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Juan Ramón Jiménez: tiempo de creación (1913-1917)

Ce volume recueille les communications présentées lors du colloque « Juan Ramón Jiménez: Tiempo de creación (1913-1917) » organisé par Annick Allaigre et Daniel Lecler (Laboratoire d’Études Romanes EA 4385) les 19 et 20 mars 2015 au Colegio de España de la Cité Internationale Universitaire de Paris et à l’Université Paris 8 Vincennes – Saint-Denis. Coordonné par Daniel Lecler et Belén Hernández Marzal, l’ouvrage s’intéresse à une période de création particulièrement intense durant laquelle Juan Ramón a en partie forgé sa poétique. La réflexion s’articule en trois moments. Le premier est consacré à une figure décisive dans la vie du poète : celle de Zenobia Camprubí de Aymar, le second au poète comme traducteur, le troisième, enfin, à l’une de ses œuvres majeures, Platero y yo.

Couverture de

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Avant-propos

Belén Hernández Marzal et Daniel Lecler


Texte intégral

1En septembre 1913, Juan Ramón s’installe à Madrid, à la Residencia de estudiantes où il demeure durant trois ans. Il y rencontre sa future épouse, Zenobia Camprubí Aymar, venue écouter une conférence de Bartolomé Cossío. L’année 1913 marque pour le poète le début d’une période heureuse, stimulante sentimentalement et intellectuellement. C’est à la Résidence d’étudiants qu’il entre en contact avec José Ortega y Gasset, Ramón Menéndez Pidal, José Moreno Villa, mais également Federico de Onís. Très vite, le poète s’implique activement au sein de cette institution. Ainsi participe-t-il à l’élaboration des jardins et des nouveaux pavillons (terminés en 1915), assure-t-il auprès de Jiménez Fraud la charge de directeur des publications permettant que soient publiées des œuvres d’auteurs majeurs tel que Antonio Machado, Miguel de Unamuno ou encore Azorín. L’année 1913 marque également le début d’une période de création intense faite de projets d’écriture plus personnels. Le cadre temporel retenu voit la création ou la publication d’œuvres comme Laberinto, Sonetos espirituales, Diario de un poeta recién casado, La realidad invisible, La muerte, Ellos, Unidad, Eternidades, Piedra y cielo, ou encore Libros de Madrid et Entes y sombras de mi infancia, sans oublier l’une des œuvres les plus traduites après la Bible et Don Quichotte : Platero y yo.

2La période 1913-1917 apparaît donc comme particulièrement riche pour ce qui est de la production du poète, des rencontres faites, des échanges intellectuels et des réflexions qu’il est amené à avoir sur la vie et sur la poésie. On peut penser, à juste titre, que sa poétique s’est en partie forgée au cours de ces années même si certaines interventions s’appuient sur des événements en amont ou en aval de cette période.

3Les échanges épistolaires soutenus entre Zenobia et Juan Ramón, plus particulièrement au cours de l’année 1913, nous renseignent sur leurs relations ; ils mettent également en lumière, de façon particulièrement intéressante, les inflexions poétiques que la future épouse du poète a contribué à susciter chez lui, des inflexions dont témoignent Idilios, des changements perceptibles qu’attestent plus nettement encore Diario de un poeta recién casado et Monumentos de amor. Rocío Fernández Berrocal insiste sur ce point lorsqu’elle écrit dans son édition de Idilios parue chez La Isla de Sítola : « Ricardo Senabre sitúa el “giro radical” que se produce en la obra de JRJ de 1913-1915 “a raíz de su encuentro con Zenobia y el noviazgo subsiguiente” ».

4Les relations qu’il entretient avec Zenobia ouvrent également au poète de nouveaux horizons qui l’amènent à considérer des auteurs de langue anglaise, qu’elle lui fait découvrir. La découverte de certains d’entre eux le pousse à les traduire, parfois d’ailleurs en collaboration avec sa femme. On pense à P. B. Shelley, W. Shakespeare, E. Dickinson, A. Lowell, R. Frost, W. B. Yeats, W. Blake, ou encore à R. Tagore. À cette période, son goût pour la traduction s’accentue et réclame toute notre attention. On pourra également évoquer les traductions qu’il a réalisées de J. Moréas, P. Louÿs, A. Samain, G. Leopardi, S. Mallarmé. Leur étude ouvre le champ à une véritable réflexion sur l’influence qu’elles ont eue sur la production du poète, ainsi que le regard qu’il porte sur les œuvres qu’il traduit. Cette activité de traduction de Juan Ramón eut sans doute une incidence non négligeable sur son écriture en prose et, plus particulièrement, sur sa prose poétique. Comme José Ramón González le signale, la lecture des œuvres Le spleen de Paris ou Petits poèmes en prose, a également infléchi l’écriture d’œuvres comme Ala compasiva du point de vue de la forme, mais aussi de la présence (c’est aussi le cas avec Entes y sombras de mi infancia) de personnages défavorisés qui, ainsi, sont mis sur le devant de la scène. La question de la traduction et de la recréation demeure donc essentielle. Cette époque marque également un tournant dans sa production car on y voit apparaître le vers libre et se multiplier les figures créatrices d’abstraction comme l’ellipse, la contradiction, les antithèses, le paradoxe. La répétition devient une figure importante en ce qu’elle contribue, comme le souligne Javier Blasco Pascual, à conférer une unité à la création poétique. La régularité quant à elle, en particulier strophique, tout comme l’anecdote, tendent à disparaître de l’œuvre.

