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Individu et société : représentation, rapports, conflits (I. Espagne)

Ce volume recueille quelques-unes des communications présentées au colloque international « Les représentations de l’individu et la société : rapports et conflits dans le monde hispanique » (Université de Rouen, les 13, 14 et 15 février 2008), sous la direction scientifique des professeurs Venko Kanev, Milagros Torres, José Antonio Vicente Lozano et Daniel Vives, avec le concours du laboratoire ERIAC, de l’École doctorale « Savoirs Critique Expertises » et du Conseil Scientifique de l’Université de Rouen. Les textes ont été recueillis par Milagros Torres et Miguel A. Olmos.

Couverture de

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Solipsisme d’un sujet lyrique pluriel et structure « vocative » dans la poésie d’Andrea Zanzotto

Giorgia Bongiorno


Résumés

Oscillant entre les derniers pas du mouvement hermétique et les commencements de la néo-avant-garde poétique italienne, l’œuvre de Zanzotto demeure tendue entre une extrême littérarité d’une part, qui revendique l’assomption des modèles de la tradition et, d’autre part, une expérimentation poussée à ses limites les plus risquées. Ce paradoxe fonctionne tout autant pour la mise en relation du sujet lyrique avec une collectivité qui est souvent effacée au profit du déploiement de la déconstruction du je poétique. Or, la trilogie débutant par Il Galateo in Bosco (1978), donne à la recherche de Zanzotto une valeur éthique intégrant une dimension communautaire.

Entre el final del movimiento hermético y los comienzos de la neovanguardia poética italiana, la obra de Zanzotto queda tendida entre por un lado una literariedad extrema, que reivindica la asunción de los modelos tradicionales y, por otro, una experimentación llevada a sus límites más arriesgados. Esta paradoja funciona asimismo en lo que concierne a las relaciones del sujeto lírico con una colectividad a menudo borrada en beneficio de la deconstrucción del yo poético. La trilogía iniciada en Il Galateo in Bosco (1978) confiere a la búsqueda de Zanzotto un valor ético, que integra una dimensión comunitaria.

Texte intégral

1Andrea Zanzotto est le poète sans doute le plus intéressant de la « quatrième génération » de la poésie contemporaine italienne, son « lieu d’abordage le plus difficile et le plus vertical », pour citer une récente définition de Gian Mario Villalta1. Il fait partie de la génération partisane, et on peut indiquer sans faute dans l’expérience de la guerre le nœud traumatique que sa poésie parcourra sans cesse. A la terreur de l’histoire, Zanzotto opposera toujours la géographie. Plus précisément, une anthropo-géographie du paysage où il est né, en 1921, la Vénétie (au pied des Dolomites), et duquel il ne peut ni ne veut se séparer ; et une géographie mentale, sorte de plan psychique, trace du discours psychanalytique que sa névrose déclarée le pousse à interroger sans cesse. Après un début en 1951 dans la mouvance tardo-hermétique d’un Mario Luzi ou d’un Giuseppe Ungaretti (teinté d’un surréalisme à l'Eluard et à la Lorca) avec Dietro il Paesaggio, Zanzotto s’affirme assez rapidement comme grand auteur d’une poésie nouvelle et innovatrice, à la croisée de plusieurs langues et domaines.

2On ne peut d’ailleurs que souligner d’emblée, comme élément constituant de cette œuvre, une présence double, paradoxale, une sorte d’union hétérogène entre un versant hyper littéraire, entièrement inséré dans le code de la tradition, et un versant révolutionnaire, transformant brutalement ce même code.

3Tout en perpétuant une possibilité collective de la parole – d’une haute parole, raffinée par nature, précieuse – Zanzotto, en 1957 déjà, introduit brusquement un doute capital à l’intérieur de cette tradition et s’adonne à une manipulation langagière radicale faite d’opérations asyntaxiques, asémantiques et de l’usage ludique de la chaîne signifiante. A l’image d’un poète « prophétique et sacerdotal », comme le définira Franco Fortini2, s’associe ainsi une posture totalement antithétique où, en quelque sorte, le poète n’existe plus, entièrement délégitimé dans son exercice traditionnel. Cette posture est similaire à celle des Novissimi. L’anthologie qui porte ce nom, sortie en 1961, marque la naissance du mouvement de néo-avant-garde reconnu comme Gruppo 63, formé par Edoardo Sanguineti, Antonio Porta, Alfredo Giuliani et d’autres. La réalité est à récupérer dans son intégrité à travers la négation de la communication existant dans une société capitaliste de masse, touchée de plus en plus par l’industrie culturelle et ses nouveaux langages médiatiques et qui ne se donne que dans l’inauthentique. La parole poétique devient une sorte d’agression contre la société, les vers deviennent des bombes, selon les mots célèbres d’Antonio Porta dans Le degré zéro de la poésie.

