Appropriations de Corneille

Actes du colloque organisé à l’Université de Rouen en octobre 2014, publiés par Myriam Dufour-Maître

Appropriations de Corneille

Réécritures, adaptations ou « inadaptations »

L’Illusion comique sur la scène du monde anglophone, entre traduction et « adaptation libre »

Claire Carlin


Résumés

La pièce de Corneille le plus jouée dans le monde anglophone, L’Illusion comique, est l’objet de cinq adaptations en anglais depuis 2000. Cette enquête cherche à expliquer le phénomène en analysant les différentes versions théâtrales en anglais à l’aide de la théorie de l’adaptation de Linda Hutcheon, et en mettant l’accent sur The Illusion du dramaturge américain Tony Kushner.

Texte intégral

1Depuis une vingtaine d’années, L’Illusion comique est la pièce de Corneille le plus régulièrement mise en scène dans le monde anglophone ; elle est l’objet de quatre adaptations en anglais (sans parler du film Illusion de 2004, étudié dans le présent recueil par Cécilia Laurin). Cette enquête cherche à expliquer l’engouement relativement récent pour « l’étrange monstre » en analysant les différentes versions à l’aide de la théorie de l’adaptation élaborée par Linda Hutcheon1. Entre une traduction qui prétend respecter chaque vers de Corneille et une adaptation libre, se situent les interprétations de deux poètes de renom. Chaque texte représente à sa façon le processus de transposition, de transculturation et d’engagement intertextuel mis en œuvre dans ces appropriations de L’Illusion comique.

2Pour Hutcheon, la traduction est un genre d’adaptation car la traduction est le résultat d’un transcodage qui effectue une communication interculturelle et inter-temporelle. La soustraction, la contraction, ou l’expansion du texte pendant ce transcodage est inévitable – même quand le traducteur prétend ne produire que le reflet « fidèle » du texte d’origine2. Tout en admettant que la traduction littéraire prône normalement la fidélité à sa source, sous l’optique de l’adaptation Hutcheon prend parti contre l’idée de la supériorité de la précédence chronologique. Elle entend donner une valeur indépendante au texte traduit ou adapté, qui se construit dans un contexte autre que celui du texte d’origine. Le texte adapté subit nécessairement un processus de mutation et de rajustement à son nouvel environnement3.

3Les trois traductions en anglais de L’Illusion comique dont il est question ici se situent sur un continuum par rapport à leur fidélité au texte de Corneille. Quand Lynette Muir a publié The Comedy of Illusion en 2000, elle était motivée selon son éditeur par son insatisfaction devant les traductions précédentes qui ne respectaient pas pleinement la pièce d’origine4. Sa critique vise peut-être tout d’abord celle de John Cairncross, publiée en livre de poche par Penguin en Grande Bretagne en 1975, rééditée en 1980 et 1985. Cairncross n’a pas hésité à condenser des passages en entier, démarche nécessaire selon lui pour ne pas rebuter le lecteur / spectateur5. Dans les années 1970, Cairncross était un dix-septiémiste de renom qui avait déjà traduit plusieurs pièces de Corneille et de Racine. Muir, par contre, était une médiéviste dont The Comedy of Illusion est la seule traduction. Jamais mise en scène (à ma connaissance)6, The Comedy of Illusion est sans doute une version fidèle du texte de Corneille, mais la comparaison avec les traductions des poètes Richard Wilbur et Ranjit Bolt illustre de façon limpide que la fidélité n’est pas une garantie de qualité esthétique.

4L’ancien poète lauréat des États-Unis Richard Wilbur a fait la traduction la plus récente (2007). Deux fois lauréat (en 1957 et 1989) du Prix Pulitzer pour la poésie, Wilbur se voit décerner en 2010 le National Translation Award pour sa traduction du Cid (2009, l’année où il a également publié une traduction du Menteur). Traducteur chevronné donc, Wilbur est motivé lui aussi par son insatisfaction face aux versions qui précèdent la sienne. C’est le traducteur du théâtre du xviie siècle français le mieux connu de tous ceux à l’étude ici, et ses traductions de Molière (Le Misanthrope, Tartuffe, L’École des femmes, Les Femmes savantes, L’École des maris, Le Cocu imaginaire, Amphitryon, L’Étourdi, Dom Juan, Le Dépit amoureux) et de Racine (Andromaque, Phèdre et Les Plaideurs) ont souvent été mises en scène. Cependant, je n’ai pas trouvé de trace de son Theater of Illusion sur la scène.

