les personnages ont fait l’objet de corrections qui ont peu à peu infléchi le sens général de la pièce, mais c’est particulièrement évident pour le trio formé par Amphitryon, Alcmène et Jupiter, qui traversent une épreuve dont ils sortent chacun transformés, après s’être heurtés dans la douleur à l’irréductibilité de la conscience des autres et à leurs propres limites. L’amour, chez Kleist, est ce qui donne sens à l’existence ; il est aussi l’illusion la plus redoutable et la plus nécessaire. Dans la reprise de cette histoire de fidélité légendaire, Alcmène est d’emblée infidèle à la réalité d’Amphitryon : en l’idéalisant, en se représentant dieu avec le visage de son époux, elle est déjà adultère. La jeune femme devient une véritable héroïne tragique, la pièce nous donnant à voir sa lente passion et, finalement, son anéantissement. C’est en effet dans les scènes où paraît Alcmène que Kleist recourt à des procédés et effets caractéristiques de la tragédie, Kleist empruntant aussi bien à la tragédie classique qu’à la tragédie grecque, pour élaborer son propre modèle tragique. Alcmène est, au cours de la pièce, soumise à deux interrogatoires privés, l’un conduit par Amphitryon, qui lui arrache, mot à mot, le récit de cette nuit d’amour où Alcmène s’est donnée avec bonheur à un faussaire, et l’autre par Jupiter. Ce dernier, sous l’apparence d’Amphitryon, lui annonce que Zeus lui est apparu, qu’elle a péché par excès d’amour pour son mari, l’idolâtrant au lieu de l’aimer, ce qui a provoqué la colère du dieu, avant de la soumettre à un jeu d’hypothèses vertigineuses qui préparent le finale. Dans ces deux scènes (II, 2 & II, 5), on assiste, médusé, à la métamorphose des scènes écrites par Molière, sans pouvoir deviner jusqu’où Kleist conduira son personnage.

36Quant au dénouement, il concentre divers procédés tragiques : la scène est publique et le peuple de Thèbes, convié par Jupiter, joue le rôle du chœur antique qui commente, éperdu, une situation qu’il ne comprend pas – deux Amphitryons se font face –, et amplifie ses effets dramatiques. La foule, dès qu’elle voit Jupiter, trahit le malheureux Amphitryon. Mais cette foule est aussi le lieu du supplice pour Alcmène. L’idée d’être confrontée publiquement à celui qui a abusé d’elle, mais aussi à sa propre faute, lui fait horreur, mais Jupiter / Amphitryon lui interdit de se dérober à cette épreuve. Trompée par les bras protecteurs de l’imposteur, elle rejette et injurie Amphitryon sans se rendre compte de la portée des mots qu’elle prononce, tandis que lui, plein d’espoir encore, l’appelle.

Nichtswürdger! Schändlicher!
Mit diesem Namen wagst du mich zu nennen?
Nicht vor des Gatten scheugebietendem
Antlitz bin ich vor deiner Wut gesichert?
Du Ungeheuer! Mir scheußlicher,
Als es geschwollen in Morästen nistet!
Was tat ich dir, daß du mir nahen mußtest,
Von einer Höllennacht bedeckt,
Dein Gift mir auf den Fittich hinzugeifern? […]

Misérable ! Impudent !
Tu oses me donner ce nom ?
Même devant le visage de l’époux qui inspire la peur
Je ne suis point à l’abri de ta rage ?
Monstre ! Plus abominable à ma vue que tous les crapauds qui séjournent dans les marécages !
Qu’ai-je fait pour que tu t’approches de moi
Sous le couvert d’une nuit infernale,
Et crache ton venin sur mon aile ? […]39.