4S’impose alors l’urgence d’une refondation d’un langage et d’un sujet lyrique. Urgence que la néo-avant-garde assume à travers un procédé d’effritement des formes lyriques traditionnelles qui adopte les deux pôles opposés d’une poésie de l’aliénation ou d’une poésie babélique, plurilingue, où agissent la libre analogie, où toute structure conventionnelle est vite contaminée. Deux réactions à ce refus systématique de toute sémanticité viennent pourtant de deux figures majeures qui, toutes deux, utilisent le même terme de « défi au labyrinthe » : Italo Calvino et Andrea Zanzotto. « C’est une littérature du défi au labyrinthe que nous voulons dégager et distinguer de la littérature de la reddition au labyrinthe », affirme Calvino3. Zanzotto lui fait écho :

On est dans le labyrinthe, on est « ici » pour essayer de savoir de quel côté on y entre et on en sort […]. Pour créer une perspective. Cela a lieu justement dans la tension du langage, dans la poésie, dans l’expression […]. C’est le destin « sublime » et ridicule de Munchausen qui sort du marais en se tirant par les cheveux. Nous sommes Munchausen, la réalité est Munchausen4.

5Epigone « hors saison » du grand courant hermétique, Zanzotto se montre ainsi inactuel par rapport aux Novissimi. Car, la constatation partagée avec la néo-avant-garde d’une impossibilité de la communication humaine n’aboutit pas chez lui à la même rupture. Les chemins sont parfois identiques : regardons par exemple La Beltà, de 1968, qui est d’ailleurs le point de non-retour vers l’expérimentation. L’écriture de Zanzotto opère un brouillage du sens, largement employé par Sanguineti et les autres, qui fonctionne à plusieurs niveaux à travers des ressemblances formelles, des collusions de sens, une pratique de la répétition aberrante, et l’assomption à la signification d’entités linguistiques non signifiantes.

6Face au bourdonnement télévisé faussant toute parole, deux voies possibles se présentent : se taire ou bien se laisser traverser par le bavardage historique. Le Zanzotto de La Beltà parcourt les deux voies à la fois, en donnant à voir ainsi un paradoxe que la néo-avant-garde n’aura finalement pas interrogé. En reprenant d’ailleurs une de ses affirmations sur les Novissimi, on pourrait indiquer le moment de différenciation des deux parcours. En parlant de Sanguineti, Zanzotto affirme :

C’est justement dans ce crépitement « arrogant » de mots que se profile un manque de respect pour le désordre souffert ici et maintenant [...] tout simplement dans le contact avec l’individu, qu’il soit plus ou moins interprète de l’archi-histoire5.

7Chez notre poète cette impossibilité d’une parole vraie est ainsi « soufferte » en traduisant par là un terme italien difficile à rendre qui est celui de patito, brassant le pathos, la passion, et la souffrance. Posture profondément éthique par rapport à la posture ludique de Sanguineti, ce patimento prend le sens chez Zanzotto de la véritable quête d’une ouverture possible qu’il faut tenter de suivre.

8Dès les premiers ouvrages, d’un style encore traditionnel, le poète est déjà aux prises avec une crise de la représentativité, avec une incapacité de restituer le réel entraînant d’emblée une impossibilité du moi. Zanzotto doute même du paysage dans lequel le moi poétique se­rait contenu et protégé. Le premier recueil porte déjà la marque de ce doute par son titre même qui place la voix poétique « dietro il paesaggio ».