5Wilbur insiste, comme Muir, sur sa fidélité au texte de Corneille :

My English version has preserved the rhymed couplets of the original, and has aimed at a thought-for-thought fidelity to the text ; I trust also to have been faithful in regard to tone, which is the crucial thing in all translation.

Ma version en anglais a conservé les couplets en vers du texte d’origine, et mon objectif a été la fidélité, le reflet exact de chaque pensée exprimée dans le texte ; je crois aussi avoir été fidèle au ton, l’élément crucial de toute traduction7.

6Cette fidélité n’a pourtant pas permis à Wilbur de rivaliser avec le succès de deux prédécesseurs, Ranjit Bolt et Tony Kushner, chacun « infidèle » à sa façon au texte d’origine. Leurs versions ont éclipsé l’effort de Richard Wilbur – qui, comme Lynette Muir, paraît écrire en réaction aux traductions à leur avis insuffisamment respectueuses de L’Illusion comique de Corneille.

7Traducteur et poète comme Richard Wilbur, auteur dramatique aussi, Ranjit Bolt a également en commun avec Wilbur d’avoir traduit Le Cid et Le Menteur. Néanmoins, tout à fait contrairement à Wilbur, Bolt met l’accent sur son indépendance face au texte à traduire :

Do not strive for what can never be achieved ; do not set your sites on complete fidelity, when there is no such thing, or you will only tie yourself in knots.

Ne cherchez pas à réaliser l’impossible ; ne visez pas la fidélité totale, car cela n’existe pas, et vous ne ferez que vous paralyser8.

8Cette citation, tirée de son livre sur la théorie de la traduction, est typique de la perspective de Bolt, qui s’engage consciemment et consciencieusement dans les processus de transcodage, de transaction et de transposition sémiotique décrits par Linda Hutcheon. Dans l’introduction à sa traduction de L’Illusion comique, The Illusion, mise en scène à partir de 1990 mais publiée seulement en 20009, Bolt s’adresse directement à la question de la prise de position du traducteur :

Corneille’s own reputation, interestingly enough, was to some extent founded on good translations (The Liar and Le Cid being cases in point). The translator / transformer must also bear in mind the differences in taste that occur as century follows century. […] Anyone who is interested enough to compare these versions [of all three pays translated in this volume] with the originals will find that cuts have been made here and there – some by me at the outset, others at the instigation of the director.

Il est intéressant de noter que la réputation de Corneille était jusqu’à un certain point fondée sur des traductions de bonne qualité (Le Menteur et Le Cid, par exemple). Le traducteur / transformateur doit aussi tenir compte des différences de goût qui se produisent au cours des siècles. […] Ceux qui s’y intéressent assez pour comparer ces versions avec les textes originaux trouveront que des coupures ont été faites ci et là – certains par moi dès le début, d’autres sous l’impulsion du metteur en scène10.

9La création du texte a donc évolué en fonction des besoins de la scène, du milieu vivant du théâtre. Si Bolt a osé raccourcir certains passages et carrément enlever d’autres, c’est pour réaliser une pièce à succès devant des spectateurs des xxe et xxie siècles. Comme Wilbur, il retient la rime – et aussi un vocabulaire à parfum légèrement archaïque. Ce n’est pas une modernisation tous azimuts, mais plutôt un resserrement du texte qui évite de longues tirades, y compris la délicieuse fantaisie verbale de Matamore. Selon Bolt, la soustraction est un élément essentiel de son transcodage des pièces de Corneille, car le public de nos jours ne supporte pas des répliques de plus d’une dizaine de vers. Son Illusion a passé la rampe avec succès, notamment dans la mise en scène de Richard Jones à Londres au théâtre Old Vic en 199011.