37Le dénouement amphitryonien se rejoue donc chez Kleist avec des variantes qui en modifient constamment le sens et les effets. Amphitryon s’évanouit quand il comprend que l’œil humain, incapable de le différencier de l’imposteur, ne pourra pas le rétablir dans son identité –prise de conscience qui le terrasse. On le croit mort, mais il s’éveille pour demander qui reconnaît Alcmène, confiant à tort son salut à l’amour clairvoyant de sa bien-aimée. Lorsque Jupiter se révèle, c’est avec les effets spectaculaires vus ailleurs : tonnerre, éclairs, aigle. Alcmène tombe alors à son tour sans connaissance dans les bras du véritable Amphitryon. L’émotion est à son comble, tous les ressorts de la tragédie se combinant pour exciter notre pitié pour cette femme inconsciente, appelant dans un murmure l’Amphitryon-dieu qui s’éloigne, et poussant le soupir le plus énigmatique de l’histoire du théâtre : un « Ach » à peine audible. Si Amphitryon et Alcmène ont traversé une terrible épreuve – l’évanouissement est une mort symbolique –, les deux époux ne reviennent pas à eux dans les mêmes dispositions. Amphitryon a fait une épreuve initiatique : en admettant que son double était Amphitryon pour Alcmène, en s’oubliant par amour jusqu’à renoncer à être Amphitryon pour les autres, le héros de Kleist accède à la grandeur et lorsqu’il réclame un fils, comme Tyndare, il accepte l’égarement amoureux d’Alcmène. Mais, elle, paraît brisée, irrémédiablement –son sort a été fixé par Jupiter / Amphitryon dès la scène 5 de l’Acte II :

Du sahst noch sein unsterblich Antlitz nicht,
Alkmene. Ach, es wird das Herz vor ihm
In tausendfacher Seligkeit dir aufgehn.
Was du ihm fühlen wirst, wird Glut dir dünken,
Und Eis, was du Amphitryon empfindest.
Ja, wenn er deine Seele jetzt berührte,
Und zum Olymp nun scheidend wiederkehrt,
So wirst du das Unglaubliche erfahren,
Und weinen, daß du ihm nicht folgen darfst.

Tu ne vis point encore son visage immortel,
Alcmène. Ah ! Devant lui, ton cœur
débordera d’une infinie béatitude.
Ce que tu éprouveras pour lui sera de braise,
Et de glace ce que tu éprouveras pour Amphitryon.
Oui, si maintenant, il venait à toucher ton âme
Et si, se séparant de toi, il retourne à L’Olympe,
Alors tu connaîtrais l’incroyable
Et pleureras de ne pouvoir le suivre40.

38Alcmène, au début de ce dénouement, supplie l’Amphitryon dieu de lui épargner une révélation, dont elle pressent qu’elle lui sera fatale : « Laß ewig in dem Irrtum micht, / soll mir Dein Licht die Seele ewig nicht umnachten. » (Laisse-moi à jamais dans l’erreur, si ta lumière ne doit pas, / À jamais faire sombrer mon âme dans la folie.) Mais le dieu répond : « O Fluch der Seligkeit, die du mir schenktest, / Müßt ich dir ewig nicht vorhanden sein. » (Maudite soit la félicité que tu m’offris / Si je ne devais pas éternellement t’être présent41.) Si la pièce, pour le lecteur, et dans l’idéal d’une représentation bien conduite, pour le spectateur, s’achève sur l’impression tragique d’un désastre, c’est qu’Alcmène ne pourra plus jamais se soustraire à a conscience de cette présence-absence. Ainsi l’ont voulu Jupiter et Kleist, qui n’offre à son héroïne pas d’autre issue que le regret et l’obsession.

39Le tragique s’exacerbe dans l’ultime échange entre le dieu et la mortelle qui se sait condamnée, pour avoir trop aimé son époux, à ne jamais pouvoir oublier celui qui incarna, sublimement, le temps d’une nuit, cet époux adoré – brûlant à jamais d’un feu qui s’est intériorisé. Demander la folie, comme on demande le pardon : cette prière témoigne de l’état de désespoir où se trouve Alcmène. Mais le dieu n’a ni le détachement ni la générosité de lui accorder l’oubli que serait la folie : il veut qu’elle se souvienne, à jamais, fût-ce dans la douleur. Si le dieu se montre tellement cruel, c’est qu’il est aussi en souffrance, sentiment dont on ne trouvait nulle trace chez nos autres Jupiter.

