Appropriations de Corneille

Actes du colloque organisé à l’Université de Rouen en octobre 2014, publiés par Myriam Dufour-Maître

Appropriations de Corneille

L’enseignement

Corneille, auteur de concours

Beate Langenbruch


Résumés

Le « Grand Corneille » semble incarner un auteur type pour cette reine des concours intellectuels qu’est l’agrégation. L’examen attentif des programmes et des sujets « tombés » en Lettres modernes et en Lettres classiques depuis plusieurs décennies nuance pourtant fortement cette image : le dramaturge classique, bien vivant, occupe une place plutôt inattendue dans le palmarès des auteurs.

Texte intégral

À ceux qui donnent Corneille aux élèves,
comme Alexis, les Lucie, Caroline,
et à ceux qui les forment,
comme Myriam, Michèle et Claudine

1À défaut de pouvoir expliquer comment le Moyen Âge s’est approprié la figure de Pierre Corneille ou son œuvre, je souhaite aborder de la figure du « classique » dans les programmes des concours de l’enseignement secondaire. Ce n’est donc pas que je m’aventure vraiment sur le terrain des dix-septiémistes en tant que médiéviste (avec de grandes affinités classiques, certes), mais plutôt sur deux autres, qui me sont plus familiers. Celui de l’imagologie, d’abord. J’envisagerai en effet « Corneille » comme une construction mentale, l’image d’un auteur qui fonctionne à bien des égards comme un parangon, un emblème. Celui du théâtre français du siècle classique, qui dans la triade consacrée tient sans doute le rôle le plus noble, si on le compare au facétieux Molière ou au larmoyant Racine – pour rester dans les purs stéréotypes, bien sûr – qu’aiment particulièrement étudier les imagologues. Le Grand Corneille, donc. Emblématique, l’auteur du Cid l’est aussi devenu, par ricochet, parce que grand, de l’enseignement du français dans le secondaire, comme de celui de l’université. Enfin, aspect intrinsèquement lié aux précédents, la noblesse de la plume cornélienne seyant bien à la noblesse de l’agrégation, on peut penser que le Rouennais incarne l’auteur type dont les œuvres sont mises aux programmes annuels de cette reine des concours intellectuels (qui, elle aussi, a une image très intéressante).

2Et c’est là le deuxième terrain qui m’est devenu très familier. Formant chaque année entre quarante et cinquante élèves et étudiants à l’ENS de Lyon, je les prépare à diverses épreuves des agrégations de Lettres (Lettres Modernes, Lettres Classiques et, exceptionnellement, Grammaire). J’interviens essentiellement en littérature médiévale, mais également dans la préparation de l’épreuve de l’explication hors programme, qui concerne les xvie-xxe siècles. Pour leur part, ces agrégatifs sont particulièrement emblématiques du système académique français, eux aussi, dans la mesure où leur parcours privilégié (classes préparatoires, concours des Écoles Normales) a mis les élèves et étudiants normaliens1 en contact avec les auteurs les plus « classiques », mais surtout, parce qu’on attend d’eux qu’ils soient reçus quasi automatiquement à ce concours difficile. C’est donc en tant qu’universitaire que je m’interroge sur ma propre pratique (ai-je encore raison de donner des extraits de Corneille en préparant à l’explication dite « improvisée » ?), en tant qu’ancienne agrégée du secondaire (qui a fait lire Corneille à ses classes en extraits et en œuvre intégrale, comme à ses étudiants à l’université de Rouen, en 2005-2006) et, il faut le dire aussi, en tant qu’Allemande, pour qui la découverte et l’assimilation du système de concours à la française et l’importance qu’il a dans l’imaginaire collectif de ce pays (l’agrégation, un « lieu de mémoire » français ?) a été tant un point de passage obligé que le point de départ d’une réflexion critique sur les avantages et les inconvénients des paysages académiques et institutionnels respectifs de « mes deux pays ».

3Ce préambule quelque peu personnel témoigne du fait que professeurs, élèves, étudiants et institutions de la recherche et de l’enseignement utilisent et donc s’approprient aujourd’hui Corneille. Mais comment, et quelle est la profondeur de ce rapprochement de soi ? En 2013, au moment de l’appel à communication, et encore en 2014, lors du colloque Appropriations de Corneille organisé pour le CÉRÉdI par Myriam Dufour-Maître, le titre de mon propos se formulait à l’interrogative : « Corneille, auteur de concours ? », étonnante modalité de phrase au regard de ce que je viens d’évoquer. Les faits ne commandaient-ils pas logiquement une assertion, « Corneille, auteur de concours », point – voire point d’exclamation ? C’est qu’en 2013, le président du jury d’agrégation n’avait pas mis une traître œuvre du Rouennais à son programme de littérature française depuis douze ans. Une interrogation sur son statut d’auteur de concours semblait alors légitime, et le semble aujourd’hui encore, même si, depuis ma proposition de communication, le MEN a enjoint le 14 février 2014 aux agrégatifs de 2015 d’étudier à nouveau Corneille, au sein d’un programme général dont les contours sont particulièrement antiquisants, le Roman d’Eneas et les Mémoires d’Hadrien figurant, entre autres, aux côtés de Cinna et de Polyeucte.

4Dans le cadre de cette recherche, j’ai choisi un corpus volontairement circonscrit. Je ne reviens pas en arrière pour interroger le statut de Corneille depuis la première organisation, en 1821, de l’agrégation des Lettres (Classiques, à l’époque), qui est parmi les plus anciennes, aux côtés de celle de Grammaire, cette mère des concours littéraires2. Anne-Marie Thiesse et Hélène Mathieu ont, en 1981 déjà, accompli un travail très important portant sur la naissance de l’idée des auteurs « classiques » au sein des programmes3, et je vais m’y appuyer pour certaines de leurs observations, comme sur celles d’Emmanuel Fraisse, qui les complète, notamment dans son dépouillement des programmes4.

5Quant au rôle et surtout à l’image d’un auteur spécifique du xviie siècle dans le concours récent qu’est l’agrégation de Lettres Modernes, créée en 1959 seulement, ils n’ont pas encore été interrogés à ma connaissance. Ce projet m’a paru d’autant plus intéressant qu’il s’agit d’un auteur qui porte l’étiquette non seulement « classique », mais se revendique aussi « Moderne », dans le contexte de la fameuse Querelle. Puis, l’agrégation externe des Lettres Modernes, grâce à son épreuve orale spécifique du « hors programme », que ne passent pas les agrégatifs de Lettres Classiques ni de Grammaire, offre aussi un précieux aperçu des auteurs et des œuvres dont le jury estime qu’ils doivent constituer le pain quotidien des élèves et des professeurs du secondaire. Enfin, les épreuves de littérature générale et comparée, dont le coefficient reste important5, peuvent de leur côté envisager Corneille, mais dans une dimension plus universelle, comme le peut aussi, à sa manière, la question de grammaire moderne, à l’écrit du concours.

6Le périmètre de l’agrégation externe de Lettres Modernes de 1960 à 2019, intervalle de 59 ans, représente donc un terrain suffisamment vaste et varié duquel nous verrons émerger, comme en relief, une certaine image de Corneille, portant quelques traits caractéristiques qu’on lui connaît, mais aussi fluctuante, selon la physionomie variable que dessinent les œuvres au programme et les questions qu’à travers ce dernier, on leur pose.

7L’interrogation sur l’image spécifique de Corneille au concours portera d’abord sur la place qu’occupe réellement l’auteur dans l’évolution des programmes de 1960 à 2019. Ce portrait sera affiné par l’étude des constellations que forment les œuvres cornéliennes choisies, puis leur appropriation par les différents types d’épreuves6.

Un pilier de l’agrégation ?

8Combien de fois, tout d’abord, Corneille a-t-il passé l’agrégation de Lettres – épreuve de sacralisation qui, finalement, pourrait être aussi redoutable pour les auteurs que pour les candidats – et puis, « l’a-t-il eue », et si oui, combien de fois ?

