Appropriations de Corneille

Actes du colloque organisé à l’Université de Rouen en octobre 2014, publiés par Myriam Dufour-Maître

Appropriations de Corneille

Réécritures, adaptations ou « inadaptations »

Le Cid de Massenet, Gallet, d’Ennery et Blau : une appropriation amoureuse

Sarah Nancy


Résumés

Le succès de l’opéra de Massenet, créé en 1885, est certes lié au contexte nationaliste et revanchard de cette reprise du Cid, qui exalte l’inspiration espagnole, contre Wagner. Mais la délicate adaptation du texte cornélien pour le chant fait apparaître, notamment dans les larmes de Chimène, non seulement la musicalité propre des vers de Corneille, mais ce qui, dans l’œuvre, a tracé son sillon de manière non linguistique. L’opéra devient ainsi « figure » de la tragédie, dans un geste qui complexifie et multiplie les parcours entre les deux œuvres.

Texte intégral

Cher Monsieur, je lis dans Le Figaro que M. Gallet s’occupe d’un Cid. Pour ne pas avoir l’air de lui prendre son idée (après Corneille), je vous serais bien obligé de mentionner que, depuis dix ans, nous travaillons avec mon ami [Victor] Massé, à un Cid inspiré de l’œuvre de Guilhem de Castro et que nous espérons bien le terminer après la Nuit de Cléopâtre. Ceci soit dit sans vouloir empiéter en rien sur les droits de M. Gallet. Le Cid appartient à tout le monde1.

1C’est en ces termes que le librettiste Jules Barbier, dans la Revue du monde musical et dramatique du 11 janvier 1879, répond au journaliste qui avait annoncé cet autre projet d’un Cid de Louis Gallet, destiné à être mis en musique par Jules Massenet. Malgré cette conclusion qui admet le caractère de propriété publique du héros espagnol, difficile de ne pas entendre l’aigreur : est-ce parce que l’appropriation a souvent quelque chose d’indu2, et qu’elle est toujours aussi expropriation ? Quel est ce privilège pour lequel se battent alors librettistes et musiciens ?

2Car on n’est pas loin de se battre, en effet. « Voilà un sujet que les musiciens ont oublié pendant des siècles [en fait, précisément un siècle, depuis l’opéra de Guillard et Sacchini en 1784] et que soudain ils veulent tous traiter3 ! » commente un journaliste de L’Art musical en janvier 1879. Bizet, qui est le premier à y revenir, compose presque toute la partie vocale d’un Don Rodrigue, avant que l’incendie de l’Opéra de 1873 ne le fasse renoncer à ce travail. Puis, dans les années suivantes, si l’on en croit les annonces et mises au point échangées dans la presse, on ne dénombre pas moins de trois projets autour du Cid : celui de Catulle Mendès, finalement mis en musique par Claude Debussy, ceux, déjà évoqués, de Louis Gallet et de Jules Barbier, et celui d’Émile de La Rue4. Certains rappellent même qu’Aimé Maillart, à sa mort, en 1871, travaillait lui aussi à un Cid Campéador5.

3Comment comprendre cette effervescence autour du Cid comme sujet d’opéra dans les années 1870-1880 ? Il faut, selon Béatrice Didier, prendre en compte les « facteurs » suivants : « le désir de répondre à l’influence wagnérienne et allemande, par le recours à des mythes non germaniques, le désir de ranimer la vaillance française, en faisant appel au style héroïque du Grand Siècle, le goût de l’Espagne et le succès de Carmen de Bizet (1875)6 ». Avec Le Cid, autrement dit, les compositeurs et librettistes auraient le désir de s’approprier un sujet répondant aux préoccupations politiques, un sujet soutenu par la valeur prêtée à un moment historique et littéraire, un sujet à la mode. Le geste d’appropriation serait donc un geste en grande partie utilitaire et intéressé.

4Dans quelle mesure sont-ce en effet ces circonstances et cette stratégie qui motivent l’appropriation du Cid de Corneille par Massenet et ses trois librettistes : Adolphe d’Ennery, Louis Gallet et Édouard Blau ? Et surtout, dans quelle mesure tout cela explique-t-il le succès de l’œuvre ? Car cet opéra, représenté pour la première fois en 1885 à l’Académie Nationale de Musique (Palais Garnier) est bien celui qui l’emporte dans cette « compétition des Cid7 » : en 1900, il a déjà atteint la centième représentation. Il sera ensuite régulièrement donné à Paris jusqu’en 1921, et connaîtra une vraie carrière internationale : Anvers, Francfort, Vienne, Rome, Nouvelle Orléans, Genève, New York8.

5Nous doutons que de telles déterminations suffisent, et c’est à la recherche d’une autre logique d’appropriation que nous partirons, d’abord en questionnant la portée nationaliste de cette reprise du Cid, puis le rôle du texte cornélien, avant d’analyser la manière dont l’opéra réinvente le personnage de Chimène.

Au service de l’identité nationale ?

6Que le sujet du Cid puisse servir à consolider l’identité nationale est l’interprétation qui s’impose le plus spontanément. « La défaite de 1870 a réveillé chez les Français un besoin de grandeur et d’héroïsme9 », écrit Jean-Claude Yon, et Rodrigue semble être l’homme de la situation : « [Corneille] est toujours vivant et vibrant, et tous les poètes qui l’ont chanté, ces jours-ci, lui ont redemandé de donner du ton à notre nation, de nous susciter encore un Rodrigue10 », lit-on dans le Courrier de Paris du 11 octobre 1874.

