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Le Jeu : textes et société ludique (I. Littérature espagnole)

Ce volume recueille quelques-unes des communications présentées au colloque international « Le jeu : textes et société ludique » (Université de Rouen, les 25, 26 et 27 février 2009), sous la direction scientifique des professeurs Venko Kanev, Miguel A. Olmos, Milagros Torres, José Antonio Vicente Lozano et Daniel Vives, avec le concours du laboratoire ERIAC, de l’École doctorale « Savoirs Critique Expertises » et du Conseil Scientifique de l’Université de Rouen. Les textes ont été recueillis par Milagros Torres et Miguel A. Olmos.

Couverture de

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Entre chien et loup : « Juegos del anochecer » de Juan Ramón Jiménez

Daniel Lecler


Résumés

La légèreté de l’enfance, la force triomphante du jeu font face dans Platero y yo, de Juan Ramón Jiménez, à la noirceur du crépuscule, à la peur que l’on veut exorciser. Les enfants jouent à se faire peur et le regard du moi et de son confident, l’âne mystérieux qui ignore et connaît tout, contemple ces jeux crépusculaires avec extase et inquiétude, conscient du danger que l’âge adulte réserve, séduit par le courage inconscient des enfants. Une esthétique de la limite, du mystère et du trouble qui multiplie à l’infini la polysémie du concept qui inspire ce colloque.

La ligereza de la infancia, la fuerza triunfante del juego se enfrentan en Platero y yo, de Juan Ramón Jiménez, a la negrura del crepúsculo, al miedo que se quiere exorcizar. Los niños juegan a darse miedo y la mirada del yo y de su confidente, el asno misterioso que lo ignora todo y lo sabe todo, contempla estos juegos crepusculares con éxtasis e inquietud, consciente del peligro que la edad adulta reserva, seducido por el coraje inconsciente de los niños. Una estética del límite, del misterio y de la turbación, que multiplica hasta el infinito la polisemia del concepto que inspira este coloquio.

Texte intégral

À Milagros Torres

« Les images ne doivent pas se substituer aux choses, mais montrer comment elles s’ouvrent et comment nous entrons dedans. »
Philippe Jacottet, Paysages avec figures absentes

« Enmedio hay, tiene que haber un punto, una salida ; el sitio del seguir más verdadero, con nombre no inventado, diferente de eso que es diferente e inventado, que llamamos, en nuestro desconsuelo, Edén, Oasis, Paraíso, Cielo, pero que no lo es, y que sabemos que no lo es, como los niños saben que no es lo que no es que anda con ellos. »
Juan Ramón Jiménez, Espacio

1Le titre Platero y yo parle tout de suite d’une complicité ludique : animal et homme, un binôme égalitaire –d’abord l’animal, personnalisé par le nom propre– unis, au-delà du rapport d’autorité lié au travail, par la gratuité de la contemplation du monde, de la promenade, de la compagnie paisible, même de la tristesse partagée. Platero y yo n’est pas exempt d’une certaine drôlerie légère, élégamment rustique. Le livre est comme un chemin poétique qui passe par la candeur de l’enfance, propriétaire absolue du jeu, pour mieux percer les mystères adultes1.

2Dans ce cadre ludique, il est un chapitre court, mystérieux, sombre et lumineux à la fois, clair et obscur, intitulé « Juegos del anochecer »2. Nous avons là un titre équivoque, qui ouvre le mystère insondable de la poesis, ce « entender no entendiendo » de Jean de la Croix, applicable au large domaine de la poétique. Un titre équivoque qui plonge la lumière claire du jeu des enfants dans la lumière sombre et angoissante du crépuscule et qui parle de la peur, de la peur comme jeu et de la peur adulte qui tue le jeu.

