10 | 2019

Ce volume est composé de deux dossiers thématiques.

Le premier dossier recueille quelques-unes des communications présentées lors des deux journées d’étude « Femmes en mouvement : histoires, conflits, écritures (Pérou, XIXe-XXIe siècles) » qui ont eu lieu le 24 et 25 septembre 2015 au collège d’Espagne et à l’EHESS à Paris. Elles ont été organisées par Lissell Quiróz-Pérez (Université de Rouen Normandie) et Mónica Cárdenas Moreno (Université de La Réunion) avec le soutien d’EA 3656 AMERIBER et de l’UMR 8168 Mondes Américains. Ces travaux, publiés entièrement en espagnol, réfléchissent aux questions suivantes : quel est le rôle de la femme dans l'espace public ? Pourquoi et comment se sont-elles déplacées lors des périodes de crise ? Comment et dans quelles conditions ont-elles survécu à la guerre ? Et d'autre part, en ce qui concerne la littérature : comment a évolué la femme-écrivain ? Quelles ont été les stratégies pour échapper au contrôle patriarcal à travers la fiction ? Quelles sont les formes du langage que racontent les histoires de ces femmes ?

Le second dossier, concernant les aires culturelles hispanique et germanique, reprend six des communications qui ont été présentées au colloque international tenu à l’université de Rouen Normandie les 16 et 17 novembre 2016, sous la direction de Florence Davaille (CÉRÉdI et ERIAC) et avec le soutien d’un comité scientifique composé des professeurs Daniel Laforest (University of Alberta, Canada), Michel Marie (université Sorbonne Nouvelle-Paris 3), Miguel Olmos (université de Rouen Normandie), Yves Roullière (essayiste et traducteur, Paris), Françoise Simonet-Tenant (université de Rouen Normandie) et Jean-Pierre Sirois-Trahan (université Laval, Québec) : http://eriac.univ-rouen.fr/le-createur-et-son-critique-debats-epistolaires-et-diffusion/.

Créateur-critique

Juan Benet, pour qui écrivez-vous ?

Sandrine Lascaux


Résumés

Alors qu’il était encore étudiant et inconnu, l’obsession de Benet était d’écrire des pièces de théâtre radicales qui seraient, selon ses propres mots, quasiment « irreprésentables ». Face à l’incompréhension du public, il finit par abandonner pour s’engager dans une carrière de romancier et d’essayiste. Les critiques n’ont cessé de dire et d’écrire que l’œuvre de Benet, réputée complexe, était pour le moins opaque, déroutante, inaccessible, incompréhensible ; qu’au-delà d’une rupture avec les codes réalistes, il s’agissait surtout de proposer un contenu élitiste pour spécialistes, une littérature qui laisserait la majorité des lecteurs curieux sur le bord de la route. Benet lui-même expliquait que la nature même de son projet l’impliquait, qu’en cherchant à dépasser la rationalité, à intégrer le hasard et le mystère qui fondaient toute aventure humaine, il devrait nécessairement se heurter à une sorte d’impasse. Cette impasse, ce cul-de-sac, il les rechercherait en tant qu’ils manifestent l’impérieuse exigence de faire l’expérience réelle d’une quasi illisibilité qui, signant l’échec du langage et du sens, ouvrait sur une forme de transcendance. Benet cisela dans ce but un grand style fondé sur une artificialité opacifiante, une forme de maniérisme qui le conduirait vers l’irréductibilité de l’essence littéraire (qu’est-ce donc que la littérature ?). La critique a accompagné ce mouvement, s’offusquant toujours davantage à chaque interview, article, conférence du caractère insondable, abstrait, conceptuel, quasiment autotélique d’une œuvre repliée sur elle-même, écrite par un écrivain qui rejetait en quelque sorte délibérément, et c’est bien le scandale, les lecteurs fainéants ou peu cultivés (tout en se lamentant, notons-le d’ores et déjà, dès que Benet osait s’écarter de ce chemin pour proposer des textes plus « faciles » comme El aire de un crimen ou Herrumbrosas lanzas). Nous examinerons dans Cartografia personal et dans la correspondance entretenue avec Carmen Martín Gaite comment apparaît la thématique de la recevabilité de l’œuvre bénétienne, noyau dur du dialogue complexe qui se noua entre Benet et les critiques espagnols et étrangers au fil du temps.

Cuando todavía era estudiante y desconocido, la obsesión de Benet era escribir radicales obras de teatro que serían, en sus palabras, prácticamente “irrepresentables”. A causa de la incomprensión del público, Benet dejó el teatro por una carrera de narrador y ensayista. La crítica no ha cesado de afirmar que la obra de Benet, considerada difícil, es como mínimo opaca, desconcertante, inaccesible, incomprensible; que más allá de una ruptura del código del realismo, propone contenidos minoritarios para especialistas, un tipo de literatura que dejaría a la mayor parte de los curiosos lectores al borde del camino. Benet en persona ha explicado que la índole de su proyecto implica lo anterior: por la búsqueda de una superación de lo racional, de una integración del azar y el misterio que fundan toda aventura humana, estaba destinado a meterse una especie de callejón sin salida. Esta vía muerta sería de hecho su objetivo, en tanto que manifiestación de la imperiosa exigencia de una experiencia real de gran ilegibilidad, confirmación del fracaso del lenguaje y del sentido que se abriría a cierta trascendencia. Con este fin, Benet fraguó un gran estilo que se funda en una artificial opacidad, en un manierismo en marcha hacia la esencia irreductible de lo literario – pero ¿qué es la literatura? La crítica ha acompañado esta trayectoria con una turbación creciente a cada nuevo artículo, entrevista o conferencia, por el carácter insondable, abstracto, conceptual y casi autotélico de una obra cerrada en sí misma, la obra de un escritor que rechaza en cierto modo deliberadamente –y ahí está lo escandaloso– a sus lectores perezosos o poco cultivados –pero nótese ya que también lamentándose cada vez que Benet se atreve a desviarse del camino trazado con propuestas de textos más “fáciles”, como El aire de un crimen o Herrumbrosas lanzas. Examinaremos a partir de Cartografía personal y de la correspondencia mantenida con Carmen Martín Gaite en qué términos aparece el problema de la posible recepción de la obra benetiana, núcleo temático del complejo diálogo progresivamente entablado por Benet con sus críticos españoles y extranjeros.

