1 | 2011
Individu et société : représentation, rapports, conflits (I. Espagne)

Ce volume recueille quelques-unes des communications présentées au colloque international « Les représentations de l’individu et la société : rapports et conflits dans le monde hispanique » (Université de Rouen, les 13, 14 et 15 février 2008), sous la direction scientifique des professeurs Venko Kanev, Milagros Torres, José Antonio Vicente Lozano et Daniel Vives, avec le concours du laboratoire ERIAC, de l’École doctorale « Savoirs Critique Expertises » et du Conseil Scientifique de l’Université de Rouen. Les textes ont été recueillis par Milagros Torres et Miguel A. Olmos.

Couverture de

1 | 2011

L’exilé espagnol dans la France de Louis-Philippe : questions identitaires et engagement politique, 1830-1848

Catherine Sablonnière


Résumés

La France de Louis-Philippe offrit un asile, sous certaines conditions, aux multiples réfugiés espagnols contraints à l’exil alors que s’érige l’État libéral dans la péninsule. Mesurer l’impact de l’expérience de l’exil sur l’engagement politique des exilés est l’objectif de cette étude basée sur des documents d’archives. Il appert que l’exilé revendique peu sa condition de réfugié politique pour recevoir une aide financière vitale. La possibilité de conspirer et la volonté d’engager une réflexion politique approfondie semblent compromises pour ces Espagnols même si la fiabilité des sources utilisées reste problématique.

La Francia de Louis-Philippe ofreció un asilo político a numerosos españoles. La experiencia del exilio supuso un aislamiento de los combatientes preocupados por su supervivencia material ante todo ; los documentos sacados de los archivos tienden a minimizar el impacto de dicha experiencia en la formación ideológica de los exiliados que forman grupos heterogéneos y poco solidarios. Sin embargo quedan evidenciadas redes personales interesantes para entender la trayectoria de ciertos emigrados más involucrados en la lucha política de su tiempo.

Texte intégral

1Le règne de Louis-Philippe en France (1830-1848) correspond à une période de relative tolérance et d’ouverture aux exilés de tous les pays d’Europe, très nombreux suite aux révolutions belge, polonaise, italienne et aux conflits qui déchirent la société et le monde politique espagnols et portugais pendant cette même période. Les réfugiés politiques espagnols dont la définition résiste à une réduction catégorielle et apparaît d’emblée complexe eu égard à la chronologie retenue, 1830-1848, sont tour à tour des libéraux, des carlistes, des républicains, des démocrates. Les conflits motivant l’exil se superposent ou s’enchaînent à une surprenante rapidité.

2En effet, en 1830, la monarchie despotique de Ferdinand VII, âgé et malade, bien qu’amorçant une ouverture vers des positions moins conservatrices dans certains domaines, reste intransigeante à l’égard des mouvements libéraux qui aspirent à renverser le monarque dans des tentatives de pronunciamientos désespérés, comme celui de Torrijos en 1830. Les libéraux trouvent refuge en Angleterre, en France, au Portugal ou aux Amériques, d’où ils conspirent plus ou moins activement contre le roi légitime, si l’on en croit les missives échangées entre l’Ambassadeur et les consuls d’Espagne en France d’un côté et l’administration centrale du royaume de l’autre.

3Entre 1833 et 1848, deux régences se succèdent : celle de Marie-Christine, veuve de Ferdinand VII et celle du général Espartero, avant que la jeune Isabelle II ne monte effectivement sur le trône. Les luttes intestines qui déchirent le camp libéral, miné autant par des débats d’idées révélant l’incompatibilité de conceptions théoriques opposées que par des animosités toutes personnelles, provoquent également des vagues de répression à l’encontre de ceux qui ne soutiennent pas ouvertement la Régence ou le gouvernement en place. À cet égard, la répression des mouvements révolutionnaires catalans de 1842, décrétée par le général Espartero, précipita la chute du Régent et fragilisa durablement la tendance progressiste du libéralisme espagnol privée de la figure de leader populaire qu’avait pu à un moment incarner le général.

4Enfin, la première guerre carliste, de 1833 à 1839 se conclut par le traité de Vergara qui ne résout pas l’antagonisme politique, social, culturel et géographique qui avait préludé son déclenchement. Les militaires et fonctionnaires carlistes se voient contraints d’abjurer leur cause ou de franchir les Pyrénées pour échapper à la vindicte d’un pouvoir libéral soucieux d’hégémonie. La résurgence du conflit, en 1848-1849, révèle la permanence de profondes tensions au sein de la monarchie.

5Ces conflits que l’historiographie a retenus ne doivent pas nous faire oublier d’autres affrontements plus confus, perceptibles à la lecture des archives contemporaines : une nébuleuse de groupuscules en voie d’organisation, des mouvements républicains et démocrates, qui ne disent pas encore clairement leur nom, cherchent à conquérir une place sur l’échiquier politique national et européen. Les militants de ces causes préfigurent parfois les révolutionnaires professionnels de la fin du siècle, ils sont sur les routes, avancent souvent masqués, sous des identités factices, pourchassés par les polices de toutes les monarchies inquiètes de leur détermination à mettre fin à un pouvoir royal séculaire. L’histoire de ces conspirations reste à écrire aussi bien que celle de la politique de l’État libéral espagnol naissant en matière de contrôle politique et idéologique de ses administrés. On peut néanmoins approcher un des aspects de celle-ci à travers le cas des exilés espagnols en France.