10Les trois traductions ont converti les alexandrins de Corneille en vers blancs et en pentamètres iambiques, bien que Muir refuse la rime. Les traductions offrant divers degrés de « mariage » avec la version originale de L’Illusion comique, on peut constater que – au moins dans les cas à l’étude – plus le traducteur s’accroche au texte de Corneille, moins sa traduction risque de plaire au public de nos jours. À titre d’exemple, citons un extrait de la fameuse tirade de la dernière scène de la pièce où Alcandre explique à Pridamant que le théâtre est non seulement un métier respectable, mais une véritable source de gloire :

Cessez de vous en plaindre, à présent le Théâtre
Est en un point si haut que chacun l’idolâtre,
Et ce que votre temps voyait avec mépris
Est aujourd’hui l’amour de tous les bons esprits,
L’entretien de Paris, le souhait des Provinces,
Le divertissement le plus doux de nos Princes,
Les délices du peuple, et le plaisir des grands :
Parmi leurs passe-temps il tient les premiers rangs,
Et ceux dont nous voyons la sagesse profonde
Par ses illustres soins conserver tout le monde,
Trouvent dans les douceurs d’un spectacle si beau
De quoi se délasser d’un si pesant fardeau. (V, vi, v. 1781-179412)

11La traduction voulue « fidèle » par Lynette Muir finit par employer des tournures de phrase calquées sur le français de Corneille mais maladroites en anglais (par exemple, « Cease your laments » ; « a Paris talking-point ») :

Cease your laments: the stage today
is prized so highly it is idolized.
What in your day was looked upon with scorn
today is loved by all the men of taste:
a Paris talking-point, joy of provincial towns,
the diversion which our provinces most enjoy,
the people’s favourite and the lords’ delight,
holding the highest place in all their sports.
And those whose profound wisdom we behold
ruling the world in peace by careful art
find in a spectacle such sweet delight
they can lay down their burden for a while.
(V, v, v. 1769-1812)

12Les vers de Richard Wilbur retiennent mieux la saveur des alexandrins de Corneille mais sa version paraît plus lourde et légèrement moins énergique que celle de Bolt. Comme Muir, Wilbur insiste pour reprendre chaque vers du texte d’origine :

Don’t be disturbed, Sir. Nowadays, the stage
Is at so high a point, it’s all the rage.
What in your youth was vulgar and debased
Is now the chief delight of men of taste,
The talk of Paris, the Provincial’s dream,
The pastime which our princes most esteem,
The people’s joy, the pleasure of the great,
Who prize our drama at the highest rate,
While for those men of state by whose wise hands
Good order is maintained in many lands,
A charming spectacle can for an hour
Permit them to relax the reins of power.
(V, v, p. 12913)

13Conformément à sa pratique, Ranjit Bolt refuse de dépasser dix vers là où Corneille en fait douze :

Control your rage:
The theater’s a prestigious field these days —
What your day scorned, the present heaps with praise —
Tomorrow, country folk will gladly pay
For what the Paris wits applaud today —
Actors are virtual demi-gods, adored
Alike by prince and pauper, lout and lord.
Where do you think the statesman now repairs,
Anxious and weary with the nation’s cares?
He buys a ticket for the latest play,
Where all those weighty problems melt away
. (Acte V, p. 13114)

14Bolt n’hésite pas à introduire un changement assez important en parlant des acteurs, là où chez Corneille dans cette tirade il n’est question que du théâtre ; l’Alcandre de Bolt met plus immédiatement en valeur le métier de Clindor. La ponctuation change l’expérience de lecture et le jeu de l’acteur : l’emploi du point d’interrogation et des tirets communiquent l’énergie et l’enthousiasme voulus par le traducteur.

15Lues dans cet ordre, les trois traductions illustrent le passage de la traduction à l’adaptation selon la théorie de Hutcheon. La traduction et l’adaptation représentent toutes les deux une transaction entre textes, entres langues, entre cultures et entre époques, mais plus l’adaptation se libère de la traduction, plus le matériel adapté se métamorphose et devient la création personnelle de l’adaptateur15. Le travail réalisé par Ranjit Bolt fait un pas vers cette personnalisation de la matière première, mais il reste tout de même dans le domaine de la traduction, refusant le choix fait par Tony Kushner d’écrire une « adaptation libre ». En effet, les trois traductions peuvent se lire comme une réplique à The Illusion de Kushner, dont une première mise en scène sous forme d’atelier a eu lieu en 198816. Bolt admet en 2000 le franc succès de la pièce de Kushner17 tandis que Muir et Wilbur le passent sous silence, mais il est invraisemblable que les traducteurs ne connaissent pas cette adaptation mise en scène partout aux États-Unis sans relâche depuis les années 1990 – et jusqu’à nos jours18. La version définitive a été montée en 1990 par le Hartford Stage Company, et le texte publié en 1992, 2003 et encore en 2011.

