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“Fatum” : destin et liberté dans le théâtre

Ce volume recueille quelques-uns des travaux pluridisciplinaires présentés lors de la journée d’études « “Fatum” : destin et liberté dans le théâtre » organisée par l’ERIAC sous la direction scientifique de Milagros Torres et Miguel A. Olmos et qui eut lieu le 17 avril 2009 à la Maison de l'Université de Rouen. Ce recueil est également le premier aboutissement des travaux du Séminaire d’études théâtrales (SET), qui a pour vocation de relier la théorie et la pratique théâtrales – une mise en scène de El Castigo sin venganza (Lope de Vega) a été représentée en 2010 par la troupe universitaire El corral del Sol, dirigée par Milagros Torres. Cette réflexion a déjà donné lieu au colloque international « Tragique et comique liés, dans le théâtre, de l’Antiquité à nos jours (du texte à la mise en scène) », organisé par les équipes CÉRÉdI et ERIAC avec le concours du CRES-LECEMO de l’Université de Paris III-Sorbonne Nouvelle et publié en ligne sur la Bibliothèque numérique du CÉRÉdI (Université de Rouen, 2012). Les textes ont été recueillis par Milagros Torres et Miguel A. Olmos.

Couverture de

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Destin et Liberté dans Hamlet de William Shakespeare1

Claire Gheeraert-Graffeuille


Résumés

Cet article se propose de vérifier dans quelle mesure les notions de destin et de liberté, si longtemps associées à la tragédie grecque, pouvaient encore avoir un sens pour étudier Hamlet. Il examine d’abord le statut incertain du destin, intrinsèquement lié dans la pièce à la nature et au rôle du spectre. Il porte ensuite sur liberté d’un dramaturge qui fait voler en éclats la structure close et archaïque du drame de vengeance traditionnel. Il se demande enfin en quoi ces écarts entre le texte de Shakespeare et le modèle de la revenge tragedy manifestent, de façon paradoxale, la liberté du héros tragique.

Texte intégral

1Hamlet s’ouvre sur l’apparition d’un spectre très vite identifié comme étant celui du vieil Hamlet, le précédent roi, mort prématurément d’une morsure de serpent. Terrifiant aux yeux des gardes et d’Horatio qui les a rejoints, il se présente en armure « comme lorsqu’il combattit l’ambitieux Norvège » (I, i, v. 61)2, « sous le même aspect que le roi qui est mort » (I, i, v. 41). Pour Horatio, personnage sceptique par excellence, nul doute qu’une telle apparition « présage quelque étrange convulsion pour notre État » (I, i, v. 69) ; c’est un prodige comparable à ceux que l’on a vus « [à] l’apogée de l’empire romain, / Un peu avant la chute du très puissant César » (I, i, v. 113-114) ; le fantôme, ajoute-t-il, annonce l’arrivée des Parques, « the fates », ces agents du destin, que Jean-Michel Déprats choisit de traduire littéralement par « destins » :

Ces mêmes précurseurs d’événements terribles,
Messagers qui toujours précèdent les destins,
En prologue à des catastrophes imminentes,
Terre et ciel à la fois les ont fait apparaître
Sous nos climats à nos concitoyens (I, i, v. 120-125)

2Horatio renvoie ici aux croyances du temps selon lesquelles les fantômes et les esprits seraient des avertissements du destin3. Il fait du spectre une figure de la fatalité dont l’intervention au début du drame fait démarrer l’action et dicte de façon irrévocable le cours des choses4. L’appel à la vengeance du fantôme est limpide : « si tu as jamais aimé ton tendre père / […] Venge son meurtre infâme et contre nature » (I, v, v. 23-25). Face à une apparition si menaçante, Hamlet ne dispose d’abord que d’une marge de manœuvre très réduite. Toutefois, alors que, dans les tragédies de vengeance contemporaines, la trajectoire du vengeur jusqu’à sa mort semblait fixée d’avance, la sienne est plus tortueuse et s’affranchit en partie de la tradition : contrairement à ses promesses, le héros ne « vole » pas à sa vengeance (I, 5, v. 29-31) et résiste aux forces qui, de toutes parts, veulent l’enfermer. Même si au dernier acte, sa mort montre qu’il n’échappe pas complètement à son destin de vengeur, il jouit tout au long de la pièce d’une liberté paradoxale. Pour la mesurer, il convient d’abord de revenir sur le statut incertain du destin, intrinsèquement lié dans Hamlet à la nature et au rôle du spectre. On se demandera ensuite en quoi cette tragédie révèle la liberté d’un dramaturge qui fait voler en éclats la structure close et archaïque du drame de vengeance traditionnel5. On se demandera enfin dans quelle mesure ces écarts entre le texte de Shakespeare et le modèle de la revenge tragedy peuvent laisser place à la liberté du héros, en particulier à l’exercice de son libre-arbitre, c’est-à-dire l’« action de la volonté par laquelle elle choisit librement ce qu’elle juge de meilleur » (Dictionnaire universel d’Antoine Furetière, 1690).