9La thématique bucolique très prononcée est fortement liée à une sorte de narcissisme de l’élégie, pour reprendre le discours de Pasolini sur Zanzotto. Mais, ainsi que l’affirme Pasolini, « l’élégie n’est pas là », car elle est constamment traversée par l’autocorrection, la réfection, à moins que « l’élégie [ne] se transforme en quelque chose d’autre »6. La parole est perturbée dans le mécanisme même de son émission. La crise de l’élégie n’est d’ailleurs pas un événement privé mais coïncide avec une situation historique particulière. Dans les années du miracle économique italien, ce monde paysan qui peut, au premier abord, apparaître comme un paysage-refuge (auquel Pasolini lui-même est évidemment très sensible) se transforme en « document sociologique sérieux ». Le poème dans La Beltà cité par Pasolini, « Prophéties ou mémoires ou journaux muraux » (« Profezie o memorie o giornali murali »), offre l’image d’une campagne recouverte de béton par l’urbanisation sauvage :

Fin des souffrances paysannes
des mouches et du fumier,
toiles d’araignées des fiefs, de feudataires, de propriétaires,
d’autres fresques devaient affleurer de la chaux
mais, au contraire, ici, devant, le terrain vague s’affaisse
le grand interrègne,
et des souris et des serpents ont tant acquis
désormais par ici ; mais regarde un peu :
la taupe s’est faite la plus propriétaire7.

10L’élégie n’est plus crédible, le paysage-temple est déjà fêlé, impuissant, destitué. Cette crise de la représentativité explose ensuite à travers la thématique de la terreur propre au recueil Vocativo. Le paysage est toujours là mais, après avoir expulsé le moi, il est complètement désintégré. L’expérience de la terreur qui en découle (une « terreur de tous les jours ») est à voir comme la constatation d’une consistance vide, manquante à la place du moi. « Je – en frissons continus, – je – dispersé / et présent » lit-on au début du poème « Première personne ». Ou encore, à la fin de « Impossibilité de la parole » : « arrache-moi aux matins, aux réveils / dans la terreur radieuse, / toi réveil perpétuel sur toi-même »8. Le solipsisme du vocatif enferme le moi dans un vide indicible.

11Pourtant, l’espace (laissé) vide de l’identité se révèle en même temps foncièrement multiple, désagrégé, pluriel. Par cette blessure traumatique – « (mon nom est légion) / lésion », lit-on dans La Beltà – l’espace peut être lu dans une pluralité qui se fait immédiatement sociale.

12L’irréductibilité du rapport moi-monde, la multiplicité identitaire, que son siècle poétique connait sous les formes les plus disparates du fragmentaire, prend ainsi chez Zanzotto une allure véritablement révolutionnaire, car cette disgrégation atteint et déplace les frontières du sujet contemporain. Le « désordre souffert » se réalise dans une contamination interne-externe, dans une contagion entre l’espace mental et le lieu de l’expérience physique, biologique.

C’est au point extrême, le plus haut – ou le plus bas – de la quête zanzottienne, là où la limite est le plus affectée que, paradoxalement, se fait la découverte d’un je choral et d’un nouvel humain possible. Ce point se réalise entièrement, me semble-t-il, le long de trois œuvres conçues comme un triptyque : Il Galateo in Bosco de 1978, Fosfeni de 1983 et Idioma de 1986.

13Pour ce qui est du Galatée au Bois, le bosco du Montello, près de Trévise, c’est le lieu de sédimentation de plusieurs couches historiques hétérogènes. Là fut écrit le Galateo par Giovanni della Casa ; dans sa chartreuse et dans son abbaye furent écrits des vers italiens et des vers latins. La grande forêt qui recouvrait cette terre fut également le lieu des batailles de la Première Guerre Mondiale. De ce lieu unique subsistent aujourd’hui, écrit Zanzotto, « des lambeaux de zones boisées, des villas pour weekendistes, des exploitations agricoles »9.