40Giraudoux a visiblement entendu l’écho lointain de cette note déchirante – Ach ! – qui semble suggérer qu’après le passage du dieu le couple est comme anéanti. Il a été frappé par la double condamnation dont l’Alcmène de Kleist était l’objet : condamnée par le mythe, elle ne pouvait que subir le destin fixé pour elle – on ne peut défaire ce qui a été accompli, on ne peut ignorer ce qui appartient au mythe ; condamnée par le dieu, elle devait pour l’éternité se souvenir de celui qui lui était apparu et de ce qui s’était passé « au moment des ortolans », sorte de supplice effroyable fait de regret, de frustration et de désespoir. Kleist réunit physiquement le couple formé par Alcmène et Amphitryon, mais cette réunion n’opère en rien le rétablissement de l’harmonie que le dieu a troublée : pour Alcmène, Amphitryon sera à jamais l’image amoindrie de l’Autre, le Magnifique, le Disparu, l’Absent, l’infiniment Désiré ; et Amphitryon continuera à appeler « Alcmène », tourné vers celle qui fut sa femme et qui désormais rêvera de cet autre lui-même qu’il ne pourra jamais être. Giraudoux n’entend pas en rester là…

41Comment échapper à la réalité du mythe, c’est-à-dire à l’adultère et à la tromperie que ce mythe comprend, inévitablement ? L’Alcmène de Giraudoux, ignorante encore de la tourmente mythique où le destin l’a engagée, le sait par avance : elle se suicidera, jure-t-elle face au dieu masqué un peu embarrassé, si elle devient infidèle à Amphitryon42. Elle se donne cette ultime liberté contre le mensonge et la trahison, mais Giraudoux, bon prince et quelque peu jésuite, lui offre, contre le mythe, contre la fatalité, une autre issue, celle de l’oubli pur et simple. Tout pourrait se défaire tragiquement par la mort d’Alcmène, mais d’Alcmène doit naître Hercule, ce qui la rend prisonnière. Enceinte du héros, elle le contient, mais en tant que personnage mythique, elle est contenue par lui, et ne peut délier le fil qui la rattache à lui. C’est ce drame d’un personnage moderne, à égale distance du rôle pré-écrit qu’il doit interpréter et de sa propre liberté que Giraudoux a mis en scène au troisième acte : la Voix céleste retentit, dominante, tandis qu’Alcmène et son époux se débattent pour échapper à leur sort. Tout est joué, mais ils l’ignorent ; Giraudoux choisit de quitter le point de vue omniscient qui dit que les choses sont ce qu’elles sont, pour composer un dénouement privilégiant les points de vue subjectifs : les choses sont ce qu’on croit qu’elles sont.

42Le dieu de Giraudoux accorde à chacun la conclusion qu’il désire : aux Thébains, un héros et du spectacle, à Alcmène et Amphitryon, le retour à la paix et au bonheur domestique, aux spectateurs, une double satisfaction : un happy end et le plaisir de savoir ce qu’il en est vraiment. Aux premiers, Jupiter offre la version officielle, celle du mythe, vérité… ou fiction ; aux autres, il verse l’oubli43 de ce jour trouble, exauçant ainsi le vœu de l’Alcmène de Kleist. Le couple se reforme dans un « cercle de lumière », les rideaux de la nuit peuvent retomber sur l’intimité de ce couple « que l’adultère n’effleura et n’effleurera jamais » ; et si les spectateurs sont invités par Jupiter lui-même à se retirer, sans mot dire, « en affectant la plus complète indifférence44 », ce n’est plus pour couper court aux félicitations embarrassantes, c’est pour respecter l’intimité conjugale et le bonheur d’un couple d’exception… Est-ce à dire que, pour Giraudoux, le bonheur conjugal ne serait fait que de vérités officielles, d’oublis opportuns et d’images offertes en pâture au public ? La première version manuscrite45 de la pièce, ne laisse d’ailleurs aucun doute sur la valeur ironique d’un dénouement un peu trop lisse pour être honnête. Même si la note fantaisiste l’arrache partiellement à ce registre, le dénouement exprime une vision à la fois pessimiste et indulgente de l’être humain et de ses faiblesses.

43Nous lui préférons le dénouement, plus ambigu encore, imaginé par John Banville dans God’s Gift qui parvient à faire la synthèse de Kleist et de Giraudoux. Le dieu, qui avoue envier aux hommes leur mortalité, déclare à Alcmène qu’il a essayé de trouver auprès d’elle une façon de vivre, alors que son désir profond était de mourir. À elle, aux hommes, il accorde l’oubli de sa visite et des peines qu’il a causées ; mais il inscrira à jamais dans leur cœur la trace de son passage : le manque, le désir, l’illusion de la présence divine. Ils seront désormais des hommes privés de la mémoire de sa présence parmi eux (« So will you all, / your memory wiped clean »), mais soupirant, souffrant du vide laissé par son départ. Faut-il voir alors dans ce cadeau du dieu, God’Gift, une promesse ou une malédiction ?