6Des études approfondies, tel l’ouvrage de Gérard Noiriel Réfugiés et sans-papiers1, ont mis en lumière en quoi la politique à l’égard des réfugiés révèle la nature même des évolutions politiques en cours au xixe siècle (l’élaboration imparfaite d’un État nation, le processus de bureaucratisation, etc.) et permet d’appréhender des situations particulières, celles de tous les réfugiés considérés comme des individus à part entière et traités comme tels dans une France encore profondément attachée à des valeurs d’Ancien Régime, où la pratique de la bienfaisance domine dans l’accueil des étrangers, avant que la conception plus distanciée et juridique du droit d’asile ne finisse par s’imposer. Gérard Noiriel s’attache à explorer et à faire ressurgir, parmi les témoignages recueillis dans les sources d’archives, la parole des exilés eux-mêmes, restituant toute l’épaisseur humaine d’une histoire trop souvent réduite à des considérations quantitatives et rendant leur valeur à des récits à première vue anecdotiques et pourtant révélateurs de destinées rocambolesques parfois, souvent malheureuses, encore possibles dans une société où le lien invisible tissé par l’État bureaucratique entre les membres de la communauté nationale ne prime pas encore sur les réseaux intimes, amicaux ou professionnels.

7En marchant dans les pas de Noiriel, et mettant à profit les études sur les exilés espagnols menées par Rafael Sánchez Mantero, Aline Vauchelle et Gérard Dufour, les articles de Patrick Harismendy sur les réfugiés politiques en Bretagne entre 1830 et 18482, j’ai tenté d’approcher à mon tour la question de l’exil politique des Espagnols en France, m’interrogeant sur l’identité de l’exilé, sur la nature de son engagement politique et cherchant, au travers des sources disponibles, à définir les liens qui le soudent à une communauté particulière (nationale, politique, sociale…). Il s’agissait enfin d’observer, dans la mesure où les sources disponibles pouvaient le permettre, les stratégies qu’il développe pour survivre dans un milieu somme toute assez hostile puisque l’exilé doit s’ajuster aux normes culturelles et légales de son nouvel environnement. Les témoignages, fort rares au demeurant, dont l’historien dispose pour écrire cette histoire encore bien confuse de l’exil politique en France sont en général l’œuvre de personnalités en vue appartenant à la noblesse et/ou jouissant d’appuis dans la société française grâce à des réseaux familiaux et professionnels avantageux. Les mémoires de certains exilés espagnols qui ne connurent souvent que la douce villégiature des salons parisiens ne seront pas ici exploitées, l’objectif étant plutôt d’exhumer une mémoire plus secrète et comme écrite en pointillé dans les documents d’archives qui, sous des dehors assez excitants, en ce qu’ils livrent leur contingent d’histoire édifiantes et d’anecdotes amusantes, offrent à première vue peu de données réellement exploitables, si l’on cherche à obtenir une synthèse pertinente des parcours des exilés.

8Les archives diplomatiques du Quai d’Orsay à Paris, les archives départementales d’Ille-et-Vilaine, des Côtes d’Armor, de Mayenne, les archives consulaires espagnoles de Cette3, Marseille, Oran, Le Havre conservées à l’Archivo Histórico Nacional de Madrid, ont constitué la base documentaire de la présente étude. Certes, le corpus n’est point exhaustif, mais il ne s’agit pas ici de présenter une synthèse sur l’exil espagnol en France. L’intérêt des sources diverses consultées est qu’elles offrent un triple regard sur des individus qui ne forment pas un groupe homogène d’exilés : le regard des autorités françaises, celui des exilés eux-mêmes, qui leur adressent maintes suppliques et celui des consuls d’Espagne en France, sommés de contrôler les réfugiés et d’apprécier le zèle des autorités françaises qui s’engagent auprès du gouvernement espagnol en place à tout mettre en œuvre pour éviter des rassemblements d’Espagnols à la frontière, à une époque où, comme le souligne Gérard Noiriel, c’est encore le nombre qui fait la force des opposants.

9L’assertion de Rafael Sánchez Mantero qui soutient que les exilés possèdent une idéologie politique concrète et qu’ils reviennent en Espagne « avec un bagage politique et culturel rénové par les influences qu’ils ont subies pendant leurs années d’exil » et qui affirme que « ceux qui insistent sur la nécessité de souligner que l’émigration politique a contribué à accentuer une évolution idéologique chez ces hommes enfoncent pour ainsi dire des portes ouvertes »4, ne mérite-t-elle pas d’être nuancée (l’auteur l’a d’ailleurs fait dans un article postérieur) à la lumière des témoignages livrés par ces sources d’archives, propres à bousculer nombre de certitudes sur l’expérience forcément formatrice de l’exil ?

L’exemple rennais (cadre légal, accueil et secours)

10Les réfugiés, quelle que soit leur nationalité, sont d’abord considérés comme des membres d’une armée en déroute et c’est à ce titre qu’ils sont regroupés dans des dépôts où ils reçoivent des subsides dont le montant dépend du grade atteint dans la hiérarchie militaire. Les premiers dépôts sont dissous en 1832, ceux où étaient réunis les Espagnols le seront en 1834. À partir de cette date, ils peuvent choisir le lieu de leur résidence, où ils seront toujours soumis à une surveillance active des autorités, par le biais de l’assistance reçue. L’exilé doit en effet se présenter régulièrement à un représentant du gouvernement pour toucher son allocation. Le groupe des exilés, la communauté initialement créée dans le dépôt, se désagrège alors et le destin de chaque exilé devient un sort individuel. Beaucoup de départements sont interdits aux Espagnols, sommés de se fixer loin des frontières, qu’elles soient continentales ou maritimes (les départements de l’Ouest français ne peuvent devenir lieu de villégiature des Espagnols, étant donné le danger que représente la concentration d’exilés carlistes dans des terres légitimistes et eu égard à la proximité des côtes anglaises).

11Les autorités compétentes – maires, commissaires de police, préfets – ne prennent pas en compte la cause qui a motivé l’engagement de l’exilé et sa disgrâce. Tous les réfugiés sont sur un pied d’égalité. La distinction se fait sur des critères purement hiérarchiques (grade militaire) et sociaux (appartenance à une famille noble ou renommée, charge familiale éventuelle, état de santé). Il n’est point accordé de valeur supérieure à tel ou tel engagement politique. Le carliste n’est pas moins bien considéré que le libéral même s’il représente un danger potentiel quand il s’établit dans des terres légitimistes, en Bretagne par exemple. La monarchie bourgeoise continue de pratiquer une politique de charité envers les combattants malheureux, dans la tradition d’Ancien Régime, comme l’a montré Noiriel.