3Les notions de destin et de liberté évoquent d’emblée le théâtre grec. Cependant, les rapprochements entre la tragédie antique et le théâtre de Shakespeare ne s’imposent pas à première vue6. D’abord, parce que la plupart des tragiques grecs n’étaient pas traduits en anglais à la fin du xvie siècle et au début du xviie siècle. Ensuite, parce que, selon les célèbres mots de Ben Jonson, Shakespeare aurait été piètre latiniste et ignorait le grec7. Il n’en reste pas moins que sur le plan générique et anthropologique, les comparaisons sont non seulement possibles mais souvent très fructueuses8. Au début du xviiie siècle, l’éditeur de Shakespeare, le poète et dramaturge Nicholas Rowe, soulignait les parallèles entre le Hamlet de Shakespeare et l’Electre de Sophocle9. Au xxe siècle, Jan Kott a montré la proximité entre Hamlet et les tragédies d’Oreste (dans les versions qu’en donnent Euripide, Sophocle et Eschyle)10. Plus récemment, Louise Schleiner affirmait que les Élisabéthains pouvaient avoir accès au théâtre antique à travers des éditions de certaines tragédies en grec mais aussi, plus vraisemblablement, à travers à des traductions latines, des commentaires, et des résumés des pièces en anglais11. Elle défend l’idée que Shakespeare fait renaître la tragédie antique deux mille ans après son apparition à Athènes au vsiècle12. De tels rapprochements invitent à se pencher à nouveau sur la problématique de la liberté et du destin, le plus souvent appliquée au théâtre grec : même si les paysages intellectuel et religieux des tragiques antiques et du théâtre de Shakespeare diffèrent, les convergences sont nombreuses ; dans le cas de Hamlet le sentiment que l’avenir du héros est déterminé à l’avance rappelle les tragédies de Sophocle et d’Eschyle13. Certes, dans cette tragédie, on ne trouve point de Tirésias pour prédire l’avenir, point d’augures ni de grands prêtres, mais les personnages doivent néanmoins affronter des forces qui les dépassent et qui semblent leur imposer un destin qu’ils n’ont pas choisi. En invoquant à plusieurs reprises la divinité capricieuse et imprévisible qu’est la Fortune, les personnages semblent accepter l’idée qu’ils ne sont pas maîtres leur destinée. Dans son célèbre monologue, Hamlet se plaint des « coups et [des] flèches d’une injurieuse fortune » (III, i, v. 57), tandis qu’à la scène suivante il admire le stoïque Horatio « [q]ui accueille les rebuffades et les récompenses de la Fortune / Avec des remerciements égaux » (III, ii, v. 63-64). Très ironiquement, dans la longue tirade que déclame le comédien à la demande d’Hamlet à l’acte III, on trouve une invitation à se révolter contre la déesse qui a laissé Pyrrhus abattre son épée sur le vieux Priam :

Honte, honte, Fortune, tu es une catin ! Vous, tous les dieux
Réunis en conclave, prenez-lui son pouvoir,
Brisez la jante et tous les rayons de sa roue,
Et du haut des monts célestes précipitez-en le moyeu
Aussi bas que les démons ! (II, ii, v. 424-428).

4C’est un sujet encore débattu par le Roi de comédie qui se demande : « Amour conduit-il fortune, ou fortune amour ? » (III, ii, v. 190).

5Cependant, les apparitions de la fortune sont fugaces et c’est surtout autour du fantôme que se cristallisent les considérations sur la nature du destin. Lorsqu’Hamlet, Horatio et les gardes le rencontrent pour la première fois, ils pensent que les hommes ne sont que des jouets entre ses mains ; ils voient en lui un signe, un prodige qui annonce une catastrophe ; Horatio ne semble pas douter que le spectre est « dans le secret d’un destin funeste pour [s]on pays » (I, i, v. 133). Mais très vite son message s’obscurcit. De qui au juste le fantôme est-il le porte-parole ? Indique-t-il le chemin du vrai ou bien cherche-t-il à damner le prince danois ? Et, à dire vrai, existe-t-il vraiment14 ?

6Pour Horatio, le spectre ressemble au père de son ami Hamlet, l’ancien roi du Danemark, qui a glorieusement vaincu Fortinbras, mais c’est aussi, à ses yeux, un esprit qui « usurp[e] ce temps de nuit » (I, i, v. 46). Horatio ne sait pas si le fantôme est une créature coupable et maléfique, capable de pousser Hamlet au suicide (I, iv, v. 69-75) ou, au contraire, si ses intentions sont justes, s’il a un secret à révéler, ou encore une bonne action à accomplir (I, i, v. 139-136). De même, Hamlet à l’acte I, scène iv, ignore si le fantôme est un « esprit de salut, ou [un] gobelin damné » (I, iv, v. 40), s’il vient du Ciel ou de l’enfer (I, iv, v. 41), ce qu’il attend de lui (I, iv, v. 57) ; dans son monologue de la fin de l’acte II, il croit encore à une ruse démoniaque : « L’esprit que j’ai vu / Est peut-être un diable, et le diable a le pouvoir / De revêtir une forme séduisante ; oui, et peut-être […] / Il m’abuse pour me damner » (II, ii, 525-530)15. Il convient aussi de noter qu’Hamlet invoque la protection des anges gardiens comme s’il redoutait une influence diabolique du spectre : « Anges et ministres de la grâce, secourez-nous ! » s’écrit-il dès qu’il le voit approcher (I, iv, v. 139), ou encore, lors de son entrevue avec sa mère après la mort de Polonius : « Sauvez-moi et couvrez-moi de vos ailes, / Vous célestes gardiens ! » (III, iv, v. 103-104). Enfin, ce qui rend les paroles du spectre inquiétantes, c’est l’aveu de son origine impure. La description du lieu où il séjourne peut correspondre aussi bien au purgatoire qu’aux enfers païens16 : « L’heure est presque venue / Où je dois retourner aux supplices / Des flammes sulfureuses » (I, v, v. 2-4)17. Au regard de protestants orthodoxes ces interrogations sont vaines car à leurs yeux l’idée que les esprits puissent rendre visite aux vivants relève de la superstition païenne ou catholique. Pour Robert Burton, par exemple, un esprit qui prend l’apparence d’un être disparu est par essence diabolique18. Comme le note Pierre Kapitaniak au sujet des discours démonologiques, « pour les protestants (et pour beaucoup de catholiques, d’ailleurs), les spectres sont systématiquement des démons et rejoignent ainsi les œuvres de Satan au même titre que d’autres apparitions qui ne ressemblent pas à des défunts »19. Dans Hamlet la cœxistence de plusieurs discours sur le spectre empêche de décider sa vraie nature, instrument de la providence20, ou fatalité maléfique. Loin d’être une faiblesse, cette hésitation est essentielle sur le plan dramatique. Elle tient peut-être aussi au fait que Shakespeare combine volontairement des doctrines rivales ou encore que le discours démonologique est lui-même contradictoire21.