7Or, selon Vincent Vivès, commentant la création de la Société Nationale de Musique en 1871, la musique aurait en effet pleinement son rôle à jouer dans cette affirmation de la culture française, et surtout la musique vocale, « héraut éponyme et second » de la « Littérature », elle-même « représentation privilégiée » de la « langue, liée à un code social ainsi qu’à des stratégies de pouvoir11 ». Selon ce point de vue, en effet, quoi de mieux que de faire chanter Rodrigue pour « donner du ton » à ce nouvel élan nationaliste, pour reprendre l’expression du Courrier de Paris ?

8Il est vrai que l’opéra de Massenet est créé l’année qui suit le bicentenaire de Corneille, dont les commémorations, note encore Jean-Claude Yon, sont marquées par un fort esprit de « régénération nationale12 ». Il est vrai aussi que l’opéra a par moments des accents guerriers tout à fait aptes à servir l’exaltation patriotique. L’exemple le plus évident en est l’air « Ô noble lame étincelante13 », chanté par Rodrigue au cours de la cérémonie de l’adoubement. Avec son rythme martial, sa ligne ascendante pour la voix, qui atteint dès la quatrième note un Sib aigu, et la présence des trompettes, il réunit toutes les caractéristiques de l’air de bravoure. Et l’on peut même remarquer sur le vers « Pendant les injustes querelles14 », une modulation en mineur qui évoque celle de la Marseillaise au début du couplet : « Entendez-vous dans nos campagnes15… »

9Est-il alors opportun de s’étonner que ce héros au service des valeurs françaises soit espagnol ? Non, c’est le paradoxe du pittoresque. L’intérêt intense alors porté en France à l’Espagne (l’exposition universelle de Paris de 1878 donnera à voir la façade mauresque du pavillon espagnol ainsi que cette fameuse épée du Cid16) a pour effet d’atténuer la singularité de la référence. Le local parle facilement d’un autre local. Du reste, la référence espagnole – particulièrement exploitée dans les deux ballets : les danses espagnoles et les danses maures, très souvent jouées et enregistrées séparément en concert –, peut-être parce qu’elle ne prétend pas à l’authenticité, et parce qu’elle dialogue, par delà l’Espagne réelle, avec la Carmen de Bizet (créée en 1875 et reprise pour la première fois en 1883) correspond plus largement dans l’opéra à une rêverie d’ailleurs qui fait sortir de la logique étroitement nationaliste.

10Mais surtout, à un autre niveau, celui de la matière littéraire, la référence à l’Espagne apparaît précisément comme une force de déstabilisation de la logique nationaliste. En effet, le choix qu’ont fait les librettistes de recourir à Guillén de Castro et au Romancero du Cid pour revoir la structure et ajouter des épisodes (des épisodes épiques, comme l’adoubement, la scène au camp militaire, et des épisodes religieux, comme l’apparition de saint Jacques) est généralement célébré au motif qu’il améliorerait non seulement la capacité de la pièce de Corneille à être portée sur la scène lyrique (en satisfaisant la dimension spectaculaire requise par le genre17), mais aussi ses qualités intrinsèques, supposément restées inabouties en raison de la tyrannie des règles auxquelles le dramaturge se serait soumis contre son gré. C’est la vision que donne le musicologue Louis Laloy en 1925 : « Les auteurs ont très habilement mis en action tous les épisodes dont Corneille, par un respect pour les règles d’unité que d’ailleurs les pédants de l’époque n’estimèrent pas suffisant, ne fait que le récit18. » Et c’est encore celle de B. Didier : « L’unité de temps et de lieu auquel d’ailleurs Corneille eut toujours de la peine à se soumettre n’ont pas à être respectées et ne l’ont jamais été pour l’opéra qui accepte volontiers le merveilleux19. » On voit qu’en permettant de désigner comme étriqué cet idéal si français des règles théâtrales, la remobilisation des sources espagnoles au service de l’adaptation de la pièce en opéra a pour effet de troubler une certaine idée unifiée de la culture française. Corneille lui-même prend les traits d’un héros au sang chaud en butte à des contraintes trop rigides.

11En même temps, on voit bien que cette modulation de l’imaginaire du Grand Siècle français par le retour aux sources espagnoles n’entame en rien la portée nationaliste du sujet sur un mode défensif : tout ce qui compte, c’est que Le Cid ne soit pas allemand. Une telle polarisation est repérable dans les propos d’un journaliste du Ménestrel réagissant en mars 1884 à la rumeur selon laquelle Massenet ne travaillerait plus au Cid mais à une Loreley (de J. Barbier) : « Le plus volage de nos compositeurs renoncerait décidément aux amours trop brûlantes de Chimène qui l’effraient, pour se jeter dans les bras de la Loreley, la sirène allemande20 […]. » Cette représentation érotisée du matériau poétique, où le compositeur apparaît comme coupable de lâcheté amoureuse, fait bien apparaître le système de valeurs : choisir de rester fidèle aux « amours » de Chimène – puisque ce projet de Loreley sera finalement abandonné – équivaudrait, pour Massenet, à accomplir un geste français en tant que non allemand, autrement dit, si l’on se place dans le domaine musical, un geste français en tant que non wagnérien.

