Pierre Corneille, la parole et les vers

sous la direction de Myriam Dufour-Maître, avec le concours de Cécilia Laurin

Pierre Corneille, la parole et les vers
  • Myriam Dufour-Maître, avec le concours de Liliane Picciola, de Bénédicte Louvat et de Cécilia Laurin  Introduction

Matrices et formes-sens

La génétique du vers cornélien : les rapports complexes de la parole et des vers

Ludivine Rey


Résumés

L’étude de la génétique textuelle des vers de Pierre Corneille permet de mettre en avant les différents états d’un texte, et de montrer ainsi l’évolution dramaturgique et l’évolution du français. En effet, Corneille essaie d’employer un vocabulaire de plus en plus approprié dans les multiples éditions. Toutes ces corrections n’ont pas seulement une valeur littéraire, mais elles ont aussi une grande importance d’un point de vue linguistique. En effet, certaines modifications montrent l’évolution de l’expression française au cours du xviie siècle : on ne s’exprime pas de la même façon à la fin des années 1630 et dans les années 1680.

Texte intégral

1Commençons cette analyse sur la génétique du vers cornélien en citant la définition de l’objet de la critique génétique qu’a établie Almuth Grésillon dans un ouvrage fondateur, Éléments de critique génétique :

Son objet : les manuscrits littéraires en tant qu’ils portent la trace d’une dynamique, celle du texte en devenir. Sa méthode : la mise à nu du corps et du cours de l’écriture, assortie de la construction d’une série d’hypothèses sur les opérations scripturales. Sa visée : la littérature comme un faire, comme une activité, comme mouvement1.

2Dans le cas de Corneille, nous ne possédons pas de manuscrit de ses pièces, mais nous possédons les différents états des pièces qu’il a publiées. Si nous reprenons les termes d’Almuth Grésillon, nous allons analyser la parole de Pierre Corneille qui est mise en mouvement grâce aux multiples corrections qu’il a effectuées sur ses vers entre 1644 et 1682.

3Autrement dit, la critique génétique s’intéresse aux processus d’écriture de l’écrivain, et plus précisément à la fabrique des œuvres. Pierre Corneille est un auteur qui est très attaché à la publication de ses pièces de théâtre comme en témoignent les multiples corrections des onze éditions de ses premières pièces. Le dramaturge affirme son intérêt pour le devenir de ses pièces dans son « Avis au Lecteur » de l’édition de 1644 de ses Œuvres :

J’ai donc cru qu’il valoit mieux, et pour votre contentement, et pour ma réputation, y jeter un coup d’œil, non pour les corriger exactement (il eût été besoin de les refaire presque entier), mais du moins pour en ôter ce qu’il y a de plus insupportable2.

4Pierre Corneille n’était pas satisfait de ses premiers écrits, comme il l’explique ici. En effet, le dramaturge exagère volontairement ses propos en utilisant une pointe d’ironie qui est soulignée par la parenthèse : « il eût été besoin de les refaire presque entier ». Avant 1635, Corneille est déjà « saoul de gloire3 », pour reprendre l’expression de Louis Rivaille ; et il reçoit une pension du cardinal Richelieu depuis janvier 1635.

5Nous nous demanderons si la parole de Corneille a beaucoup changé entre le début et la fin de sa carrière. Autrement dit, sommes-nous certains de retrouver les œuvres de la jeunesse de Corneille dans la version de sa vieillesse ? Pouvons-nous considérer que les corrections qu’il a effectuées sur ses vers, dans cet intervalle de 38 ans entre 1644 et 1682, ont pour but soit de faire disparaître les particularités de sa pensée initiale, soit de parer ses comédies du langage qui, par la suite, lui paraissait plus en conformité avec les règles ? Pour répondre à ces questions, nous ferons très rapidement le point sur les méthodes de la génétique textuelle puis nous les mettrons en pratique sur les vers de Pierre Corneille.

La génétique textuelle

6Afin d’avoir une vision plus surplombante des variantes de Pierre Corneille, et pour nous rendre compte d’une manière plus pragmatique de l’importance des corrections qu’il a effectuées sur ses vers, les graphiques circulaires ci-après présentent la part de chacun des critères de variation des vers que nous avons choisi d’analyser :

7– les modifications de vers, de suppression de vers, de vers ajoutés,
– les modifications de mots, supprimés ou ajoutés,
– les modifications de lettres, ajoutées, supprimées,
– les modifications de didascalies, ajoutées ou supprimées,
– les modifications d’orthographe,
– les modifications de ponctuation,
– et les inversions.