3Si l’épisode des batanes du Quichotte dévoile le manque de fondement de la peur enfantine de Sancho et vainc les fantômes de la nuit tout en suggérant que nos craintes, parfois démesurées, peuvent trouver une issue plus aimable que prévue, le chapitre de Platero y yo que nous nous proposons de lire procède de manière inverse : les jeux des enfants, surtout ceux qui tournent autour de la mise en scène de la peur, loin de l’évacuer, annoncent son triomphe à l’âge adulte : « Pronto, al amanecer vuestra adolescencia, la primavera os asustará, como un mendigo, enmascarada de invierno » s’exclame le poète3. Mais on le sait, la poésie, même la plus noire, peut sauver et les premières lignes du chapitre font naître probablement sur les lèvres du lecteur, un sourire face aux masques des enfants qui jouent à se faire peur : des corps abîmés pour rire, des capuches qui cachent la vue, une démarche boiteuse évoquée par le locuteur poématique :

Cuando, en el crepúsculo del pueblo, Platero y yo entramos, ateridos, por la oscuridad morada de la calleja miserable que da al río seco, los niños pobres juegan a asustarse, fingiéndose mendigos. Uno se echa un saco a la cabeza, otro dice que no ve, otro se hace el cojo…4

4Nous sommes en présence ici d’une déconstruction joyeuse, d’une dégradation bien carnavalesque au sens bakhtinien du terme, dont les racines se perdent dans la nuit des temps et puisent leur force dans les théâtres de l’enfance. Le texte, prose poétique d’une extrême concision, parle du théâtre quotidien des enfants, proche du guignol ; des enfants qui savent guérir tous les jours de leurs peines pour renaître à chaque instant. Dans ce troisième chapitre de Platero y yo, le jeu est corps, corps déguisé, corps qui bouge, corps qui fait semblant. Ici, si les enfants se déguisent en « Peur » avec en toile de fond cette lumière crépusculaire qui saisit Platero et le poète, c’est pour mieux la chasser, pour rire du pire. Ils frôlent ainsi la mort bien sûr, mais pour l’ignorer ensuite et pour mieux la vaincre5.

5Dans ce troisième chapitre du recueil, surgit le réel et, dès les premières lignes, le jeu se fait protagoniste. Le texte évoque aussi les « cambios » des enfants, véritables conditions de santé qui permettent la réadaptation permanente, la modification harmonieuse des choses : « Después, en ese brusco cambiar de la infancia, como llevan unos zapatos y un vestido, y como sus madres, ellas sabrán cómo, les han dado algo de comer, se creen unos príncipes »6.

6Toutefois, le rêve cède rapidement son tréteau à l’empire des rapports familiaux et aux objets qui les symbolisent, aux pauvres trésors de leurs maisons, à la fierté du moi qui commence à pointer dans les rivalités des rues, à l’annonce du pouvoir…

– Mi pare tié un reló de plata
– Y er mío, un cabayo.
– Y er mío, una ejcopeta
7.

7« Reloj », « caballo », « escopeta ». Le temps, la mort, la force animale. Une force qui travaille dur, qui voyage, qui bouge. Les trois trésors familiaux des enfants restent encore dans leur rêve, même si celui-ci, par le biais de la famille, devient plus concret, plus matériel, plus fier et plus compétitif.

8Dans le texte, ces trois éléments marquent une transition, un changement poétique et créatif, à l’image du changement de jeu des enfants. Les trois trésors se confrontent, chacun se mesure à l’autre dans une quête de pouvoir encore rêvé. Dans cette quête de puissance, la voix du « moi », ici la voix du poète, ou au moins la voix qui dévoile celle du poète qui se cache mais qui est bien là, la voix du « moi » donc, casse quelque chose, elle casse le jeu. La mélancolie incurable du moi qui ne parvient pas vraiment à garder la joie du jeu –malgré l’écriture– dévoile ce que le réel réserve aux masques fanfarons de la compétition qui s’est instaurée entre les enfants : un avenir glacial, où l’hiver de la vérité sociale, il faut bien le rappeler, empêchera le rêve, le jeu et donc le pouvoir. De fait, le poète s’exclame : « Reloj que levantará a la madrugada, escopeta que no matará el hambre, caballo que llevará a la miseria… »8

9Le texte chute alors, comme l’âme de l’auteur lorsqu’elle regarde trop derrière les masques enfantins. « Reloj de plata », dit le premier enfant ; objet prestigieux qui marque le temps, qui le contrôle, ancré dans la figure du père. « Reloj » que l’on reçoit comme un cadeau crucial, qui pose dans la ligne du temps de vie un arrêt solennel, responsable. « Reloj » de l’âge initiatique, ou de l’âge adulte qui posera sur la ligne du devenir le sérieux des heures comptées, des minutes qui s’échappent, des secondes qui miment l’instant. « Plata », car l’or est inaccessible. Mais l’enfant est riche car son père possède la couleur de la lune. À cela, la voix du locuteur oppose un regard destructeur de lucidité et le lecteur ne sait plus quoi penser. Il se révolte en silence contre cette vision d’amertume qui casse ses propres jouets. Pour le locuteur, la montre en argent signale l’heure du travail, donc de l’éveil difficile, de la contrainte et de l’effort mal payé.