Texte intégral

1Benet, le Diogène de la littérature espagnole de la seconde moitié du xxe siècle est responsable de sa réputation sulfureuse1. La violence de ses positions envers des piliers de la littérature hispanique comme par exemple Galdós qu’il considère comme un écrivain tout simplement odieux a fait scandale. De retour à Madrid durant les années noires du franquisme, il déplore la fermeture de son pays et l’inertie intellectuelle des représentants d’un réalisme social de gauche qui imitent l’existentialisme et le roman soviétique sans pour autant critiquer ouvertement la censure. Entre 1900 et 1970, on écrit – « [un] naturalisme adapté à la mode espagnole » – une littérature qui semble appartenir au passé2. Selon lui, la littérature espagnole contemporaine n’existe tout simplement pas, ce qui a supposé une « désorientation du goût » catastrophique qu’il commentera abondamment dans le chapitre « La entrada en la taberna » de La inspiración y el estilo3. Benet entretiendra des liens privilégiés avec la France4, lira les traductions françaises de William Faulkner de Maurice Edgar Coindreau pour Gallimard, le Nouveau Roman, les écrivains allemands, anglais, latino-américains se plaçant du côté de la littérature étrangère et de la nouvelle génération (Javier Marías, Félix de Azúa, Soledad Puértolas) pour accompagner une rupture littéraire qui est aussi politique, il confiera à Pascale Casanova pour un numéro de Critique de 1993 : « Je crois que j’ai effectué une rupture “morale” avec la littérature qui s’écrivait avant dans ce pays »5.

2Son image agressive, irrévérencieuse, son rejet des siens en ont fait une personnalité d’avant-garde majeure mais controversée dont l’œuvre dite sophistiquée, opaque et élitiste serait à la fois peu lue et peu lisible. Les différentes entrevues, conversations, interventions publiques écrites ou orales qui ont accompagné sa production littéraire entre 1969 et 1992 et ont notamment été publiées dans Cartografía personal témoignent de préoccupations essentielles. La distinction entre ce qui relève strictement de l’acte d’écrire et ce qui lui est postérieur ouvre sur une constellation de questionnements relatifs à la critique et à son poids, à la professionnalisation du métier d’écrivain et aux maisons d’édition, à la marchandisation de la culture, au contexte littéraire espagnol et à son évolution. L’épineuse question d’une articulation entre l’acte d’écrire et la réception, entre le créateur et la recherche d’un public et la réflexion sur la façon dont la relation qui se noue de fait entre ses deux acteurs du phénomène littéraire, oriente ou n’oriente pas la nature même de l’art développé seront souvent débattues, notamment dans la correspondance entre Juan Benet et Carmen Martín Gaite entre 1964 et 1986 et dans plusieurs articles de cette dernière comme « La búsqueda del interlocutor » qui sera adressé à Benet lui-même.

Critique

3Les mondes de la critique littéraire et de l’industrie du livre (éditeurs, distributeurs, libraires) ainsi que toutes les activités qui découlent de l’écriture sont pour Benet des thèmes essentiels, ce qui est plus particulièrement en cause sera l’évaluation des œuvres littéraires par le système. Il souligne le caractère « superficiel »6 mais surtout judiciaire de la critique, de l’analyse et même de l’enseignement littéraire faisant d’ailleurs reposer toute son argumentation sur une métaphore juridique perpétuellement réamorcée. Dans un texte publié dans Literatura y educación (1974), il revient longuement à la demande de Fernando Lázaro Carreter, sur les relations qui se nouent entre l’écrivain, le lecteur et la critique7. S’il admet que l’écrivain espère en général le succès du public et que celui-ci est le plus souvent conditionné par la critique, il explique surtout que personne n’a demandé l’intervention autoritaire d’une tierce personne qui, en instituant un pouvoir sur les deux autres, assure l’émergence d’un esprit, d’une « mentalité critique » autrement qualifiée de « système judiciaire » car reposant essentiellement sur une analyse des œuvres à posteriori et sur leur inscription dans une vision historiciste de la littérature liée à un ensemble de connaissances difficilement conciliables avec l’invention littéraire. Il revient sur la même question en 1975 au cours d’un colloque sur le roman et souligne que le créateur n’écrit pas en fonction d’une réception quelconque :

Quand on écrit une œuvre, j’estime, qu’on n’est pas en train de penser au jugement qui la suivra et on ne peut jamais considérer que les activités qui découlent de l’œuvre supposent une sorte de statut préalable à son écriture. Je n’oublie jamais – et je crois qu’on ne peut pas oublier – qu’une position critique diffère fondamentalement de la position de l’individu qui naïvement ou non essaie d’écrire une œuvre de façon non critique8.

4L’écrivain a donc « ses raisons » que le lecteur et le critique ignorent et les systèmes d’évaluation situés à différents niveaux sont inconciliables et totalement disjoints de l’acte créateur9. La critique et tout un pan de l’analyse littéraire se placent du côté d’un monde fini pour fonctionner comme des opérateurs de vérité dont l’ultime but serait de faire entrer à toute force n’importe quelle œuvre littéraire dans le champ de la connaissance afin de se légitimer elle-même en tant que discipline scientifique10. Benet analyse longuement ce processus de phagocytage et de normalisation dans son article « La crítica en cuanto antropología »11. Ainsi, s’il peut lui arriver de considérer qu’une forme de critique puisse être valide et respectable, il s’agirait plutôt de tendre vers une herméneutique qui illustre ou découvre des choses difficiles à voir pour le lecteur commun, une critique non pas génétique mais descriptive qui ne viendrait en aucune manière faire la police de la pensée ou se substituer à la littérature comme a pu le faire par exemple la critique française.

Car, de mon point de vue, le critique littéraire doit être tout sauf un agent de la circulation. Il doit être, entre autres choses, un profond connaisseur de l’œuvre littéraire et un profond connaisseur des secrets, des qualités, des grâces de l’œuvre littéraire qui peuvent passer inaperçues pour celui qui lit rapidement, superficiellement ou même de façon attentive mais qui en raison de sa formation n’a pas les outils pour interpréter telle ou telle phrase. Au meilleur de lui-même, le critique littéraire sera un Othello qui exhume des secrets, les met en lumière et les publie […] Le bon critique met dans les mains du lecteur les véritables mérites de l’art littéraire et ne lui dit jamais, « Cela se lit parce que », ou « Cela ne se lit pas parce que ». Il ne fait jamais la police12.