8Ces graphiques circulaires ont été réalisés de manière très archaïque, puisqu’ils ont été élaborés manuellement à partir de tableaux de relevés sur les éditions revues et corrigées par l’auteur lui-même. Deux graphiques circulaires ont été réalisés pour chaque année d’édition, car il nous semblait plus judicieux de différencier les pièces qui ont été écrites avant Le Cid, et celles qui ont été rédigées après Le Cid, dans la mesure où cette pièce constitue un point charnière dans la carrière de l’auteur. Il y a un avant et un après Le Cid. Les premiers graphiques prennent en compte les neuf pièces suivantes : Mélite, Clitandre, La Veuve, La Galerie du Palais, La Suivante, La Place Royale, Médée et L’Illusion comique ; et les seconds graphiques prennent en compte essentiellement des tragédies : Le Cid, Horace, Cinna, Polyeucte martyr, et La Mort de Pompée. Par ailleurs, nous présenterons les trois années d’édition du théâtre de Pierre Corneille les plus représentatives : 1644 qui est la première édition revue et corrigée par Corneille ; 1663 qui est la prestigieuse édition in-folio ; et 1682 qui est la dernière édition revue et corrigée par le dramaturge.

9Sur les deux graphiques des éditions de 1644, nous observons que la part de vers modifiés (c’est-à-dire qui comprend au moins trois modifications réalisées par Pierre Corneille lui-même dans le même vers) est plus importante dans le premier graphique (49 %), donc pour les pièces de jeunesse, que pour les quatre tragédies postérieures au Cid (12 %). Cette différence de pourcentage s’explique par le fait qu’il y a très peu d’années qui séparent les éditions originales des pièces écrites postérieurement au Cid à l’édition de 1644. En effet, le privilège du roi de l’édition originale d’Horace date de 1641, ceux de Cinna et de Polyeucte datent de 1643, et 1644 pour La Mort de Pompée. Ainsi la pensée du dramaturge est sensiblement identique.

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Figure 1. Variantes de l’édition de 1644, de Mélite à L’Illusion comique

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Figure 2. Variantes de l’édition de 1644, du Cid à La Mort de Pompée

10L’édition de 1663 est publiée dans un format de prestige, l’in-folio, qui place Corneille à l’acmé de sa gloire, à cinquante-sept ans. Ce format était réservé aux auteurs latins tels Tite-Live, Virgile ou Ovide, ainsi qu’aux livres consacrés à l’histoire et à la religion. Il était rare qu’une telle consécration ait lieu du vivant de son auteur. Corneille est le seul, de son vivant, à avoir eu cet honneur au xviie siècle. L’Histoire de l’édition nous indique la répartition des formats des ouvrages en distinguant cinq périodes au cours du xviie siècle. La période qui concerne l’édition in-folio de Corneille est celle où sont publiés que 8 % d’in-folio4. Dans cette édition, Corneille attache une importance particulière aux didascalies, comme le montre le graphique circulaire ci-dessous.

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Figure 3. Variantes de l’édition de 1663, de Mélite à L’Illusion comique

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Figure 4. Variantes de l’édition de 1663, du Cid à La Mort de Pompée

11L’édition de 1682 ne présente que très peu de modifications (75 % des scènes ne comportent pas de changements), et elles ne sont pas d’une importance majeure pour le sens du texte.

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Figure 5. Variantes de l’édition de 1682, de Mélite à L’Illusion comique

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Figure 6. Variantes de l’édition de 1682, du Cid à La Mort de Pompée

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Figure 7. Graphique de synthèse générale des variantes de Mélite à L’Illusion comique

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Figure 8. Graphique de synthèse générale du Cid à La Mort de Pompée

12Ainsi, cette méthode nous a permis d’avoir une vue globalisante des variantes contenues dans les onze éditions du théâtre de Corneille.