9A priori, Pierre Corneille est un pilier de concours. Si La Fontaine lui dame le pion l’année de l’organisation de la première agrégation de Lettres Modernes, en 1960, il représente néanmoins le dix-septième siècle dès l’année suivante, avec un programme dont la copiositas en dit long sur les attentes qu’a le jury de l’époque à l’égard des candidats, mais aussi à l’égard de l’auteur : son œuvre est tellement important que les agrégatifs de 1961 peuvent allègrement étudier la même année Mélite, Clitandre, La Galerie du Palais, La Place royale, Médée et L’Illusion comique, sans laisser craindre que ce choix de six pièces ne laissent les promotions futures désœuvrées, ni les éventuels programmes cornéliens des années à venir, dégarnis.

10Les chiffres absolus semblent confirmer tout à fait ce rôle d’auteur solide, constamment sollicité. En effet, peu d’auteurs peuvent se prévaloir d’avoir figuré au programme de littérature française à l’agrégation aussi souvent que l’auteur du Cid : Corneille est mis à l’honneur huit fois, en 1961, 1969, 1975, 1982, 1989, 1998, 2002 et 2015. Grâce à cette donnée, on peut d’ores et déjà tordre le cou à l’idée reçue selon laquelle les années jubilaires se prêtent particulièrement à la consécration d’un auteur. En tout cas, cela n’est pas du tout vrai pour Corneille, dont on aurait pu commémorer ainsi, si on l’avait voulu, le tricentenaire de la mort, en 1984, ou le quatre-centième anniversaire, en 2006 – mais rien de tel ne s’est produit.

11Dans le palmarès des auteurs les plus fréquents par siècle, ses huit agrégations – mais parlons peut-être pour le moment d’« admissibilités » – font de Corneille l’égal de Rabelais, Montaigne ou Diderot (8 occurrences) ; il dépasse légèrement Chrétien de Troyes et Hugo (7), ridiculise Proust et Claudel (4 ex aequo7), pour ne s’incliner finalement que devant Ronsard, Voltaire (9 chacun) et Marivaux (10 programmations).

12Contextualisons aussi ce succès de l’Immortel grâce à celui de ses contemporains et rivaux : Corneille ne règne pas seul en majesté sur son siècle. Alors qu’en 2014 encore, le Rouennais devançait Molière (7 élections) et Racine (6), les trois auteurs sont à égalité (donc à 8 occurrences chacun) en 2019. La Fontaine (6 programmations) et Pascal (5), autres écrivains canoniques de l’agrégation, suivent plus loin. Le siècle dit « classique » l’est donc surtout par l’immuabilité de ses épigones dramatiques.

13La consécration suprême d’un auteur, son « admission » au panthéon des classiques de l’agrégation, c’est quand il fait l’objet d’une dissertation, et cela, si possible, à plusieurs reprises. Ce cercle des poètes disparus (car il n’y a pas de vivants) honorés de la sorte à l’agrégation de Lettres Modernes est très restreint : seuls Rousseau, Stendhal, Hugo et Proust ont réussi cet exploit à trois reprises. Plus nombreux, quant à eux, les treize doubles champions sont en ordre chronologique : Rabelais, Ronsard, Montaigne, Corneille (depuis 2015), La Rochefoucauld, Molière, Marivaux, Chateaubriand, Balzac, Nerval, Claudel, Giono et Gracq. Tous les autres, comme Racine, par exemple, doivent pour l’instant se contenter d’être « tombés à la dissertation » de Lettres Modernes une seule fois.

14Si on met en rapport les deux précédents chiffres, en divisant le nombre de dissertations par les années où l’auteur a été programmé, on obtient un chiffre qu’on pourrait appeler le « taux dissertatif », valeur statistique intéressante, mais non prédictive, hélas… Pour Corneille et Molière (comme pour Montaigne et Rabelais), il est actuellement de 2/8, soit 0,25 : ils devancent encore ici Racine (0,17). De son côté, Balzac est à 0,4 depuis 2019 ; Hugo et Rousseau atteignent 0,43, Chateaubriand et Claudel 0,5 ; Nerval ne s’en tire pas mal (0,67), et les grands gagnants sont… La Rochefoucauld, Giono et Gracq (1), proposés à la dissertation les deux fois qu’ils étaient au programme ! Une mention particulière doit également être faite de Stendhal et de Proust, qui ont un taux dissertatif très intéressant, 3/4, donc 0,75. Ils sont en effet les seuls, avec Rousseau, à avoir remporté « le grand Chelem » des épreuves d’admissibilité de Lettres Modernes. C’est-à-dire, il leur est arrivé de figurer la même année à la dissertation française et à l’épreuve de grammaire moderne : plus précisément, c’est le cas des Rêveries du Promeneur solitaire de Rousseau en 1964, du Côté de Guermantes en 1969, et de Lucien Leuwen, en 1983. Cet honneur n’échoit donc pas pour le moment à Corneille.

15Mais, pour revenir à nos moutons, comment interpréter le « taux dissertatif » relativement bas de Corneille, presque aussi mauvais, d’ailleurs, que celui de Ronsard (0,22), de Marivaux (0,2) ou de Voltaire (0,11) ? Peut-être sommes-nous ici en présence d’un phénomène propre aux auteurs qu’on devrait appeler les hyperclassiques. Des poètes, en somme, dont la réputation est telle qu’ils n’auraient même plus besoin d’être soumis au crible du regard approfondi extérieur, qui pourrait même être perçu comme périlleux, parce qu’il ose interroger un monstre sacré. Des monuments dignes d’étude – mais bien moins de réflexion profonde et collective ? Il y aurait là quelque chose de dangereux, dans la mesure où l’immuabilité du statut de ces hyperclassiques confine à une adulation aveugle, qui risque d’être stérile et sclérosante, si l’œuvre ne rencontre régulièrement les esprits d’aujourd’hui, comme, par exemple (mais pas exclusivement, bien sûr), lors de ces grand-messes que sont les épreuves écrites et orales des concours. Pour ce qui est des auteurs en question, Montaigne, Rabelais, Marivaux et Voltaire ont une place de choix dans la pratique pédagogique ultérieure des lauréats du concours ; pour Corneille, cela est peut-être moins sûr8.

16À cet égard, l’aura de la première année où Corneille fait l’objet de la dissertation française n’est pas dénuée d’intérêt : c’est en 1989. Est-ce réellement le seul fruit du hasard si on voit coïncider le bicentenaire de la Révolution, moment historique qui incarne aux yeux du monde la naissance de la France moderne, avec la dissertation sur l’hyperclassique Corneille à l’agrégation de Lettres Modernes, sur un corpus d’œuvres, dans lequel figure, de surcroît, son œuvre la plus emblématique, Le Cid ? Je voudrais voir ici au contraire une affirmation culturelle, sinon idéologique, puisque le président du jury ne tire pas les sujets de dissertation comme de vulgaires balles de loto. Si l’histoire de France a ses grands moments, la littérature française a ses grands auteurs, et s’il y en a un qui incarne la Grande Nation historique et son patrimoine littéraire9, c’est le Grand Corneille, « [p]oète de l’honneur national10 », et parmi les œuvres cornéliennes, la première à laquelle on pense, c’est Le Cid. Tout cela semble donc tout à fait cohérent ; s’il y a bien ici des images qui sont construites, elles sont prestigieuses : des images de marque. Mais, justement, sort fatal, une image de marque n’a pas intérêt ni le droit de changer, au risque de subir une dévaluation.