7L’incertitude qui entoure le spectre est encore accentuée par la question de son existence même. « [C]ette terrible vision » ne serait-elle qu’une illusion (I, i, v. 23-25) ? Serait-elle le fruit de la mélancolie22 ? C’est une hypothèse qu’Hamlet avance à plusieurs reprises, mais qui est démentie par Horatio et par les gardes qui invoquent, dès l’acte I, le « le témoignage de nos yeux » (I, i, v. 29), et « la garantie sensible et vraie / De [leurs] propres yeux » (I, i, v. 57-58). Cependant, les doutes d’Hamlet s’accentuent à l’acte III, lorsqu’il est seul à voir le spectre ; Gertrude reste interdite devant son fils qui penche « [son] œil sur le vide » et tient « des discours à l’air incorporel » (III, iv, v. 116-117). Par ailleurs, force est de constater qu’à la différence du fantôme de Bussy dans The Ghost of Bussy de Chapman, celui du vieil Hamlet ne s’adresse qu’à Hamlet, jamais aux autres personnages. Ce genre d’apparition sélective, contribue sans nul doute à brouiller l’appel à la vengeance initial23 .

8Cependant, malgré cette constellation d’incertitudes, Hamlet est à ce point convaincu d’avoir été élu par le spectre pour accomplir une mission capitale que, par moments, il fait fi des scrupules de la conscience et se montre prompt à l’action24 : « Mon destin crie, / Et rend la plus chétive artère de mon corps / Aussi dure que les muscles du lion de Némée » (I, iv, v. 81-83). Il en va du devoir du héros maudit de remettre de l’ordre dans un univers hors de ses gonds : « Le temps est disloqué. Ô destin maudit, / Pourquoi suis-je né pour le remettre en place ! » (I, v, v. 185-187). Ce sentiment de malédiction s’intensifie à l’acte III, après la mise en scène de la Souricière, lorsqu’Hamlet se prépare à perpétrer sa vengeance, et qu’il devient l’instrument d’une force diabolique qui le dépasse : « À présent, dit-il, je pourrais boire du sang chaud, / Et perpétrer un acte si amer que le jour / Frissonnerait de le voir » (III, ii, v. 366-367). Dans le même acte, au moment du meurtre de Polonius, il se juge le « fléau » et le « ministre » des « cieux » (III, iv, v. 174), et, pareil aux dieux antiques, il se met à prononcer de sinistres oracles : « Je ne dois être cruel que pour être juste, / Ceci commence mal, mais pire viendra » (III, iv, v. 177-178). En laissant planer de nombreux doutes sur le rôle et la nature du fantôme, et en faisant d’Hamlet à la fois la victime du destin et son agent, Shakespeare montre sa liberté par rapport à tout déterminisme philosophique et religieux. Cette indépendance a de multiples conséquences sur le plan générique : Hamlet ressemble à bien des égards aux autres drames de vengeance élisabéthains, mais, en même temps, le dramaturge s’affranchit nettement de ses contemporains.

9Ce qui frappe d’abord dans Hamlet c’est la façon dont Shakespeare recycle les principaux motifs de la tragédie de vengeance25, genre fortement inspiré par le théâtre de Sénèque, dont les pièces furent traduites en anglais sous Élisabeth26. Ainsi, pour occuper les quatre actes qui séparent l’appel à la vengeance de son accomplissement, le dramaturge utilise les ingrédients du genre tels qu’ils apparaissent, par exemple, dans The Spanish Tragedy de Thomas Kyd, composée entre 1589 et 159227. Dans le Hamlet de Shakespeare, comme dans les drames de ses prédécesseurs, on retrouve d’abord l’entremêlement de plusieurs vengeances. Hamlet veut venger le meurtre de son père qui n’a pas été piqué par un serpent (I, v, v. 35-36), mais bien empoisonné par son propre frère Claudius qui le laisse sans « vie », sans couronne et sans reine (I, v, v. 75). Laërte, dont le nom – celui du père d’Ulysse – suggère qu’il fait partie de la race des héros, veut aussi venger Polonius, et ne s’embarrasse pas des conséquences morales et religieuses de son acte :

Conscience et grâce au fond du gouffre !
Je défie la damnation. J’en suis au point
Où les deux mondes m’indiffèrent,
Advienne que pourra. Mais je vengerai
Pleinement mon père. (IV, v, v. 129-133)