12Sauf que Massenet n’a jamais prétendu lutter contre Wagner. Au contraire, de retour de la tétralogie qu’il entend en 1883 à Bruxelles, il ne cache pas son admiration et le sentiment d’infériorité à l’égard de son propre travail : « quelle féérie ! quelle musique ! quelle douceur dans l’orchestration… », apprécie-t-il ; avant de se désoler au sujet de ses propres opéras : « Que devenir avec Hérodiade, Manon et… Montalte ??? c’est d’un toc21 !… ». Et si cela ne le conduit pas véritablement à emprunter à Wagner comme le font d’autres de ses contemporains (Chabrier, par exemple), sa musique n’a cependant pas du tout la charge critique que peut avoir par exemple celle de Debussy, dont la « physionomie même », comme l’analyse Adorno, contient la remise en cause de la « prétention métaphysique de la musique allemande22 ». On ne saurait donc conférer une valeur nationaliste à l’appropriation du Cid par Massenet et ses librettistes sans simplifier exagérément. Plus productif serait d’interroger la valeur nationelle de la musique, c’est-à-dire, comme le définit Adorno, le rapport de la musique à l’idée de nation et à l’idée d’universel23, ce qui ne ferait que souligner la labilité complexe de ces associations entre musique et identité nationale – la musique de Massenet ayant pu par exemple contribuer par son usage décomplexé du symphonisme et des motifs récurrents, à redéfinir, dans un autre système de références, une « italianité » musicale émancipée du modèle mélodique verdien24.

13Mettre Le Cid sur une scène d’opéra en 1885 n’est donc en rien la simple exaltation d’un mythe littéraire de la culture française, laquelle, avec cet étrange scénario d’une libération du texte cornélien par le secours de l’inspiration espagnole, tout comme avec cette proximité à la fois menaçante et familière de la musique allemande, apparaît bien plutôt comme divisée et composite.

La gloire du texte

14Alors si le succès de cette appropriation ne se laisse pas seulement comprendre par le besoin d’affermir l’identité nationale, faut-il se tourner, pour l’expliquer, vers l’évident bénéfice littéraire qu’il y a à tirer du chef d’œuvre ? « [L’]amour et [l]a fascination [de Massenet] pour la langue du Grand Siècle éclatent à chaque page d’un livret qui cite Corneille, fût-ce dans le désordre », pouvait-on lire sur la page de présentation de l’Opéra de Paris pour la saison 2014-2015. Et de fait, les aménagements évoqués et la reprise d’éléments de la comedia espagnole, ne sont pas incompatibles avec une présence très forte du texte cornélien : de nombreuses scènes sont reprises par les librettistes, ainsi que de nombreux vers, parmi lesquels les plus connus.

15Cet attrait pour le texte ne peut bien sûr pas être minimisé, d’autant qu’il s’agit pour le coup d’une sorte de réappropriation car jusqu’en 1864, ce répertoire de théâtre est propriété de la Comédie-Française (il a fallu par exemple à Gounod l’autorisation de la princesse Mathilde pour composer son Polyeucte25). Pourtant, le résultat de cette réappropriation n’est pas jugé positivement par tous : « Le meilleur de l’affaire est quand Corneille n’est pas là26 », peut-on lire dans L’Illustration du 5 décembre 1885. Il faut donc relativiser l’argument selon lequel la grandeur du chef d’œuvre cornélien serait une garantie de succès.

16L’appropriation d’un tel texte est en effet délicate. Ce n’est pas pour rien que le poète d’opéra Pierre Perrin, en 1659, prend les pièces de Corneille comme exemple des textes impossibles à adapter27 : le volume d’une pièce de théâtre est difficilement maniable à l’opéra, et l’alexandrin, a priori, se prête mal au chant. Pourtant, Massenet manie avec habileté la prosodie française et revendique sa fidélité à la déclamation :

Allez entendre au Théâtre-Français un Racine ou un Corneille, interprétés par Mme Bartet ou Mounet-Sully… sur votre exemplaire vous noterez au passage leurs silences, leurs crescendos aboutissant ou non à un sommet, leurs decrescendos, les mots mis en valeurs, les phrases dites rapidement sans intention de détail, et celles, qui, étant lyriques, permettent des inflexions de voix aux courbes mélodiques. Vous vous inspirerez de tout cela, rentré chez vous, en prenant votre papier à musique, sans oublier les gestes soulignant certaines paroles et dont il est bon de trouver la correspondance musicale. Quand une scène de tragédie ou de comédie est bien conduite par les interprètes, elle est déjà presque construite musicalement28.

17La filiation, consciente ou non, est évidente : on croit reconnaître Lully tel que le décrit Le Cerf de la Viéville au début du xviiie siècle, prenant sous sa dictée les inflexions de la Champmeslé pour écrire son récitatif29. Et comme lui, en effet, Massenet privilégie une écriture syllabique avec peu d’échappées mélismatiques de manière à préserver l’intelligibilité du texte. Lorsqu’il recourt aux alexandrins, c’est, semble-t-il, en toute conscience, et avec une grande maîtrise qui lui permet d’éviter la monotonie. Ainsi de la grande scène du quatrième tableau30, après que Chimène est venue demander justice en présence de la foule et de Rodrigue, où les alexandrins sont traités tantôt dans un rythme ternaire31, en croches régulières qui suggèrent le désarroi lancinant de l’héroïne, ou bien dans un rythme au contraire très carré – une valeur longue suivie de cinq croches32 –, sur lequel s’exprime la division de la foule (une partie assénant : « Oui, le sang veut du sang » et l’autre : « Non, l’honneur le défend »).