12Certes, celui qui a combattu pour la liberté et la démocratie éveille sans doute plus de sympathie chez le préfet, fraîchement nommé par le gouvernement issu des journées de juillet 1830, chargé de recueillir sa demande de subside et de l’intégrer ou non dans la catégorie des réfugiés politiques. Mais l’administration française est loin d’être homogène sur le plan idéologique. Tous les fonctionnaires n’ont pas été renouvelés après la révolution de 1830. Certains légitimistes ou sympathisants carlistes français s’intègrent même dans l’administration libérale, cherchant parfois à masquer un passé compromettant qui finit cependant par les rattraper.

13Ainsi, le commissaire Duchemin, à Rennes, apparaît comme un cas symptomatique de l’employé de l’administration qui pose toute la question de l’engagement politique des fonctionnaires et de leur fidélité à une cause ou de leur volonté de conserver leur poste au travers des vicissitudes politiques de leur temps. Léonor Félix Duchemin, né en 1793, sans fortune, gravit lentement les échelons de l’administration, passant du statut de clerc d’avoué à celui de greffier de justice et de paix, puis il s’emploie dans une préfecture et finit par accéder au commissariat de Rennes en 1835. Il est inquiété à partir des années 1840-1842. Le dossier Duchemin5 conservé aux archives d’Ille-et-Vilaine ne permet pas de faire la lumière sur l’affaire qui entraîne la disgrâce du fonctionnaire. Il semblerait que Duchemin aurait aidé le père de la comtesse du Bois de la Motte et qu’il aurait employé un individu douteux par erreur ; la comtesse défend le commissaire, parle de manœuvre dictée par la jalousie et nie toute accointance du commissaire avec les légitimistes. Les adversaires du commissaire iront jusqu’à l’accuser de vol et d’avoir été emprisonné pour ce forfait ; on exhume un ancien codétenu qui reconnaît le commissaire. L’affaire se clôt en 1842, fautes de preuves, mais ressurgit en 1846 quand le ministre de l’Intérieur transmet au préfet d’Ille-et-Vilaine une lettre d’une certaine dame Naudin6, femme de l’ancien commissaire de Rennes, accusant Duchemin d’être un agent légitimiste déguisé. Elle cite les noms de plusieurs personnes impliquées dans des complots, cachant des armes et servant la duchesse de Berry et dont le commissaire aurait assuré la protection. D’autres fonctionnaires sont impliqués comme le contrôleur des contributions directes. Duchemin doit alors quitter la Bretagne, chassé par ces dénonciations calomnieuses dont il est difficile aujourd’hui de démontrer le bien-fondé. Cette affaire montre combien est fragile la situation du fonctionnaire dont la carrière a pu susciter des jalousies et combien il est délicat d’établir la preuve de fidélités politiques précises eu égard à la diversité des témoignages divergents sur la moralité de Duchemin. La fragilité du destin de celui qui ne jouit point d’une fortune personnelle et qui doit compter sur l’appui des puissants, ressort ici avec force et nous aide ainsi à apprécier en contrepoint la situation des exilés politiques, eux aussi confrontés à la suspicion des autorités.

14Tous les fonctionnaires ne sont pas soumis à la même surveillance. Ainsi, le notable rennais Hardouin, négociant en vin, a cumulé avant la Révolution de juillet les situations de responsable du service des passeports et livrets de la mairie, de propriétaire de la commune de Bruz et d’inspecteur des nourrices de l’arrondissement. Son neveu lui a succédé au service des passeports en dépit de ses opinions clairement légitimistes. Michel Hardouin joue un rôle extrêmement important dans l’accueil des réfugiés espagnols. Son commerce lui permet de disposer facilement de passeports pour l’intérieur, avantage dont il fait profiter ses amis politiques7. Des fonctionnaires travaillant au service du courrier à Rennes ont des liens de parenté directs avec d’anciens fonctionnaires des Bourbons. La communication n’est donc pas rompue entre les anciens réseaux qui peuvent continuer de correspondre par des voies officielles.

15L’exilé espagnol n’est donc point valorisé auprès des autorités pour son engagement politique mais celui-ci lui permet de solliciter des secours auprès des notables locaux, légitimistes ou libéraux, voire républicains, qui aident généreusement ces réfugiés, fidèles, à l’instar de la monarchie bourgeoise, à la tradition de bienfaisance. Plusieurs courriers témoignent de la générosité des notables bretons : un certain Gaya, ancien commissaire de guerre de Don Carlos, touche ainsi 1 200 francs de pension que lui verse la noblesse de Redon8. Des Rennais s’organisent pour trouver du travail aux réfugiés espagnols qui, sans cette promesse d’embauche, ne pourraient prétendre au secours et fixer leur résidence dans la ville : emplois de jardinier, de domestique, de garçon de ferme ou d’homme de peine9. Une lettre d’un des membres d’un comité de soutien légitimiste au préfet d’Ille-et-Vilaine en 1842 rappelle que si les Espagnols affluent en Bretagne c’est parce que « les secours sont généreux » et nie toute entreprise politique des réfugiés, qui n’ont aucune intention de fomenter une guerre civile « moyen barbare désastreux »10. L’aide serait donc moins motivée par le partage de convictions politiques communes que par la compassion qu’inspire le sort de ces exilés privés de toute ressource.

16Cependant, le soupçon pèse sur cette population de réfugiés dont le nombre augmente et qui grève le budget déjà conséquent de subsides accordés par le gouvernement. Pour restreindre l’octroi de cette aide, le gouvernement français, dès les années 1834-1835 et surtout après l’avènement de Guizot, en 1848, va exiger une identification plus précise de l’exilé et une vérification de ses états de service afin d’exclure d’éventuels déserteurs ou vagabonds de la liste officielle des réfugiés politiques. Ces mesures visant à établir des fiches individuelles plus précises vont également permettre de renvoyer en Espagne les combattants concernés par les décrets d’amnistie successifs édictés par les gouvernements de la péninsule et suspendus ou élargis au gré de l’agitation politique du moment.