10L’évocation par le comédien de la vengeance de Pyrrhus (qui en tuant sauvagement Priam, cherche à venger son père Achille28) contribue encore à intensifier cette atmosphère de représailles. À chaque fois, les héros vengeurs cherchent à faire justice eux-mêmes, faute de pouvoir confier cette tâche aux autorités compétentes29. La présence du spectre, dont on ignore s’il vient du Ciel ou de l’enfer, est aussi un ingrédient conventionnel de la tragédie de vengeance30. Au début du drame, ce personnage, comme dans la tradition sénéquéenne où les fantômes sont les ombres des morts qui viennent du royaume d’Hadès, évoque un passé lourd de conséquences pour l’avenir31. Cependant, structurellement, la vengeance à laquelle il appelle n’a lieu qu’à la fin de la pièce32. Enfin, comme ses contemporains, Shakespeare a recours dans Hamlet à un style volontiers grandiloquent pour évoquer la vengeance et ses conséquences. L’injonction du spectre à tuer Claudius abonde en références sanglantes (I, v, v. 60-70), tout comme la résolution paradoxale d’Hamlet de venger son père par le théâtre à la fin de l’acte II : « Car il faut bien / Que j’aie un foie de pigeon et que je manque du fiel / Qui rend l’injure amère, sinon / J’aurais déjà gorgé tous les vautours de l’air / Des tripes de ce serf. Sanglant, obscène, scélérat ! » (II, ii, v. 503-507). C’est une violence similaire que l’on retrouve dans le récit d’Énée, lorsqu’il rapporte la vengeance de Pyrrhus : « Rôti par la fureur et le feu, / Barbouillé de la glu du sang coagulé, / Les yeux pareils à des rubis, l’infernal Pyrrhus / Traque le vieux Priam » (II, ii, 393-396)33. On pourrait encore mentionner d’autres traits communs : l’isolement du héros vengeur, le climat politique de corruption et de décadence, le thème du complot et de l’espionnage, le procédé du théâtre dans le théâtre, la mort du héros et des traîtres à la fin de la pièce. Mais Shakespeare n’est pas un simple imitateur : au-delà de ces convergences, il existe aussi des différences significatives comme si, en définitive, dans Hamlet la vengeance échappait – en partie au moins – aux déterminations génériques, ou encore, pour reprendre les termes de Pierre Kapitaniak, comme si « le Hamlet de Shakespeare [apparaissait] comme une réaction à la sclérose qui guette la figure du spectre »34. En effet, contrairement à ce qui se passe, par exemple, dans The Spanish Tragedy, il n’y a pas de batailles sanglantes ou de descriptions barbares dans Hamlet. Au dénouement, les personnages meurent empoisonnés (par l’épée ou la perle), mais on n’assiste à peu d’effusion de sang (V, ii, v. 350-358)35. En outre, à la différence de ce qui se passe dans les drames plus traditionnels, les circonstances du meurtre de Claudius n’ont pas été préméditées. L’échange des épées n’était pas prévu, pas plus que l’empoisonnement de Gertrude. À la dernière scène, le mot « vengeance » disparaît ; Hamlet est honoré comme un soldat et non comme un vengeur, comme si ce final héroïque permettait de laisser en suspens la question éthique tout en renforçant l’effet tragique36. Enfin, contrairement à ce qui se passe habituellement, Hamlet ne doit pas seulement surmonter des obstacles concrets ; il est confronté à des choix d’ordre métaphysique et moral. Ces interrogations sur la nature du fantôme, qui relèvent de la démonologie et de la théologie, tranchent avec les représentations spectrales antérieures37 ; tant d’hésitations du héros face à l’apparition du spectre sont rares dans les tragédies de vengeance. De plus, si Hamlet tarde à passer à l’acte, c’est non seulement parce qu’il est assailli par les doutes concernant la nature du fantôme, mais encore aussi parce qu’il s’interroge sur la validité morale de la vengeance –sur ce point encore Hamlet se distingue des vengeurs traditionnels. Le célèbre monologue révèle sa « terreur de quelque chose après la mort » (III, i, v. 77), autrement dit sa peur de la damnation, promise aussi bien à ceux qui se suicident qu’à ceux qui usurpent la prérogative divine en se faisant justice eux-mêmes38. Par contraste, Laërte est un vengeur beaucoup plus conventionnel : il se montre prêt, dans la pure tradition du drame de vengeance, à braver tous les interdits pour venger la mort de son père. Il considère que la logique de l’honneur doit prévaloir sur toute préoccupation éthique ou religieuse, et s’exclame :

En enfer, l’allégeance, au diable le plus noir des serments,
Conscience et grâce au fond du gouffre !
Je défie la damnation. J’en suis au point
Où les deux mondes m’indiffèrent,
Advienne que pourra. Mais je vengerai
Pleinement mon père. (IV, v, v. 128-133)

11Dans tous les cas, en mettant ostensiblement en scène cette crise des valeurs, Shakespeare, avec Hamlet, s’écarte de la « structure close » et « archaïque » de la tragédie de vengeance. Ce faisant, il révèle sa liberté de dramaturge et prend ses distances, en poète maniériste, avec les formes établies39. Mais peut-on aller plus loin et voir dans ces écarts entre la tragédie de vengeance et celle de Hamlet une manifestation de la liberté du héros tragique ?

12Toute une génération de critiques, marqués par les lectures romantiques de la pièce ou partisans d’analyses psychanalytiques40, invitent à voir dans le retard d’Hamlet à agir non pas un indice de sa liberté, mais un défaut de sa volonté, une pathologie de son caractère, un effet de sa mélancolie, ou une manifestation de son inconscient41. Hamlet semble prisonnier de lui-même, incapable d’exercer son libre-arbitre. Le monologue sur lequel se clôt l’acte II, avant la mise en scène de la Souricière, où Hamlet se présente comme un héros torturé qui se reproche sa lenteur et estime son silence coupable, illustre parfaitement cette vision : « Or moi, / Canaille engourdie pétrie de boue, je languis / Comme un Jean de la Lune, insensible à ma cause, / Et ne dis rien » (II, ii, v. 493-496). Un peu plus loin, se comparant à une femme, il se scandalise à nouveau de sa propre inertie : « Et qu’il est admirable / Que moi, le fils d’un très cher père assassiné, / Porté à me venger par le ciel et la terre, / Telle une putain je déballe mon cœur avec des mots » (II, ii, v. 509-512). Hamlet lit dans cette tendance à l’introspection un signe de faiblesse et de lâcheté, aucunement la manifestation de son autonomie et de sa liberté. De même, à l’acte suivant, il déclare, dans son célèbre monologue :

Ainsi la conscience fait de nous des lâches,
Et ainsi la couleur première de la résolution
S’étiole au pâle éclat de la pensée,
Et les entreprises de grand essor et de conséquence
Se détournent de leur cours
Et perdent le nom d’action. (III, i, v. 82-87)

13Il n’est pas étonnant alors qu’Hamlet se dépeigne comme un mélancolique, assailli par de mauvaises pensées (II, ii, v. 261a), et qu’il voue une profonde admiration à son ami, le très stoïque Horatio, qu’il décrit précisément comme libre de toutes passions : « Donnez-moi l’homme / Qui n’est pas l’esclave de la passion, et je le porterai / Au profond de mon cœur, oui au cœur de mon cœur, / Comme je l’ai fait de toi » (III, 2, 67-70). De la même façon, l’idée avancée par la critique psychanalytique selon laquelle les hésitations d’Hamlet ne seraient pas la preuve de son libre-arbitre, mais au contraire le produit de son inconscient, voire, comme l’a montré Ernest Jones, le résultat d’un complexe d’Œdipe mal dominé, renvoie aussi l’image d’un personnage aliéné à lui-même, à ses propres conflits42. Si Hamlet tarde à se venger c’est parce que Claudius a finalement fait ce qu’il rêvait de faire : tuer le père pour épouser la mère43.