14Zanzotto rend sensible l’entrelacement historique hébergé par ce lieu par un formidable procédé de perturbation où la transition entre organique-inorganique, historique-naturel, est figurée à plusieurs niveaux. Du point de vue expressif, la page fait se croiser collages de poèmes imprimés, croquis maladroits de plans, cartes orographiques d’une zone que traversent maintenant les touristes du dimanche avec leur corollaire de panneaux routiers et publicitaires, mais que traverse aussi la ligne des ossuaires de la Première Guerre mondiale qui coïncide elle-même, nous explique Zanzotto, avec la faille péri-adriatique de la croûte terrestre. Cette superposition se retrouve encore dans la composition poétique qui offre au milieu du recueil une section intitulée « Ipersonetto » se composant de quatorze sonnets démarquant stylistiquement Pétrarque ou Dante. A l’expulsion du littéraire par le dessin s’associe ainsi le chiffre hyper-littéraire de la réécriture du code. La langue n’est pas non plus laissée indemne par cette opération de contamination généralisée. C’est une écriture en décomposition qui accueille les résidus de la guerre et ceux des touristes actuels, les transformations végétales, organiques, de la forêt, mais aussi les restes de tout ce qui fut écriture à travers les siècles. Les vers latins et pétrarquistes, les poèmes dialectaux du xviiie siècle, mais aussi les bulletins de guerre s’amalgament à ce corps multiple. Cette langue faite de rapprochements phoniques, de paronomases, d’ambiguïtés sémantiques, d’allitérations, se veut en parallèle, on l’aura compris, avec cette matière indifférenciée dont se compose la forêt.

15Un exemple parfait de cette confusion est donné par le poème « Dangers d’incendies » dont le titre sera pris à la lettre : vers la fin, interrompant la ligne du vers, apparaît le panneau typique des forêts italiennes pour prévenir du danger d’incendie. Dans le poème, qui se structure en deux colonnes parallèles, on suit assez aisément la dispersion du son à travers les répétitions (« la folla / la folla », juste après « la betulla del favo »), les allitérations (« chicci a picco nel cavo » ou « appena appunto ») qui miment le mouvement d’éparpillement des « chicchi », des grains, ou des « sèmi » des arbres « là e qua ». La disposition tabulaire reproduit d’ailleurs sur la page la multiplicité des foyers qui reprennent à leur tour la dispersion d’indices de poésie dans la forêt. Mais on pourra également insister sur le « babil », ce bégaiement primordial que Zanzotto critique associe au thème lacanien de la langue. Rappelons qu’à la même époque, Zanzotto utilisait une sorte particulière de « babil », le petèl, langage corporel dans le dialecte de ses terres qui mime le babillage enfantin en reproduisant toutefois le discours de la mère à l’enfant.

16C’est donc dans une dissémination maximale que s’affirme une dimension éthique de la collectivité, un nous-dialecte se référant à un heimat bien particulier, la communauté représentée par le petit village de Pieve di Soligo où habite Zanzotto. Cette choralité est ici réinven­tée d’abord dans son rapport à l’histoire. Pensons au dialogue avec les morts de la guerre à travers leur présence pourrait-on dire graphique, leurs traces. Le poème « (Maestà) (Supremo) » s’ouvre ainsi par la traduction d’une épitaphe romain : « Je ne fus. Je ne suis » ; se prolonge d’une manière inattendue : « Je n’en sais rien. Cela ne me regarde pas » ; et se termine par la même épitaphe que suit cette fois un engagement explicite : « Je ne fus. Je ne suis. Je n’en sais rien [...] Et pourtant, cela me regarde »10.

17Ce que le paysage du Montello restitue est un non-sens historique et un non-sens social majeurs. Les ossuaires tracés dans Galateo sont à la fois ossuaires de la langue, de la société et de la nature. Ils gardent pourtant un résidu vital que Zanzotto entrevoit comme matérialité résiduelle de la parole poétique « authentique ». On a l’impression que c’est en traversant cette matière, en la parcourant dans toute sa résistance, que se trace une voie possible vers une histoire et une société.

18Cette réinvention paradoxale de l’histoire crée un « nous ». Dans un des derniers poèmes de Galateo, qui porte le titre « Che sotto l’alta guida », la volonté de sortir du solipsisme (« de mon cerveau acidulé je me désenivre ») s’associe à un « nous » (« avec toi avec vous ») qui serait un ensemble inédit que composerait une marâtre Nature léopardienne, déjà et depuis toujours imprégnée du sang de l’histoire et les figures fraternelles des soldats tués. Le poète veut dès lors « inerbarsi », « rester à hauteur d’herbe », « rester en proie au verdoiement herbeux », d’une herbe ensanglantée, qui serait sa manière de rentrer dans l’histoire.