18En fait, il semble que la difficulté de mettre Corneille en musique soit d’ordre moins technique qu’affectif. « Le danger de la comparaison, ou plutôt du souvenir, écrit Louis Laloy, ne peut être évité et doit mettre les musiciens en garde contre les chefs-d’œuvre de la littérature, déjà consacrés par une admiration séculaire33. » Autrement dit, l’« impiété littéraire34 » – dont se défend Scribe lors de sa traduction en français du Poliuto de Donizetti – guette toujours. Mais celle-ci, contrairement à ce que l’on pourrait penser, ne tient peut-être pas tant au passage de l’ordre littéraire à l’ordre musical qu’à un conflit de « sonorité[s] », c’est-à-dire à un conflit entre la musique de l’opéra et la musique propre du texte. C’est en tout cas l’argument auquel Reyer, lui-même compositeur, semble accorder le plus de crédit dans son compte rendu laborieusement élogieux du Cid pour le Journal des Débats :

La plupart de ces vers ayant sonné à toutes les oreilles comme d’éclatantes fanfares, ce n’est pas du premier coup qu’on peut s’habituer à la nouvelle sonorité, au nouvel accent que leur donne la musique.
Rodrigue as-tu du cœur… ?
Paraissez Navarrais, Maures et Castillans…
Je suis jeune, il est vrai, mais aux âmes bien nées…
Mes pareils à deux fois ne se font pas connaître
Et pour leurs coups d’essais veulent des coups de maître…
Le compositeur a eu beau prêter à ces épiques apostrophes l’accent mélodique le plus pompeux, le plus véhément, il n’est pas parvenu à nous émouvoir plus que ne le font les vers du poète, scandés tout simplement par la parole du tragédien35.

19L’appropriation de la pièce par le genre de l’opéra, loin de raidir un clivage entre texte et musique semble donc au contraire avoir pour effet de souligner la teneur déjà musicale du texte de Corneille, ce que peut d’ailleurs confirme la manière dont Louis Laloy recourt à celui-ci pour, cette fois, caractériser un style musical, en l’occurrence celui du même Reyer : pour épingler l’alliage de maladresses et de trouvailles éclatantes chez le compositeur, le critique écrit ainsi : « Reyer est un musicien pauvre et dur […] on dira toujours de lui ce que Madame de Sévigné disait de Corneille, lui aussi aux prises, surtout au début de sa carrière, avec une langue indocile : “Il a des beautés qui transportent36 !” »

20Musique contre musique ? C’est incontestablement ce défi qu’a su relever Massenet, sans se laisser paralyser par le respect et l’admiration37 suscités par ces vers « ayant sonné à toutes les oreilles38 ». L’air de Chimène en est le meilleur exemple. Pour celui-ci, les librettistes ont opéré un tissage entre les vers de Corneille et d’autres vers de leur composition : « Pleurez, pleurez mes yeux…Tombez, triste rosée / Qu’un rayon de soleil ne doit jamais tarir39 » (cinquième tableau). Au lieu de la dissolution cornélienne – « et fondez-vous en eau » (Le Cid, III, 3)40 –, le texte de l’opéra insiste donc sur la relance infinie du mouvement des larmes avec le verbe « tombez », la relative déterminative qui enjambe le vers et le présent de vérité générale. Musicalement, l’adéquation est parfaite : l’abattement suggéré par la phrase mélodique – qui ne s’élève que pour revenir, comme résignée, au point de départ – est subtilement contrebalancé par la scansion déterminée des syllabes dans le deuxième vers. L’effet de collage disparaît alors complètement, conférant à cet incipit une nouvelle évidence, dont témoigne, entre autres, le fait qu’il soit cité dans un article de l’hebdomadaire Cinémagazine de 1921 pour illustrer un article sans rapport avec Le Cid41.

21Du chef d’œuvre de Corneille, il n’y a donc pas à attendre de bénéfice automatique, et rien ne montre avec lui que la musique vocale ait pour destin d’être le « héraut de la littérature42 ». Cette absence d’évidence, pour autant, ne se réduit pas à un conflit texte / musique. L’opération d’appropriation, au contraire, a plutôt pour effet de faire entendre la musique de Corneille, c’est-à-dire non pas seulement la musicalité du texte, mais ce qui, dans l’œuvre, a tracé son sillon de manière non linguistique – les larmes de Chimène, tout particulièrement.

« Ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre »

22Le fait que l’air de Chimène « Pleurez mes yeux » soit ce qui, de toute l’œuvre, ait acquis la plus grande autonomie43 dans ce nouveau Cid n’est pas anodin. Car si l’appropriation du Cid par Massenet et ses librettistes ne se réduit pas à une opération de consolidation nationale ni de récupération de la gloire du texte cornélien, cela tient en grande partie au personnage de Chimène.

23Dans l’opéra de Guillard et Sacchini, Chimène occupait une place centrale. L’intrigue, qui commençait après la mort du père, ne réservait pas une grande place à l’honneur et invitait au contraire à une pleine empathie avec l’héroïne amoureuse. Rien de tel dans l’opéra de 1885, qui adopte un découpage très proche de celui de Corneille. La division, le déchirement sont bien en conséquence ce qui définit le personnage : on voit Chimène amoureuse avant le duel, et on la retrouve après, à la fois demandant justice au roi et se désolant de devoir perdre son amant. Le dilemme entre amour et fidélité au père se déploie clairement. Mais parce que chacun des deux termes a été redéfini, le dilemme rend un son différent.

24Dans l’opéra, l’amour s’exprime de manière bien plus autorisée. Entre les deux amants, il se dit – se chante plutôt – déjà avant le duel. Les amants, tous deux présents à la cérémonie d’adoubement (deuxième tableau), évoquent leur sentiment chacun pour soi – Rodrigue dans sa vision (« Ange ou femme, mes jours à tes jours sont unis… »), Chimène dans une réplique en aparté (« Serment d’amour, promesse éternelle / Je t’accepte et je n’ai plus d’effroi… ») – mais la musique se charge de réunir leurs voix en duo amoureux44. Et lorsque survient l’obstacle à cet amour, en l’espèce de la mort du père de Chimène, la persistance inconvenante de cet amour se révèle bien plus vite que dans la pièce (cinquième tableau) pour être ensuite affirmée sans détours à la fausse annonce de la mort de Rodrigue (neuvième tableau). Enfin, quand il dépendra de Chimène de demander ou non la mort de son amant, elle ne mettra pas longtemps à affirmer : « Sire, je l’aime » (dixième tableau).