14Cependant cette image d’un héros privé de libre-arbitre et victime de ses déterminations psychiques est insuffisante. D’une part, en effet, il est possible de donner un sens positif à l’exaltation de la subjectivité qui s’exprime dans la tragédie : celle-ci correspond, selon Jean Starobinski, à la naissance de la conscience moderne, lorsque « la subjectivité commence à établir son règne séparé »44 ; dans ce sens, les atermoiements du héros ne sont pas nécessairement le signe de sa faiblesse mais renvoient aussi à une nouvelle approche du sujet, capable désormais de faire l’anatomie de son moi. Les monologues, où le héros montre une conscience très aiguë des différents chemins qui s’offrent à lui, sont la plus claire manifestation de cette liberté. D’autre part, sur le plan dramatique, le texte de Shakespeare révèle un héros déterminé à déjouer les tentatives d’enfermement dont il est sans cesse victime, dans ce royaume qu’il considère comme une « prison » (II, ii, v. 238a) – le « Danemark étant l’une des pires » (v. 240-241) – afin, sans nul doute, d’exercer sa liberté. De ce point de vue, le monologue sur lequel se clôt l’acte II, scène ii n’est pas seulement réflexif, il montre aussi un personnage qui refuse de jouer les rôles qu’on voudrait lui faire interpréter et qui cherche à être maître de sa destinée. Ainsi, lorsque Hamlet choisit d’endosser l’habit du bouffon à la fin de l’acte I (I, v, v. 169-70), c’est dans le but de ne pas être percé à jour et d’égarer ceux qui voudraient l’enfermer. C’est une façon d’affirmer sa liberté par rapport au rôle où on voudrait le cantonner, en particulier celui de bon fils comme cela apparaît dès l’acte I. C’est aussi une manière de refuser le choix impossible qu’il doit faire entre la vengeance et l’inertie : se venger noircirait son âme et le maudirait à jamais ; ne rien faire signifierait accepter de jouer le rôle que veut lui donner Claudius. C’est en tout cas cette posture bouffonne qu’il choisit lorsqu’il se sait observé par Polonius et Claudius un peu plus tôt dans l’acte II et qu’il veut, à dessein, confirmer leurs soupçons concernant sa folie (II, i, v. 101-103). C’est encore le même habit de fou qu’il revêt lorsqu’il veut résister au discours inquisitoire de Rosencrantz et Guilderstern, se présentant cette fois comme un grand mélancolique, tragiquement isolé sur « son promontoire stérile » (II, ii, v. 263). Si Hamlet, l’acteur, est libre, le dramaturge l’est plus encore. À la façon de Shakespeare qui subvertit la tragédie de vengeance traditionnelle, il prend l’initiative de réécrire l’histoire du meurtre de Gonzague (II, ii, v. 468-470) rebaptisé à dessein « La Souricière » (III, 2, 223), afin de prendre son oncle au piège, ou, pour citer Hamlet : « Le théâtre sera / La chose où je prendrai la conscience du roi » (II, ii, v. 531-532). Cette liberté d’acteur-dramaturge se double d’une liberté de langage. Dès la première scène, Hamlet refuse d’entrer dans le jeu du roi et utilise alors des jeux de mots pour affirmer son inaliénable liberté, jouant, par exemple, sur l’homophonie entre « sun » et « son » ou sur la proximité étymologique de « kin » et « kind »45. Aux yeux de Claudius cette insoumission linguistique est le produit « d’une volonté rebelle envers le Ciel » (I, ii, v. 95) ; pour les autres, elle est le signe de la liberté du héros. Néanmoins, malgré cette volonté d’échapper à l’emprise de Claudius, Hamlet tombe finalement dans ses rets puisque le roi décide de le renvoyer en Angleterre (III, i, v. 168), et cela avant même la mise en scène de La Souricière. A son retour, à l’acte V, le héros tragique avoue d’ailleurs que sur le bateau qui le menait vers la mort il se « sentai[t] / Plus mal que des mutins dans les fers » (V, ii, v. 6-7). Cependant, cette période de captivité correspond à une maturation du héros, voire peut-être à une conquête paradoxale de sa propre liberté.

15En effet, dans la dernière scène, la question de savoir si Hamlet est maître de sa destinée ou au contraire victime du destin perd de son acuité46. Le héros se soumet à l’ordre des choses et semble dorénavant admettre que sa destinée est gouvernée par une force qui le dépasse et qu’il appelle ici « divinité » : « sachons / Que parfois l’imprudence nous sert, / Quand nos desseins calculés avortent, ce qui devrait nous apprendre / Qu’il y a une divinité pour donner forme aux projets / Que nous ne faisons qu’ébaucher » (V, ii, v. 7-11) ; un peu plus loin, il continue dans la même veine, déclarant à propos des péripéties de son voyage en Angleterre, que « Là, encore, le Ciel a contrôlé les événements » (V, ii, v. 48). Ces affirmations tranchent avec les discours sur la misère de l’homme perdu dans l’univers, caractéristiques de la première partie de la pièce. Ainsi, Hamlet se lamentait auprès de Rosencrantz et Guildenstern : « mon humeur est si pesante que cette belle architecture, la terre, me semble un promontoire stérile. Cette superbe voûte, le ciel, voyez-vous, cet éclatant firmament en surplomb, ce toit majestueux sculpté de flammes d’or, oui, tout cela n’est plus pour moi qu’un noir et pestilentiel agrégat de vapeurs » (II, ii, v. 262-266). Après la mort de Polonius, le monde, « perçu jusque là comme chaotique »47 cède sa place à un univers plus intelligible. On assiste au dernier acte à une conversion à une forme de providentialisme biblique ou de fatalisme stoïcien, selon la perspective que l’on adopte. Ironiquement, Hamlet renoue avec une vision naguère soutenue par Claudius et Gertrude qui, pour consoler Hamlet au début de la pièce, l’invitent à se résigner : « Tu sais que c’est commun : toute vie doit mourir, / Passer de la nature à l’éternité » (I, ii, v. 73-74)48. Ce renversement de perspective est confirmé par la décision d’Hamlet d’accepter le duel avec Laërte. Il s’en explique brièvement dans une déclaration toute stoïcienne, qui renvoie aussi à l’évangile de Matthieu (10 : 29) : « Il y a une providence particulière dans la chute d’un moineau. Si c’est maintenant ce n’est pas à venir, ce sera maintenant. Si ce n’est pas maintenant, pourtant, cela viendra. Le tout est d’être prêt puisque, de ce qu’il quitte, nul ne sait quel est le bon moment pour le quitter. Laissons. » (V, ii, 189-192)49. Il semble qu’à l’acte V, le temps de la révolte soit passé et qu’Hamlet, comme les stoïciens, et comme son ami Horatio accepte librement le destin, le cours des choses, la destinée50.