17Le ministre de l’Intérieur s’adresse ainsi aux préfets en décembre 1835, leur signifiant « qu’on refuse l’entrée de la France à tous ceux qui ne seraient pas porteurs de passeports d’agents diplomatiques ou consulaires d’Espagne […]. Cette règle ne doit souffrir d’exception jusqu’à nouvel ordre, qu’à l’égard des voyageurs de cette classe qui pourraient offrir pour garantie de leurs dispositions politiques, le témoignage de citoyens avantageusement connus »11. L’exilé va donc devoir produire des preuves de son identité et de son passé politique qui lui sont très difficiles à réunir, car il est séparé de sa communauté. En outre, il est souvent en résidence dans une petite ville où sa survie dépend du bon vouloir et de la générosité des notables locaux. Doublement exilé, il va devoir solliciter l’aide et le témoignage de ces notables qui vont parfois suffire à certifier son récit et lui permettre d’obtenir des papiers et un passeport en règle.

18Les dossiers individuels des exilés espagnols font apparaître la diversité et le peu de fiabilité de ces recommandations. Ainsi, la demande de José Rochados est appuyée par le préfet de Loire Inférieure, qui se contente d’indiquer à son homologue d’Ille-et-Vilaine que le sieur Rochados est autorisé à se rendre à Rennes « sur les sollicitations d’une personne recommandable de cette ville », sans que l’on sache au juste de qui il s’agit. On apprend ensuite que c’est certainement quelqu’un de l’entourage de Mme de Guébriant. Mathias Calvo est recommandé par M. Henry et M. du Bourgblanc12. Cette accointance avec les légitimistes ne semble pas gêner l’administration qui se satisfait des bonnes références du réfugié. Les lettres de recommandation ont en général disparu des dossiers des exilés, aussi ne peut-on savoir quel est le lien véritable qui les unit à ces notables charitables. On peut néanmoins envisager qu’une étude plus fouillée des personnes impliquées dans l’accueil des réfugiés pourra mettre en lumière le type de réseaux mobilisés.

19L’exilé se trouve dans une situation ambiguë. D’un côté les autorités lui accordent une aide mais elles ne reconnaissent qu’en partie son engagement politique ; il est cependant sommé d’en faire la preuve. Il doit aussi apparaître sous un jour pacifique et d’une moralité irréprochable. De l’autre, il peut recevoir de l’aide de certains comités bien identifiés politiquement et socialement, mais il s’expose alors à des sanctions de la part du gouvernement français d’où la tentation de renoncer aux subsides officiels et de rentrer dans la clandestinité, ce qui l’expose à d’autres dangers. En Bretagne, il risque de se voir réduit à un simple rôle de passeur d’information entre légitimistes quand il n’est pas tout simplement exploité par des donateurs peu scrupuleux. Angel Ortega, chef de bataillon carliste, est ainsi soupçonné de servir de « porteur habituel des dépêches du parti légitimiste dans les campagnes des environs de Vitré », mais le préfet d’Ille-et-Vilaine mettra en doute cette accusation et lui donne un visa en dépit des consignes ministérielles car l’individu lui paraît peu dangereux, âgé et sans ressources propres13. M. Hardouin, dont le nom a déjà été cité plus haut, est accusé de persécuter les réfugiés espagnols dans une lettre de dénonciation adressée en 1844 au préfet d’Ille-et-Vilaine : « il reçoit tous les ans 4 000 f d’une loterie qu’il fait pour les réfugiés et il reçoit aussi 6 ou 8 000 f des personnes qui contribuent au comité, il ne reverse que 3 000 f aux Espagnols ». Hardouin cache des réfugiés qu’il a fait venir d’autres départements chez lui et les fait travailler pour son commerce14.

20La situation des exilés espagnols en France et en Bretagne est donc difficile, la question des secours étant primordiale pour ces réfugiés privés de ressources. Réduits dans bien des cas à n’être que les victimes d’une situation de fragilité, les Espagnols se terrent souvent dans le silence. Leur isolement semble contredire toute velléité de militantisme politique. Leur parole politique même semble absente des documents exhumés dans les archives15. Quelques suppliques montrent d’ailleurs que les Espagnols en appellent plus à l’humanité de leurs hôtes qu’à une solidarité politique. Dans une lettre au préfet d’Ille-et-Vilaine, trois Espagnols « réfugiés progressistes des dernières révolutions de Madrid » demandent la permission de jouer de la musique dans la rue pour gagner leur vie. Ils s’adressent ainsi au préfet, dans un français maladroit où perce l’émotion : « vous devez savoir apprécier la situation d’un malheureux espagnol réfugié qui s’est battu pour la liberté. Je pense que votre cœur humain ne laissera pas languir des personnes qui se recommandent à vous »16.

21Comment dès lors espérer cerner l’engagement politique des exilés et saisir l’impact de l’expérience de l’exil sur les Espagnols concernés ?

Une identité politique problématique

22La question de l’appartenance politique des exilés suppose au préalable que l’on sache bien à qui l’on a à faire. Or, l’identité des exilés pose problème à une époque où les papiers renseignent sur le nom de la personne et n’offrent qu’une description imparfaite des principaux traits physiques du porteur du passeport. L’orthographe des noms étrangers est aléatoire et témoigne de l’ignorance de la langue espagnole des fonctionnaires de la monarchie. Cela permet à certains Espagnols de se faire passer pour Portugais afin de recevoir plus facilement un passeport et de pouvoir ainsi rejoindre l’Espagne par voie de terre. Le trafic de faux passeports se développe, le ministère de l’intérieur met en garde les préfets : « des Espagnols précédemment expulsés sont parvenus à s’introduire dans ce pays à l’aide de passeports qui leur ont été délivrés, soit dans des consulats français en Amérique, soit dans des ports de France, et qui les désignent comme Français »17.