17Exagération, extrapolation, pourrait-on s’écrier maintenant. N’y a-t-il pas deux autres agrégations littéraires, celles de Lettres Classiques et de Grammaire, capables de sauver la gloire cornélienne en attestant sa vivacité ? Vérifions-donc, pour les « années Corneille », ce qu’il en est de la composition française de ces deux concours externes, sur le même période (1960-2019). En Grammaire, cette agrégation d’élite qui offre si peu de places au concours, l’auteur du Cid est tombé une seule fois, également en 1989. Notre constat désabusé concernant Corneille à la dissertation de Lettres Modernes est donc confirmé par une situation complètement identique pour une deuxième agrégation littéraire. Quant à la troisième, l’honneur y est sauf pour le Rouennais, pendant la période interrogée : les spécialistes de littérature grecque et latine composent sur Corneille une fois sur deux, donc à quatre reprises, en 1975, 1998, 2002 et, à leur tour, en 2015, propulsant son taux dissertatif à 0,5 ! La figure de Corneille, outre celle du colosse aux pieds d’argile, en Lettres Modernes et en Grammaire, prend donc les contours de l’auteur « classique » par excellence dans la discipline de concours où on l’attend, en Lettres Classiques.

18Après ce court détour par les agrégations « sœurs », retournons à notre champ initial, les Lettres Modernes. Au danger de la sacralisation, susceptible, sans le vouloir, de creuser insidieusement de l’intérieur le pilier de concours, s’ajoute un deuxième aspect pouvant inquiéter les Cornéliens. Celui de la régularité avec laquelle on programme les auteurs. Quand on regarde en effet l’intervalle qui sépare une année cornélienne de la suivante, on obtient les chiffres respectifs de huit, six, sept, sept, neuf, quatre et treize ans : cela fait une moyenne de 7,83 ans. Corneille est donc au programme un peu moins que tous les huit ans, chiffre qui se confirme quand on établit des coupes régulières dans le tableau des programmes : par tranche de vingt ans, on voit apparaître Corneille bien trois fois entre 1960 et 1979 et entre 1980 et 1999. Mais pour qu’il en reste ainsi, il aurait fallu que ses œuvres soient mis à l’honneur une troisième fois avant 2019 – et cela n’a pas été le cas.

19Car, on s’en doute, le Rouennais n’est pas le seul classique qui a voix et droit au chapitre. On s’aperçoit en effet que sa présence est étroitement corrélée à celle de ses coéquipiers de la « triade classique ». Dans une confondante régularité, on voit se suivre, avec peu d’autres auteurs entre eux, des séries Corneille-Racine-Molière (1961/1963/1964), ou Corneille-Molière-Racine (quatre fois entre 1974 et 1996). C’est peut-être pour déjouer un peu les attentes qu’intervient ce « Corneille trop rapproché » de 2002, qui brûle la vitesse à Racine et explique en partie pourquoi il a fallu attendre treize ans avant de voir le Rouennais revenir au programme. Sans prendre trop de risque, j’ai pronostiqué en 2014 qu’il fallait que Molière et Racine pointassent à nouveau leur nez, probablement dans cet ordre, avant que les agrégatifs ne puissent à nouveau étudier les œuvres cornéliennes : c’est de fait ce qui s’est passé en 2017 et 2018. On voit qu’un retour de Corneille pour 2019 aurait été peu probable, d’autant que, depuis quelques années, le prestigieux concours a reçu un sacré coup de jeune.

20Comme l’a montré Emmanuel Fraisse, est intervenue en effet, depuis le début des années 1980, une diversification importante des programmes de concours11, dans lesquels on a vu apparaître des auteurs et des œuvres considérés comme moins consensuels, moins classiques ou simplement moins attendus, à titre d’exemple,
Moyen Âge : Jehan et Blonde (1992), Christine de Pizan (2017)
xvie siècle : Louise Labé (2005), Bonaventure des Périers (2009), Jean de la Taille (1999)
xviiie siècle : Antoine Prévost d’Exiles (2007), Challe (1993)
xixe siècle : Tocqueville (2005), Aloÿsius de Bertrand (2011), Laforgue (2001)
xxe siècle : Ségalen (2000), Duras (2006), Leiris (2005), Yourcenar (2015), et même des auteurs encore vivants : Simon (1998) et Jaccottet (2004).

21Parmi les auteurs du xviie siècle, on recense un nombre particulièrement élevé de « nouveaux entrants » au concours depuis quinze ans, tels Charles Sorel (2001), Cyrano de Bergerac (2005), Rotrou (2008), Théophile de Viau (2009), Tristan L’Hermite (2014) et Fénelon, qui, avec ses deux occurrences en quinze ans (1995 et 2010) est devenu un « auteur classique » des agrégations littéraires très récemment.

22Cette tendance innovante des programmes est, bien sûr, le signe d’une juste réévaluation de ceux qu’on a appelé longtemps les minores, auteurs qui, pour des raisons historiques et la canonisation de quelques vedettes par les histoires littéraires, se sont longtemps trouvés exclus de la consécration institutionnelle qu’est l’agrégation. Cette tendance, que je salue à titre personnel, implique cependant logiquement une part décroissante de la part des auteurs canoniques : les « trois couronnes » dramatiques du xviie siècle, mais aussi La Fontaine, Madame de Sévigné ou Pascal, verront probablement à l’avenir leur participation au concours s’espacer. Peut-être les treize ans qu’il a fallu attendre Corneille depuis 2002 sont-ils aussi le signe de cette évolution.

23Néanmoins, nos relevés relatifs aux 59 années du concours confirment bel et bien les analyses d’Anne-Marie Thiesse et d’Hélène Mathieu de 1981, et nuancent ainsi le constat intermédiaire fait par Emmanuel Fraisse en 2004. Même si l’ouverture de l’agrégation est devenue une réalité, elle touche de fait assez inégalement les siècles de littérature française. Pour la période interrogée, le xxe siècle (38 auteurs différents) et le Moyen Âge (18 auteurs et 14 œuvres anonymes) surtout, mais aussi le xixe siècle (25 auteurs), présentent une grande variété de textes et d’écrivains. En revanche, pour les siècles intermédiaires, le xvie (21), et plus particulièrement les xviie (18) et xviiie siècles (16 auteurs et une œuvre anonyme), la relative « concentration patrimoniale autour de quelques auteurs12 » reste incontestable, et Corneille en fait bien l’objet.

24Après avoir mené cette première enquête quantitative et constaté une fragilité du classique Corneille par son taux dissertatif assez faible en Lettres Modernes et en Grammaire, alors qu’il est un auteur tout à fait récurrent à la dissertation des Lettres Classiques, tentons de caractériser un peu plus finement son image par une appréciation qualitative. Quels sont les traits dessinés par le choix de ses textes au concours ?

Silhouettes cornéliennes : le choix des œuvres

25Sans surprise, on trouve parmi les œuvres cornéliennes les plus prisées à l’agrégation les pièces suivantes (jusqu’ici, aucune œuvre n’a figuré au programme de littérature française plus de deux fois) :
– Le Cid (1989, 2002). Il paraît étonnant qu’il ait fallu attendre cette apparition pendant près de trente ans, attente récompensée cependant par le sujet de dissertation de 1989.
– Cinna (1998, 2015)
– L’Illusion comique (1961, 2002).
Peut-être devait-on aussi se douter de la distinction de
– Nicomède (1969, 1998) et de
– Suréna (1975, 1989).
Mais qui, sincèrement, aurait misé sur
– Clitandre et
– Mélite, deux œuvres qui ont toujours marché de pair au concours jusqu’ici (1961, 1982) ?
Pour compléter le tour d’horizon, les occurrences simples ; d’abord, celles qui sont attendues, voire celles dont on aurait donné plus cher :
– Médée (1961). On aurait pu penser qu’elle serait promise à plus de succès au concours, comme, peut-être,
– La Place Royale (1961) et
– Rodogune (1969), particulièrement chérie par l’auteur, puis
– Polyeucte (2015), bel exemple du sublime.
Parmi les titres moins attendus, sans être complètement surprenants, on répertorie
– Sertorius (1975)
– Othon (1989)
– La Mort de Pompée (1969) et
– La Galerie du Palais (1961).