16Cette transformation de L’Illusion comique de Corneille retient la pièce-cadre, qui a toujours lieu dans la grotte d’Alcandre. Pridamant est toujours à la recherche de son fils disparu, mais Kushner introduit une nouvelle « illusion » qui précède celles que l’Alcandre de Corneille dévoile devant le père inquiet. Ce premier spectacle nous montre, dans un jardin, le jeune premier Calisto qui tente de séduire Melibea19, encouragé par la servante de celle-ci, Elicia. Quand survient Pleribo, le gentilhomme choisi par le père de Melibea comme époux de sa fille, Calisto donne au prétendant une claque à la figure ; Pleribo s’enfuit en pleurnichant20. Calisto doit s’éclipser à son tour à l’arrivée des jardiniers, armés de bêches et de pelles. À ce moment-là les lumières sont coupées, ce qui agace profondément Pridamant car il tenait à voir l’entrée en scène du père, personnage central selon lui. Empreinte de poésie, de légèreté, d’humour, ce premier acte dessine les thèmes qui seront exploités de façon plus violente dans le deuxième (et dernier) acte, où l’on voit, comme chez Corneille, la mort d’Adraste, la menace de la peine capitale pour Clindor et le sacrifice de la part de la servante Lyse de son amour pour Clindor.

17L’acte II de The Illusion est une reprise des actes III et IV de L’Illusion comique, avec les mêmes personnages à l’exception du geôlier : Lyse, qui a déjà eu des relations sexuelles avec Clindor, séduit le geôlier, mais le laisse derrière elle. Comme chez Corneille, elle est de nouveau présente comme suivante de l’héroïne lors de la pièce tragique à l’intérieur de la pièce cadre (acte V de L’Illusion comique ; la troisième « illusion » de la pièce de Kushner). La tragédie se déroule selon l’édition de 1660 de L’Illusion comique : face à la volonté de sa femme de se sacrifier pour l’amour de lui, la flamme de Théagène se rallume, juste avant son assassinat, suivi de la mort d’Hippolyta / Isabelle, qui avait dit à son mari, malgré ses nombreuses infidélités, « But know that when you die, / I also die21. »

18Quand le rideau tombe sur la tragédie, il n’y a pas de troupe d’acteurs révélée, mais un vide, noir. Pridamant est frustré par cette fin abrupte, n’ayant pas compris, avant qu’Alcandre ne le lui explique, qu’il avait été question dans les trois cas de pièces de théâtre, et que Clindor est acteur. Il n’est jamais question de la vie « réelle » de Clindor : une pastorale, une tragi-comédie, une tragédie, dans The Illusion toutes les trois pièces sont mises en scène dans « un charmant petit théâtre des boulevards parisiens, près des Tuileries22 ». Les lecteurs ou spectateurs qui connaissent la pièce de Corneille peuvent apprécier à côté de la métathéâtralité ironique le plaisir du palimpseste évoqué par Hutcheon comme une des caractéristiques principales de l’adaptation23. La pièce de Kushner et celle de Corneille entament une réflexion sur le théâtre comme une institution à la fois culturelle et commerciale, et sur la nature théâtrale de l’amour24, mais le contexte contemporain permet bien sûr à Kushner de développer cette réflexion à sa façon.

19Les liens entre le théâtre, l’amour et l’argent se manifestent dès l’arrivée de Pridamant devant la grotte d’Alcandre dans la première scène de The Illusion. Chez Corneille, le personnage est respectueux, intimidé par le magicien, mais chez Kushner il a trouvé la grotte seul, sans l’entremise de Dorante, et il est sûr de lui :

I’m Pridamant of Avignon. (Pause) That name means nothing to you.
Well, it means something in Avignon. Assure your master I can pay. More than adequately.