19Dans Fosfeni, le deuxième volet de la trilogie, le tour de force ne se fait plus dans une manipulation des profondeurs. Sur les hauteurs des Dolomites nous assistons à une lutte incessante pour créer une zone franche, qui ne soit pas touchée par l’aliénation du langage.

20Le concept le plus frappant dans ce contexte reste celui de pomoerium présent dans le poème « Collassare e pomerio » (« Imploser et pomoerium »). Le pomoerium (post murum) est cet espace sacré autour des murs de la Rome antique où il est interdit de labourer et de construire. Zanzotto nous indique par-là cette dialectique tout à fait originale entre la langue du pomerio, zone indistincte et tabou, et la langue de la ville, porteuse de signification. La langue poétique, en dehors de la signification communautaire, sauvegarde en quelque sorte celle-ci, la protège, la permet, courant ainsi le risque d’imploser par trop de pressions. Zanzotto n’aurait pu mieux esquisser la tension dramatique dans son écriture entre la perception continuelle de la langue comme « perte sèche », comme signe d’une défaite d’une intelligence commune et cette exigence malgré tout d’une fonction collective. Drame rendu d’ailleurs par l’anaphore de « Dis-moi », adressé à l’essence du langage :

Dans les vagues lueurs du pomoerium
[...] Dis-moi de quelle manière, de quelle implosion
Dis-moi quelle langue j’ai perdue et laissée imploser
Dis-moi en quelle langue j’ai perdu, j’ai implosé
et pourquoi en cette enceinte aimée pour l’immensité de
sa perte, j’ai erré sans jamais me perdre,
bien qu’ayant pourtant été perdu par quelqu’un, par quelqu’un…

21À la fin, le poète retrouve sa position d’inévitable déséquilibre, se perdant dans cette perte et ne se perdant jamais dans son village : « Dis-moi : et puis cela ne fait rien : penché sur le pomoerium / à l’inégal, sous déséquilibre ou expulsion depuis le haut état / des cieux »11.

22Finalement, au-delà de la lecture d’un pomoerium comme poésie tabou, sacrée et pour cela même nécessaire à la ville, il est possible de voir aussi ce pomoerium plus vaste qu’est le territoire à partir duquel Zanzotto peut écrire, ce périmètre de la région natale qu’il définit à la fois comme nécessité et handicap et que la trilogie enregistre très exactement en dessinant le Montello dans le Galateo, la couronne des Dolomites dans Fosfeni et le coeur de ce territoire, le village de Pieve di Soligo, dans le dernier volet de la trilogie, Idioma. Comme si, dans les limites de son village (y compris les limites de vitesse, dont on trouve le panneau dessiné au beau milieu d’un poème, après le vers « où se termine par le panneau le petit village dans le néant ») ; comme si dans le cadre de son être au monde, Zanzotto menait son combat de résistance. On lit, à la fin du poème « Verso il 25 aprile » (date de commémoration de la Résistance Partisane) l’image de « ce qui essaie de s’arc-bouter sur ses pieds » (« ciò che punta i piedi seppur »)12.

23En suivant la marche zanzottienne allant du refus solipsiste au je dialogique, jusqu’à une dimension collective particulière, on peut indiquer dans cette résistance « s’arc-boutant » la manière singulière de tisser un lien entre individu et société.

24Il est finalement tentant de voir ce point d’arrivée s’incarner dans Zanzotto lui-même, cet homme plus qu’octogénaire maintenant et qui, poète difficile et isolé, est devenu paradoxalement une sorte de paladin écologique assez médiatisé, luttant pour préserver les terres que sa poésie parcourt.

Notes

1 Gian Mario Villalta, La costanza del vocativo, Milan, Guerini & Associati, 1992.

2 Franco Fortini, Saggi ed Epigrammi, Milan, Mondadori, 2003, p. 1191.

3 Italo Calvino, « Una sfida al labirinto », Una pietra sopra, dans Saggi 1945-1985, Milan, Mondadori, 1995, t. I, p. 122 ; trad. Giorgia Bongiorno.

4 Andrea Zanzotto, « Il mestiere di poeta », Le poesie e prose scelte, Milan, Mondadori, 1999, p. 1132 ; trad. Giorgia Bongiorno.