25Pour autant, à la différence de ce qui se passait chez Guillard et Sacchini, l’impératif de fidélité n’est pas amoindri, bien au contraire. L’air « Pleurez mes yeux » désigne clairement cet impératif, à travers de véritables reproches adressés aux morts : dans la partie centrale en majeur, après le cri lancé vers le Ciel (« Mais qui donc a voulu l’éternité des pleurs45 ? »), Chimène en vient à une étrange interpellation : « Ô chers ensevelis, trouvez-vous tant de charmes / À léguer aux vivants d’implacables douleurs46 ? » Ce n’est plus, comme dans la pièce, une mélancolique évocation des pères en tant qu’agents de la séparation des amants (« Que de maux et de pleurs nous coûteront nos pères », III, 4), mais une prise à parti des morts, dont l’amour aliène. L’usage de la formule positive « trouver des charmes » souligne la dimension ironique de l’adresse, de même que, musicalement, le martèlement exaspéré des derniers mots dans le grave (sur « d’implacables douleurs »). C’est pourquoi personne d’autre que Chimène ne pourra dénouer la situation. Il faudra, pour sauver Rodrigue et leur amour, qu’elle s’imagine – ou s’autorise à penser –, que son père la délie de son obligation de vengeance. L’exclamation suivante constitue alors le dénouement :

Ah ! mon père ! oui tu vois mes tourments, mon délire !
Sur ton enfant dans l’ombre incliné !
Vivant, jamais je n’ai connu que ton sourire !
Où s’envola ton âme on ne sait plus maudire.

26Chez la Chimène de Massenet, il n’y a donc pas cette lutte si caractéristique de l’héroïne cornélienne pour soutenir sa dignité en public, ou plutôt il n’y a pas de valorisation de cette lutte, et c’est ce qui est révélé crûment devant l’Infante, Don Diègue, le roi et la foule au moment de l’annonce erronée de la mort de Rodrigue (neuvième tableau) :

Éclate, ô mon amour, cesse de te contraindre…
Parle bien haut, mon cœur, tu n’as plus rien à craindre !
(À l’infante et à Don Diègue)
Oui, je l’aimais encor ! Le deuil… le sang…le crime…
Les souvenirs sacrés et les serments d’un jour,
Ainsi que les débris emportés vers l’abîme,
Tout avait disparu dans mon immense amour !…
Ah, je cachais à tous l’invincible tendresse ;
Mais Rodrigue a su lire au fond du cœur fermé,
Et j’ai cette douceur, du moins, en ma détresse,
De songer qu’en mourant il se savait aimé.

27La Chimène de Corneille nous montrait, comme l’a analysé Hélène Merlin-Kajman47, la souffrance provoquée par le déchirement entre les deux types de pleurs – publics, dus à son père, et privés, causés par la mort de son amant –, mais aussi la possibilité de leur coexistence. La Chimène de l’opéra méprise la distinction. Un même flot de pleurs anime sa voix. La musique permet d’ailleurs de faire entendre l’absence de compartimentation du personnage car, réservant aux instruments le motif des larmes – une sorte d’enroulement qui suit une pente mélancolique48 –, elle lui laisse la possibilité de ne pas choisir entre pleurer et parler. Une seule fois, lors du duo qui suit « Pleurez, mes yeux », le motif passe dans sa voix même, sur un vers qui déplore son double attachement de manière à confirmer la redéfinition du personnage en héroïne des larmes, non pas divisée mais unifiée par elles. Car elle ne dit plus, comme chez Corneille : « Si quelque autre malheur m’avait ravi mon père » (III, 4), mais : « Si d’un autre que toi j’avais appris les larmes49… » (cinquième tableau).

28La Chimène qui chante, donc, souffre moins de la division qu’elle ne s’exalte dans les larmes. Elle est la fois plus exposée à elle-même, et plus émancipée, si bien qu’on est forcé de constater que si la voix tellement singulière de la Chimène de Corneille50 a sans doute joué sa part dans le désir d’adapter la pièce en opéra, cette voix a considérablement changé en chemin, notamment parce qu’elle s’est nourrie d’autres voix.

29On peut en effet être frappé par des effets d’échos. L’élan de jubilation par lequel Chimène commente au début de l’intrigue l’approbation de son père : « Je puis aimer librement devant tous51 ! » (premier tableau) peut ainsi faire penser à la profession de foi finale de Carmen, dans l’opéra de Bizet, Meilhac et Halévy : « Libre, elle est née, libre elle mourra52 » (IV, 2) – même parcours de l’arpège descendant, même scansion des syllabes. La liberté de l’une est bien différente de celle de l’autre, il s’agit presque d’une homonymie – qu’importe ! Le tempérament vocal est le même, ce qui, de proche en proche, provoque d’ailleurs d’autres échos : quand Rodrigue se justifie humblement face à l’accueil agressif que lui réserve son amante (« je ne reproche rien53 », cinquième tableau), on croit entendre Don José : « je ne menace pas54… » (Carmen, IV, 2).

30Dans la voix de Chimène, donc, passe un peu de Carmen. Mais aussi, si l’on écoute bien, une autre voix : du côté de cette fidélité viscérale qui fait couler les larmes, celle de Charlotte, l’héroïne de Werther, que Massenet se met à composer précisément l’année du Cid (1885), dont les choix, comme ceux de Chimène, sont déterminés par les « chers ensevelis » (sa mère en mourant l’a recommandée à Albert), et qui, comme elle, invoque la nécessité des larmes en un air dont la parenté est évidente avec « Pleurez mes yeux », le fameux « Va, laisse couler mes larmes55 » (Werther, III).