Edition

5Dans « Los escritores y la edición de libros » (1971) et dans l’article « Escribir » (1978), Benet explique qu’il est tout à fait impossible de vivre de sa plume en Espagne où la rémunération dérisoire des écrivains condamne la littérature à être une activité secondaire13 ; il dénonce le système des maisons d’édition qui imputent à l’écrivain lui-même la responsabilité de sa faible rémunération, si l’écrivain gagne peu ce serait parce que ses livres ne se vendent pas, ce qui le soumet à une exigence de succès ; il devra plaire au public pour vendre davantage alors qu’en réalité l’édition vit sur les livres qui ne se vendent pas puisque les succès commerciaux sont rares. Interrogé par Monserrat Roig (1975) sur sa relation avec les maisons d’édition, il explique que les intérêts des deux acteurs divergent fondamentalement, que la maison d’édition pense à ses avantages propres (sa collection, ses ventes annuelles, sa politique éditoriale) et qu’elle considère toujours une œuvre par rapport à l’ensemble où il sera intégré14. De sorte que, comme il explique souvent, sans doute tout à fait honnêtement, se consacrer seulement à l’écriture et abandonner son métier premier d’ingénieur serait purement et simplement « répugnant ». Il clame au fil des années sa liberté, affirmant qu’il fuit toute professionnalisation pour faire uniquement ce dont il a envie15. La véritable question reste de concilier le fait de vivre de sa plume et d’écrire ce que l’on veut ce qui pose le problème d’un grand public, d’un public plus élitiste et de l’éventuelle convergence des deux16 dans une société où la culture est un produit industriel comme un autre :

Je ne peux pas penser au public quand je me mets à écrire. Personne ne pense au public, sauf l’écrivain professionnel qui n’a pas le choix ; s’il ne le faisait pas, il ne vendrait pas ses livres et ne mangerait pas… et c’est ainsi que l’écrivain conclut avec le public une sorte d’engagement, en vertu duquel il sait qu’il va vendre une marchandise pourvu qu’elle plaise17.

6En 1976, il dira à José Hernández pour Modern Languages :

Jamais je ne me consacrerai exclusivement à l’écriture, cela serait répugnant. Je ne veux pas en avoir besoin pour vivre afin de pouvoir continuer à protester : le statut dont je jouis dans ce sens, je ne le changerai pour rien au monde, et ceci même si je devenais un écrivain bien payé, ce qui n’est pas possible. Tant que cela continuera ainsi je n’aurais pas de public et rien de ce qu’il me donne ne m’incite à changer ; j’aimerais beaucoup en avoir, bien sûr, mais cette envie n’est pas supérieure à la joie que me procure le fait de disposer d’une absolue liberté par rapport au jugement du public pour pouvoir écrire18.

7Benet radicalise une position contestataire et s’exclut volontairement du système pour ne pas participer à la situation culturelle espagnole19. Si les contours de ce que l’on nomme la nueva narrativa española sont dessinés par le marché, les listes des ventes, les politiques éditoriales et le public, alors les choses sont simples :

De deux choses l’une : ou l’on écrit bien, et alors on ne gagne pas d’argent, ou si l’on veut gagner de l’argent alors il faut écrire mal. Dans le premier cas, il faut se confronter au goût du public et à la société sans craindre de se voir soumis sinon à l’incompréhension du moins à la non commercialisation. Au contraire, vendre beaucoup c’est écrire mal, il n’y a pas d’autre issue20.

Lecteur

8En réalité, ses relations avec le public et le lecteur sont complexes. Peut-on dire qu’il se voit comme un écrivain pour l’élite ? Si on considère que son plus grand succès n’a pas dépassé le tirage de 10 000 exemplaires, on peut en effet l’affirmer21. Il répondra d’ailleurs sans détours à cette question posée par Javier Casaretto22 : est-ce à dire que Benet irait jusqu’à nier totalement une quelconque influence de la réception ? Il insiste sur la nécessité d’une indépendance absolue de l’artiste23 et va jusqu’à affirmer dans Agonia Confutans que le public pourrait très bien ne pas exister, que le style et le mot sont autonomes et tout-puissants24, qu’il ne peut être question de penser au lecteur25 car celui-ci perturbe la pureté de la relation que l’écrivain et son œuvre entretiennent26. Lorsque Sol Alameda lui demande s’il est possible de l’oublier complètement, il répond encore que le public est une abstraction et qu’il est tout simplement inconsistant27. D’autre part, la véritable réussite est une chose intime, l’œuvre qui programme son succès social et commercial est condamnée d’avance car elle repose sur le mensonge28. Benet ne veut assumer aucun engagement devant la société, le terme de « compromiso » ne lui convient d’ailleurs pas dans le sens où il implique une obligation morale envers autrui29. L’exigence d’un rapport exclusif de la littérature à soi revient comme une condition nécessaire de l’art littéraire, il sera son premier lecteur30 en une sorte de dédoublement de communication où il s’écoute lui-même :

Au moment d’écrire, la communication n’est pas tout, loin s’en faut, ou tout au moins la communication transeunte qui a lieu entre toi et moi, au moment d’écrire c’est la communication ineunte qui est la plus importante, celle qui va de moi à moi31.

9Dès lors, il ne peut plus être question de rendre quoique ce soit a priori accessible au public pour susciter une quelconque adhésion. Lorsque les critiques interrogent l’auteur sur l’opacité d’un style qui exclurait d’emblée le récepteur, sur les raisons d’un « excès d’artifice », d’une « monstruosité stylistique », d’une « obscurité de l’expression » qui rapprochent des « quintessences de laboratoire »32, du plus pur formalisme ou de l’hermétisme, il répond qu’en effet, il utilise des artifices comme par exemple le paragraphe hypertrophique (dit « passionnel ») et qu’il ne voit pas en quoi cela devrait constituer une question à débattre, se recentrant sur ses propres obsessions concernant la nature essentiellement obscure du langage :

Quant au fait que l’œuvre que j’ai écrite soit obscure, je crois, d’autre part, qu’elle ne l’est pas ; que, si quelque chose l’est, cela vient de ma propre ignorance, qui doit être grande ; et que quand on essaie de faire quelque chose, même de peu d’importance avec une chose aussi mystérieuse et en principe aussi obscure que le langage, dans de nombreux cas il ne peut en résulter qu’un produit grandement obscur et sur lequel on doit s’interroger33.