You’ll weep for nothing, pine for what’s not there.
For you, this life will never be enough.

Vous soupirerez pour rien, languirez de ce qui n’est pas là.
Pour vous, cette vie ne sera jamais assez46.

Bibliographie

Réécritures d’Amphitryon mentionnées dans l’article

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Critique

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Ferry Ariane, « “Faciam ut commixta sit tragico-comoedia” (Plaute, Amphitruo) : petit abrégé des interprétations d’un jeu de mots devenu l’emblème d’une esthétique théâtrale du mélange », dans Milagros Torres & Ariane Ferry (dir.), Tragique et comique liés, dans le théâtre, de l’Antiquité à nos jours (du texte à la mise en scène), Actes du colloque international organisé à l’Université de Rouen en avril 2012 [en ligne], Mont-Saint-Aignan Publications numériques du CÉRÉdI, coll. « Actes de colloques et journées d’étude » no 7, 2012, p. 1-14.

Ferry Ariane, « Amphitryon et Alcmène chez Jean Giraudoux, Georg Kaiser, et Olivier Py : la fidélité en crise », dans Florence Vinas-Thérond (dir.), Le Théâtre du couple au xxe siècle, Paris, L’Harmattan, 2011, p. 219-235.

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Mortier Daniel, « Mythe littéraire et réécriture dans la double perspective de la création et de la réception », dans Chantal Foucrier et Daniel Mortier (dir.), L’Autre et le même. Pratiques de Réccritures, Mont-Saint-Aignan Publications de l’Université de Rouen, 2001, p. 105-115.

Pommier René, « Sur une clef d’Amphitryon », Revue d’Histoire Littéraire de la France, 96e année, no 2, 1996, p. 212-228.

Stärk Ekkehard, « Die Geschichte des Amphitryon-Stoffes vor Plautus », dans Hans Herter (dir.), Rheinisches Museum für Philologie, Francfort, J. D. Sauerländer’s Verlag, 1982, p. 275-303.

Notes

1 Ariane Ferry, Amphitryon, Un mythe théâtral, Grenoble, Ellug, coll. « Ateliers de l’imaginaire », 2011. Ce texte reprend, reconfigure et prolonge des analyses amorcées dans le cadre de cet ouvrage et d’autres articles. Deux romans dignes d’intérêt ont retravaillé, en prenant des orientations très différentes, le matériau hétérogène qui s’est constitué au fil des siècles et qui constitue le mythe littéraire d’Amphitryon : Ignacio Padilla, Anfitrión, Madrid, Espasa Calpe, 2000 ; Amphitryon, trad. A. Bensoussan et A.-M. Casès, Paris, Gallimard, 2001 et John Banville, The Infinities, Londres, Picador, 2009 ; Infinis, trad. P.-E. Dauzat, Paris, Robert Laffont, 2011.

2 Voir : Hésiode, Le Bouclier, v. 4-54, trad. P. Mazon, Paris, Les Belles Lettres, 1960.

3 Daniel Mortier, « Mythe littéraire et réécriture dans la double perspective de la création et de la réception », dans Chantal Foucrier et Daniel Mortier (dir.), L’Autre et le même. Pratiques de Réécritures, Mont-Saint-Aignan Publications de l’Université de Rouen, 2001, p. 105.

4 Voir Stärk Ekkehard, « Die Geschichte des Amphitryon-Stoffes vor Plautus », dans Hans Herter (dir.), Rheinisches Museum für Philologie, Francfort, J. D. Sauerländer’s Verlag, 1982, p. 275-303.

5 Voir les réflexions de Monique Crampon qui pose la question, à partir du corpus iconographique antérieur à Plaute, d’un double traitement d’Alcmène, matrona meretrix, dans « La dérision de la femme et le double visage d’Alcmène dans l’Amphitryon de Plaute », dans Mélanges Pierre Lévêque, t. 7, Anthropologie et société, Besançon, Université de Franche-Comté, 1993. p. 45-47 et 54-55.