Je suis Pridamant d’Avignon. (Pause) Ce nom ne vous dit rien ?
Eh bien, il signifie quelque chose en Avignon. Rassurez votre maître : je peux payer. Plus que correctement25.

20Dans une transculturation assez drôle, il s’agit d’un avocat arrogant à l’américaine. Le contexte américain est évoqué de nouveau de façon ironique dans le site de la grotte d’Alcandre : on est à Remulac, une petite ville (imaginaire) du sud de la France, au xviie siècle ; le nom de ce lieu fictif vient de la planète d’origine des Conehead, sujet d’un film populaire de 1993.

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Figure 1 (http://www.voirfilms.org/coneheads.htm)

21Pridamant désire revoir son fils, mais du début jusqu’à la fin de la pièce il exprime une ambivalence profonde devant cet être qui lui fait peur, et qui l’incite à une violence viscérale :

I destroyed my son. My only child. Years ago. When he was barely a step past being a boy. He seemed uncontrollable, wild, dangerous to me in all sorts of little ways. I loved him so much I wanted to strangle him. I wanted to snap his spine sometimes in a ferocious embrace. Everything about him seemed calculated to drive me to distraction, and did. […] I want to make him sick with guilt. I want to make him the heir to my fortunes. He must be very poor. […] My son always frightens me.

J’ai détruit mon fils. Mon enfant unique. Il y a des années. Quand il sortait à peine de l’adolescence. Il me semblait incontrôlable, sauvage, dangereux de toutes sortes de petites façons. Je l’aimais tant que je voulais l’étrangler. Je voulais parfois lui casser la colonne vertébrale en deux dans une étreinte féroce. Tout ce qu’il faisait semblait calculé pour me rendre fou, ce qui s’est produit. […] Je voulais le rendre malade de culpabilité. Je voulais faire de lui mon héritier. Il doit vivre dans la pauvreté. […] Mon fils me fait toujours peur26.

22Cette ambivalence caractérise ses réactions aux trois pièces dont son fils est le héros, réactions qui vacillent entre l’émotion brute d’un moi qui s’exprime sans filtres et un sur-moi préoccupé par l’argent et la position sociale.

23Le Pridamant de Kushner, modernisé et américanisé, existe dans un univers théâtral où les pouvoirs d’Alcandre se limitent au dévoilement de la scène théâtrale ; il n’est pas capable de montrer la vie passée de Clindor, et celui-ci n’existe que comme acteur. En effet, Alcandre, qui se qualifie de tricheur frauduleux dans sa dernière réplique de la pièce, dépend pour la fabrique de ses « visions » d’un Amanuensis qui entre littéralement dans la deuxième illusion pour jouer le rôle de Géronte. Alcandre explique le fonctionnement de sa magie :

My visions are concocted through a violent synthesis, a forced conflation of light and shadow, matter and gossamer, blood and air. The magic’s born of this uneasy marriage; it costs, you see, it hurts, it’s dragged unwillingly from the darkest pools… I need his agony [celle de l’Amanuensis], I’m a chemist of emotions, his misery’s my catalyst, it fuels my work, I regret the pain the journey causes him, I’m fond of him I suppose but […] I have to keep the work interesting for myself, don’t I? You can’t imagine, I’ve seen so many illusions […].
(To the Amanuensis) Get going. (Incanting over the Amanuensis) Abandon the preservative chill of this cave, give yourself over to strange, pulsing warmth ; the flow of blood, the flood of time, immediate, urgent, like bathing warm in a southern ocean, rocked by currents of another life. All that pain, and thwarted hope, rejected love, grief, disappointment, joy […]. (the Amanuensis disappears.)