26Voilà le bilan : une liste exhaustive de quinze œuvres, dramatiques exclusivement – constat qui mérite d’être fait. Non qu’on doive mettre à l’agrégation les Vingt Poèmes des Triomphes de Louis le Juste, par exemple, mais on pourrait penser à intégrer, par exemple, les Trois Discours, en les adossant à l’étude d’une ou deux pièces. Quinze sur un choix théorique de trente-quatre pièces de la production dramatique cornélienne13 : rien que statistiquement, l’œuvre de Corneille est sous-exploitée. Contrairement à la production (plus restreinte, certes) de Racine, dont presque toutes les pièces y sont passées, sauf Alexandre le Grand et les Plaideurs, celle du Rouennais est marquée par une particulière tendance à la patrimonialisation partielle opérée par l’agrégation.

27Peut-être y a-t-il, dans le très vaste panorama des œuvres cornéliennes, quelques-unes qui se prêtent moins au concours de recrutement de professeurs de lettres. Il n’est pas exclu qu’il y ait ici ou là un ratage littéraire14 – je laisse les spécialistes du xviie siècle juges de cet éventuel critère – ou, simplement, des textes qui ont mal vieilli ou qui soulèvent plutôt des questionnements de recherche, au lieu d’intéresser l’enseignement. Mais on peut penser surtout que c’est cette image particulièrement statique et figée qu’on se fait de Corneille, héritée des histoires littéraires et aussi des appréciations à l’ancienne qui ont tendance à valoriser certains aspects d’une œuvre et certains pans d’un œuvre, image de marque qui pourrait donc être responsable d’un choix assez limité.

28Quel sont justement ces aspects particuliers, les différents visages de Corneille que révèle le concours ? Dans un premier temps, les programmes exhibent une démarche strictement biographique. On fait lire d’abord le « jeune Corneille », donné en 1961 – avec ce choix, déjà évoqué, de Mélite, Clitandre, La Galerie du Palais, La Place Royale, Médée et L’Illusion comique, donc composé de textes de 1629 à 1636, époque de laquelle on retranche cependant La Veuve et La Suivante. Le « jeune » auteur, explicitement revendiqué par le rapport du jury, fait ainsi suite à un programme (implicite) du « Vieux Corneille », donné quelques années auparavant, à l’agrégation de Lettres (Classiques), avant que ne soit créée la section distincte de Lettres Modernes. Suit logiquement pour compléter, en 1969, un « Corneille de l’âge moyen » qui est aussi « le Grand Corneille », avec La Mort de Pompée (1643-1644), Rodogune (1644-1645 ?) et Nicomède (1651), mais aussi le « Vieux Corneille », célébré via Sertorius (1662) et Suréna (1674). On réinvestit donc à travers le programme des catégories biographiques et dramaturgiques installées par Corneille lui-même15, par la critique et assimilées par le grand public : le « jeune » Corneille » vs le « vieux », en passant par le « Grand ».

29Le Corneille du bicentenaire de la Révolution pourrait-être appelé « l’archi-classique », représenté par Le Cid, Suréna (encore !), et Othon. C’est un choix prototypique aussi : Corneille, c’est l’auteur du Cid et le grand auteur tragique. Cette image dominante dans l’imaginaire collectif est servie aussi en 1998 avec les grandes tragédies politiques romaines, Nicomède et Cinna. Le « Corneille scolaire » prend la suite, en 2002, avec des pièces très étudiées en collège et lycée, Le Cid (encore !) et L’Illusion comique. Enfin, le programme de 2015 se consacre à une année en particulier : 1641, qui voit la création au Théâtre du Marais de Cinna (à nouveau programmé) et de Polyeucte. On ne peut se départir de l’impression que ces dernières fois, depuis 1989, on tourne un peu en rond, lorsqu’on voit revenir les mêmes pièces au programme de l’agrégation. Tout semble fait pour arrêter dans les esprits une image particulièrement fixe de Corneille, qui évoque instantanément Le Cid, la tragédie romaine (pour l’essentiel) et l’hyper- ou la méta-théâtralité, avec l’Illusion comique. Cela semble d’autant plus étonnant qu’il y a eu, depuis les années 1980 ailleurs, la « dé-classicisation » du concours que nous avons mentionnée.

30Qu’y a-t-il de mal à cela, pourraient rétorquer certains, puisqu’il s’agit de former, à travers l’étude du programme, de futurs enseignants du secondaire, qui doivent par la suite transmettre les valeurs essentielles de la littérature françaises à leurs ouailles ? Et que l’agrégation impulse la création d’un canon, ou le consolide ? Enfin, cette rigidité de l’image cornélienne, ne serait-elle pas aussi un reflet de l’intérêt et de l’activité scientifique ? Indubitablement, il existe plus d’articles critiques portant sur Cinna que sur Héraclius, plus de monographies dédiées au Cid qu’à Pulchérie. Mais comment a-t-on sérieusement pu oublier certaines œuvres importantes de la production cornélienne, qu’on étudie de fait dans les établissements scolaires, ne serait-ce que par extraits, des œuvres qui ont eu leur importance dans l’histoire littéraire : Le Menteur, première comédie de caractère française, ou Horace, considéré comme la première tragédie classique en France ?

31Horace, s’il a été sans fortune au programme de littérature française, peut cependant faire prévaloir sa sélection pour un programme de littérature comparée16, en 1987, intitulé « L’épreuve des valeurs héroïques au théâtres », qui lui associe Ajax de Sophocle, Coriolan de Shakespeare, puis le Prince de Hombourg de Kleist. Déjà en 1973, le thème de l’illusion était étudié dans les pièces de Corneille, Shakespeare et Calderon. En 2019, les agrégatifs de Lettres Modernes réfléchissent à nouveau sur Cinna ; à ses côtés, nous trouvons Richard III de Shakespeare, Boris Godounov de Pouchkine et La Résistible Ascension d’Arturo Ui de Brecht, étudiés sous l’angle du « Pouvoir en scène ». En 2011, l’arrivée de Médée varie un peu l’approche des œuvres cornéliennes à l’agréation de Lettres Modernes ; on l’étudie de concert avec Titus Andronicus de Shakespeare, Viol de Botho Strauss et Anéantis de Sarah Kane pour la question « Théâtre et violence ».

32Quelles réponses apportent pour leur part ces programmes de littérature comparée à nos questionnements ? Si grâce à Horace, l’éventail des œuvres s’élargit minimalement, portant au total à seize le nombre de textes cornéliens programmés à l’agrégation de Lettres Modernes, le rapide retour de Cinna en 2019, s’il est pertinent aux yeux de la question, semble malgré tout un peu manquer d’inspiration, quatre ans à peine après sa présence en littérature du xviie siècle. Les propositions des programmes au jury se faisant par le biais des sociétés savantes, on sait qu’elles travaillent indépendamment les unes des autres. Mais pour la même thématique, n’aurait-on pas pu penser à Héraclius, Pertharite, Othon, Nicomède, Attila ou Sophonisbe ?

33Or, les programmes de littérature comparée, de façon peut-être accrue, ont pu et peuvent encore avoir tendance à sélectionner des œuvres et des auteurs prototypiques. C’est sans doute la raison pour laquelle on trouve Corneille en si bonne compagnie : Shakespeare est son compagnon de route constant en littérature comparée. Fleurons et emblèmes du théâtre français et anglais, les deux grands auteurs incarnent respectivement leur production dramatique nationale. Aussi ne s’étonne-t-on pas non plus de voir leurs œuvres s’inscrire dans des thématiques encore « classiques » de l’interrogation sur le théâtre (comme sur Corneille, on le verra) touchant les « valeurs héroïques », « l’illusion », thème cher au baroque, et l’interrogation sur le pouvoir. Pour sa part, la question moins commune « Théâtre et violence », traitée par le biais d’un programme également plus audacieux, innove et apporte une touche sauvage et originale à la noble image de Corneille.

Corneille à toute épreuve

34Ce sont aussi les sujets de réflexion proposés aux candidats dans les différentes épreuves d’admissibilité et d’admission qui nous éclairent sur la perception de Corneille et de son œuvre. Afin de dégager plus facilement cette hétéro-image cornélienne, nous laissons de côté ici à bon escient la deuxième composition et le commentaire composé de l’oral, dont la perspective comparatiste n’a pas les mêmes ambitions que les exercices de littérature française, qui étudient Corneille en soi et pour soi. Avant d’interroger les épreuves-reines de l’écrit et de l’oral, la dissertation et la leçon, évaluons le succès du Rouennais en grammaire et en explication hors programme.