31Carmen, Charlotte : en somme, l’opéra de Massenet fait entendre que Chimène commence comme Charlotte et finit comme Carmen. Jeu de mots, certes, mais qui est précisément éclairant comme tel. Ce qu’il fait apparaître, en effet, c’est que l’appropriation peut aussi être animée par ce désir de son, par cet appel du signifiant. Du reste, Massenet semble particulièrement sujet à ce désir. Il n’est qu’à rappeler comment dans Manon, en 1884, texte et musique jouent autour des syllabes du nom de l’héroïne lorsque celle-ci vient reconquérir Des Grieux à Saint-Sulpice (acte III, 2e tableau, sc. 7) : « N’est-ce plus ma main ? / Écoute-moi : n’est-ce plus ma voix ? / N’ai-je plus mon nom ?/ n’est-ce plus Manon56 ». Tout se passe ici comme si la voix de Manon à l’opéra – cette voix que le personnage n’a pas ou si peu dans le roman de Prévost57 – naissait du nom, mis en vibration de manière à faire entendre, en lui, le corps (« main »), le lien (« ma »), le refus (« non ») autour desquels se tisse toute l’histoire.

32Que la Chimène qui chante naisse elle-même d’autres voix que son nom révèle, il est donc bien possible de le penser. Et l’on comprend maintenant pourquoi l’on peut considérer que c’est Chimène, tout particulièrement, qui contribue à nuancer le supposé nationalisme de l’œuvre, ainsi qu’à redéfinir la manière de penser le rapport au texte cornélien : parce qu’avec elle s’invitent le Romantisme allemand et l’Espagne, et qu’avec elle, c’est dans sa voix, qui n’est pas complètement contenue dans le texte.

33On voit donc les limites d’une conception utilitaire de l’appropriation, qui consisterait, dans le cas étudié, à mettre en avant, comme causes et comme moteurs de l’appropriation du Cid à la fin du xixe siècle, le besoin d’affirmation de l’identité nationale, la confiance dans le chef d’œuvre et le goût pour le pittoresque. Une telle conception raidit tant le geste d’appropriation que les différents « propres » en jeu : en présentant Le Cid de Massenet comme la rentabilisation lyrique de celui de Corneille, on manque toute une série d’attractions et d’échanges, notamment entre ce qui est national et ce qui ne l’est pas, entre texte et musique, entre auteur et personnage.

34Le mouvement n’est donc pas unilatéral, de la source à sa reprise. La rencontre entre les œuvres transforme les catégories et, pour se faire comme pour se dire, passe par ces fragments de texte et de musique, ces citations de voix que Roland Barthes, lorsqu’il tente de saisir le fonctionnement du discours amoureux, appelle « figures » : « figures [qui] se découpent selon qu’on peut reconnaître, dans le discours qui passe, quelque chose qui a été lu, entendu, éprouvé58 ». Est-ce à dire que nous considérons l’opéra du Cid comme une appropriation amoureuse de la pièce de Corneille ? Oui, et pas seulement dans le sens où le compositeur, cet « historien musical de l’âme féminine » selon Debussy59 s’est de toute évidence laissé séduire par le personnage de Chimène, mais dans le sens où l’œuvre lyrique rejoue moins la pièce qu’elle ne la parle dans le seul discours permis aux amoureux, celui, sensible et musical, de la figure. On ne s’étonne pas alors de retrouver Chimène dans les quelques exemples donnés par Barthes pour expliciter ce fonctionnement du discours :

La figure est en quelque sorte un air d’opéra ; de même que cet air est identifié, remémoré et manié à travers son incipit (« Je veux vivre ce rêve », « Pleurez mes yeux », « Lucevan le stelle », « Piangerò la mia sorte »), de même la figure part d’un pli de langage (sorte de verset, de refrain, de cantilation) qui l’articule dans l’ombre60.

35Si l’air de Chimène peut ainsi poursuivre sa carrière au-delà de sa signification en contexte tout en conservant le pouvoir d’évoquer instantanément et indiscutablement le désarroi amoureux, c’est donc parce que l’œuvre de Massenet et ses librettistes est liée à celle de Corneille de manière amoureuse donc musicale (le genre lyrique n’étant que l’une des circonstances de cette musicalité), de cette musique qui rend aussi indispensable que vaine toute tentative d’appropriation.

Notes

1 Jules Barbier, Revue du monde musical et dramatique du 11 janvier 1879, cité par F. Lesure, « Massenet, Debussy et la compétition du Cid », L’Avant-scène opéra, no 161, Panurge. Le Cid, p. 124.

2 Le Trésor de la langue française note cette nuance de sens à propos de la forme réfléchie : « S’approprier : S’attribuer quelque chose. Attribuer quelque chose à soi-même, la faire sienne (souvent d’une manière indue) » (Trésor de la langue française, 16 vol., Paris, CNRS, 1971-1994).

3 L’Art musical, 9 janvier 1879, cité par F. Lesure, « Massenet, Debussy et la compétition du Cid », art. cité, p. 124.

4 F. Lesure, « Massenet, Debussy et la compétition du Cid », ibid.

5 Ibid.

6 B. Didier, « Les tragédies de Pierre Corneille à l’Opéra (xviiie-xixe siècles) », Papers on French Seventeenth Century Literature, juill. 2008, vol. 35 (68), p. 407.

7 Voir le titre de l’article de François Lesure déjà cité.

8 Josée Bégaud, « L’œuvre à l’affiche », L’Avant-scène opéra, no 161, Panurge. Le Cid, p. 130.

9 Jean-Claude Yon, « Les avatars du Cid », L’Avant-scène opéra, ibid., p. 115.

10 L’Illustration, no 2172, du 11 octobre 1874, « Courrier de Paris », signé Perdican ; cité par J.-C. Yon, « Les avatars du Cid », art. cité, p. 116.