Mes visions sont concoctées grâce à une synthèse violente, une confusion de lumière et d’ombre, de matière et de gaze, de sang et d’air. La magie est née de ce mariage inquiet ; elle coûte cher, vous voyez, elle fait mal, elle est arrachée de force des mares les plus sombres… J’ai besoin de son agonie, je suis un chimiste de l’émotion, sa misère est mon catalyseur, elle alimente mon travail, je regrette la douleur que le trajet lui inflige, je l’aime bien je suppose mais […] il faut que le travail m’intéresse, moi, non ? Vous ne pouvez pas imaginer, j’ai vu tant d’illusions…
(À L’Amanuensis). Allez-y. (S’ensuit une incantation sur le corps de L’Amanuensis.) Abandonne cette grotte et son froid qui conserve, donnez-vous pleinement à la chaleur étrange, à ses pulsations ; le cours du sang, l’inondation du temps, immédiats, urgents, comme si vous vous baigniez dans une mer tiède du sud, bercé par les courants d’une autre vie. Toute cette douleur, cet espoir déçu, amour repoussé, deuils, déception, joie… (L’Amanuensis disparaît)27.

24Il est évident que la métaphore théâtrale se développe différemment que chez Corneille ! L’Amanuensis représente l’instance « acteur », l’outil d’Alcandre le metteur en scène qui exige l’obéissance jusqu’au point de rendre son serviteur sourd et muet, sauf au moment où il joue. La vision poétique du créateur ne peut se réaliser que dans l’effort, dans la douleur – pour produire quoi, au juste ? L’avant-dernière réplique d’Alcandre revient sur la relation entre le divertissement théâtral (reflet d’un moment d’un monde lui-même éphémère), la théâtralité de l’amour et enfin le défi de faire du théâtre dans une société régie par l’argent :

What in this world is not evanescent? What in this world is real and not seeming? Love, which seems the realest thing, is really nothing at all […]. Love is a sea of desire stretched between shores – only the shores are real, but how much more compelling is the sea. Love is the world’s infinite mutability: lies, hatred, murder even are all knit up in it; it is the inevitable blossoming of its opposites, a magnificent rose smelling faintly of blood. A dream which makes the world seem… an illusion. The art of illusion is the art of love, and the art of love is the blood-red heart of the world. At times I think there’s nothing else. (Little pause.) My servant has prepared the bill.

Qu’il y a-t-il dans ce monde qui ne soit pas évanescent ? Qu’est-ce qui est réel et non un semblant ? L’amour, qui semble la chose la plus réelle, n’est en effet rien du tout ; […]. L’amour est une mer de désir étendue entre deux rives – seules les rives sont réelles, mais la mer, elle, est irrésistible. L’amour est la mutabilité infinie du monde : les mensonges, la haine, même le meurtre sont emballés dedans ; c’est l’épanouissement inévitable de ses contraires, une rose magnifique qui sent légèrement le sang. Un rêve qui fait que le monde semble… une illusion. L’art de l’illusion est l’art de l’amour, et l’art de l’amour est le cœur rouge-sang du monde. Parfois j’estime qu’il n’y a rien d’autre. (Petite pause.) Mon adjoint a préparé la facture28.

25L’illusion se brise contre la réalité dure du commerce, mais un revenu est nécessaire à la survie du théâtre. Kushner n’arrête pas, tout au long de son texte, d’interrompre le discours plus aérien pour nous rappeler que le théâtre coûte cher, dans tous les sens du terme, créant un décalage ironique entre le langage des affaires et les saillies poétiques qui se manifestent dans tous les rôles de la pièce.

26Le passage constant entre différents niveaux du discours, entre prose formelle et argot, entre prose et vers blancs, avec ou sans rimes, s’accompagnent de changements de ton qui, souvent, font sourire, mais l’humour est toujours passager. La mélancolie revient, jusqu’au dernier moment de la pièce. Seul l’Amanuensis reste sur scène, en train d’éteindre les lumières. Soudain, Matamore surgit, distrait :

Matamore: I want to leave this planet; don’t like it here! Pardon, sir, can you tell me the way to the moon? I’m lost and mapless, a wanderer through the world […].
(The Amanuensis points. A huge white moon and stars appears, floating in space.)
matamore: That way? You’re certain of that? Yes, the road that way seems to be going uphill. (Exits.)

matamore : Je voudrais quitter cette planète ; je ne l’aime plus. Pardon, monsieur, pourriez-vous m’indiquer comment aller dans la lune ? Je suis perdu, sans repères, j’erre à travers le monde.
(L’Amanuensis pointe du doigt. Une grande lune blanche et des étoiles paraissent, flottant dans l’espace.)
Matamore : Par là ? Vous êtes certain ? Oui, le chemin semble monter par là. (Il sort.)29

27La scène est préparée par un échange avec Lyse au début de l’acte II quand Matamore, défait, rêve déjà de partir pour la lune :

It’s cold and bleak, they say;
Perhaps in a cave, on a comfortable rock
Viewing the expanse of some lifeless lunar desert,
I’ll learn to dream smaller, less tumultuous dreams.
Lyse: If you do learn, come back
And give me instruction.