10Le locuteur ne veut pas renvoyer la balle aux enfants car il est trop en contact avec une vérité qui brûle. C’est, ici, la noire vérité du mélancolique. Mais le poète, par l’intermédiaire de ce « yo » qui forme un couple avec l’animal qui est pure bonté rustique, innocence absolue, le poète donc est assez perméable pour saisir le jeu des enfants et s’y attarder, les écouter, noter dans son imaginaire les éléments de leur théâtre de marionnettes.

11Les enfants ignorent le crépuscule. Ils jouent envers et contre tout, c’est là leur force, leur force adulte. Le « cabayo » porte également dans le « y » la marque populaire d’une articulation andalouse occidentale. « Cabayo », donc, la force animale, dont la symbolique renvoie à une signification plurielle, mais qui dans la bouche des enfants semble représenter la possibilité de voir le monde d’une hauteur guerrière, dominatrice. À cela s’ajoute le voyage, le déplacement. La force liée au travail reste encore éloignée de leur émotion, de leur désir de puissance, comme dans les contes, les légendes. La triste réponse du poète, « caballo que llevará a la miseria », avec la mention du verbe de mouvement qui identifie la possibilité d’un chemin mais dénuée de but, rend compte d’un constat d’échec annoncé, inévitable.

12Le troisième enfant, quant à lui, n’est pas en reste face à ses camarades de jeu. Il affirme fièrement que lui possède une carabine « –Y er mío, una ejcopeta ». La simple diction du mot « escopeta », la transformation de l’apicoavéolaire sourde en vélaire suivie des occlusives bilabiales sourdes « p » et « t » s’apparente à une véritable détonation capable d’éclairer métaphoriquement ce crépuscule qui les enveloppe mais qu’ils feignent d’ignorer. Avec cette arme, c’est le feu originel que possède l’enfant, un feu capable de le prémunir des violences de la vie et de le hisser au rang d’enfant dieu. Son trésor apparaît comme un formidable instrument de défense censé le mettre à l’abri de la faim et des agressions permanentes d’un quotidien redoutable même si quelques chapitres plus loin il est fait référence à une autre carabine qui s’est avérée inefficace dans cette lutte contre la faim puisqu’elle s’est retournée contre son propriétaire comme l’atteste la voix poématique :

Era un cazador furtivo de esos que cazan venados en el coto de Doñana. La escopeta, una absurda escopeta vieja amarrada con tomiza, se le había reventado, y el cazador traía el tiro en un brazo9.

13Une fois de plus, la réponse du poète retentit comme une prophétie « escopeta que no matará el hambre » annonciatrice d’une misère fatale, infaillible, dans une société rurale où les pauvres sont laissés pour compte et n’ont, de fait, aucun moyen de s’en sortir. Le poète, contemplateur silencieux, se présente ici tel un démiurge capable de prédiction mais impuissant à changer le cours des choses10.

14Cet échec existe donc surtout dans l’âme du poète, même si les conditions sociales laissent prévoir une issue malheureuse de cet ordre. Notons ici que la construction imaginaire se situe encore dans l’espace d’un « deux », d’un mélange inconfortable, de la face et de l’envers du masque en même temps. La misère clôt le parcours du sens : l’absence de moyens, d’argent et finalement de vie. Tout cela est bien loin de la force pauvre mais immense du jeu des enfants.

15Julia Kristeva, dans Soleil noir, signale que le mélancolique remplace l’objet d’amour par sa propre dépression11. Le poète, ici, remplace l’objet du jeu par sa propre désespérance et il finit par tuer le jeu avant même de savoir si le réel sera aimable ou non. Il sait qu’une beauté possible et infinie s’inscrit dans ces jeux contemplés tristement au sein du crépuscule12. Tout vient de ce crépuscule. Si la lumière avait été autre, ce texte n’aurait peut-être pas existé. L’adulte ne l’est vraiment que lorsque, sachant la cruauté du réel, il opte pour le jeu malgré tout, chose impossible pour le mélancolique.