11 Vincent Vivès, « Musique vocale et culture française. Les affinités électives », dans Parler, dire, chanter, trois actes pour un même projet, colloque organisé par M. C. Beltrando-Patier, Université de Paris IV-Sorbonne, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 2000, p. 49.

12 J.-C. Yon, « Les avatars du Cid », art. cité, p. 115-116.

13 Ici, comme dans la suite de l’article, nous indiquons le repère temporel des extraits cités dans la version de l’Opéra de Marseille de 2011 (dir. Jacques Lacombe, m. s. Charles Roubaud, avec Béatrice Uria-Monzon et Roberto Alagna dans les rôles principaux) disponible à partir du lien suivant : https://www.youtube.com/watch?v=c3FFCb55qbo, consulté le 30 décembre 2018. L’air de Rodrigue se trouve en 00:27:12.

14 00:27:39.

15 Voir le « Commentaire musical et littéraire du Cid » de Gérard Condé, « Commentaire musical et littéraire du Cid », dans L’Avant-scène opéra, n o161, Panurge. Le Cid, p. 82.

16 Ibid.

17 Ibid., p. 116.

18 Louis Laloy, « L’opéra », dans Cinquante ans de musique française, de 1874 à 1925, dir. Ladislas Rohozinski, Paris, Librairie de France, 1925, p. 70.

19 B. Didier, « Les tragédies de Pierre Corneille à l’Opéra (xviiie-xixe siècles) », art. cité, p. 408.

20 Le Ménestrel, 9 mars 1884, cité par F. Lesure, « Massenet, Debussy et la compétition du Cid », art. cité, p. 124.

21 Lettre à Adolphe d’Ennery ou à Louis Gallet, du 24 janvier 1883, BNF, MUS, LA-Massenet Jules-208, citée par Élizabeth Giuliani, « Sous la plume de Massenet », dans Revue de la BNF, 2012/3, no 42, p. 55, n. 75.

22 « Pour écouter correctement Debussy, on est obligé d’écouter aussi la critique que ces petits formats […] exercent sur la prétention métaphysique de la musique allemande. La physionomie musicale de Debussy contient le soupçon que le geste grandiose usurperait un niveau spirituel, garanti plutôt par l’ascèse envers un tel geste », Theodor W. Adorno, « Nation », dans Introduction à la sociologie de la musique. Douze conférences théoriques, Genève, Contrechamps, 2017, p. 161.

23 Ibid., p. 159-162.

24 Voir l’analyse de Jean-Claude Branger : « Pour les Italiens, Massenet permettait d’échapper à Verdi comme à l’emprise de la musique allemande. Il incarnait une esthétique du juste milieu, la France étant perçue comme le pays de l’équilibre entre les influences du nord et du sud de l’Europe. Les opéras de Massenet avaient une trame symphonique, avec motifs récurrents, mais aussi avec des airs plus ou moins développés, et c’est précisément cette formule qui fut reprise par les compositeurs italiens de la fin du siècle », Entretien avec Laurent Bury pour Forum opéra, https://www.forumopera.com/actu/jean-christophe-branger-il-reste-beaucoup-a-faire-pour-rendre-a-massenet-la-place-quil-merite, consulté le 30 décembre 2018.

25 Voir l’article cité de J.-C. Yon, « Les avatars du Cid », p. 116.

26 L’Illustration, no 2232, du 5 décembre 1885.

27 « [L]es compositeurs de vos comédies [les Italiens] se sont servis des poètes ordinaires des pièces de théâtre, faites simplement pour la récitation et les ont mises en musique de bout en bout, comme qui voudrait parmi nous mettre en musique le Cinna ou les Horaces de Monsieur Corneille », P. Perrin, Lettre écrite à Monseigneur l’archevesque de Turin, dans Les Vrais Créateurs de l’opéra français, Perrin et Cambert, Paris, Charavay, 1881, p. 61-62.

28 Rapporté par Max d’Ollone dans Le Théâtre français et son public, 1955 ; cité par Gérard Condé, « Commentaire musical et littéraire du Cid », art. cité, p. 110, n. 3.

29 Voir Jean-Laurent Le Cerf de la Viéville, Comparaison de la musique italienne et de la musique françoise. Où, en examinant en détail les avantages des Spectacles, & le mérite des Compositeurs des deux nations, On montre quelles sont les vrayes beautez de la Musique, Bruxelles, François Foppens, 1705 ; Genève, Minkoff Reprints, 1972, p. 204.

30 On peut écouter à partir de 1:06:30.

31 C’est une mesure à 12/8.

32 On est toujours dans la mesure à 12/8, mais les valeurs donnent une impression de binaire : une noire pointée, puis un demi-soupir suivi de cinq croches.

33 L. Laloy, « L’opéra », art. cité, p. 71.

34 « Corneille traduit en opéra ! Quelle impiété littéraire ! Les messieurs qui de nos jours ont affiché le plus de mépris pour nos grands auteurs classiques vont, comme tous les faux dévots, crier le plus haut à la profanation », Eugène Scribe, Avertissement placé en tête du livret des Martyrs, dans Œuvres complètes d’Eugène Scribe, tome deuxième, Paris, Furne et Cie, Aimé André, 1841, p. 159.

35 Journal des débats du 6 décembre 1885 (non paginé).

36 L. Laloy, « L’opéra », art. cité, p. 70.

37 « … hier soir, anniversaire de Corneille ; on jouait Le Cid au Français, et j’y suis allé. Grand plaisir, grand effet, succès du public, cela m’a été si agréable, c’est si beau ! », lettre à sa femme, 7 juin 1884 ; lettre communiquée par Patrick Gillis à François Lesure, citée par F. Lesure, « Massenet, Debussy et la compétition des Cid », art. cité, p. 124.