16Au terme de cette lecture de Hamlet, on s’aperçoit que notions de destin et de liberté sont instables et mouvantes. Au dernier acte, le destin n’est plus la force qui semblait contraindre le héros à la vengeance au début de la pièce ; il est incertain et imprévisible. Pour reprendre les mots du célèbre critique polonais Jan Kott, « la “destinée” qui conduit Hamlet à se venger est un échange d’épées, l’une d’entre elle ayant été empoisonnée ; la “destinée”, c’est aussi la coupe empoisonnée, bue par sa mère, mais qui lui était destinée. La “nécessité” est ici une série de hasards, d’où la transcendance est absente »51. En aucun cas la destinée d’Hamlet est celle qu’on aurait pu déduire de l’injonction initiale du spectre. Hamlet ne joue en aucun cas le rôle qu’il aurait dû jouer et, dans ce sens, il échappe ainsi au destin que voulait lui imposer le fantôme. Cependant la liberté dont il jouit au moment du dénouement n’est pas le libre-arbitre dont aurait rêvé un moderne mais plutôt la liberté défendue par le sage stoïcien, dont la figure par excellence est ici Horatio, le meilleur ami d’Hamlet.

Notes

1 Cet article est le fruit d’une communication prononcée lors de la journée d’étude du 17 avril 2009, « Fatum : destin et liberté dans le théâtre », organisée par l’Eriac.

2  Les citations sont tirées de Hamlet, traduction de Jean-Michel Déprats, édition bilingue présentée par Gisèle Venet, Paris, Gallimard, « Folio Théâtre », 2002.

3  Cf. Lewes Lavater, Of Ghosts and Spirits Walking by Night [1570], 1572, p. 164 : « If they be not vayne persuasions, or naturall thyngs, then are they forewarnings of God ».

4  Sur l’association du fantôme au destin, Joseph Milne, « Hamlet, The Conflict between Fate and Grace », dans Hamlet Studies, International Journal of Research on The Tragedie of Hamlet, 18, 1996, p. 5.

5  Voir l’ouvrage de Fredson Thayer Bowers, Elizabethan Revenge Tragedy 1587-1642 [1940], Gloucester, Mass., Peter Smith, 1959 ; Gisèle Venet, « Préface », dans Hamlet, op. cit., p. 14.

6  Voir George Kirkpatrick Hunter, Dramatic Identities and Cultural Traditions : Studies in Shakespeare and His Contemporaries, Liverpool, Liverpool University Press, 1978, p. 179 : « The Greek drama (except for Euripides in some of his aspects) was inaccessible to the Elizabethans ».

7  « Preface to Shakespeare » [1768], in The Works of Samuel Johnson. A New Edition in Six Volumes, vol. i, Dublin, 1793, p. 225 : « Jonson, his friend, affirms, that he had small Latin and less Greek ».

8  Voir Louise Schleiner, « Latinized Greek Drama in Shakespeare’s Writing of Hamlet », Shakespeare Quarterly, 41, 1, p. 29-48 ; Jan Kott, « Hamlet and Orestes », PMLA, 82-5, p. 303-313 ; Gilbert Murray, Hamlet and Orestes : A Study in Traditional Types, London, Oxford University Press, 1914 ; Adrian Poole, Tragedy : Shakespeare and the Greek Example, Oxford, Basil Blackwell, 1987.

9  Nicholas Rowe, The Works of William Shakespeare, London, 1709, vol. 1, p. xxxi : « Hamlet is founded on much the same Tale with the Electra of Sophocles. In each of ’em a young Prince is engag’d to revenge the Death of his Father, their Mothers are equally Guilty, are both concern’d in the Murder of their Husbands, and are afterwards married to the Murderers ».

10  Jan Kott, loc. cit., p. 305-306.

11  Louise Schleiner, loc. cit., note 3, p. 29. Les auteurs grecs furent largement édités à partir de 1541. Voir Pierre Kapitaniak, Spectres, ombres et fantômes. Discours et représentations dramatiques en Angleterre 1576-1642, Paris, Champion, 2008, p. 193, note 92.

12 Louise Schleiner, loc. cit, p. 36 : « The Greek subtext to Hamlet will account for the rebirth of full-fledged tragedy after two thousand years ».

13  Jan Kott, loc. cit, p. 304, p. 307.

14  Sur la nature du fantôme, voir Walter Wilson Greg, « Hamlet’s Hallucination », Modern Language Review, 12, 1917, p. 393-421 ; John Dover Wilson, What Happens in Hamlet [1935], Cambridge, University Press, 1970 ; Roy W. Battenhouse, « The Ghost in Hamlet : A Catholic ‘linchpin’ ? », Studies in Philology, 48, 1951, p. 161-192 ; Robert H. West, « King Hamlet’s Ambiguous Ghost », PMLA, 70-5, 1955, p. 1107-1117 ; Isidor Joseph Semper, « The Ghost in Hamlet : Pagan or Christian », The Month, 195, 1953, p. 224-234 ; Philip Edwards, « Tragic Balance in Hamlet », dans Martin Coyle (ed.), Hamlet, London, Macmillan, 1992 p. 20-22 ; Jean-Marie Maguin, « Hamlet : Angel and Devil », dans Pierre Iselin (dir.), William Shakespeare. Hamlet, Paris, Armand Colin, 1997, p. 67-80 ; Pierre Kapitaniak, « Entre ruse diabolique et illusion dramatique. Cheminements du discours démonologique dans l’Angleterre jacobéenne », dans Françoise Lavocat, Pierre Kapitaniak et Marianne Closson (dir.), Fictions du Diable. Démonologie et littérature de saint Augustin à Léo Taxil, Genève, Droz, 2009, p. 201-220.