5 Andrea Zanzotto, « I novissimi », ibid., p. 1109 ; trad. Giorgia Bongiorno.

6 Pier Paolo Pasolini, Saggi sulla letteratura e sull’arte, Milan, Mondadori, 1999, t. II, p. 2570 ; trad. Giorgia Bongiorno.

7 « Fine delle sofferenze contadine / delle mosche e della grassa, / ragnatele di feudi di feudatari di proprietari, / altri affreschi dovevano affiorare dalla calce / ma invece qua davanti s’avvalla il terrain vague / il grande interregno, / e topi e serpi hanno tanto comperato /ormai da queste parti ; ma guarda / che più s’è fatta proprietaria la talpa » (Andrea Zanzotto, « La Beltà », Le poesie e prose scelte, op. cit., p. 318, p. 341 ; trad. Philippe de Meo, La Beauté, Paris, Maurice Nadeau, 2000, p. 161).

8 « Io –in tremiti continui, –io– disperso / e presente » (« Prima persona ») ; « ai mattini toglimi, ai risvegli / nel raggiante terrore, / tu risveglio perpetuo su te stesso » (« Impossibilità della parola »), dans Andrea Zanzotto, « Vocativo », Le poesie e prose scelte, op. cit., p. 162 et ensuite p. 177 (trad. Philippe de Meo, Du paysage à l’Idiome. Anthologie poétique 1951-1986, Paris, Maurice Nadeau / Editions Unesco, 1994, p. 49).

9 Andrea Zanzotto, « Il Galateo in Bosco », Le poesie e prose scelte, op. cit., p. 643 ; trad. Philippe de Meo, Le Galaté au Bois, Nantes, Arcane 17, 1986, p. 205.

10 « Non fui. Non sono. Non ne so nulla. Non mi riguarda » ; « Non fui. Non sono. Non ne so nulla […] Eppure mi riguarda », Andrea Zanzotto, « Il Galateo in bosco », Le poesie e prose scelte, op. cit., p. 582-583 ; trad. Philippe de Meo, Le Galaté, op. cit., p. 83-85.

11 « nei baluginii del pomerio / […] Dimmi quale e che modo di collassarsi / Dimmi quale lingua ho perduto e lasciato collassarsi / Dimmi in che lingua ho perduto ho collassato / e perché in questa cinta amata per la sua tanta / perdita / mi sono aggirato senza mai perdermi / ma pur sono stato perduto da alcuno da alcuno » ; « Dimmi : e poi non fa niente : chinato sul pomerio / all’impari, sotto sbilancio o sfratto dall’alto stato / dei cieli… », Andrea Zanzotto, « Fosfeni », Le poesie e prose scelte, op. cit., p. 661 ; trad. Philippe de Meo, Du paysage à l’Idiome, op. cit., p. 203.

12 Andrea Zanzotto, « Idioma », Le poesie e prose scelte, op. cit., p. 733 ; trad. Philippe de Meo, Du paysage à l’Idiome, op. cit., p. 251.

Pour citer ce document

Giorgia Bongiorno, « Solipsisme d’un sujet lyrique pluriel et structure « vocative » dans la poésie d’Andrea Zanzotto » dans « Individu et société : représentation, rapports, conflits (I. Espagne) », « Travaux et documents hispaniques », n° 1, 2011 Licence Creative Commons
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Quelques mots à propos de :  Giorgia Bongiorno

Giorgia Bongiorno, Prag d’italien au département d’Études Romanes de l’Université de Rouen. De formation philosophique, elle est docteur de littérature française et traductrice littéraire. Actuellement, elle fait une thèse en Littérature Italienne sur l’œuvre du poète italien Andrea Zanzotto. Publications : « Andrea Zanzotto. Nei “sentieri interrotti” della tradizione », dans P.-C. Buffaria (éd.) Re-inventare i classici / Re-inventer les classiques », à paraître dans les Cahiers de l’Hôtel de Galliffet (Institut Italien de Culture de Paris) ; préface et edition critique de Antonin Artaud, Artaud-le-Mômo, Ci-gît e altre poesie (Collection Blanche de poésie des Editions Einaudi, 2003).