35Dans l’étude grammaticale d’un texte de langue française postérieur à 1500, Pierre Corneille, en 1961 et 1975, fait jeu égal avec les auteurs suivants, tous sollicités à deux reprises : Apollinaire, Baudelaire, Du Bellay, Hugo, La Fontaine, Montaigne, Pascal, Rousseau et Verlaine. En revanche, le seul auteur tous siècles confondus à avoir été sélectionné trois fois, c’est pour l’instant Racine (en 1963, 1972 et 2018, avec des extraits de Phèdre, Bajazet et Athalie), qui « rase la prose, mais avec des ailes », selon le mot attribué à Jules Lemaître et repris par Leo Spitzer17. Mais le fait de figurer parmi la petite dizaine d’auteurs les plus souvent choisis pour étudier la langue française moderne fait de Corneille indubitablement un emblème : l’un des phares du style classique – même si cette distinction remonte à quarante-cinq ans aujourd’hui.

36Pour illustrer le style cornélien, le jury retient en 1961 les vers 949-974 de Mélite (1961), situés dans l’acte III, scène 4 : Cloris, après avoir vu les fausses lettres que le personnage éponyme aurait écrites à Philandre, y fait la morale à son frère Tircis, anéanti par le chagrin d’amour et la jalousie ; elle affirme que « Mélite n’est pas une pièce si rare » (v. 956), et qu’il pourra se consoler aisément – une très belle page de polémique. La scène 3 de l’acte III de Suréna est choisie en 1975 : Orode, roi des Parthes vexé dont Suréna a refusé la fille, interroge la sœur de ce dernier, Palmis, sur l’amour déçu qu’elle porte toujours au fils d’Orode, Pacorus. La scène, qui fait déjà sentir la sourde menace qui plane sur Suréna, oppose l’aveu de Palmis, aussi fervent que pathétique, au discours de la raison d’État tenu par le roi des Parthes. Une page de comédie, une autre de tragédie – Corneille est bien représenté dans la diversité de sa production à l’épreuve de grammaire, à laquelle il a figuré aussi souvent qu’à la dissertation de littérature française.

37Quant à l’épreuve de l’explication hors-programme, réussit-elle à Pierre Corneille ? Les données sont à produire difficilement ici, pour plusieurs raisons. D’abord, il ne peut y figurer chaque année, en raison de sa présence fréquente au programme de littérature française. Si on fait abstraction des « années Corneille » (8) et de celles qui suivent immédiatement18, on constate que le Rouennais est retenu pour le hors programme une bonne quinzaine de fois dans les quarante-trois années possibles. Sa participation à cette épreuve est donc loin d’être automatique et s’élève à environ 40 %. Il y a des séries d’années avec Corneille, et des paires d’années sans lui : comme pour tout autre auteur, il peut y avoir des préférences personnelles des jurés qui jouent ici. Ce qui frappe, c’est une récente série de trois ans (2011-2013) pendant laquelle on n’interroge pas ses œuvres, situation inédite depuis 1960.

38Autre difficulté, les rapports sur les épreuves d’admissibilité en général et sur l’explication hors programme en particulier ne sont pas standardisés, ni toujours complets : les informations sur les auteurs et les œuvres parviennent donc de façon hétérogène. Pour les années dans lesquelles les rapports sont complets pour toutes les épreuves, on indique parfois juste la présence de l’auteur ; dans d’autres, le nombre d’extraits tirés des œuvres : entre trois et dix-sept, pour Corneille. Dans certains rapports figurent vaguement son « théâtre » (ou « les œuvres théâtrales ») ou ses « comédies », alors que les plus pointilleux rapporteurs détaillent les textes retenus et explicitent le nombre d’extraits choisis. Qualitativement, le recoupement entre les pièces rencontrées dans les programmes de littérature française et celle de l’explication hors programme est important. Par ailleurs, l’explication dite improvisée répare deux oublis que nous avions relevés précédemment : est aussi sollicité lors de cette épreuve Horace (souvent), puis Le Menteur (occasionnellement). Autre nouveauté, dans l’explication de texte apparaissent aussi les Stances lyriques, dont la taille se prête bien à l’exercice, et dont l’utilisation scolaire ultérieure, avec ou sans l’aide de Georges Brassens, est plaisante.

39Anecdotique, parce que hors périmètre de recherche, mais intéressant tout de même, est le choix très occasionnel de Corneille dans une épreuve de l’agrégation de Lettres Classiques ou encore dans celle de Grammaire : pour le thème grec ont pu être proposés la scène 2 du deuxième acte de l’Illusion comique (le Matamore à Clindor) et un extrait du Discours de la tragédie de Corneille – à l’instar de la préface des Plaideurs de Racine, qui apparaît également parmi les sujets.

40C’est, bien sûr, la dissertation française qui intéresse tout particulièrement les spécialistes de Corneille, les agrégatifs et leurs professeurs. Au total, entre 1960 et 2019, sept sujets de composition ont été proposés : deux en Lettres Modernes, un en Grammaire et quatre en Lettres Classiques. Nous les présentons tous ici, afin d’élargir notre base de réflexion :

Trouveriez-vous dans Sertorius et Suréna un reniement ou une suprême fidélité de Corneille envers lui-même ? (Lettres Classiques, 1975),

41jolie interrogation sur l’auto-appropriation ou l’auto-rejet, mais aussi sur l’évolution du dramaturge. Proche de ce sujet, un plus récent exemple, qui se tourne également vers l’héroïsme :

Robert Garapon écrivait, à propos du rôle de Matamore dans L’Illusion Comique : « On a souvent dit qu’en écrivant ce rôle de fanfaron, Corneille pensait déjà au Cid ; c’est peut-être vrai, mais non pas au sens où on l’entend s’ordinaire [sic]. En prêtant à son bravache des paroles héroïques qui ne recouvrent aucune réalité, Corneille ne se prépare pas à faire parler Rodrigue, il lui fait place nette ; il discrédite l’héroïsme tout extérieur des héros de romans et de tragi-comédies, dont les mille prouesses ne coûtent rien à raconter. Le futur auteur du Cid sait déjà que le véritable héroïsme est intérieur, et il saisit l’occasion qui lui est offerte de montrer combien les grands mots sont faciles. »
À la lumière des pièces de Corneille inscrites au programme, vous apprécierez la pertinence de ce jugement. (Lettres Classiques, 2002)

42Sans surprise, la question de l’héroïsme produit aussi un sujet sur le dilemme ; le choix dit cornélien fait ainsi l’objet d’une analyse à partir de Cinna et de Polyeucte, en 2015 :

Vous analyserez et discuterez ce jugement d’André Stegmann à la lumière de votre lecture des œuvres de Corneille au programme :
« La détermination héroïque suppose […] une prise de connaissance parfaite de la situation et un effort de volonté pour réaliser un ordre supérieur, qui contraint l’individu à renoncer à son droit essentiel ou à son propre bonheur. Il en sortira broyé et magnifié. Se réaliser, c’est se renoncer. Tel est le paradoxe héroïque. » André Stegmann, L’Héroïsme cornélien, genèse et signification, Paris, Colin, 1968, t. 2, p. 409. (Lettres Classiques, 2015)

43Investigation sur le statut ontologique de la parole, le sujet de dissertation de l’agrégation de Grammaire permet de croiser les questions d’héroïsme, d’énonciation et de théâtralité :

Jean Schlumberger écrit de l’œuvre dramatique de Pierre Corneille : « Nul théâtre où l’on mente autant. On y ment, non point par peur ou faiblesse, mais par politesse ou diplomatie ; et l’on y ment beaucoup par courage. On ment moins pour cacher ses sentiments que pour les nier et commencer à les détruire. On se ment beaucoup à soi-même, et dans le même sens, non pour se flatter ou s’épargner des difficultés, mais d’une manière active et créatrice, pour imposer une loi au désordre intérieur. » (Tableau de la littérature française, 1939).
Vous examinerez dans quelle mesure les diverses manifestations du mensonge que l’on peut relever dans le Cid, Othon et Suréna permettent aux héros de Corneille d’inventer leur vérité. (Grammaire, 1989)