La génétique des vers cornéliens

La suppression de vers

13Nous pouvons observer un exemple de suppression de vers aux vers 53 à 72 de la scène 1 de l’acte I de La Place Royale. Ainsi, la troisième colonne présente les modifications effectuées par Corneille dans l’édition de 1644 (vers qui sont en bleu) et dans l’édition de 1660 (les vers qui sont en rose). Cet extrait met également en avant des modifications de ponctuation au vers 63 qui ont leur importance, car le dramaturge avait pour habitude de se rendre chez son imprimeur pour vérifier les éventuelles coquilles. Cette variation de ponctuation est d’ordre rythmique et a pour fonction de retrouver l’intention déclamatoire de l’alexandrin ; nous pouvons observer des modifications orthographiques au vers 57 où le verbe éloigner est orthographié « esloigne » dans l’édition originale et « éloigne » dans celle de 1660 ; ce qui témoigne de l’évolution graphique des mots au cours du xviie siècle. Par ailleurs, cet extrait présente la suppression de plusieurs vers osés (les vers 69 à 72) dans l’édition de 1660. Philis exprimait sa très grande liberté amoureuse et son esprit manipulateur que Corneille a préféré effacer. En effet, dans la version originale, Philis employait le mot « tyrannie », qui a un sens très fort au xviie siècle comme en témoigne la définition du dictionnaire de Furetière : « tyrannie, se dit aussi de l’abus que les particuliers font de leur pouvoir, ou de leur charge. Le Roi a bien sçu reprimer, & châtier les tyrannies, & les exactions des Nobles, & des Juges de Provinces. De toutes les tyrannies la plus insupportable est celle d’un vieux mari. La Fontaine5 ». Ainsi, le dramaturge supprime la description de l’esprit volage et manipulateur de Philis.

14I, 1. La Place Royalle

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La transformation des locutions familières

15Dans l’examen de Clitandre de l’édition de 1660, Corneille répond aux critiques qui lui avaient été adressées au sujet du style relativement faible et familier de Mélite :

Un voyage que je fis à Paris pour voir le succès de Melite, m’apprit qu’elle n’était pas dans les vingt-quatre heures. C’étoit l’unique Regle que l’on connust en ce temps-là. I’entendis que ceux du métier la blâmoient de peu d’effets, et de ce que le stile en étoit trop familier.

16Corneille a effectivement corrigé ce style familier qui lui a été reproché. Nous pouvons observer ce type de correction au vers 135 de la scène 5 de l’acte I de Mélite, au moment où Tircis surprend Philandre et Philis en train de s’embrasser. Le tableau ci-dessous a été réalisé à partir d’un logiciel qui permet d’aligner des textes et qui permet de les comparer. Il existe plusieurs logiciels, mais nous avons utilisé Médite6 qui indique toutes les transformations textuelles réalisées par les deux états du texte. Il précise les transformations élémentaires à l’aide de différentes couleurs, les déplacements, les insertions, les suppressions et les remplacements de blocs de caractères, comme l’indique la partie droite du tableau. Dans la version de 1660 (version qui se trouve dans la deuxième colonne), Corneille devient beaucoup plus pudique et moins précis et familier dans les propos qu’il fait tenir à Tirsis, puisque « l’amour justement bouche à bouche » devient « si j’en croy l’apparence ». L’aspect très visuel de la scène du baiser devient beaucoup plus abstrait et délicat.

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17Il en va de même au vers 1593 de la scène 10 de l’acte IV de Mélite : Corneille utilise un vocabulaire plus soutenu et beaucoup moins familier en 1660.

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18Dans l’Épître de La Suivante qui est adressée à Monsieur, Pierre Corneille répond avec beaucoup d’humour à ceux qui n’apprécient pas ses ouvrages :

Ceux qui se sont presses à la representation de mes ouurages, m’obligent infiniment ; ceux qui ne les approuuent pas, peuuent se dispenser d’y venir gaigner la migraine, ils espargneront de l’argent, et me feront plaisir. Les iugemens sont libres en ces matieres, et les gousts diuers. I’ay veu des personnes de fort bon sens admirer des endroits sur qui i’aurois paβé l’esponge ; et i’en cognoy dont les Poëmes reüβissent au Theatre auec éclat, et qui pour principaux ornemens y employent des choses que i’éuite dans les miens. Ils pensent auoir raison, et moy auβi.

19Corneille explicite à ses lecteurs que tout est une question de goût par rapport à ses propres expériences, en fonction de son vécu. C’est d’ailleurs l’une des raisons qui ont poussé Pierre Corneille à revoir et corriger ses pièces de jeunesse. En effet, le goût et les attentes de ses spectateurs changent, évoluent entre l’écriture de ses premières pièces dans les années 1630 et l’édition de 1644, ou bien celle de 1660. De plus, on ne s’exprime pas de la même manière en 1633 et en 1682. Dans son « Avis au Lecteur » de 1644, Corneille affirme : « Ainsi estant demeuré Provincial, ce n’est pas merveille si mon elocution en conserue quelquefois le caractere. » Cette phrase permettra à certain [d’Aubignac] de dire que Corneille ne fréquentait pas la cour en 1633, et donc ne connaissait pas les codes de la galanterie. Or, cela est faux : Corneille connaissait très bien les codes et le langage de la cour, car il était élève au collège de Bourbon, dirigé par les Jésuites. Cette phrase relève de la fausse modestie de Corneille.