10Il faut ici faire une brève parenthèse pour rappeler l’origine de ce qu’on nomme ici une « opacité » dont découlerait l’illisibilité de l’écriture (récemment évoquée après d’autres dans le livre de Manuel Martinez Duró, Lire l’illisible34). À ses débuts Benet écrit du théâtre, sa première pièce Max (1953) conte la fable insolite d’un équilibriste qui veut réaliser un saut exceptionnel et n’y parvient que dans sa grande vieillesse, il tombe et meurt dans l’indifférence du public. Inspirée de Kafka, du trapéziste (Trapezenkünstler) et du jeûneur (Hungerkünstler) d’Artiste de la faim (1924), l’œuvre développe le thème de l’incompréhension et de la solitude du créateur qui cherche à atteindre un point sublime, indépassable et que seule la mort peut arrêter. Le théâtre de Benet s’apparente aux propositions iconoclastes du dadaïsme, du théâtre de l’absurde et du théâtre de la cruauté. La recherche de nouvelles expériences théâtrales s’oriente vers une abstraction toujours plus grande qui préside à la désincarnation de personnages gazeux évoluant sur le chemin d’une déréalisation reflétant l’abime qui les sépare des autres, l’impossibilité de communication et de compréhension. En œuvrant à une démythification et en se constituant en un art anti mimétique dans une volonté d’émancipation radicale, Benet pose à l’avant-garde les questions de l’impossible. Certaines de ses pièces seront bien qualifiées d’irreprésentables et l’accueil de son théâtre alternera des périodes de succès relatifs et d’échecs cuisants. Ce que recherche Benet est un théâtre pur qu’il faut pourtant pouvoir rendre « tolérable » pour qu’il soit reçu, là est toute la difficulté. Le théâtre pur ne peut malheureusement se satisfaire du seul langage et a besoin d’action pour être présenté, toute la complexité réside finalement dans cette recherche d’un minimum strict nécessaire à la réception, une recherche sur ce qu’est l’impasse essentielle du langage qui obsèdera l’auteur dès le premier instant. Dans une lettre adressée à Carmen Martín Gaite au sujet de la lecture d’une de ses pièces au 216 de l’appartement de la rue de Serrano, il affirmait :

La lecture d’hier a été parfaite et je tiens à te remercier d’autant plus que ce fut une claque. L’œuvre ne se tient pas ; seulement sur le papier […] Et c’est malheureux. Cela fait un certain temps que je me heurte contre le même mur. Je suis toujours convaincu qu’il y a une place pour un théâtre qui serait celui du mot pur. Mais comme l’eau pure n’est pas potable – si intolérable, agressive et acide qu’elle défait les viscères […] ne peut même pas être conservée dans des récipients en verre – et a besoin d’un peu de sel et d’impuretés pour être tolérée par l’organisme, le théâtre du mot a besoin d’une part d’action pour être toléré par le spectateur35.

11La question de la représentabilité d’un théâtre pur trouve un prolongement dans celle de la lisibilité des œuvres écrites. La problématique liée à la réception des œuvres fera l’objet de discussions virulentes avec Carmen Martín Gaite. Dans les années 50, les deux écrivains et amis commentent des œuvres existentialistes dans le restaurant Gambrinus de Madrid, ils se reverront en 1964 après dix ans de séparation, Correspondancia regroupe leurs échanges épistolaires, soixante-sept lettres écrites entre 1964 et 1986 dont les trois-quarts datent des trois premières années, c’est-à-dire d’une époque où Benet n’était pas encore connu. Carmen Martín Gaite écrira plusieurs articles importants liés à Juan Benet, en particulier « La búsqueda del interlocutor » en 1969. Alors qu’elle a déjà publié El balneario, Entre visillos, Ritmo lento, elle assume le rôle de conseillère et le met en garde contre les méfaits de l’artificialité l’exhortant de prendre en compte le lecteur. Dans la lettre du 25 novembre 1964, elle écrira par exemple à propos de la rédaction de Volverás a Región :

Ce que je te déconseille particulièrement est de mêler les narrations croisées de plusieurs personnages. Le style doit être clair et sans chicaneries qui embrouillent le fil de la trame. Ne te soucie pas d’être lent et réflexif, mais d’être d’une minutie réelle et non feinte afin que tes invisibles lecteurs te comprennent mieux […] Ne prends pas plaisir à semer le trouble. Que le trouble, quand il doit exister, émane des contradictions du thème lui-même, qu’il soit dans le thème – et il y sera bien sûr –, mais tu ne dois pas te soucier de l’y mettre. Sur ce point, malgré ta rare intuition littéraire et tes compétences, tu es un peu artificiel. Imagine le lecteur, soit loyal. Laisse seulement dans l’obscurité ce qui y est pour toi également. Mais avant, bats-toi pour le tirer vers la lumière36.

12Carmen Martín Gaite joue à la critique, adoptant le ton surplombant d’un écrivain professionnel que l’écrivain novice doit écouter. Benet ne suivra aucun des conseils prodigués et ira jusqu’à affirmer, non sans provocation, que ce qui est véritablement difficile est d’écrire un livre sans histoire alors que trouver une histoire à raconter n’a aucun intérêt. La « difficulté » serait en quelque sorte une garantie de profondeur car, arrive très vite le moment où la réalité étant elle-même incompréhensible, sa clarification forcée n’a aucun sens, n’est-il pas en effet absurde de vouloir voir clair dans les ténèbres ? Des propos auxquels Carmen répondra que ce qui compte est le plaisir du lecteur et non la difficulté qu’il est censé devoir affronter37. La lecture de ces lettres, échangées selon un jeu épistolaire qui se place entre la conversation et la narration écrite38, tels des soliloques prolongés, selon une formule proposée par Carmen où Juan prendrait le rôle du « respondón »39 et ou elle, aurait la responsabilité de lancer les sujets, montrent que Juan Benet en reste à ses positions. La question commune aux deux écrivains, à savoir la recherche d’un interlocuteur, se rejoue sous une forme métatextuelle dans cet étrange dialogue / correspondance qui paraît dramatiser une communication impossible piétinante et ricochante. Carmen Martín Gaite confie ses difficultés existentielles, ses doutes, sa désorientation et quand il lui répond, ce qui n’est pas systématique, il le fait de façon lapidaire et déviante la mettant parfois en garde contre son goût prononcé pour la neurasthénie40. Elle, cherche en quelque sorte à former un couple d’écrivains, à fondre les sphères affectives et professionnelles prenant finalement en charge la dynamique épistolaire tout en se plaçant dans une posture de demande difficile à tenir : c’est elle qui demande des retours critiques sur ses propres œuvres et non Juan Benet41, c’est aussi elle qui évoque la question de la réception de ses textes et lui demande son avis après l’accueil mitigé de Ritmo lento en 1963, c’est elle qui se plaindra que ce dernier ne lui réponde pas alors que c’est encore elle qui a posé les règles d’une relation épistolaire sans symétrie en rupture avec les modes d’échanges habituels. En sorte qu’au terme de la lecture de ces échanges, nous avons davantage l’impression d’être devant une démonstration « d’incorrespondance » ; bien que communiquant sur des sujets communs, les interlocuteurs et notamment Benet semblent buter sur leurs propres obsessions et rester seuls avec leur langage.