44L’esthétique cornélienne est cernée par deux autres sujets, d’abord, sa « grandeur », qui relève du sublime selon Octave Nadal :

Analysant la source de la grandeur cornélienne, Octave Nadal affirme : « Son principe réside dans un désir de gloire qui ne nous permet pas d’établir ce théâtre du sublime sur le plan d’une morale des valeurs. Ou bien il faut consentir à identifier grandeur et valeur, gloire et vérité, et tenir l’exercice des passions pour celui des vertus. L’âme grande n’est pas l’âme juste ; la générosité des cornéliens est le plus souvent une cruauté. […] Mais il faut bien saisir que ce mouvement libérateur n’est pas non plus celui de la possession, qu’il tend au contraire à se déprendre de l’objet de son désir et qu’il fait ainsi paraître jusqu’à l’évidence le témoignage irrécusable d’une nature enfin dépassée. Telle est l’élévation chez Corneille, c’est-à-dire le sublime. » Dans quelle mesure ce propos éclaire-t-il votre lecture des trois tragédies de Corneille au programme ? (Lettres Classiques, 1998).

45L’« éblouissement » que produit le théâtre cornélien et son héros pour Jean Starobinski – sans doute l’un des critiques les plus sollicités à l’agréation, quant à lui – fait l’objet même de deux réflexions, en 2015, comme déjà en 199819 ; il permet d’introduire la question de la réception et de la lier au spectaculaire, à la théâtralité et à l’essence héroïque :

« Corneille est ainsi le poète de la vision éblouie – vision dont la pleine capacité est heureusement comblée de lumière. Loin d’être trompeur, cet éblouissement consacre l’essence de la valeur vraie des êtres admirables. L’œil ébloui est le témoin d’une grandeur surpassée, à l’extrême limite de la clarté soutenable. Au-delà, l’éblouissement deviendrait un trouble, mais Corneille ne va pas au-delà. » (Jean Starobinski, L’Œil vivant, Paris, Gallimard, 1961, p. 71-72).
Vous commenterez et discuterez ces propos. Dans quelle mesure éclairent-ils votre lecture personnelle de Cinna et de Polyeucte ? (Lettres Modernes, 2015)

46Intellectuellement stimulants, tels que les rapports du jury, qui s’appuient sur la recherche récente, les sujets de dissertation ne mettent pas en question une certaine fixité de l’image cornélienne, mais la corroborent. Ainsi abordent-ils la question de l’évolution dramaturgique entre le jeune et le vieil auteur, l’esthétique et l’héroïsme cornéliens dans des termes prototypiques, qui évoquent la « grandeur », le « sublime » ou la luminosité éblouissante produits par le poète rouennais, également père du dilemme que lui associe spontanément un plus grand public.

47Les rapports sur la leçon, conformément à ce constat relatif aux écrits de l’agrégation, ne dérogent pas non plus aux attentes, ni dans le choix des études littéraires (on donne simplement un acte d’une pièce), ni dans celui des leçons proprement dites. Nous ne nous intéresserons pas ici aux études des personnages (Alidor dans La Place Royale, Cléopâtre dans Rodogune, le Matamore dans l’Illusion comique, …), attendus et logiques : ils n’apportent pas d’information sur l’image spécifique de l’auteur. En revanche, les sujets plus conceptuels, thématiques ou techniques, sont plus parlants.

1. Sujets thématiques

48– La vie parisienne et l’actualité (1961) ou Rome, dans Nicomède (1969H20) ou Séville, Rome, Séleucie (1989)
– Corneille et la morale (1961)
– Les âmes basses dans Pompée et Nicomède (1969F)
– Nicomède, homme d’état [sic] (1969F)
– La politique dans La Mort de Pompée (1969H) ; Un théâtre politique ou un théâtre politicien ? (1998)
– Les relations fraternelles (1969F)
– Héros et héroïsme dans Sertorius (1975F) ; Héroïsme et royauté (2002)
– L’inconstance dans Mélite et Clitandre (1982)
– Soldats et capitaines (1989)
– La mauvaise foi (1989)
– Vengeance de femme (1998)
– Un théâtre de la liberté ? (1998)
– Le passé dans Cinna (1998)
– Les images de la cour (1998)
– Les passions (1998) ou l’amour (1998)
– Énergie et amour dans Le Cid (2002)
– L’épée et le sang dans Le Cid (2002)
– Mensonge et vérité (1998)
– Être et paraître dans Le Cid (2002)
– Le tyran (1998)
– Parents et enfants (1998)

2. Sujets techniques

49– L’épique (2002)
– Les notions de « comédie » et de « tragi-comédie » d’après les œuvres de jeunesse de Corneille (1961)
– Nicomède, tragédie ou tragi-comédie ? (1969H)
– La Rodogune de Corneille est-elle une pièce classique ? (1969H)
– Rodogune, un mélodrame ? (1969F)
– Suréna « poème tragique ». (1975H)
– Sertorius, tragédie classique ? (1975H)
– L’action dans Suréna (1975H)
– La folie d’Éraste, « ornement de théâtre » ? (1982)
– La mise en spectacle de la violence dans Mélite et Clitandre (1982) ; le spectaculaire (2002) ; L’éclat dans les deux pièces (2002)
– L’acte V dans les œuvres de Corneille au programme (1969F) ou le dénouement (1998)
– Les expositions (1998)
– Le vraisemblable (1998)
– L’art de la conversation dans Sertorius (1975H)
– Le monologue dans Clitandre (1982)
– Les récits (1998)
– La versification de La Place Royale (1961) ; le vers (1998)
– Argumentation, articulations et figures du discours dans l’acte III de la Mort de Pompée (1969H)
– Langage oratoire et langage dramatique dans les œuvres de Corneille au programme (1969F)

3. Morceaux choisis ou vers célèbres

50– « Ah, pour estre Romain, je n’en suis pas moins homme » (Sertorius, IV, 1, v. 1194) (1975H)
– « Toujours aimer, toujours souffrir, toujours mourir » (1975H)
– « C’est peu que de la main, si le cœur en murmure » (Suréna II, 2, v. 462) [la leçon porte sur les deux pièces]. (1975H)
– « Que c’est un sort cruel d’aimer par politique » (Sertorius I, 3, v. 370) [la leçon porte sur les deux pièces] (1975H)
– « La seule Politique est ce qui nous émeut ». (Suréna, III, 3, v. 1035) [la leçon porte sur les deux pièces] (1975H)
– « J’ai mieux aimé divertir les yeux qu’importuner les oreilles » (préface de Clitandre, p. 9). N. B. : La leçon porte sur Clitandre (1982)
– « Pymante et Dorise y ont le plus grand emploi, mais ce ne sont que deux criminels » (Examen de Clitandre, p. 116) (1982)
– « Meurs ou tue », Le Cid, I, 5 (1989)
– « Le destin des grandeurs souveraines » (1998)
– « le beau succès d’une amour si parfaite » dans Le Cid (2002)

4. Sujets insolites

51– Quel est, pour nous, l’intérêt de Clitandre ? (1961)
– Aimez-vous l’Illusion comique ? (1961)
– La prédilection de Corneille pour Rodogune (1969F)
– L’acte V de Mélite peut-il « passer pour inutile » (Examen, p. 137) ? (1982)

52Les sujets reproduits sont représentatifs – mais non exhaustifs, en raison du nombre important de leçons proposés –, et ils sont assez conformes à l’hétéro-image de notre auteur : Corneille, c’est surtout l’auteur de la tragédie politique, le poète moral, puis le théoricien et praticien dont certaines œuvres permettent de questionner les notions dramatiques associées au classicisme – mais aussi, bien plus rarement, au baroque (comme « l’inconstance »). Les sujets de leçon sont variés et permettent de creuser les questions esthétiques (ainsi « la mise en spectacle de la violence », « l’épique », « l’art oratoire »). Mais ils restent tributaires, tout logiquement, d’un choix qui est fait bien en amont : celui des pièces retenues. D’importantes facettes de l’œuvre cornéliennes sont ainsi minorées, telle que la comédie, l’héroïsme au féminin, les pièces à machines ou encore la spiritualité.