23Quant à la reconnaissance et la définition des causes politiques représentées par les Espagnols, les autorités françaises s’y perdent tant les qualificatifs sont nombreux et encore mal définis : centralistes, républicaines, démocrates, espartéristes, membres d’un « partido desorganizador »18, anarchistes, montemolinistes, factieux, sont les termes qui désignent autant de tendances et qui composent un tableau résistant à toute classification claire et précise. La trajectoire mouvementée de certains hommes politiques espagnols laisse perplexes les observateurs qui tentent de suivre leur parcours. Ferdinand de Lesseps croque ainsi le portrait politique de Patricio de la Escosura, ancien officier d’artillerie « privé de son emploi pour ses opinions carlistes », membre de la société secrète modérée de Jovellanos, puis au service des modérés, avant de rejoindre les Puritains. Il se lie d’amitié avec le banquier Salamanca « qu’il a fini par suivre dans sa dernière expédition républico-révolutionnaire ». Le diplomate conclut : « Actif, généreux, dévoué à ses amis. D’une grande mobilité d’idées et de convictions »19. Lesseps offre d’autres portraits de personnalités de première importance pour l’histoire de l’Espagne contemporaine, et sa biographie du général Prim est aussi peu éclairante sur ses opinions politiques : « imagination ardente, moralité nulle, dévouement politique problématique, aventurier, dangereux »20. Si les chefs de file des mouvements révolutionnaires semblent marqués par l’opportunisme politique, la définition des mouvements politiques qui s’affrontent fait aussi débat. Les anarchistes sont présentés comme des progressistes par le commissaire de police de Marseille dont les propos sont recueillis par le consul d’Espagne dans la ville : « Les anarchistes qui prennent le nom de progressistes se proposent de demander à cor et à cri la constitution de 1812 ». Il assure qu’une « scission doit s’opérer dans le parti modéré, à la suite de laquelle les deux camps feront fusion avec le parti républicain et carliste »21. Un agent, Joseph Louis Torres, est présenté comme « agent carliste ou agent progressiste » appartenant au parti démocratique (sic)22 ; enfin, dernier exemple, l’ami d’enfance du général Prim, Martell, est présenté comme « centraliste » et républicain, les deux termes n’étant pas exactement synonymes à cette époque23. Ces errements dans le kaléidoscope de mouvements qui foisonnent à cette époque s’expliquent par le déficit de réflexion théorique qui caractérise le mouvement républicain espagnol en particulier, comme l’a montré Florencia Peyrou24. Les courriers échangés entre les préfets et les ministres, les commissaires de police et les consuls, nous apprennent également l’existence de conspirations unissant les carlistes et les républicains en exil, vaste entreprise encore peu connue par les historiens, dont il reste à établir la preuve.

24Les autorités françaises semblent avoir une vision fort confuse des mouvements politiques et de l’identité des conjurés réels ou supposés, qu’ils soupçonnent en permanence de complot, ce qui révèle l’angoisse d’un État qui contrôle encore peu son territoire et la circulation des hommes qui l’occupent. Les observateurs français tentent de classer les mouvements politiques espagnols à l’aune des tendances qui émergent dans le paysage politique national. Ce décalage souligné, il n’en reste pas moins que l’on apprend finalement peu de choses sur la nature des mouvements politiques soumis à surveillance. Aucun document sur un débat théorique ou appelant à la sédition n’est produit. En revanche, la surveillance active des hommes qui militent livre son lot de remarques psychologiques et comportementales qu’il faudrait analyser dans de futurs travaux avec plus de rigueur. En effet, les espions semblent bien plus intéressés par le profil des personnes qu’ils épient que par leur réflexion ; la dimension à proprement parler humaine, l’aura de la personne, son éducation et son comportement, font l’objet d’une attention particulière, comme si les espions cherchaient à déceler chez tel ou tel Espagnol des indices révélant qu’il aura ou non l’étoffe d’un meneur de révolution. C’est dire si la moralité et l’ancrage social de la personne comptent à cette époque, bien plus que les convictions politiques, encore mal définies au regard de critères idéologiques précis. Il s’agit avant tout, pour les préfets, commissaires de police ou consuls chargés d’ausculter la population française et immigrée, de déceler le moindre signe avant-coureur d’une agitation politique et sociale, d’un complot ourdi en secret et sur le point d’aboutir. Les exilés présentent de fait une activité évidente, ne serait-ce que si l’on s’en tient aux seuls voyages qu’ils entreprennent aux quatre coins de France et d’Europe. Mais dans l’état actuel de la recherche, on ne connaît pas encore les rendez-vous secrets qui motivent de tels déplacements. Les rencontres entre réfugiés politiques seraient l’occasion de former des groupes d’action, de préparer des menées révolutionnaires en Espagne, d’élargir des réseaux personnels, politiques ou économiques. Les documents consultés nous offrent cependant des tableaux très hétérogènes d’exilés en réunion, où la mésentente semble dominer sur la solidarité.

Des exilés peu solidaires et des chefs politiques au rabais

25Les rapports sur les exilés politiques conservés dans les archives soulignent en général la profonde division qui existe au sein de cette supposée communauté d’Espagnols, conspirateurs potentiels. Cela pose la question de l’expérience de l’exil comme expérience commune pouvant rapprocher des ressortissants d’une même nation (le terme étant ici employé à dessein : le sentiment d’appartenance à la nation espagnole existe-t-il vraiment ?) ; l’exil aurait-il finalement accentué les dissensions entre ces Espagnols engagés dans des luttes politiques aussi diverses ?

26En dépit de l’existence, réelle ou exagérée, de nombreux projets de soulèvement dénoncés par le consul d’Espagne à Marseille, les émigrés réfugiés dans le port méditerranéen ne semblent pas en bonne intelligence25. Mendizabal et Matheu sont en complet désaccord avec le général Prim et s’ils souhaitent tous la chute du gouvernement modéré, ils n’ont pas les moyens de l’accélérer.