13Carmen Martín Gaite tente de poursuivre le dialogue dans un livre portant le titre de La búsqueda del interlocutor en 1969 qu’elle adressera à Juan Benet lui-même. Si pour elle, la plus belle utopie de celui qui se met à écrire consiste précisément à inventer le lecteur qu’il n’a jamais vu et ne verra jamais et si écrire consiste à faire l’expérience d’une communication impossible ouvrant sur la construction d’un auditeur utopique42, les choses sont différentes pour Juan Benet pour qui nous l’avons dit, écrire se « limiterait » à affiner sa propre écoute de lui-même. Le narrateur est entendu comme une figure bicéphale et avant tout comme un auditeur qui est le seul à pouvoir créer le discours qu’il veut entendre en sorte que la relation entre l’écrivain et son public est en réalité la relation de deux lecteurs, dans laquelle la figure de l’écrivain doit être entendue comme le lecteur de sa propre œuvre et donc en quelque sorte comme un consommateur. Juan Benet évoque le solipsisme du narrateur, le style comme unique moyen d'atteindre l’état de grâce. Pour Carmen Martín Gaite, la recherche d'un interlocuteur est aussi une question de style, seul ce qui est « clair » et en quelque sorte énoncé de façon à être compréhensible peut trouver un interlocuteur. Nous avons donc deux pratiques narratives divergentes qui vont coïncider par différents chemins. La différence principale entre les deux réside dans les relations qu'ils maintiennent avec leur lecteur et dans les concessions qu’ils sont capables de faire pour lui. Carmen montre dans El cuento de nunca acabar qu’elle peut tout lui abandonner jusqu'à l’objet du discours. Alors que Juan lui, laisse le lecteur décider face à l'incertain, et trouver ses formules d’interprétation.

Concessions ?

14Cette recherche qui s’est limitée à prendre en compte un ensemble d’entrevues, de conversations, d’interventions publiques (1969-1992) a permis d’observer que les principales préoccupations des personnes qui l’interrogeaient et de l’auteur lui-même concernaient la réception de son œuvre. On peut se demander si une partie de ses déclarations notamment celles qui se réfèrent à un public dont il ira jusqu’à dire qu’il s’est « avili » au fil des années43, relevaient du discours ou de la posture et s’il ne ressentait pas finalement une forme de regret de ne pas être davantage aimé et reconnu. Il n’est pas si simple de répondre à cette question car ses propos sont parfois ambigus voire contradictoires. S’il affirme que la meilleure des situations pour un écrivain est de rester inconnu, il se présentera cependant à des prix littéraires – dans des moments de « faiblesse » – en soulignant néanmoins qu’il est préférable d’éviter ce type de concours44. En 1969, alors qu’il obtient le prix Biblioteca Breve, il déclare tout de même à Antonio Núñez pour le numéro 269 d’Ínsula que ce prix constitue une consécration qu’il faudra évaluer à l’aune de son succès auprès des lecteurs45. Pour El aire de un crimen et le prix Planeta, il explique que c’est Eduardo Chamorro qui l’a entraîné dans cette aventure et qu’il travaillé pour être lu du grand public sans pour autant faire de réelles concessions46. Quant à l’argent, pour une fois qu’il pouvait en gagner, on comprend que ce ne fut pas pour lui déplaire47. Par ailleurs, les concessions littéraires que Benet a pu faire au fil du temps peuvent être débattues comme peuvent l’être leurs motivations véritables (évolution naturelle du style, volonté de plaire). Concernant la rédaction de Herrumbrosas lanzas qui se fit sur plusieurs années, il affirmera que la publication d’une suite sera soumise à l’accueil des tomes qui précèdent et que si l’œuvre, « tombe dans l’indifférence », il en arrêtera purement et simplement la rédaction48 ; il admet être touché lorsque ses ouvrages n’obtiennent pas l’audience escomptée49. Il sera d’autre part fréquemment interrogé sur les raisons qui l’ont conduit à simplifier son écriture à partir des années 80, notamment dans Herrumbrosas lanzas, le but véritable ne fut-il pas à ce moment d’élargir son public ?50 Selon lui, le réel point d’infléchissement fut Saúl ante Samuel, son œuvre la plus aboutie, celle qui lui demanda rien moins que neuf années de travail et qui passa quasiment inaperçue51. Saúl ante Samuel n’avait donc pas trouvé son public, mais devait-il vraiment s’en étonner alors que toute sa quête stylistique s’orientait toujours davantage vers l’abstraction et l’hermétisme, seuls des lecteurs rompus à la cosmologie bénétienne pouvaient en effet accéder à ce texte éminemment complexe. Fidèle à lui-même, il niera cependant toujours avoir fait la moindre concession et affirmera catégoriquement son insoumission au système :

–Faites-vous des livres moins hermétiques pour élargir votre public ?
Non, cela on peut le dire de l’extérieur, mais de l’intérieur non, car je devrais avouer quelque chose comme : « évidemment, cela fait des années que j’ai la volonté ferme de m’assouplir et d’être plus clair ». Et bien non, je ne l’ai pas eue. De plus, l’approche est fausse, car si je l’ai fait j’ai échoué amplement. Dans le cas où j’aurais écrit des textes moins hermétiques, ce qui est certain c’est que je ne suis pas entré en contact avec plus de public52.

Bibliographie

Benet Juan [1966], La inspiración y el estilo, Madrid, Alfaguara, 1999.

Benet Juan, Cartografía personal, Valladolid, Cuatro ediciones, 1997.

Benet Juan, Ensayos de incertidumbre, Barcelona, Lumen, 2011.

Martín Gaite Carmen [1964], La búsqueda del interlocutor, Barcelone, Anagrama, 2000.

Martín Gaite Carmen, Benet Juan, Correspondencia, José Teruel (ed.), Barcelona, Círculo de Lectores, 2011.

Martínez Duro Manuel, Lire l’illisible. Sémantique de la difficulté dans « Una meditación » de Juan Benet, Villeneuve, Orbis Tertius, 2015.