6 Dans son étude des Amphitryons de Luís de Camões [1587], Anne-Marie Pascal note par exemple que Mercure-Sosie parle portugais, tandis que Sosie parle castillan, le poète « créant une asymétrie dans la métamorphose », dans Jean-Claude Margotton et Anne-Claire Huby-Gilson (dir.), Amphitryon ou : la question de l’Autre, Publications de l’Université de Saint-étienne, 2010, p. 54.

7 Jean de Rotrou, Les Sosies [1638], III, 3, v. 1034-1037 ; texte établi et présenté par Hélène Visentin, dans Georges Forestier (dir.), Théâtre complet, Paris, Société des Textes français modernes, t. 8, 2005.

8 Joseph de Laporte et Sébastien-Roch-Nicolas Chamfort, Dictionnaire dramatique, 3 vol., Paris, Chez Lacombe Libraire, 1776. J’ai modernisé graphie et orthographe dans les citations données ici.

9 Voir Ariane Ferry, « “Faciam ut commixta sit tragico-comoedia” (Plaute, Amphitruo) : petit abrégé des interprétations d’un jeu de mots devenu l’emblème d’une esthétique théâtrale du mélange », dans Milagros Torres et Ariane Ferry (dir.), Tragique et comique liés, dans le théâtre, de l’Antiquité à nos jours (du texte à la mise en scène), Actes du colloque international organisé à l’Université de Rouen en avril 2012, Mont-Saint-Aignan, Publications numériques du CÉRÉdI, coll. « Actes de colloques et journées d’étude » no 7, 2012, p. 1-14.

10 Laporte et Chamfort, « Dénouement », Dictionnaire dramatique, t. 1, p. 356-357.

11 Ibid., p. 358-359.

12 Ibid., p. 362-363.

13 Ibid., p. 364.

14 Ibid., p. 361.

15 Voir Vincent Jezewski, « Georg Kaiser : Zweimal Amphitryon (1943). Dédoublement et reconnaissance de l’autre », dans Ampitryon ou : la question de l’Autre, op. cit., p. 133-152 ; Ariane Ferry, « Amphitryon et Alcmène chez Jean Giraudoux, Georg Kaiser, et Olivier Py : la fidélité en crise », dans Florence Vinas-Thérond (dir.), Le Théâtre du couple au xxe siècle, Paris, L’Harmattan, 2011, p. 219-235.

16 John Banville, God’s gift: a version of Amphitryon by Heinrich Kleist, II, 7, Oldcastle, County Meath, Gallery Press, 2000.

17 . Eric Overmyer, Amphitryon. After Kleist by way of Molière with a little bit of Giraudoux thrown in, New York, Broadway Play Publishing Inc., 1996, III, p. 74.

18 John Banville, The Infinities, p. 299 ; Infinis, p. 294. Je mets en caractères romains, dans la citation originale, ce qui est une autocitation. Mercure, dieu de théâtre, prononce en effet ces mêmes paroles à la fin de God’s Gift, p. 71.

19 Voir Kleist, Amphitryon, III, 11, v. 2174 : « Kannst du ein gefallnes Los du ändern ? ».

20 Rotrou, Les Sosies, V, 4, v. 1632 et v. 1633-1636.

21 Giraudoux, Amphitryon 38, III, 5, p. 206.

22 Rotrou, Les Sosies, V, 5, v. 1666.

23 Rotrou, Les Sosies, III, 6, v. 1769-1776.

24 Rotrou, Les Sosies, V, 6, v. 1800-1802.

25 Ibid., v. 1807-1808. La dernière réplique compte 8 vers et commence avec ceux que nous citons.

26 Ibid.

27 Ibid., III, 9, v. 1870-1874.

28 René Pommier, « Sur une clef d’Amphitryon », Revue d’Histoire Littéraire de la France, 96e année, no 2, 1996, p. 212-228.

29 Ibid., p. 217.

30 Molière, Tartuffe, V, scène dernière, ultime réplique.

31 René Pommier, art. cit., p. 218.

32 Molière, Amphitryon, III, 10, v. 1298-1299.

33 Ibid., v. 1313.

34 Ibid., III, 10, v. 1914-1917.

35 Ibid., v. 1936.

36 John Dryden, « Amphitryon ou the Two Sosias [1690] », dans Hugh Thomas Swedenberg & Alan Roger (dir.), The Works of John Dryden, 20 vol. (1956-2002), Berkeley / Los Angeles / Londres, University of California Press, t. 15, 1976. V, 1, v. 420-421. Serait-ce un écho de ce que le Jupiter de Molière disait à Amphitryon : « Je n’y vois pour ta flamme aucun lieu de murmure », IIII, 10, v. 1902. Nous traduisons.