53Force est de constater que Corneille attend encore sa révolution au concours. Sa présence continuelle au programme des agrégations de Lettres entre 1960 et 2019, à huit reprises, est réelle. Cependant, ce pilier parmi les auteurs de l’agrégation est aussi un hyperclassique, fragilisé par un taux dissertatif bas en Lettres Modernes et en Grammaire : tout en étant un Moderne, Corneille semble ainsi davantage appartenir aux Lettres Classiques, qui dissertent sur lui à quatre reprises. S’il est vrai qu’il fait partir des auteurs les plus souvent choisis pour l’épreuve de grammaire postérieure à 1500 à l’agrégation externe de Lettres Modernes, sa double élection dans ce champ commence sérieusement à dater (1975). Compagnon de route de Shakespeare lorsqu’il apparaît au programme de littérature comparée, le poète représentatif du patrimoine littéraire français est bien présent également dans l’épreuve d’explication hors programme – mais moins systématiquement qu’on ne pourrait le croire.

54Disposant d’un vaste œuvre dramatique que les programmes de littérature ont jusqu’ici sous-exploité, Pierre Corneille possède peut-être en raison de ce choix limité à une quinzaine de ses pièces une image d’une particulière fixité, celle de l’auteur tragique et moral à la langue aussi noble qu’affûtée : il est un monument. Or, la réduction à cette image partielle d’un auteur qui possède bien plus de facettes, sans qu’elle soit fausse, paraît dangereuse. Comme pour Racine ou Voltaire, sujet à de semblables simplifications, « [i]l y aurait lieu de se demander si un tel procédé ne permet pas d’éliminer, en les passant sous silence, tous les aspects “problématiques” d’une œuvre et d’une biographie inscrites dans l’histoire sociale et de réduire les écrivains au seul rôle de producteurs de textes classiques21. » Or, afin de dynamiser, voire de dépoussiérer un peu l’image de Corneille, pour empêcher ainsi son œuvre de devenir une « nature morte22 », on peut rêver à des programmes innovants de littérature française, qui scruteraient le Rouennais avec de nouveaux yeux. Voici quelques possibilités qu’ouvre la production cornélienne :
– Le Corneille des machines : Andromède, La Toison d’Or
– Corneille le Grec : Agésilas, Œdipe
– Corneille à Constantinople : Héraclius, Pulchérie
– Corneille le Barbare : Attila, Pertharite
– Le Programme des Romains oubliés : Horace, Titus et Bérénice, Sophonisbe
– Les pièces chrétiennes : Théodore et Polyeucte (en équivalent d’Esther et Athalie de Racine, programmés deux fois)
– Femmes cornéliennes : Sophonisbe, Rodogune, Pulchérie
– Les comédies oubliées : Le Menteur, La Suivante, La Veuve
– De la comédie de caractère à la comédie héroïque : Le Menteur, La Suite du Menteur, Don Sanche d’Aragon
– Petits meurtres en famille : Horace, Médée

55Et l’après-concours ? Les professeurs du secondaire aiment-ils encore Corneille ? Une enquête privée non représentative, menée auprès d’amis variés qui enseignent les lettres en collège et lycée – pourtant majoritairement en Normandie ! – est peu équivoque. Si personne ne réplique encore aux stances du Rouennais, à l’instar de Brassens, « J’ai vingt-six ans, mon vieux Corneille… », les collègues qui le lisent en œuvre intégrale semblent exceptionnels, la plupart des enseignants ayant aujourd’hui « un faible pour Racine23 ». Parmi ses œuvres, ce sont alors Le Cid et Médée qui sont cités pour le cycle lycée. La dernière donne lieu à des explorations pédagogiques très stimulantes, comme en témoigne la réponse d’un collègue justifiant son choix :

Parce que c’est une œuvre magistrale.
Parce que cela permet de parler de la tragédie lyrique de Charpentier sur le livret du frérot Thomas.
Parce que cela permet de parler de la machinerie théâtrale.
Parce que cela permet de montrer que cette pièce manifeste une avancée vers le classicisme […] tout en restant une pièce « baroque » (avec des guillemets parce que : que signifie « baroque » ?)
Parce que cela me permet de montrer la chorégraphie de Preljocaj « Le songe de Médée » qui « montre » le meurtre des enfants.

56Souvent difficile à placer en collège selon un autre témoignage, « parce que la langue est beaucoup trop ardue », Corneille peut toutefois intégrer une séquence de 3e de ZEP (« Continuité et renouvellement du tragique »), avec les imprécations de Camille dans Horace, œuvre appréciée à ce niveau d’études en extrait, comme Cinna et Le Cid. À titre d’exemple, les extraits de Corneille cités pour le lycée sont issus de Médée, mise en parallèle avec celle de Max Rouquette, de Suréna – « pour le trimètre “Toujours aimer, toujours souffrir, toujours mourir” » – ou, choix moins fréquent, de Tite et Bérénice, pour comparer sa fin à celle de Bérénice.

57Un classique vivant, c’est celui qui est lu, c’est celui qu’on confronte à la pensée critique, aux élèves, aux étudiants et aux jeunes herméneutes d’aujourd’hui, parmi lesquels figurent les candidats à l’agrégation : Corneille, auteur toujours emblématique et reconnu comme exemplaire24, n’y fait pas exception. C’est encore Jean Starobinski, qui, dans son étude « Sur Corneille » (dans L’Œil vivant), reprise dans le sujet de dissertation en Lettres Modernes de 1998 sur Le Cid, Othon et Suréna, a cerné la particularité de l’être exceptionnel qu’est le héros, mais dont les caractéristiques pourraient bien aussi s’appliquer à son créateur :

« L’individu a beau déployer la plus véhémente énergie, il n’est rien sans l’écho que lui renvoie l’admiration universelle. Que l’assentiment extérieur lui soit refusé, que le secours du spectateur ébloui vienne à manquer – reste alors une ombre qui s’agite vainement sur un tréteau où seule la mort est certaine. »
Vous direz dans quelle mesure ce jugement vous semble caractériser le destin du héros dans sa permanence et ses variations du Cid à Othon et à Suréna.

58L’avenir nous dira dans quelle mesure ce jugement caractérise le destin de l’auteur et celui de ses pièces dans leur permanence et leurs variations, bref, dans les appropriations institutionnelles que pourra encore faire de Corneille la postérité – si elle le veut bien.

Notes

1 Aujourd’hui, les anciens « auditeurs » et les élèves (fonctionnaires stagiaires) sont reconnus comme « Normaliens » par leur inscription commune, durant quatre ans, au diplôme de l’ENS.

2 Voir André Chervel, Histoire de l’agrégation, Paris, Kimé, 1993, annexe 2 : Liste des concours d’agrégation de 1821 à 1992.

3 « Déclin de l’âge classique et naissance des classiques : l’évolution des programmes littéraires de l’agrégation depuis 1890 », Littérature, no 42, L’Institution littéraire I, 1981, p. 89-108. Tous auteurs confondus, Corneille tient la seconde place des auteurs programmés entre 1890 et 1914 dans l’agrégation des hommes (19 occurrences, après Racine, avec 20 occ.) comme dans celle des femmes (12 occ., après Molière, avec 13 occ.).

4 « Les universités face aux concours de recrutement », dans Les Enseignants et la littérature : la transmission en question, actes du colloque de l’université de Cergy-Pontoise, coordonné par Emmanuel Fraisse et Violaine Houdart-Mérot, Cergy-Pontoise, SCEREN-CRDP Académie de Créteil et CRTH de l’Université Cergy-Pontoise, 2004, p. 57-77.