38 Voir l’article déjà cité d’E. Reyer dans le Journal des débats du 6 décembre 1885.

39 1:19:53 (l’introduction de l’air commence en 1:16:16).

40 Au xviie siècle, le verbe « fondre » associé aux « larmes » n’évoque pas la soudaineté mais le processus de dissolution, comme le confirme l’usage de l’imparfait dans l’utilisation de la formule pour décrire la réaction de la Princesse de Clèves à la mort de sa mère : « Elle fondait en larmes » (Madame de Lafayette, La Princesse de Clèves, Paris, GF no 1425, p. 117).

41 Z. Rollini, « Nos belles artistes au cinéma – comment elles pleurent », Cinémagazine, 28 octobre 1921, p. 12. L’article dévoile les « trucs » des actrices de cinéma pour pleurer devant la caméra.

42 V. Vivès, « Musique vocale et culture française. Les affinités électives », art. cité, p. 49.

43 En témoignent notamment les nombreux enregistrements séparés qui en ont été faits.

44 00:30:36. La mise en scène choisit cependant de mettre Rodrigue et Chimène face à face, comme s’ils s’adressaient véritablement l’un à l’autre.

45 1:21:04.

46 1:21:11.

47 « [L]e lien naturel, la fidélité au père n’occupent pas toute la personne de Chimène […]. Une partie d’elle-même y résiste, et cette résistance la divise », H. Merlin-Kajman, L’Absolutisme dans les Lettres et la Théorie des deux corps. Passions et Politique, Paris H. Champion, 2000, p. 212.

48 Par exemple, en 1:20:56.

49 01:27:47.

50 Nous nous permettons de renvoyer à notre article : « Chimène et la voix du masque », dans Corneille : Héros ou personnages ?, dir. M. Dufour-Maître, Rouen, Presses de l’Université de Rouen et du Havre, 2013, p. 147-156.

51 00:13:03

52 https://www.youtube.com/watch?v=YOXUafOWGa4, 05:47 (Festival de Glyndebourne, 1985, dir. Peter Hall, avec Maria Ewing et Barry McCauley), consulté le 30 décembre 2018.

53 01:24:04.

54 https://www.youtube.com/watch?v=YOXUafOWGa4, 00:44 (Festival de Glyndebourne, cité), consulté le 30 décembre 2018.

55 Voir https://www.youtube.com/watch?v=Xt8AtM6_9Vw, 1:25:09 (Opéra de Lille, 1993, dir. Jean-Claude Casadesus, Naxos, 2002), consulté le 30 décembre 2018. Nous indiquons à dessein une version chantée par Béatrice Uria-Monzon car il y aurait aussi beaucoup à dire sur la manière dont les tessitures des rôles entretiennent ces affinités par le biais des interprètes.

56 https://www.youtube.com/watch?v=GpeQNKrNbbw, consulté le 30 décembre 2018. La phrase citée intervient à la fin de la scène qui commence en 03 :27 (Berlin, 2007, dir. Daniel Barenboïm, avec Rolando Villazon et Anna Netrebko).

57 Voir l’analyse de Jean Sgard, dans sa présentation de Manon Lescaut, Paris, GF, no 1298, 1995, p. 27-28.

58 Roland Barthes, Fragments d’un discours amoureux, Paris, Le Seuil, 1977, p. 8.

59  « Jamais Massenet n’a montré aussi bien que dans Werther la qualité charmante des dons qui en font l’historien musical de l’âme féminine… Et l’amour de la musique de Massenet est une tradition que les femmes se transmettront, pendant bien longtemps encore, de générations en générations. Cela peut suffire à la gloire d’un homme », C. Debussy, « Reprise de “Werther” à l’Opéra-Comique », Gil Blas (27 avril 1903), Monsieur Croche et autres écrits, Paris, Gallimard, 1987, p. 160.

60 R. Barthes, Fragments d’un discours amoureux, op. cit., p. 9. Il est bien possible que Barthes ait alors en tête l’interprétation de l’air par Maria Callas (1961, dir. Georges Prêtre) : https://www.youtube.com/watch?v=K4l29mMF_FA, consulté le 30 décembre 2018.

Pour citer ce document

Sarah Nancy, « Le Cid de Massenet, Gallet, d’Ennery et Blau : une appropriation amoureuse » dans Appropriations de Corneille,

Actes du colloque organisé à l’Université de Rouen en octobre 2014, publiés par Myriam Dufour-Maître

© Publications numériques du CÉRÉdI, « Actes de colloques et journées d’étude », n° 24, 2020

URL : http://publis-shs.univ-rouen.fr/ceredi/index.php?id=829.

Quelques mots à propos de :  Sarah Nancy

Université Paris-Sorbonne Nouvelle
Sarah Nancy est maîtresse de conférences en littérature française à la Sorbonne Nouvelle. Ses travaux portent sur la littérature du xviie siècle (tous genres), les liens littérature et musique, l’opéra, les pratiques et représentations de la voix parlée et chantée, les rapports entre littérature, genre, sexe et sexualités. Elle a publié notamment La Voix féminine et le plaisir de l’écoute en France aux xviie et xviiie siècles (Classiques Garnier, 2012) ; La Voix du public. Manifestations sonores des spectateurs et spectatrices en France aux xviie et xviiie siècles, dir. J. Gros de Gasquet et S. Nancy (PUR, 2018), ainsi que l’édition critique du Charme de la voix dans le Théâtre complet de Thomas Corneille, t. II, dir. C. Gossip, (Classiques Garnier, à paraître).