15  À peine le fantôme a-t-il disparu au premier acte qu’Hamlet s’exclame malgré sa résolution : « Ô vous, cohortes du Ciel ! Ô terre ! Quoi d’autre ? / Y ajouterai-je l’enfer ? Horreur ? » (I, V, v. 92-93). Sur la question du discernement, voir Pierre Kapitaniak, Spectres, ombres et fantômes, p. 598-599 et Miriam Joseph, « Discerning the Ghost », dans PMLA, 76, 1961, p. 494-502.

16  Voir aussi la version néoplatonicienne du purgatoire et de l’enfer que donne l’occultiste allemand Cornelius Agrippa dans Robert H. West, « King Hamlet’s… », p. 1109. Sur la question de Hamlet et du purgatoire, voir Stephen Greenblatt, Hamlet in Purgatory, Princeton, Princeton University Press, 1996.

17  Voir aussi acte I, scène v, v. 10-22 : « Je suis l’esprit de ton père, / Condamné pour un temps à arpenter la nuit, / Et le jour à jeûner dans mon cachot de flammes, / Jusqu’à ce que les noires fautes commises de mon vivant / Soient brûlées et purgées ». Sur ce syncrétisme, voir Robert H. West, loc. cit., p. 108. Selon Pierre Kapitaniak le verbe « purg’d away », ‘purgées’, v. 22) est la seule référence au purgatoire (Spectres, ombres et fantômes, p. 572-573).

18  Voir Robert Burton, The Anatomy of Melancholy, 1628, William H. Gass (ed.), London, New Review Book, 2001, p. 193-194 (I, ii, 1, 2). Sur la nature diabolique de ces esprits dans la tradition et les écrits contemporains, voir les commentaires de Harold Jenkins dans son édition de Hamlet, « The Arden Shakespeare », London, Routledge, 1982, p. 482-484.

19  Pierre Kapitaniak, « Entre ruse diabolique et illusion dramatique », dans Fictions du diable, p. 217 ; du même, Spectres, ombres et fantômes, p. 498-499.

20  Robert H. West (« King Hamlet’s… », p. 1107) remarque néanmoins qu’il n’a trouvé aucun fantôme bienfaisant appelant à la vengeance dans la littérature du temps.

21  Sur l’attitude des critiques à l’égard de la nature du spectre, voir Pierre Kapitaniak, Spectres, ombres et fantômes, p. 616-637.

22  Ibid., p. 766-778. Voir Walter Wilson Greg, « Hamlet’s Hallucinations », passim.

23  Pierre Kapitaniak, Spectres, ombres et fantômes, p. 718-731 : « Sur treize pièces qui exploitent les possibilités scéniques d’un spectre qui n’est pas vu de tous, dix adoptent des stratégies similaires. L’élément le plus marquant est l’abondance de témoignages contradictoires sur ce que voient ou ne voient pas les personnages » (p. 730).

24  Sur l’alternance d’un « langage de la conscience » et d’un « langage de la vengeance sanglante », voir Nigel Alexander, « Poison, Play, and Duel », dans M. Coyle (ed.), Hamlet, p. 54.

25  Voir David Scott Kastan, « “His semblable is his mirror” : Hamlet and the Imitation of Revenge », Shakespeare Studies, 19, 1987, p. 111-124 ; Paul Cantor, Hamlet, Cambridge, University Press, p. 27-32. Voir Stevie Simkin (ed.), Revenge Tragedy, London, Palgrave, 2001.

26  Pierre Kapitaniak, Spectres, ombres et fantômes, p. 194. Voir encore Margreta de Grazia, « Hamlet before Its Time », Modern Language Quarterly, 62-4, 2001, p. 356-357.

27  Voir Christine Sukic, « Enter Antonio, with a book » : la tragédie de vengeance anglaise, une maladie sans remède », dans Études Épistémè, 13, printemps 2008, p. 70-84.

28  « De même après cette pause de Pyrrhus, / La vengeance éveillée le remet à l’ouvrage ; / Et jamais les marteaux des Cyclopes ne se sont abattus / Sur l’armure de Mars […] / Avec moins de pitié que la sanglante épée de Pyrrhus / Maintenant ne s’abat sur Priam » (II, ii, v. 418-423).

29  Sur la vengeance et ses enjeux anthropologiques, voir Fredson T. Bowers, Elizabethan Revenge Tragedy, p. 3-40. Voir aussi Francis Bacon, « Of Revenge », Essays, dans The Works of Francis Bacon, Basil Montagu (ed.), Philadelphia, 1852, vol. 1, p. 14 : « The most tolerable sort of revenge is for those wrongs which there is no law to remedy » ; « La forme la plus tolérable de vengeance est celle qui porte sur des méfaits que la loi punit pas ».

30  Voir Four Revenge Tragedies, Katharine Eisaman Maus (ed.), Oxford, University Press, 1995, p. ix-x ; Pierre Kapitaniak, Spectres, ombres et fantômes, p. 210 sqq.

31  Ibid., p. 205 ; Robert H. West, « King Hamlet’s… », p. 114.

32  Voir, par exemple, Edward Wagenknecht, « The Perfect Revenge – Hamlet’s Delay : A Reconsideration », College English, 10-4, January 1949, p. 189. Voir encore Pierre Kapitaniak, Spectres, ombres et fantômes, p. 477. Sur la reprise du style grandiloquent de la tragédie de vengeance, voir Margreta de Grazia, « Hamlet before… », p. 356-357.

33  Catherine Belsey, « Revenge in Hamlet » dans Martin Coyle (ed.), Hamlet, p. 154-155.

34  Pierre Kapitaniak, Spectres, ombres et fantômes, p. 219.

35  Sur la tradition des spectres ensanglantés, voir Pierre Kapitaniak, ibid., p. 230-233.

36  Voir Michael Taylor, « The Conflict in Hamlet », Shakespeare Quarterly, 22-2, 1971, p. 161.

37  Voir Pierre Kapitaniak, Spectres, ombres et fantômes, p. 259 ; 464 ; 598-599 ; 603-604 ; 613 ; Eleanor Prosser, Hamlet and Revenge, Stanford, University Press, 1967, p. 614.