5L’ensemble de ces transformations invite le critique à interroger la poétique juanramonienne qui caractérise ces années d’intense activité. Les contributions proposées ici s’attachent à prendre en compte ces questionnements et s’organisent en sept moments. La première partie est consacrée à une figure décisive dans la vie de Juan Ramón : celle de Zenobia Camprubí. Les travaux de Soledad González Ródenas et de Nuria Rodríguez Lázaro s’intéressent aux relations profondes qui existèrent entre le poète et son épouse, aussi bien sur le plan sentimental qu’intellectuel. Les travaux de Soledad González Ródenas et de Nuria Rodríguez entendent revendiquer cette figure cruciale dans la vie et l’œuvre de Juan Ramón. Dans la deuxième partie consacrée à la traduction, les travaux d’Annick Allaigre et de Philippine Guirao démontrent à quel point cette activité est, chez le poète, récréation et réappropriation poétique. Création poétique au même titre que sa propre poésie, laquelle se nourrit de ses lectures, de ses traductions à quatre mains avec sa femme Zenobia, à tel point que la recréation poétique, comme le démontre Annick Allaigre, se transforme en hommage voilé à sa femme Zenobia, preuve de la réappropriation opérée par le poète de Moguer du vers mallarméen, qu’il transforme en prose poétique. La troisième partie, quant à elle, interroge une œuvre majeure du poète andalou. Daniel Lecler et Jorge Urrutia portent toute leur attention sur une pièce phare des années 1913-1917 : Platero y yo. Jorge Urrutia se penche sur la portée idéologique de Platero y yo, qui revendique un andalousisme loin des stéréotypes du xixe siècle : revendication de la culture grecque dans l’Andalousie telle que l’entend JRJ et où Moguer apparaîtrait comme l’Arcadie du poète. La lecture de Platero y yo que propose Daniel Lecler met en lumière, quant à elle, les affinités de l’ouvrage avec Don Quijote : chevalier et poète sur leur monture se situent tous deux en marge de la société. Dans la partie suivante, l’œuvre de l’Andalou universel est interrogée depuis une perspective intertextuelle. Dominique Bonnet choisit de s’intéresser à l’admiration de Jean Giono pour le poète de Moguer qu’il découvre lorsqu’on lui demande d’adapter au cinéma Platero y yo. La lecture de Juan Ramón est pour l’écrivain français une véritable révélation. Tous deux partagent des goûts littéraires similaires. Belén Hernández Marzal montre également à quel point l’œuvre et l’univers poétiques du Mexicain Gilberto Owen sont redevables à Juan Ramón. L’influence du Diario de un poeta recién casado, se fait notamment sentir dans l’œuvre poétique du poète mexicain, depuis ses poèmes de jeunesse jusque dans son œuvre majeure, Sindbad el varado. L’emploi d’images chères à Juan Ramón, un goût égal pour l’exclamation et l’interrogation, disent à quel point le poète andalou constitue pour Owen un modèle et une source d’inspiration, Owen se nourrissant de l’univers juanramonien pour créer une œuvre poétique singulière. La sixième section de cet ouvrage porte sur le dialogue entre les arts, plus particulièrement entre poésie et peinture. Virginie Giuliana s’attache aux relations entre Sorolla et Juan Ramón. Ainsi, le peintre entreprend-il dès 1906 une série de portraits de différents acteurs de la vie culturelle de cette période, tandis que Juan Ramón rédige ses premiers portraits littéraires, ou plutôt ses « caricatures lyriques », à partir de 1914, matériau publié par la suite sous le titre de Españoles de tres mundos (1942). Virginie Giuliana s’attache à établir un véritable dialogue entre les portraits littéraires de l’un et picturaux de l’autre, en s’employant toujours à en dégager la fulgurance. Elle montre, en particulier, que le portrait s’intériorise peu à peu chez JRJ. Quant à Bénédicte Mathios, elle rappelle ce qui pourrait être le mot d’ordre de Juan Ramón : « Escribir, para mí, es dibujar, pintar ». Cette conception artistique se manifeste, entre autres, à travers l’utilisation d’un lexique pictural et de références à la peinture. En définitive, la présence importante des arts visuels renvoie à sa première vocation de peintre, de « grand visuel » pour reprendre la formulation d’Ángel Crespo, mais également à sa réflexion permanente sur la création. Les références à la peinture sont nombreuses : Sorolla, Monet, Turner, Puvis de Chavanne… Juan Ramón oscille entre ekphrasis et insertion de l’art de peindre au sein de l’écriture. Dans la dernière partie de l’ouvrage sont abordées des questions de poétique. Claude Le Bigot centre son propos sur des aspects formels très novateurs présents dans le Diario de un poeta recién casado : l’alternance entre la prose et le vers, l’adoption du « verso desnudo » comme dispositif critique, la volonté de se débarrasser de la séparation prose / poésie, recherchant le phrasé le plus proche de l’oralité. Juan Ramón récuse ainsi toute une conception de la poésie, portée pendant des siècles par la prosodie et la métrique. Enfin, Marie-Claire Zimmermann propose une lecture de Piedra y cielo, dont les poèmes ont été écrits entre 1917 et 1918. Elle s’interroge sur le choix du titre du recueil, repris avec des variantes dans deux des parties, sur l’usage de l’exclamation, porteur de lyrisme, ou encore sur les termes « tierra », « mar » y « cielo ».

Pour citer ce document

Belén Hernández Marzal et Daniel Lecler, « Avant-propos » dans « Juan Ramón Jiménez: tiempo de creación (1913-1917) », « Travaux et documents hispaniques », n° 8, 2017 Licence Creative Commons
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Quelques mots à propos de :  Belén Hernández Marzal

Université Jean-Moulin Lyon 3 – MARGE

Quelques mots à propos de :  Daniel Lecler

Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis – Laboratoire d’Etudes Romanes (UPL)