27Outre ces frictions personnelles, les observateurs mettent en exergue la conduite extravertie de certains exilés, jugée peu conforme à l’image que l’on est en droit de se former d’un conspirateur efficace et d’un chef militaire et politique qui se doit d’être honorable.

28Le préfet de l’Hérault s’interroge ainsi sur les soupçons qui pèsent sur M. Villalonga, vice-consul d’Espagne à Montpellier, accusé d’être de connivence avec une junte centraliste signalée comme préparant une insurrection depuis Montpellier par le consul d’Espagne à Cette et par le préfet des Pyrénées orientales. La perquisition au domicile des suspects n’a rien donné. Villalonga a de bonnes références, il est marié à une Française tenant un magasin de papier peint : « On le voit dans les promenades publiques avec les réfugiés de sa nation de toute couleur politique » et il manque de réserve « vu ses fonctions »26 (12 septembre 1844). L’appréciation du préfet révèle à quel point le comportement en société est pour les contemporains un signe infaillible des intentions politiques du sujet. La preuve de la culpabilité d’un homme ne peut reposer que sur la seule production de pièces à conviction matérielles : la moralité du sujet et son éducation sont également auscultées, comme si l’homme honnête en société ne pouvait mentir et ni trahir le gouvernement qu’il sert.

29Si un réseau politique avéré devait exister entre Espagnols et Français, les sources consultées n’en livrent qu’une vision fragmentaire. On découvre les liens d’amitié qui unissent certains chefs militaires et les liens familiaux (Matheu est le beau-frère de Riera ; Juan Polo, celui du général Cabrera, il a des amis et des parents à Toulouse).

30Les personnalités les plus charismatiques échappent au contrôle bureaucratique car elles jouissent de réseaux personnels suffisants pour assurer leur sécurité et leur survie. Pour autant, forment-elles les fers de lance de groupes politiques plus homogènes ; sont-elles capables de rassembler des forces éparpillées sur le territoire français ? La réponse apportée par les archives est de nature à accroître notre embarras.

31Bien que renvoyant à l’exil des libéraux qui suivit l’expédition des Cent mille fils de Saint Louis en 1823, restaurant la monarchie absolue de Ferdinand VII en Espagne, le témoignage suivant d’un espion de Londres permet de nuancer encore une fois l’image que l’on a pu transmettre d’une communauté d’exilés espagnols en Angleterre prête à intervenir dans la péninsule27 : « je ris de voir la guerre qui naît à nouveau des rivalités, des intérêts, des opinions et des idées » ; « ils vivent d’illusions, leur imagination échauffée leur fait élaborer des plans » ; « ici il y a beaucoup de visionnaires » ; « aucun de ceux qui commandèrent, ni les militaires ni les hommes politiques, aucun, aucun ne mériterait mon suffrage » ; « ils se réunissent tous en Clubs et dans chacun il y a des espions de l’autre camp, si bien que l’on sait tout ce qui s’y passe au dehors et on parle des opérations et on en donnent les détails ». Le danger viendrait moins de l’exilé, isolé en France ou vivant en communauté en Angleterre, que de l’Espagne : « C’est là-bas qu’on doit faire quelque chose, surtout en Galice et dans les Asturies ».

32Dans une autre lettre l’espion ajoute : « il n’y a pas d’union, il n’y a pas de vertus » ; « les émigrés ont perdu la partie »28. Il dénonce les chefs qui s’usent et paradent, ne refusant aucun divertissement, aucune invitation, qui engagent plus de dépenses que ne peut en supporter un émigré : « la désunion qui règne est si importante que nous ne nous saluons même pas les uns les autres » ; « Il y a autant de partis parmi nous que d’hommes »29. L’auteur de ce courrier s’attache à relever toutes les bassesses des chefs militaires et politiques espagnols qui profitent de l’hospitalité anglaise et ne se soucient guère du bien-être de leurs soldats et sympathisants moins bien lotis. Les chefs ont en effet la responsabilité d’inclure ou non les noms des combattants dans la liste des bénéficiaires des subsides.

33La conduite dans l’exil en France des militaires qui dirigèrent les mouvements insurrectionnels pendant la période étudiée laisse souvent à désirer. Le général Milans s’exprime comme un charretier, recrute des hommes peu recommandables pour sa cause, jure devant le drapeau de la monarchie espagnole, si bien que son secrétaire le quitte, lassé des mauvaises actions et des coups pendables commis par son chef30.

34Finalement, les documents conservés dans les archives consultées tendraient à nous faire accroire que la question de l’engagement politique des Espagnols est bien moins importante que le problème financier auquel ils sont confrontés eu égard à leur situation d’exilés sans ressources propres. Les conspirations plus ou moins abouties qui s’échafaudent en France n’aboutissent pas faute de moyens financiers, logistiques et humains. Les consuls d’Espagne à Cette et à Marseille s’affirment ainsi persuadés que les complots que les commissaires et préfets français croient devoir leur révéler sont souvent sans danger réel. Le danger, comme nous l’avons déjà souligné plus haut, viendrait plus des militants restés en Espagne ou rentrés clandestinement dans la péninsule, que des exilés en France.