Notes

1 Entretien avec José Luis Merino, « Juan Benet », Los Cuadernos del Norte, n17, 1983, p. 34-41, dans Juan Benet, Cartografía personal, Valladolid, Cuatro ediciones, 1997, p. 155, « Yo tengo una imagen pública muy poco pública, porque han salido dos o tres entrevistas en los periódicos a causa de un premio literario. La imagen pública no puede más que reflejar el hastío y la vergüenza y la causticidad y el veneno con el que debemos vivir: todo lo público es venenoso. Si una parte del yo ha de ser pública, mejor que sea envenenada y caústica y agresiva e iconoclasta y, en cierto modo, inconformista ».

2 Entretien avec Joaquín Arnáis, « La mediocridad me parece una pérdida de tiempo », Diario 16 (Culturas), 24 mars 1985, p. 5, dans Juan Benet, Cartografía personal, p. 228.

3 Juan Benet, « La entrada en la taberna » [1966], La inspiración y el estilo, Madrid, Alfaguara, 1999, p. 111-143.

4 Entretien avec Pascale Casanova, « Comment Juan Benet découvrit l’Amérique », Critique, n552, Mai 1993, p. 325-341, dans Juan Benet, Cartografía personal, op. cit., p. 296, « Francia era muy, muy importante; todo venía de allí. Recibía Les Temps Modernes un mes después de su publicación. Todavía tengo en casa toda la colección de la revista desde 1945 hasta 1952, y es ahí donde descubrí, por ejemplo, la novela negra americana ».

5 Ibid., p. 298, « Creo que he efectuado une ruptura “moral” con la literatura que se escribía antes en este país ».

6 Entretien avec José Hernández, « Juan Benet 1976 », Modern Language Notes, 92, n2, Baltimore, 1977, p. 52-54, dans Juan Benet, Cartografía personal, op. cit., p. 111.

7 Réponse à un questionnaire de Fernando Lázaro Carreter pour Literatura y educación, Madrid, Castalia, 1974, p. 197-206, dans Juan Benet, Cartografía personal, op. cit., p. 74-75.

8 Réponse à Andrés Amorós, Novela española actual, Madrid, Cátedra, Fundación Juan March, 1977, dans Juan Benet, Cartografía personal, op. cit., p. 84, « Cuando se escribe una obra, estimo yo, no se está pensando en el juicio posterior a ella y nunca se puede considerar que las actividades ulteriores a la obra supongan una especie de estatuto previo a la escritura de la misma. Yo no olvido nunca –y creo que no se puede olvidar– que una posición crítica es fundamentalmente distinta de la posición del individuo que ingenuamente o no trata de escribir una obra de manera no crítica ».

9 Ibid., p. 85.

10 Réponse de Juan Benet à un questionnaire de Francisco Carrasquer, Cuadernos de Norte, Revista Hispánica de Amsterdam (número sur Augusto Roa Bastos et Juan Benet), 1976, p. 76-78, dans Juan Benet, Cartografía personal, op. cit., p. 99.

11 Juan Benet, « La crítica en cuanto antropología », Ensayos de incertidumbre, Barcelona, Lumen, 2011, p. 205-224.

12 Entretien avec Nelson R. Orringer, « Juan Benet, a viva voz sobre sobre la filosofía y el ensayo actuales », Los ensayistas. Boletín informativo. The University of Georgia. Dept. of Romance Languages, n8-9, Athens, Georgia, mars 1980, p. 59-65, dans Juan Benet, Cartografía personal, op. cit., p. 142, « Pues, desde mi punto de vista, el crítico literario debe ser todo menos un policía de tráfico. Debe ser, entre otras cosas, profundo conocedor de la obra literaria y profundo conocedor de los secretos de la obra literaria y de las virtudes y gracias de la obra literaria que pueden pasar inadvertidas para el lector rápido, superficial o incluso atento pero que por su formación no tiene los instrumentos de interpretación de una determinada frase. El crítico literario lo mejor que puede ser […] será un Otelo, un desenterrador de secretos […] que los saca a la luz y que los publica […] El buen crítico pone en manos del lector las verdaderas virtudes del arte literario y nunca le dice, “Esto se lee porque sí”, o “Esto se lee porque no”. Nunca hace labor de policía ». Les attaques contre les critiques se multiplient au fil des interventions : entretien avec Javier Casaretto, « El juego de escribir », Ozono, no 31, avril 1978, p. 71-73, dans Juan Benet, Cartografía personal, op. cit., p. 133 ; Entrevue avec José Luis Merino «Juan Benet», Los Cuadernos del Norte, no 17, 1983, ibid, p. 156. Il s’en prend notamment aux critiques qui écrivent dans les journaux : « Los más policíacos son los críticos de periódicos, los gacetilleros; en primer lugar, rara vez enjuician con soltura y solidez. Un crítico que escribe todas las semanas en un periódico tiene que leer tanto que apenas sabe nada […] Cuando se tiene que leer todas las novedades, es decir, un libro cada tres días, para informar acerca del último libro de ensayos, el último premio […] el tiempo se consume en leer y enjuiciar lo baldío, lo que no enseña sino el mal gusto y la inseguridad ».

13 Juan Benet, Ensayos de incertidumbre, op. cit., p. 180-189 et p. 336-354 respectivement.

14 Réponses à Monserrat Roig, Los hechiceros de la palabra, Barcelona, Martínez Roca, 1975, p. 19-27, dans Juan Benet Cartografía personal, op. cit., p. 79.

15 Réponses à Federico Campbell, Infame turba, Barcelona, Lumen, 1971, p. 292-310, dans Juan Benet, Cartografía personal, op. cit., p. 57, « Tengo la idea, por lo menos en lo que a mí me respecta, de huir de todo profesionalismo y hacer solo lo que me dé la gana ».

16 Réponses à Tola de Habich et Patricia Grieve, Los españoles y el boom. Cómo ven y qué piensan de los novelistas hispanoamericanos, Caracas, Nuevo tiempo, 1971, p. 25-41 dans Juan Benet, Cartografía personal, op. cit., p. 53. Il évoque à ce titre le succès de García Márquez qui a marié les goûts d’une minorité à ceux du grand public : « La mayoría lo compra todo, desde luego… En definitiva, al libro de García Márquez le pasa lo que a muchos artículos: gusta a todos los públicos, incluso a las minorías selectas ».