38  La vengeance privée est condamnée par la loi aussi bien que par les moralistes. Voir Fredson T. Bowers, Elizabethan Revenge Tragedy, p. 8-12. Le texte le plus souvent cité est Deutéronome 52 : 35 repris dans Romains 12 : 19 (« Vengeance is mine : I will repay saith the Lord »).

39  Voir Gisèle Venet, « Préface », dans Hamlet, p. 14.

40  Pour une histoire de la critique « hamletienne », voir John Jump (ed.), Hamlet. A Casebook, London, Macmillan, p. 11-18 ; et Paul Cantor, Hamlet, p. 23-25.

41  Henry Mackenzie évoque « the general tone of melancholy in his character », dans John Jump (ed.), Hamlet, loc. cit., p. 25. Voir Andrew Cecil Bradley, Shakespearean Tragedy : Lectures on Hamlet, Othello, King Lear, Macbeth, London, Macmillan, 1905 ; et G. W. Knight, The Wheel of Fire, Essays on Interpretation of Shakespeare’s Sombre Tragedies, Oxford, Oxford University Press, 1930.

42 Sur les interprétations psychanalytiques de Hamlet, voir M. De Grazia, « Hamlet before… », p. 371-372.

43  Voir Ernest Jones, « Hamlet and Œdipus », dans John Jump (ed.), Hamlet, p. 51-63.

44  Voir Jean Starobinski, « Hamlet et Freud », préface à Ernest Jones, Hamlet et Œdipe, trad. A.-M. Gall, Gallimard, 1967, p. xx. Sur l’idée d’une nouvelle conception de la subjectivité dans Hamlet, voir Ronald Knowles, « Hamlet and Counter-Humanism », Renaissance Quarterly, 52, 1999, p. 1046-1069 : « In the development of Western culture Shakespeare’s discovery of subjectivity is as momentous as the Renaissance discovery of perspective » (p. 1063). Voir Harold Bloom, Shakespeare : The Invention of the Human, New York, Riverhead, 1998, p. 109, où l’auteur considère Hamlet comme « le héros moderne de la conscience ».

45  Il est important ici de confronter la traduction avec le texte source (I, ii, v. 65-68) : « Le Roi. – Mais vous, Hamlet, mon neveu et mon fils… Hamlet. – Un peu plus que neveu moins fils que tu ne veux. Le Roi. – D’où vient que les nuages planent toujours sur vous ? Hamlet. – Pas tant que ça mon seigneur, le nom de fils m’éblouit trop. (K. But now, my cousin Hamlet, and my son… H. A little more than kin, and less than kind. K. How is it that the clouds still hang on you ? H.Not so much, my Lord, I am too much in the son) ». Ce passage n’est pas isolé. On retrouve cet esprit acerbe lors de l’entretien d’Hamlet avec Rosencrantz et Guildenstern (II, ii, v. 215 sqq) et après la mort de Polonius, lorsqu’Hamlet refuse de dire où il a caché le corps (IV, ii, v. 29-30). Sur cette liberté d’Hamlet, voir Michael Taylor, « The Conflict… », p. 154-155.

46  Michael Taylor, ibid., p. 150 : « The essential conflict in Hamlet [ …] is that between man as a victim of fate and as controller of his own destiny ». Voir encore Jean Calhoun, « Hamlet and the Circumference of Action », Renaissance News, 15, 1962, p. 281-297 et Samuel Frederick Johnson, « The Regeneration of Hamlet », Shakespeare Quarterly, 3, 1952, p. 187-207.

47  Voir Gisèle Venet dans Hamlet, p. 400 (note 1, p. 319).

48  Sur cette question, voir Ronald Knowles, « Hamlet and Counter-Humanism », Renaissance Quarterly, 52, 1999, p. 1054-1059 et 1062-1065. Sur l’interprétation stoïcienne de ce passage, voir Roberta Morgan, « Some Stoic Lines in Hamlet and the problem of Interpretation », Philological Quarterly, 20, 1941, p. 549-558. L’auteur de cet article établit des liens précis entre ces paroles d’Hamlet et les écrits d’Épictète. Voir encore Paul Cantor, Hamlet, p. 58-60.

49  Sur l’inteprétation de ce passage, voir Yves Bonnefoy, « Readiness, Ripeness : Hamlet, Lear », dans New Literary History, 17-3, 1986, p. 482-483. Le poète présente l’attitude d’Hamlet comme une capitulation. Le héros tragique accepte les choses telles qu’elles sont, contradictoires et désordonnées, soumises au hasard. Le poète donne une interprétation très pessimiste des paroles d’Hamlet.

50  Voir Michael Taylor, « The Conflict… », p. 159-16 ; Maurice Abiteboul, Qui est Hamlet ?, Paris, L’Harmattan, 2007, p. 62-55.

51  Voir Jan Kott, « Hamlet and Orestes », p. 312 ; Jean-Marie Maguin, « Hamlet : Angel and Devil », dans Pierre Iselin (dir.), William Shakespeare. Hamlet, Paris, Armand Colin, 1997, p. 79.

Pour citer ce document

Claire Gheeraert-Graffeuille, « Destin et Liberté dans Hamlet de William Shakespeare1  » dans « “Fatum” : destin et liberté dans le théâtre », « Travaux et documents hispaniques », n° 4, 2012 Licence Creative Commons
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Quelques mots à propos de :  Claire Gheeraert-Graffeuille

Normandie Univ, UNIROUEN, ERIAC, 76000 Rouen, France
Claire Gheeraert-Graffeuille est maître de conférences à l’Université de Rouen. Elle est l’auteur de La Cuisine et le forum : L’émergence des femmes sur la scène publique pendant la Révolution anglaise (1640-1660) (Paris, L’Harmattan, 2005), ainsi que de plusieurs articles sur l’histoire des femmes, le théâtre et la poésie au xviiie siècle. Elle a co-dirigé Autour du Songe d’une nuit d’été (Rouen, Publications de l’Université de Rouen, 2003) et Les Voix de Dieu. Littérature et prophétie en Angleterre et en France à l’âge baroque (Paris, PSN, 2008). Elle travaille actuellement sur l’écriture de l’histoire dans les Mémoires de la Révolution anglaise.