35Les documents consultés dans cette étude témoignent des contraintes légales qui pèsent sur l’exilé espagnol et qui limitent fortement sa possibilité de poursuivre un combat politique. L’isolement géographique et personnel est déterminant, l’exilé devenant non plus un combattant pour une cause politique vaincue mais un individu luttant pour survivre. Les codes sociaux jouent également un rôle important, les Français et les Espagnols partageant les mêmes valeurs d’humanité et de solidarité en dépit de fortunes adverses, et ils ne mettent pas en avant leur combat politique mais plutôt leur détresse matérielle et morale. Dans ce contexte, faire preuve d’un esprit militant semblerait malvenu, en ce que cela supposerait une intention belliqueuse propre à inquiéter l’administration française ou des comités de soutien politique, en Bretagne par exemple, qui résistent assez passivement à la monarchie bourgeoise. Ceux qui soutiennent les exilés espagnols cherchent à endormir la méfiance des autorités, on minimise peut-être l’importance de la présence dans telle ou telle ville d’un haut gradé de l’armée carliste par exemple. Faute d’étude exhaustive sur l’ensemble des exilés politiques espagnols en France, on peut difficilement juger de l’importance de cette expérience de l’exil sur les Espagnols. Mais des pistes de recherche sont ouvertes : en suivant les trajets effectués par certains Espagnols, qui ne cessent de voyager d’une ville à l’autre, on pourra peut-être établir les liens qui unissent certains chefs politiques français et espagnols en fonction de leur lieu de résidence. La nature de ces liens, financiers, personnels, idéologiques, reste à déterminer. Dans le cas breton, on est en droit de penser que des réseaux plus anciens sont mobilisés par les Carlistes, qui se réfugient dans les châteaux et les monastères fidèles à l’Ancien Régime, redevables aux Espagnols de l’accueil qui leur aurait été fait dans la péninsule aux heures noires de la Révolution et de la Terreur. Cette dette contractée plus de quarante ans plus tôt est évoquée dans un document, ce qui témoigne aussi de la force du lien moral qui perdure entre des familles et des communautés religieuses.

36Ce travail soulève également la question de l’exploitation des sources d’archives pour écrire cette histoire de l’exil. En fonction des fonds consultés, le regard sur les exilés espagnols n’est pas le même. Les archives départementales conservent les documents de la police du département et on y trouve plutôt des témoignages sur les problèmes matériels rencontrés par les exilés et sur la réaction de la population locale à l’arrivée de ces émigrés en quête d’appuis et de travail. Les exilés les plus « dangereux », les plus impliqués dans la lutte politique, ont finalement peu de chance d’apparaître dans ces archives car ils préfèrent dans la majorité des cas recevoir l’aide de personna­lités politiques françaises ou de notables qui financent des mouvements politiques de manière clandestine. À l’occasion d’une arrestation fortuite on en retrouve la trace mais il est fort difficile de suivre précisément les faits et gestes de ces exilés. Les archives diplomatiques recèlent des documents qui insistent davantage sur les conspira­tions supposées ou réelles des exilés. Les missives des préfets sont parfois très alarmistes ou au contraire tendent curieusement à minimiser le danger potentiel des réunions d’Espagnols constatées dans leur département. Cela nous montre à quel point ces sources sont marquées par la subjectivité. La connaissance des mouvements des exilés ne peut faire l’économie d’une histoire de l’administration française et des personnes qui la servent, plus ou moins acquises à la cause d’un gouvernement très tatillon et soucieux de contrôler précisément les allées et venues des Espagnols et des hommes qui jouent un rôle social et politique en France. Enfin, les archives consulaires espagnoles montrent également le rôle des consuls, qui renseignent le gouvernement espagnol et le représentent auprès des autorités locales, commissaires de police, préfets, maires… avec lesquelles ils entretiennent des relations fondamentales pour leur mission. En croisant ces sources, nous avons finalement soulevé plus de questions qu’apporté de réponses sur la manière dont les exilés espagnols se définissent politiquement et dont ils peuvent poursuivre leur engagement politique en France. Un des apports essentiels de cette étude est de révéler l’importance du facteur humain dans cette histoire d’exil et de conspirations, ainsi que de la question financière, qui détermine in fine la possibilité de maintenir son rang dans la société française et de réunir les fonds nécessaires à l’organisation d’une insurrection. C’est une entreprise qui nécessite la mobilisation de réseaux financiers, politiques et commerciaux complexes qui la vouent bien souvent à l’échec.

Bibliographie

Harismendy Patrick, « Les réfugiés politiques en Bretagne (1830-1848) », dans Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, t. 109, no 4, 2002, p. 41-58.

Noiriel Gérard, Réfugiés et sans papiers. La République face au droit d’asile xixe-xxe siècles, Paris, Hachette, 2006.

Peyrou Florencia, El Republicanismo popular en España, 1840-1843, Cádiz, Universidad de Cádiz, 2002.

Sánchez Mantero Rafael, « L’émigration politique en France pendant le règne de Ferdinand VII », dans Exil politique et migration économique, Espagnols et Français aux xixe-xxe siècles, Paris, C.N.R.S., 1991, p. 17-29.

Témime Émile, « Les recherches sur les échanges migratoires entre la France et l’Espagne », dans Exil politique et migration économique, Espagnols et Français aux xixe-xxe siècles, Paris, CNRS, 1991, p. 9-15.

Urrutia Louis, « Les Espagnols carlistes ou isabelinos au pays basque français », dans Exil politique et migration économique, Espagnols et Français aux xixe-xxe siècles, Paris, CNRS, 1991, p. 53-59.

Vauchelle-Haquet Aline, Dufour Gérard, « Les Espagnols naturalisés français et les Espagnols ayant obtenu l’autorisation de fixer leur domicile en France de 1814 à 1831 », dans Exil politique et migration économique, Espagnols et Français aux xixe-xxe siècles, Paris, C.N.R.S., 1991, p. 33-51.

VV.AA, Exil politique et migration économique : Espagnols et Français aux xixe et xxe siècles, Paris, C.N.R.S., 1991.

Notes

1 Gérard Noiriel, Réfugiés et sans papiers : la République face au droit d’asile xixe- xxe siècles, Paris, Hachette, 2006, p. 355.

2 Rafael Sánchez Mantero, « L’émigration politique en France pendant le règne de Ferdinand VII », dans Exil politique et migration économique, Espagnols et Français aux xixe- xxe siècles, Paris, C.N.R.S., 1991, p. 17-29 ; Aline Vauchelle et Gérard Dufour, « Les Espagnols naturalisés français et les Espagnols ayant obtenu l’autorisation de fixer leur domicile en France de 1814 à 1831 », ibid., p. 33-51 ; Patrick Harismendy, « Les réfugiés politiques en Bretagne (1830-1848) », dans Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, t. 109, no 4, 2002, p. 41-58.