17 Réponses à Federico Campbell, Infame turba, p. 292-310, dans Juan Benet, Cartografía personal, p. 57, « Yo no puedo pensar en el público cuando me pongo a escribir. Nadie piensa en el público, salvo el escritor profesional que no tiene remedio; de lo contrario, no vendería sus libros y no comería… y así el escritor profesional adquiere una especie de compromiso con el público, en virtud del cual él sabe que va a vender una mercancía, siempre que guste ». Ailleurs en 1975, il insiste encore : « solo se hace buena literatura cuando se escribe para uno mismo. Solo el propio yo es el más exigente de todos. Cuando se escribe para el público o por compromisos sociales se es mucho menos exigente », réponses à Monserrat Roig, Los hechiceros de la palabra, dans Juan Benet, Cartografía personal, op. cit., p. 79.

18 Entretien avec José Hernández, « Juan Benet 1976 », dans Juan Benet, Cartografía personal, op. cit., p. 114, « Jamás me dedicaré exclusivamente a la pluma, eso sería repugnante. Yo quiero no tener que vivir de ella para seguir protestando: el status que gozo en ese sentido no lo cambiaré por nada, ni incluso si me convirtiera en un escritor bien pagado, cosa que no es posible. Mientras siga así no tendré público y no hay nada que me dé éste como para que me empuje a cambiar; me gustaría mucho tenerlo, por supuesto, pero ese gusto no es superior al regocijo que me proporciona el tener absoluta libertad con respecto al juicio del público para poder escribir ».

19 Réponses à Federico Campbell, Infame turba, dans Juan Benet, Cartografía personal, op. cit., p. 65, « Precisamente he estado al margen por voluntad propia, y por la voluntad decidida de no participar en una situación cultural española que no me atraía nada, nada absolutamente ».

20 Entretien avec José Luis Merino «Juan Benet», dans Juan Benet, Cartografía personal, op. cit., p. 162, « Una de dos: o se escribe bien, y entonces no se gana dinero, o si se quiere ganar dinero es preciso escribir mal. Para el primero hay que enfrentarse con el gusto del público y con la sociedad, sin temor a verse rodeado si no de incomprensión, al menos de la no comercialización. Por el contrario vender mucho es escribir mal, no hay otra salida ».

21 Ibid.

22 Javier Casaretto, « El juego de escribir », dans Juan Benet, Cartografía personal, op. cit., p. 129, « Desgraciadamente, creo que sí. Nada me gustaría más que dejar de serlo, pero si he de referirme a la cifra de ventas de mis libros pues creo que sí ».

23 Ibid., p. 133.

24 Entretien avec Víctor Márquez Reviriego, « La memoria creadora », Triunfo XXXIV, no 2, décembre 1980, p. 84-87, dans Juan Benet, Cartografía personal, op. cit., p. 177.

25 Réponses à Federico Campbell, Infame turba, dans Juan Benet, Cartografía personal, op. cit., p. 64.

26 Entretien avec Sol Alameda, «El talento entre tinieblas», El País (Semanal), Madrid, 19 mars 1989, p. 22-29, dans Juan Benet, Cartografía personal, op. cit., p. 256, « Una persona con una mínima estatura moral, lo que tiene que tener en cuenta es la relación refleja entre la propia obra y uno mismo. Quien interroga a un tercero, a un lector, distrae esa relación ».

27 Ibid., « con el público en sí uno no se puede sentir identificado ni compenetrado, es una abstracción, no existe, no tiene cara, ni nombre propio, ni expresa sus gustos ».

28 Ibid., p. 257.

29 Entretien avec José Méndez, «El público se ha envilecido», El País, 5 mars 1989, dans Juan Benet, Cartografía personal, op. cit., p. 20. Il lui préfèrera le terme « compulsado » : « Compulsado es la obligación de todo tipo nacido de uno. El principal problema es cómo se hace uno con la reciprocidad de la influencia. La situación ideal es la del escritor desconocido. La literatura debía solo haberse hecho de poetas malditos ». Il rejette l’engagement social demandé à une littérature qui devrait « être de son temps ».

30 Javier Casaretto, « El juego de escribir », dans Juan Benet, Cartografía personal, op. cit., p. 130.

31 Entretien avec Emma Pérez Coquillat, «Los généros son poco menos que indicaciones tipográficas», La verdad (suplemento literario), 28 juin 1981, p. 2, dans Juan Benet, Cartografía personal, op. cit., p. 192, « A la hora de escribir, la comunicación no es, ni mucho menos todo, o por lo menos la comunicación transeúnte entre tú y yo, en cierto modo, a la hora de escribir es más importante la comunicación ineúnte, la que va de mí a mí ».

32 Entretien avec Andrés Amorós, Novela española actual, dans Juan Benet, Cartografía personal, p. 92.

33 Ibid., « En cuanto a que la obra que yo he escrito sea oscura, creo, por otro lado, que no lo es; que, si lo es algo, es por la propia ignorancia que llevo dentro, que debe ser mucha; y que cuando se intenta hacer algo, aunque no sea muy importante, con una cosa tan misteriosa y en principio tan oscura como el lenguaje, en numerosos casos no puede resultar sino un producto que tiene mucho de oscuro y de investigable ».

34 Manuel Martínez Duró, Lire l’illisible. Sémantique de la difficulté dans « Una meditación » de Juan Benet, Villeneuve, Orbis Tertius, 2015.

35 Carmen Martín Gaite, «Juan Benet espacio biográfico, universo literario», Conférences des 2 et 3 juillet 1996, Cour supérieur de philologie hispanique dirigé par Fernando Rodríguez de la Flor, dans Juan Benet, La inspiración y el estilo, op. cit., p. 236, « La lectura de ayer fue perfecta y tanto más de agradecerte cuanto era una pelmada. La obra no se sostiene; solo el papel […]. Y es pena. Llevo un cierto tiempo dándome de bruces contra el mismo muro. No puedo dejar de estar convencido de que “cabe”, un teatro solo de la palabra. Pero así como el agua pura es impotable –tan inaguantable, atacante y ácida que deshace les vísceras con más energía que la regia y ni siquiera se puede conservar en recipientes de cristal– y necesita una proporción de sal e impurezas para ser tolerable al organismo, así el teatro de la palabra necesita una proporción de acción para ser tolerable al espectador ».

36 Carmen Martín Gaite, Juan Benet, Correspondancia, éd. José Teruel, Barcelone, Galaxia Gutenberg, 2011, p. 43. À propos de Nunca llegarás a nada, le style de Juan Benet fut qualifié par Luis Martín Santos de « nebuloso ».