Les modifications faites par Corneille qui font évoluer les règles et qui vont à l’encontre de son temps : exemple des clitiques

20Selon Nathalie Fournier7, en 1647, Vaugelas préfère employer l’expression : je ne le veux pas faire, qui est selon lui plus usité que je ne veux pas le faire.

21Le relevé des variantes portant sur les clitiques nous montre que Corneille a choisi de modifier son texte en fonction du type de construction « je dois le faire », c’est-à-dire en plaçant le clitique entre le verbe et l’infinitif. Ainsi, Corneille fait évoluer la langue française et va à l’encontre des règles employées en son temps. Pierre Corneille corrige son texte suivant ce schéma à partir de l’édition de 1660. Il continue sur ce genre de correction dans l’édition de 1663. Nous pouvons voir un exemple de cette modification dans l’édition de 1660 de Médée à la scène 6 de l’acte V, vers 1660, p. 94 où « je te vay revoir » est corrigé par « je vay te revoir ».

22Corneille a également fait ce type de correction dans l’édition de 1664 de Cinna, et plus précisément à la scène 4 de l’acte I, vers 299 : il corrige « tu ne me peux » en le remplaçant par « tu ne peux me ». Nous retrouvons ce type de correction au vers 1196 de la scène 4 de l’acte IV de l’édition de 1668 de Médée : ainsi la structure a) : « te va couster » est remplacée par la structure b) « va te coûter » :

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23Le changement de position du clitique produit ici un vers plus harmonieux et plus fluide. Cette modification évite de saturer le vers avec l’allitération en t.

24Nous venons de voir que Corneille essaie de faire évoluer la langue française. Il poursuivra ce dessein dans l’« Avis au Lecteur » de l’édition de 1663 où il rédige un mini traité de règles d’orthographe.

Les mots

Le vocabulaire du sentiment amoureux

25Dans l’édition de 1644 de Clitandre (III, 3, vers 985), Pierre Corneille remplace « Ma belle » par « Madame ». Pymante montre davantage de respecte à Dorise avec cette modification, comme le signale le dictionnaire de Furetière : « Madame, titre d’honneur qu’on donne en parlant, ou en escrivant, aux femmes de qualité, comme Princesses, Duchesses, ou autres femmes de gens titrés ou Gentilhomme. »

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26Dans l’édition de 1644 de La Veuve (II, 4, vers 633), Pierre Corneille a corrigé l’expression « Ma Reine » pour la remplacer par « Madame ». Cette transformation introduit une certaine distance entre Philiste et Clarice.

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27Dans l’édition de 1660 de Clitandre (IV, 1, vers 1159), Corneille emploie « des faveurs » au lieu de « un baiser ». Ce vocabulaire change pour devenir détourner. Il s’inspire du vocabulaire de la préciosité en utilisant un vocabulaire à prétention pudique et raffiné qui se distingue des tournures trop directes.

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28Dans l’édition de 1660 de Mélite (I, 1, vers 39), Pierre Corneille remplace le mot « mariage » par celui « d’hyménée ». Cette correction traduit le désir de Corneille de transformer son texte par l’emploi de mots qui ont un sens plus poétique et tend à s’inspirer du vocabulaire de la préciosité. En effet, le dictionnaire de Furetière explique le mot « hymenée » de cette manière : « Hymen, signifie aussi poëtiquement, le mariage ».

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29Dans l’édition de 1660 de Mélite (II, 1, vers 377), Corneille a remplacé le mot « ame » par « cœur ». Ce changement est sans doute dû au désir de renforcer l’aspect négatif de l’infidélité par la valeur sémantique de la lettre r présente dans le mot « cœur » et qui est renforcée par l’allitération en r de « preveu ».

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Le vocabulaire du conflit, du duel, de la trahison, de la bassesse

30Dans l’édition de 1644 de Clitandre (III, 4, vers 1090), Corneille corrige le mot « pendard » pour le remplacer par « l’assassin ». Cette modification indique la recherche d’un vocabulaire plus raffiné, et tend une nouvelle fois à l’utilisation d’un vocabulaire précieux.

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31Dans l’édition de 1644 de Mélite (III, 3, vers 987), Pierre Corneille a modifié son texte en adoucissant son vocabulaire, et notamment en remplaçant « creve » par « meurs ». Selon la définition du dictionnaire d’Antoine Furetière, le verbe crever signifie : « mourir, & surtout de mort violente ». Avec l’emploi du mot « meurs », la violence et la brutalité de l’acte sont supprimés. Cet aspect est renforcé par la suppression des vers 989 à 992 qui décrivent sa souffrance et sa volonté de mourir.