Il fait froid et morne, dit-on ;
Dans une grotte, peut-être, sur un rocher confortable
Regardant la vaste étendue d’un désert lunaire sans vie
J’apprendrai à faire des rêves plus modestes, moins tumultueux.
Lyse : Si en effet vous y arrivez, revenez,
Apprenez-moi à le faire30.

28Dans le premier acte, Kushner reproduit la fantaisie verbale comique du Matamore de Corneille, mais dans le deuxième, le fanfaron est accablé par la déception qui finit par épuiser sinon écraser tous les personnages des trois pièces à l’intérieur de la pièce. L’Amanuensis a le dernier mot : « Not in this life, but in the next » (« Pas dans cette vie, mais dans la prochaine31. »)

29Pour Kushner bien plus que pour Corneille, le théâtre a quelque chose à dire au sujet de la vie, à la manière de Brecht, que Kushner admire et imite jusqu’à un certain point32 ; le théâtre émet un message social et politique, et la poésie du texte théâtral permet d’explorer la signification profonde de l’existence. Pour citer Myriam Tanant :

Le sentiment éprouvé en abordant cette création était simple et complexe, comme une sorte d’intuition que ce qui allait être mis en jeu dépassait le simple filage de la métaphore sur le théâtre pour atteindre des réflexions abyssales et infinies sur les rapports humains, sur les rapports entre réalité et fiction, vérité et mensonge, amour et haine ; sur la fragilité de la certitude […]. Mais ne sommes-nous pas aujourd’hui revenues à cette incertitude, et n’est-ce pas là que réside la modernité de cette pièce33 […] ?

30Ses remarques illustrent le processus de transcodage, de transculturation et de modernisation que The Illusion fait subir à L’Illusion comique, mais Tanant parle non pas de la pièce de Kushner mais en effet de celle de Corneille dans la fameuse mise en scène de Giorgio Strehler en 198434. Myriam Tanant était l’assistante de Strehler et a assisté à toutes les « répétitions spectacles » menant à l’ouverture de l’Odéon comme Théâtre de l’Europe. Cette mise en scène controversée doit être pour quelque chose dans l’élaboration de The Illusion35 : en 1986, un collègue qui la connaissait a montré le texte de Corneille à Tony Kushner36. L’adaptation de L’Illusion comique pour la scène aux États-Unis passe donc par l’entremise du projet de Giorgio Strehler, dont on ressent l’influence en lisant The Illusion. Metteur en scène associé à Brecht depuis les années 1950, Strehler renouvelle la pièce sous une optique brechtienne en disant « qu’il s’agit bien plus d’un poème dramatique sur l’illusion des êtres humains, […] et non pas seulement sur l’illusion théâtrale, celle des comédiens et des spectacles37 ». Sous le signe de la mélancolie, du mystère et de la peur, l’interprétation novatrice de Strehler ouvre une voie que Kushner a choisi de suivre38, tout en frayant son propre chemin en choisissant l’adaptation libre plutôt que la traduction. Stefka Mihaylova observe que la pièce de Kushner reste bien plus près de l’esprit brechtien que la mise en scène de Strehler dans la mesure où Kushner introduit une critique sociale (surtout de la consommation à outrance et de l’influence du commerce sur le théâtre) plus difficile à réaliser en travaillant à partir du texte de Corneille39. Kushner modernise et américanise la pièce avec un humour complètement évacué par Strehler, même si The Illusion est elle aussi pénétrée de mélancolie.