16Un paradoxe est à la base de la composition poétique que nous venons d’examiner : le poète, ancré dans la nostalgie d’une enfance douloureusement irrécupérable, trop lucide et trop intelligent vis-à-vis de la vérité du monde qui l’entoure, ne peut plus jouer13. Les enfants, puissants dans leur innocence, forts de leur naïveté, continuent à jouer contre la lumière du crépuscule. Lorsque l’on observe des enfants évoluer dans leur chambre, dans leur espace de jeu, l’on s’aperçoit vite qu’aucun obstacle ne peut modifier leur route vers le plaisir, que la joie se fraie un chemin parmi les larmes, vite essuyées. Le voyage continue donc, vers le rêve, vers le fou rire, vers l’insouciance renouvelée de leur monde fait de chaos harmonieux, vers la joie de vivre, celle que Juan Ramón d’ailleurs peine à faire régner dans sa vie, trop éloignée de l’insouciance du jeu, alors que sa poésie, fortement ludique par de nombreux aspects, ne cesse de chercher la légèreté de l’enfance14. L’on sait combien la thématique de l’enfant l’obsède, l’enfant qu’il n’aura pas, celui qui brille encore dans son cœur blessé15. Les nombreux hôpitaux ont accueilli souvent au long de son existence ce paradoxe de souffrance sans pouvoir sortir le poète de la lumière, de la noirceur récurrente de son esprit16.

17Son lecteur aussi est pris dans ce paradoxe : il ne peut reprocher au poète, au « moi » de Platero y yo, sa lucidité presque cruelle. Mais il souhaiterait que les jeux décrits soient pris dans l’immensité de leur règne, qu’ils soient laissés là, intacts, admirés, sans leur juxtaposer la tragique prophétie d’un réel probable mais autodestructeur dans l’acte de création.

18Juan Ramón donne à voir ; le moi poématique, car prose poétique il y a, clôt le texte en disant à son camarade de triste contemplation, « Vamos, Platero ». « Vamos », car la vision de tout cela devient insupportable. « Vamos », car le chemin du texte doit continuer malgré tout. « Vamos », car le blanc de la fin laisse au lecteur l’espace de la réception multiple. Le blanc correspond à l’arrivée certaine de la nuit, après le crépuscule. Mais le poète s’arrange pour que l’image des « niños de oro », comme il les appelle dans un autre poème, reste à l’arrière-plan de la mémoire du lecteur, triomphante.

Notes

1 Platero y yo est souvent considéré comme une succession de tableaux destinés aux enfants qui mettent en scène le poète cheminant, accompagné de son âne, tous deux unis par une complicité silencieuse. Au cours de leurs déambulations dans la campagne de Moguer, ils rencontrent bon nombre d’enfants et d’animaux. On comprend dans ces conditions que l’on puisse considérer ce livre comme un livre pour enfants qui plus est si l’on ajoute à cela les conditions de sa première publication en 1914 dans la collection « Biblioteca de juventud » chez La Lectura, maison d’édition dans laquelle le poète publie soixante-trois chapitres plus un texte final intitulé « A Platero en el cielo de Moguer ». La deuxième version, quant à elle, voit le jour aux éditions Calleja en 1917 et en compte cent trente-huit. Très vite, cette œuvre fut considérée comme un modèle esthétique et langagier et elle se trouva prisonnière d’un cadre qui n’était pas totalement le sien. Elle le déborde naturellement très largement et sa portée philosophique est indéniable faisant de ce cheminement un véritable cheminement initiatique, un art de vivre qui ne s’adresse pas de façon limitative aux enfants comme le suggère Juan Ramón dans l’édition de 1914 lorsqu’il écrit : « Este breve libro, en donde la alegría y la pena son gemelas, cual las orejas de Platero, estaba escrita para ¡ qué sé yo para quién !... para quien escribimos los poetas líricos… Ahora que va a los niños, no le quito ni le pongo una coma. ¡ Qué bien ! » Il n’en demeure pas moins que cette œuvre n’est que très rarement et que très ponctuellement abordée sous l’angle social et philosophique.