5 Cette variable a été sujette à d’importantes modifications depuis les années 1960. Actuellement, la deuxième composition française et le commentaire composé de l’oral ont les coefficients respectifs de 10 et de 8.

6 Notre corpus d’enquête est constitué des rapports de jury 1960-2018, accessibles pour les plus récents en ligne (http://eduscol.education.fr/lettres/se-former/examens-et-concours/concours-externes-du-second-degre/agregation-externe-section-lettres-modernes/rapports-de-jury.html ou http://www.devenirenseignant.gouv.fr/pid34315/se-preparer-pour-les-concours-second-degre-jurys.html consultés le 23 janvier 2019), pour les plus anciens édités sous forme papier (Paris, CNDP).

7 Claudel figure au titre du xixe siècle en 2006, et pour le compte du xxe en 1965, 1979 et 1988.

8 Sans qu’elle reflète l’exhaustivité des pratiques enseignantes, la base de données ÉDU’Bases Lettres [accessible via http://eduscol.education.fr, consulté le 4 février 2019] répertorie bien moins d’exemples de séquences pédagogiques sur Corneille que sur tous les autres auteurs évoqués. Voir aussi infra, p. 15.

9 La notion a été interrogée lors des 13e Rencontres des Chercheurs en didactique de la littérature à l’Université Cergy-Pontoise en 2012, dont les actes reflètent les travaux stimulants : Les Patrimoines littéraires à l’école. Tensions et débats actuels, dir. Marie-France Bishop et Anissa Belhadjin, Paris, Honoré Champion, « Didactique des lettres et des cultures », 2, 2015. Voir notamment Annie Rouxel, « Recherches en didactique de la littérature et réflexivité critique », p. 9-16, ici p. 14 : « Lieux de la mémoire collective, les œuvres patrimoniales sont celles que la tradition nous a léguées (définition tautologique) et leur désignation repose sur un consensus implicite qu’il convient d’interroger. » « [C]onstruction culturelle et idéologique » (Marie-France Bishop et Anissa Belhadjin, « Les patrimoines littéraires à l’école : une notion à (ré)interroger », p. 17-27, ici p. 17), le patrimoine littéraire français, émancipation de l’héritage antique, est une idée relativement jeune, née à l’ombre de la défaite de 1871, comme l’explique Violaine Houdart-Mérot (« Le patrimoine littéraire dans le secondaire en France : une histoire fluctuante et politique », p. 31-44). Brigitte Louichon (p. 93-106) constate pour sa part un « second souffle patrimonial » en 2004, avec la réintroduction massive du terme dans les programmes depuis la maternelle jusqu’au lycée général et professionnel (« Le patrimoine littéraire : du passé dans le présent », p. 93). Voir aussi Nathalie Denizot, « Patrimonialisation de la littérature (xixe-xxe siècle) », p. 109-121, pour l’analyse des manuels et leur « amphitextualité » : préfaces, classements, « solidarités textuelles », etc.

10 Ralph Albanèse, Corneille à l’école républicaine. Du mythe héroïque à l’imaginaire politique en France, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 212.

11 « Les universités face aux concours de recrutement », art. cité, p. 66.

12 Ibid.

13 Décompte large, qui inclut la Comédies des Tuileries et l’Aveugle de Smyrne des Cinq Auteurs, mais non la Grande Pastorale, perdue.

14 Ceci étant dit, la présence au programme de telle œuvre ou de tel auteur a bien pu faire polémique dans l’histoire de l’agrégation.

15 Myriam Dufour-Maître s’est intéressée à l’auto-construction du « Vieux Corneille » et à son style tardif lors de son intervention au séminaire doctoral « Écritures du vieillissement », organisé par le GADGES à Lyon, le 30 janvier 2014 (sous presse).

16 Par année, il y a deux questions de littérature comparée : un nouveau programme et le programme de l’année précédente. Chaque question reste donc à l’étude pendant deux ans.

17 C’est l’exergue à l’article célèbre, « L’effet de sourdine dans le style classique : Racine » [« Die klassische Dämpfung in Racines », Romanische Stil- und Literaturstudien, Marburg, Elwert, « Kölner Romanistische Arbeiten », 1931], Études de style, traduction d’Alain Coulon, Michel Foucault et Éliane Kaufholz, Paris, Gallimard, « Tel », 54, 1980, p. 208.

18 Le rapport de 2018 dit explicitement qu’un auteur qui figure au programme de littérature française, outre son absence logique au hors programme de la même année, ne peut pas non plus y figurer ni l’année suivante, et s’il est choisi l’année d’après, ce ne peut être dans des extraits d’œuvres qui étaient programmées. Cette règle n’a pas toujours été en vigueur, même implicitement, comme le montrent les occurrences d’œuvres cornéliennes dans l’explication hors programme. Globalement, la règle de l’absence en l’année N+1 au moins a été appliquée, pour ne pas avantager les redoublants aux dépens des nouveaux candidats ; mais on propose tout de même des œuvres de Corneille en hors programme en 1976 et 2003, alors qu’il est lu en littérature française en 1975 et 2002. En revanche, un certain nombre de fois, Corneille est absent du hors programme l’année précédant sa présence en littérature française, comme en 1960, 1981, 1988, 1997, mais là encore, ce n’est pas systématique.

19 Il sera reproduit ultérieurement, voir p. 16.

20 Pour les années pendant lesquelles un double concours hommes / femmes est organisé, les sujets d’écrits sont identiques, les sujets d’oral diffèrent.

21 Anne-Marie Thiesse et Hélène Mathieu, « Déclin de l’âge classique et naissance des classiques…, art. cité, p. 104.

22 Ibid., p. 108.

23 Ce témoignage est conforme avec les analyses de Ralph Albanèse au sujet de l’actuelle désaffection scolaire de Corneille, profitant à Racine, voir Corneille à l’école républicaine. Du mythe héroïque à l’imaginaire politique en France, op. cit., p. 322.

24 Bien solide, sa place dans le canon ne fait pas de doute pour les étudiants belges, qui le citent comme l’un des auteurs représentatifs du théâtre (avec Molière, Shakespeare, Racine et Anouilh), du classicisme (en même temps que du baroque), pour Le Cid. Contrairement à Molière, il ne fait pas partie des cinq auteurs les plus cités de l’enquête de Jean-Louis Dufays et Manon Ronneau, « La formation littéraire dans le secondaire belge. Une enquête, des constats, des propositions », dans Les Patrimoines littéraires à l’école. Tensions et débats actuels, op. cit., p. 245-262. En France, une enquête menée par Anne Raymonde de Beaudrap, Dominique Duquesne et Yvon Houssais présente des résultats assez similaires. Interrogés sur les auteurs qu’ils se sentent le plus spontanément capable d’enseigner, les étudiants de première année d’IUFM et les professeurs stagiaires indiquent Corneille en troisième place pour le xviie siècle, derrière Molière, qui fait l’unanimité, puis Racine (Images de la littérature et de son enseignement, SCÉREN / CNDP / CRDP Pays de la Loire, 2004, p. 106-111).

Pour citer ce document

Beate Langenbruch, « Corneille, auteur de concours » dans Appropriations de Corneille,

Actes du colloque organisé à l’Université de Rouen en octobre 2014, publiés par Myriam Dufour-Maître

© Publications numériques du CÉRÉdI, « Actes de colloques et journées d’étude », n° 24, 2020

URL : http://publis-shs.univ-rouen.fr/ceredi/index.php?id=845.

Quelques mots à propos de :  Beate Langenbruch

ENS de Lyon, CIHAM (UMR 5648)
Beate Langenbruch a soutenu à l’Université de Rouen une thèse intitulée Images de l’Allemagne dans quelques chansons de geste des xiie et xiiie siècles (2007). Ses publications ont principalement pour sujet des textes médiévaux, mais elle s’intéresse aussi au siècle classique et à ses auteurs, à la représentation des identités nationales ou régionales et aux relations franco-allemandes, aux transferts culturels et réécritures des œuvres du Moyen Âge, ainsi qu’aux représentations des femmes.