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Conclusion

32Ainsi, nous pouvons conclure en citant les propos de Cesare Segre qui définit les différents états d’un texte comme étant un système :

En revanche, il est certain qu’en considérant chaque texte comme un système, les textes suivants peuvent apparaître comme l’effet de poussées présentes dans les textes précédents, tandis que ceux-ci contiennent à leur tour des poussées dont les textes suivants seront le résultat. Ainsi, l’analyse de l’histoire des rédactions et des variantes nous fait connaître partiellement le dynamisme présent dans l’activité créatrice8.

33En effet, les différents états des pièces de Corneille sont un système qui est une poussée des états des pièces précédentes. Ainsi, nous pouvons dire que la parole de Corneille est sensiblement la même, mais avec l’utilisation de vers différents.

34Ainsi, Corneille a revu et corrigé ses œuvres de jeunesse à onze reprises pour essayer d’atteindre la forme la plus parfaite que peut avoir une comédie, et surtout de limiter l’écart entre Le Cid et ses premières pièces où il était novice et naïf de toutes règles existantes, comme il l’explique dans l’examen de Mélite :

Cette Piece fut mon coup d’essay, et elle n’a garde d’estre dans les Regles ; puisque je ne sçavois pas alors qu’il y en eust. Ie n’avois pour guide qu’un peu de sens commun, avec les exemples de feu Mr Hardy, dont la veine étoit plus feconde que polie, et de quelques Modernes, qui commençoient à se produire, et qui n’étoient pas plus Reguliers que luy9.

Notes

1 Almuth Grésillon, Éléments de critique génétique, Paris, PUF, 1994, p. 7.

2 Pierre Corneille, Œuvres de Pierre Corneille, première partie, « Avis au lecteur », Rouen, 1644, p. ii.

3 Louis Rivaille, Les Débuts de P. Corneille [1936], Genève, Slatkine Reprints, 2003, p. 51.

4 Voir le « graphique 3 : répartition par formats », dans Henri-Jean Martin et Roger Chartier (dir.), Histoire de l’édition française, Le livre triomphant : 1660-1830, Fayard, Cercle de la librairie, 1990, p. 114 : in-folio : 1601-1605 : 10 %, 1621-1625 : 10 %, 1641-1645 : 18 %, 1661-1665 : 8 %, 1681-1685 : 5 %.

5 Antoine Furetière, Dictionnaire universel, contenant generalement tous les mots françois tant vieux que modernes, & les Termes de toutes les sciences et les arts…, La Haye, A. et R. Leer, 1690.

6 Médite est un logiciel d’alignement de textes issu d’une collaboration entre des spécialistes de génétique textuelle de l’Institut des Textes et Manuscrits Modernes (ITEM), tels Irène Fenoglio et Jean-Louis Lebrave, et des spécialistes d’intelligence artificielle de l’équipe ACASA du LIP6 (Laboratoire d’informatique de Paris 6 – Université Pierre et Marie Curie), Jean-Gabriel Ganascia et Julien Bourdaillet.

7 Nathalie Fournier, Grammaire du français classique, Paris, Belin, 2002, p. 81, § 3.2.2.

8 Cesare Segre, « Critique des variantes et critique génétique », Genesis 7, 1995, p. 29.

9 Pierre Corneille, Le Théâtre de P. Corneille, I. Partie, Examen de Mélite, Rouen, 1663, p. xxviij.

Pour citer ce document

Ludivine Rey, « La génétique du vers cornélien : les rapports complexes de la parole et des vers » dans Pierre Corneille, la parole et les vers,

sous la direction de Myriam Dufour-Maître, avec le concours de Cécilia Laurin

© Publications numériques du CÉRÉdI, « Actes de colloques et journées d’étude », n° 26, 2020

URL : http://publis-shs.univ-rouen.fr/ceredi/index.php?id=980.

Quelques mots à propos de :  Ludivine Rey

Université Paris-Sorbonne
Ludivine Rey prépare actuellement une thèse de littérature française à l’Université Paris-Sorbonne sous la direction du Pr Georges Forestier. Ses travaux portent sur l’histoire du livre, la génétique textuelle, la dramaturgie, l’évolution de la langue française et sur les questions d’édition numérique. Elle est également membre du Conseil d’administration du Mouvement Corneille depuis 2009. Elle a été collaboratrice scientifique au projet ANR-CORPUS des Répertoires de la Comédie-Française. Elle est aussi doctorante associée au Centre de recherche Interaction et traitement de langage (ITL) depuis 2014. Elle a collaboré au projet Obvil « La Haine du théâtre ».