37 Carmen Martín Gaite, «Juan Benet, espacio biográfico, universo literario», dans Juan Benet, La inspiración y el estilo, op. cit., p. 262, « Invocar la dificultad como marchamo de calidad de una obra [es] absurdo. Daba igual que fuera fácil o difícil, lo importante es que se leyera con gusto. La dificultad no tenía por qué notarse ».

38 Carmen Martín Gaite, Juan Benet, Correspondancia, op. cit., p. 49. Lettre du 3 mars 1965.

39 Ibid., p. 130. Lettre du 8 novembre 1966.

40 Ibid., p. 35. Lettre du 2 octobre 1964.

41 Ibid., p. 48. Lettre du 3 mars 1965.

42 Carmen Martín Gaite, La búsqueda del interlocutor [1964], Barcelone, Anagrama, 2000, p. 23.

43 Entretien avec José Méndez, « El público se ha envilecido », El País, 5 mars 1989, dans Juan Benet, Cartografía personal, op. cit., p. 253, « En cierta medida, se ha envilecido. Ni sus gustos ni su conversación me dicen gran cosa ».

44 Entretien avec Miguel Fernández Braso, « Juan Benet, un talento excitado », Pueblo, 12 mars 1969, dans Juan Benet, Cartografía personal, op. cit., p. 18, « No, no me importa la amenidad. Hay que escribir para pocos. Quizá para uno. En cuanto el escritor se guía por el público está perdido. Quizás en un momento de flaqueza se mande la novela a un premio para que la publiquen y la lean. Pero lo ideal sería escribir para ti o para mí ».

45 Entretien avec Antonio Núñez, « Encuentro con Juan Benet », Ínsula no 269, avril 1969, dans Juan Benet, Cartografía personal, op. cit., p. 25, « Para mí el Premio Biblioteca Breve significa una consagración. Ahora depende del éxito que consiga la novela. A lo mejor tiene trascendencia. Si se demuestra está bien, significará algo. Si no, nada ».

46 Entretien avec Víctor Márquez Reviriego, « La memoria creadora », Triunfo XXXIV, 6a época, n2, Madrid de diciembre de 1980, p. 84-87, dans Juan Benet, Cartografía personal, op. cit., p. 175, « […] me puse a trabajar pues con la idea de que fuera accessible al público. No cambié ninguno de mis, por así decirlo, estamentos literarios; no de mis cláusulas, pero accessible al público pues de la misma manera que había hecho en algún volumen de cuentos, cuentos policíacos o cuentos parapolicíacos… » ; Entretien avec Emma Pérez Coquillat, « Los généros son poco menos que indicaciones tipográficas », La verdad (suplemento literario), Murcia, 28 juin 1981, p. 2, dans Juan Benet, Cartografía personal, op. cit., p. 193, « El Premio Planeta […] supuso para mí una especie de apuesta o reto conmigo mismo, porque se suponía que yo no podía escribir una novela amena, con personajes, argumento, intriga… Me propuse hacerla, y tuve la sorpresa de que era más fácil de hacer una novela con esos ingredientes » ; Entretien avec Pablo Lizcano pour la TVE, « Juan Benet escritor, ingeniero, y estratega » ; « Autorretrato », 1984, dans Juan Benet, Cartografía personal, op. cit., p. 21, « Con aquella novela logré un éxito provocado, pues ganar ese premio suponía ya un gran público… La novela no estaba “poco trabajada” sino trabajada en un corto espacio de tiempo; no alteré mis cláusulas ni mis principios en modo alguno ».

47 Entretien avec Maruja Torres, « La historia de la humanidad es la de sus guerras », El País (Libros), Madrid, 23 octobre 1983, dans Juan Benet, Cartografía personal, op. cit., p. 210.

48 Ibid., p. 206.

49 Entretien avec Helena Molero, « El descrédito de las doctrinas ha hecho desaparecer a los santones de la cultura », La Nueva España (Suplemento Culturas), Madrid, 5 mai 1990, p. 4, dans Juan Benet, Cartografía personal, op. cit., p. 281.

50 Entretien avec Juan García Hortelano, « El valor del singular », El Urugallo, no 35, Madrid, mars, 1989, dans Juan Benet, Cartografía personal, op. cit., p. 230.

51 Ibid., « Lo que sí decidí que después de escribir Saúl ante Samuel es que ese intento lo había llevado hasta un extremo o, por decirlo así, que había subido una vertiente de la cordillera y a partir de ahí la tenía que bajar. Era un rasgo estilístico y no una cuestión de acogida social; esas acogidas nunca me han influido decisivamente y, además, con la excepción de El aire de un crimen –nada decisiva estilísticamente–, todos mis libros han sido acogidos de una manera muy parecida » ; entretien avec Sol Alameda, « El talento entre tinieblas », dans Juan Benet, Cartografía personal, p. 256, « Voy a hacer cosas más amenas, más sencillas, que no me cuesten nueve años de trabajo. En definitiva estoy hablando de una operación de carácter intelectual: si te estrujas el cerebro como una toalla mojada a la que no le quede ni una sola gota, o no… ».

52 Entretien avec Helena Molero « El descrédito de las doctrinas ha hecho desaparecer a los santones de la cultura », dans Juan Benet, Cartografía personal, op. cit., p. 281, « ¿Hace textos menos herméticos para ampliar el público? No. Eso se puede decir desde fuera, pero desde dentro no, porque tendría que confesar algo sí como: evidentemente, llevo desde años la voluntad decidida de ablandarme y hacerme más claro. Pues no, no la he sentido… Además el planteamiento es falso, porque si lo he hecho he fracasado paladinamente. En el caso de que haya escrito textos menos herméticos, lo que es cierto es que no he comunicado con más público ».

Pour citer ce document

Sandrine Lascaux, « Juan Benet, pour qui écrivez-vous ? » dans «  », « Travaux et documents hispaniques », n° 10, 2019 Licence Creative Commons
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Quelques mots à propos de :  Sandrine Lascaux

Normandie Univ, UNIHAVRE, GRIC, 76600 Le Havre, France
Sandrine Lascaux est Maître de conférences à l’université du Havre (GRIC). Ses travaux portent sur la littérature espagnole du xxe siècle et plus spécifiquement sur Juan Benet Elle publie aux éditions Orbis tertius l’ouvrage Juan Benet, une poétique de l’incertain (2017) et prépare un ouvrage intitulé Juan Benet et l’écriture de l’épuisement.