2 Juan Ramón Jiménez, Platero y yo [1917], ed. J. Urrutia, Madrid, Biblioteca Nueva, 1997, p. 105, cap. III.

3 Ibid., p. 106.

4 Ibid., p. 105.

5 Sur la mort dans Platero y yo nous renvoyons à notre article « La mort et son dépassement dans Platero y yo de Juan Ramón Jiménez », dans Entre ciel et terre : conceptions et représentations de la mort et de son dépassement dans le monde hispanique, coordination par Daniel Lecler et Patricia Rochwert-Zuili, Paris, Indigo côté femme, 2008, p. 313-324.

6 Juan Ramón Jiménez, Platero y yo, op. cit., p. 105.

7 Ibid., p. 106.

8 Ibid., p. 106.

9 Ibid., p. 135.

10 L’on a bien souvent, trop souvent probablement, insisté uniquement sur l’aspect esthétique du texte de Juan Ramón Jiménez en occultant sa portée sociale et philosophique. Un poète parfois présenté caricaturalement comme enfermé dans sa « tour d’ivoire » ne pouvait être, que coupé du monde… Ce chapitre, entre autres, est là pour nous rappeler que cette attitude est totalement réductrice.

11 Julia Kristeva, Soleil noir, Paris, Gallimard, 1999.

12 La lumière joue un rôle extrêmement important dans l’œuvre de Juan Ramón Jiménez. Elle s’avère fondamentale dans Platero y yo. Si la lumière n’est pas obligatoirement garante de bonheur et de joie, l’obscurité et la nuit confèrent parfois au paysage une beauté certaine, mais elles induisent fréquemment chez le poète un comportement mélancolique qui convoque une idée de peur, de finitude et de mort : « La luna viene con nosotros, grande, redonda, pura. En los prados soñolientos se ven, vagamente, no sé qué cabras negras, entre las zarzamoras… » (« Escalofrío », Platero y yo, op. cit., p. 109, V).

13 Dans Platero y yo il est des jeux dont l’issue est tragique. On pense par exemple au chapitre XVIII intitulé « La fantasma » dans lequel le poète évoque la jeune Adela la Manteca qui s’amuse à se déguiser en fantôme un soir d’orage ; le chapitre se clôt par ces quelques lignes : « Se alejaba la tormenta… La luna, entre unas nubes enormes que se rajaban de abajo a arriba, encendía de blanco en el patio el agua que todo lo colmaba. Fuimos mirándolo todo. Lord iba y venía a la escalera del corral, ladrando loco. Lo seguimos… Platero ; abajo ya, junto a la flor de noche que, mojaba, exhalaba un nauseabundo olor, la pobre Anilla, vestida de fantasma, estaba muerta, aún encendido el farol en su mano negra por el rayo. » On trouve par ailleurs d’autres jeux auxquels le poète participe pleinement. On songe par exemple au chapitre IX intitulé « Las brevas », le poète adopte une tout autre attitude. Cette fois-ci, la scène n’est pas crépusculaire, elle se déroule à l’aube et si le brouillard domine au début du chapitre, c’est probablement pour annoncer une chaude journée d’été, d’ailleurs, la lumière est déjà intense. Le « moi » est ici acteur du jeu : « Corríamos, locos, a ver quién llegaba antes a cada higuera. Rociíllo cogió conmigo la primera hoja de una, en un sofoco de risas y palpitaciones. –Toca aquí. Y me ponía mi mano, con la suya, en su corazón, sobre el que el pecho joven subía y bajaba como una menuda ola prisionera–. Adela apenas sabía correr, gordinflona y chica, y se enfadaba desde lejos. Le arranqué a Platero unas cuantas brevas maduras y se las puse sobre el asiento de una cepa vieja, para que no se aburriera. » (ibid., p. 133, p. 117).