3 Nous conservons dans cet article l’ancienne orthographe de la ville de Sète qui s’écrivit Cette au xixe siècle jusqu’au changement définitif de 1927.

4 Rafael Sánchez Mantero, op. cit., p. 27.

5 Archives d’Ille-et-Vilaine, 4M9-10 : dossier Duchemin, 1835-1846.

6 Archives d’Ille-et-Vilaine, 4M504 : dossier Naudin.

7 Sources sur M. Hardouin : Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, 4M art. 411. Police. Réfugiés espagnols : surveillance, mouvements, secours. 1838-1839. Lettre du ministre de l’Intérieur au préfet, 13-6-1838. Lettre du maire de Rennes au préfet, 13-6-1838. Lettre du commissaire de police au préfet, 16-6-1838.

8 Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, Lettre de la gendarmerie d’Ille-et-Vilaine au préfet, 26-6-1842.

9 Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, lettre de Victoire Frout au préfet, 13-3-1841, citant la lettre de la comtesse d’Audinot au sujet du travail promis à six Espagnols réfugiés arrivés à Rennes.

10 Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, lettre du 27-11-1842.

11 Archives d’Ille-et-Vilaine, lettre du Ministre de l’Intérieur aux préfets, décembre 1835.

12 Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, 1847 : dossier Rochados. Passeport de M. Calvo, 5-1-1848.

13 Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, 4M. art. 412. Police 1847. Lettre du Ministre de l’Intérieur au Préfet d’Ille-et-Vilaine, 1-6-1847 et réponse de ce dernier, 2-7-1847.

14 Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, 4M art. 411. Police. Lettre du 12-10- 1844 de Jubault, commis chez M. Bezier architecte, au préfet d’Ille-et-Vilaine.

15 Il y a des exceptions notables : dans les archives du Quai d’Orsay, on trouve des papiers saisis sur des réfugiés par les préfets qui les transmettent au ministère. Par exemple, Abdón Terradas est arrêté à Toulouse en 1843 en possession d’un discours républicain intégralement traduit pour les besoins de la police française. (Archives diplomatiques, Affaires diverses politiques, Espagne, carton 4 : Emigration. Réfugiés, 1843-1845).

16 Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, 4M art. 412. Lettre au préfet d’Ille-et-Vilaine de Juan Morant, Angel Sánchez et Carlos Barrachina, 19-5-1849.

17 Archives d’Ille-et-Vilaine, 4M290, lettre du ministre de l’intérieur au préfet, 2-9- 1833.

18 Archivo Histórico Nacional, Estado 8340, Consulado de Marsella. No 222. Lettre du chargé d’affaires de Paris au consul Juan de Prat au sujet de Miralles, « agente del partido desorganizador », 14-10-1845.

19 Archives diplomatiques, Mémoires et documents – Fonds divers/Espagne (supplément) : carton 366. 1849 -1874. Notes de Ferdinand de Lesseps sur les principaux personnages politiques en janvier 1849 : classés par ordre alphabétique et selon leur tendance politique, puis classement par parti avec biographie et affinités, carrière probable et importance à venir : modérés, douteux, progressistes, carlistes.

20 Ibid.

21 Archivo histórico nacional, Estado 8340, Consulado de Marsella, no 87, 31-5- 1845.

22 Ibid., no 80, mai 1845.

23 Ibid., no 179, 8-9-1845.

24 Florencia Peyrou, El Republicanismo popular en España, 1840-1843, Cádiz, Universidad de Cádiz, 2002, p. 264.

25 Archivo Histórico Nacional, Estado, Consulado de Marsella, leg. 8340, lettre no 223, 16-10-1845.

26 Archives diplomatiques, Affaires diverses politiques / Espagne : carton 23, 1844-1849. Lettre du préfet de l’Hérault du 12-9-1844 au ministre de l’Intérieur.

27 Les citations qui suivent sont traduites de l’espagnol et tirées de la lettre no 38, datée du 25-4-1825, reçue par le consul d’Espagne à Cette. Archivo Histórico Nacional, Estado, Consulado de Cette, Correspondencia, 1801-1833 : leg. 6168.

28 Archivo Histórico Nacional, Estado, Consulado de Cette, Correspondencia, 1801-1833 : leg. 6168. Lettre no 30, 26-3-1825.

29 Archivo Histórico Nacional, Estado, Consulado de Cette, Correspondencia, 1801-1833 : leg. 6168. Lettre no 21, 22 janvier 1825.

30 Archivo Histórico Nacional, Estado, Consulado de Cette, Correspondencia, 1801-1833 : leg. 6168. Lettre no 157, 10-7-1831 et no 149, 12-5-1831.

Pour citer ce document

Catherine Sablonnière, « L’exilé espagnol dans la France de Louis-Philippe : questions identitaires et engagement politique, 1830-1848 » dans « Individu et société : représentation, rapports, conflits (I. Espagne) », « Travaux et documents hispaniques », n° 1, 2011 Licence Creative Commons
Ce(tte) œuvre est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale - Partage dans les Mêmes Conditions 4.0 International. Polygraphiques - Collection numérique de l'ERIAC EA 4705

URL : http://publis-shs.univ-rouen.fr/eriac/index.php?id=494.

Quelques mots à propos de :  Catherine Sablonnière

Université de Rennes 2 (Haute Bretagne)
Catherine Sablonnière, agrégée, docteur en Études Hispaniques de l’Université Sorbonne Nouvelle Paris III, est maître de conférences à l’Université de Rennes 2. Ses travaux portent sur la vulgarisation des sciences, dans la presse espagnole en particulier, pendant le règne d’Isabelle II, ainsi que sur les exilés espagnols en France entre 1823 et 1868.