37 Ibid., V, 1, 409-410 : « Amphitryon and Alcmena, both stand mute, and know not how to take it. ».

38 Le procès est une structure dramatique qu’on retrouve à l’œuvre dans bien des pièces de Kleist, ou dans ses nouvelles. Les généraux assument ici diverses fonctions : tantôt juges, tantôt procureurs, ils mènent l’interrogatoire, commentent, en appellent au jugement du peuple.

39 Heinrich von Kleist, « Amphitryon, ein Lustspiel nach Moliere [1807] », III, 11, v. 2236-2269, dans Helmut Sembdner (dir.), Sämtliche Werke und Briefe, 2 vol, Munich, C. Hanser Verlag, 1964, 1993 ; rééd. 1 vol., Munich, DTV, no 12919, 2001, « Amphitryon », dans Œuvres complètes, t. 3, Théâtre I, trad. P. Deshusses et I. Kuhn, Paris, Gallimard, coll. « Le Promeneur », 2001.

40 Kleist, Amphitryon, II, 5, v. 1497-1505 ; trad. cit., p. 343.

41 Ibid., III, 11, v. 2305-2308 ; trad. p. 379.

42 Jean Giraudoux, « Amphitryon 38 [1929] », I, 6, dans Jacques Body (dir.), Théâtre complet, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1982, p. 139.

43 Giraudoux écrira ensuite Électre, tragédie fondée sur l’incapacité de l’héroïne à oublier. Accorder à Alcmène cet oubli nécessaire et agrémenté d’un ultime baiser divin dont elle ne perdra pas la mémoire, c’est rester fidèle à son personnage en le faisant sortir du cercle tragique qu’est le ressassement.

44 Jean Giraudoux, Amphitryon 38, III, 6, p. 195.

45 Cette première version s’achevait par un retour à la situation initiale, ce qui marquait symboliquement le caractère cyclique du mythe et de ses avatars : « Jup. – Elle est là, cher Mercure. Merc. – Et nous ici, Jupiter, bernés tous deux, et obligés de rester dans ces buissons jusqu’à l’aurore, car les prêtres nous surveillent. Et le serein tombe. Jup. – Oui, il y aura pour la première fois de la rosée sur les dieux. Merc. – Quel assemblage elle a fait de ruses et d’hypocrisies autour d’un fragment de vertu ! Je suis sûr qu’elle sait mieux que nous ce qui s’est passé ! », Théâtre complet, p. 1292.

46 John Banville, God’s Gift, scène 7, p. 65 ; traduction personnelle comme pour toutes les citations des pièces écrites en anglais.

Pour citer ce document

Ariane Ferry, « Comment vivre après le passage des dieux ? Le mythe d’Amphitryon et ses dénouements dramatiques : les tensions entre l’intime et le spectaculaire » dans «  », « Travaux et documents hispaniques », 2020 Licence Creative Commons
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Quelques mots à propos de :  Ariane Ferry

Normandie Univ, UNIROUEN, CÉRÉdI, 76000 Rouen, France
Ariane Ferry est professeur des universités en Littérature comparée (Université de Rouen Normandie). Spécialiste de mythocritique, elle travaille en diachronie, de l’Antiquité à la période contemporaine, sur la métamorphose et la reconfiguration des mythes gréco-romains, bibliques et historico-légendaires, principalement au théâtre et dans le roman. Tout en travaillant sur des mythes comme Amphitryon, Hamlet ou Œdipe, elle s’intéresse plus particulièrement aux figures mythiques féminines comme Penthésilée, Hélène, Antigone et Médée. Elle a publié en 2011, Amphitryon, un mythe théâtral et dirigé ou codirigé plusieurs collectifs sur diverses problématiques théâtrales : Le Personnage historique de théâtre de 1789 à nos jours (2014), Rendre accessible le théâtre étranger, xixe-xxie siècles (2017). Elle porte actuellement avec Sandra Provini un projet quadriennal intitulé La Force des femmes, hier et aujourd’hui, qui s’attache notamment à examiner les représentations de la criminalité et de la criminalisation des femmes en littérature et dans différents arts.