14 Cette légèreté fortement liée au jeu est perceptible, par exemple, dans « Verde verderol » : « Verde verderol, / ¡ endulza la puesta del sol ! / Palacio de encanto, / el pinar tardío / arrulla con llanto / la huida del río. / Allí el nido umbrío/ tiene el verderol./ Verde verderol,/ ¡endulza la puesta del sol!/ La última brisa/ es suspiradora;/ el sol rojo irisa / al pino que llora. / ¡ Vaga lenta hora / nuestra, verderol ! / Verde verderol, / ¡ endulza la puesta del sol ! / Soledad y calma ; / silencio y grandeza. / La choza del alma / se recoje y reza. / De pronto, ¡ oh, belleza !, / canta el verderol. / Verde verderol / ¡ endulza la puesta del sol ! / Su canto enajena. / – ¿ Se ha parado el viento ? – / El campo se llena / de su sentimiento. / Malva es el lamento, / verde, el verderol. / Verde verderol, / ¡ endulza la puesta del sol ! » De la même veine l’on pourrait aussi évoquer le poème intitulé « Hojas nuevas » : « ¡ Mira, por los chopos / de pata, cómo trepan al cielo niños de oro ! / Y van mirando al cielo, / y suben, los ojos en el azul, cual puros sueños. / ¡ Mira, por los chopos / de plata, cómo trepan al cielo niños de oro ! Y el azul de sus bellos / ojos y el cielo se tocan… ¡ Son unos ojos y cielo ! / ¡ Mira, por los chopos / de plata, cómo trepan al cielo niños de oro ! » Juan Ramón Jiménez, Segunda antolojía poética (1898-1918), ed. J. Blasco, Madrid, Austral, 2002, p. 74 ; p. 192.

15 Nous renvoyons ici à notre thèse, plus particulièrement au chapitre « La femme : du livre de l’enfance à l’enfant livre », p. 97-126 (Daniel Lecler, Métamorphose et spiritualité dans « Sonetos espirituales » de Juan Ramón Jiménez, thèse soutenue sous la direction de Marie-Claire Zimmermann à l’Université de Paris IV- Sorbonne. Nous renverrons également au chapitre VI de la thèse de Gilbert Azam, L’œuvre de J.R. Jiménez (Continuité et renouveau de la poésie lyrique espagnole), Atelier de reproduction des thèses de l’Université de Lille III, Lille ; Paris, Diffusion Librairie Honoré Champion, 7 quai Malaquais, 1980, p. 407-409.

16 Après la mort de son père, survenue le 3 juillet 1900 dans la nuit, le poète multiplie ses séjours à l’hôpital et dans des sanatorium. Certaines de ses hospitalisations furent, pour lui, de véritables moments de paix comme le poète l’écrit lui-même à propos de son séjour dans le sanatorium du Rosaire à Madrid : « en ese ambiente de convento y jardín he pasado dos de los mejores años de mi vida. Algún amor romántico, de una sensualidad religiosa, una paz de claustro, olor a incienso y a flores, una ventana sobre el jardín, una terraza con rosales para las noches de luna » (dans Ángel González, Juan Ramón Jiménez, Madrid, Júcar, 1973, p. 24). Dans ce sanatorium il lie une profonde amitié avec le docteur Simarro et avec son disciple Achúcarro. Il réside d’ailleurs pendant un temps chez son médecin. Ses deux amis lui offriront un véritable foyer familial comme le déclare le poète : « Don Luis Simarro me trataba como a un hijo. Me llevaba a ver a personas agradables y venerables, Giner, Sala, Sorolla, Cossío… » dans Graciela Palau de Nemes, Vida y Obra de Juan Ramón Jiménez, Madrid, Gredos, 1974, t. I, p. 307.

Pour citer ce document

Daniel Lecler, « Entre chien et loup : « Juegos del anochecer » de Juan Ramón Jiménez » dans « Le Jeu : textes et société ludique (I. Littérature espagnole) », « Travaux et documents hispaniques », n° 2, 2011 Licence Creative Commons
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Quelques mots à propos de :  Daniel Lecler

Université Paris Nord-Paris 13 Laboratoire d’Etudes Romanes (EA 1570)
Daniel Lecler est maître de conférences à l’Université de Paris Nord (Paris 13). Spécialiste en poésie espagnole du xxe siècle, il est auteur de nombreux travaux sur l’œuvre lyrique et en prose de Juan Ramón Jiménez. Dernière publication (en collaboration avec Patricia Rochwert-Zuili) : Entre ciel et terre : la mort et son dépassement dans le monde hispanique (2008).