31La transmission de la pièce dans le monde anglophone à la fin du xxe et au début du xxie siècle fait partie d’un circuit dont le point de départ est L’Illusion de Strehler – mais sans l’adaptation de Kushner, les trois traductions étudiées dans cette enquête n’auraient pas à mon avis vu le jour. En insistant pour faire réapparaître L’Illusion comique en anglais, en prenant position en faveur d’un texte plus ou moins fidèle à celui de Corneille, Muir, Wilbur et Bolt tentent de faire revivre le texte d’origine, mais leur démarche paraît futile face à la réussite éclatante de l’adaptation libre. Les cornéliens peuvent déplorer la préférence des anglophones pour The Illusion de Tony Kushner, mais il ne faut pas oublier que chaque mise en scène de l’adaptation fait rayonner le nom de Pierre Corneille à côté de celui de son adaptateur.

Bibliographie

Éditions de Corneille

Œuvres complètes, éd. Georges Couton, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », vol. 1, 1980.

L’Illusion comique, éd. Jean Serroy, Paris, Gallimard, coll. « Folio classique », 2000.

Traductions / adaptations de L’Illusion comique

Corneille Pierre, The Cid / Cinna / The Theatrical Illusion, trad. John Cairncross, 1975, 1980 ; réimpr. Harmondsworth, England, Penguin Books, 1985.

Corneille Pierre, The Comedy of Illusion, trad. Lynette R. Muir, Ottawa, Canada, Carleton Renaissance Plays in Translation, Dovehouse Editions Inc., 2000.

Corneille Pierre, The Theater of Illusion, trad. Richard Wilbur, New York, Harcourt, 2007.

Corneille Pierre, Three Masterpieces: The Liar, The Illusion, The Cid, trad. Ranjit Bolt, London, Oberon Books, 2000.

Kushner Tony, The Illusion, Freely Adapted from Pierre Corneille’s L’Illusion comique, New York, Broadway Play Publishing Inc., 2011

Études

Abraham Claude, « “From Page to Stage”: More Than an Illusion », Seventeenth-Century French Studies, 1989, 11.1, 1989, p. 55-61.

Amartin J.-M. et perloff Eveline, L’Illusion de Corneille (livre-programme du spectacle réalisé par Giorgio Strehler), Paris, Éditions Beba, 1985

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Witt Mary Ann Frese, Metatheater and Modernity: Baroque and Neobaroque, Fairleigh Dickinson University Press, 2013.

Notes

1 Linda Hutcheon et Siobhan Flynn, A Theory of Adaptation, 2006, 2e édition, London and New York, Routledge, 2013.

2 Ibid., p. 16-17.

3 Ibid., p. 31 ; p. 106-107.

4 Pierre Corneille, The Comedy of Illusion, trad. Lynette R. Muir, Ottawa, Canada, Carleton Renaissance Plays in Translation, Dovehouse Editions Inc., 2000.

5 « The intention of the translator was that Corneille should appear clearer, sharper and more terse in English […] than he really is », Pierre Corneille, The Cid / Cinna / The Theatrical Illusion, trad. John Cairncross, 1975, 1980 ; réimpr. Harmondsworth, England, Penguin Books, 1985, p. 9-10.

6 Le peu d’intérêt pour la pièce de Corneille dans le monde anglophone avant la fin des années 1980 est souligné par le fait qu’il n’y a eu apparemment qu’une seule mise en scène de The Theatrical Illusion de Cairncross, en 1978, à Sydney en Australie. Voir Claude Abraham, « “From Page to Stage”: More Than an Illusion », Seventeenth-Century French Studies, 1989, 11.1, 1989, p. 55-61.

7 Pierre Corneille, The Theater of Illusion, trad. Richard Wilbur, New York, Harcourt, 2007, « Introduction », s. p. Ma traduction en français suivra toujours la citation originale en anglais.

8 Ranjit Bolt, The Art of Translation, London, Oberon Books, 2010, loc 114 (version Kindle).

9 On ne peut pas savoir si Muir connaissait la traduction de Bolt étant donné que les deux traducteurs ont publié leur texte la même année. Wilbur a dû connaître le travail de Bolt car en 2007 ils labouraient les mêmes champs depuis plusieurs années.

10 Pierre Corneille, Three Masterpieces: The Liar, The Illusion, The Cid, trad. Ranjit Bolt, London, Oberon Books, 2000, p. 12.

11 Ibid., p. 13. Malheureusement, Bolt commet la même erreur (du point de vue des spécialistes du théâtre de Corneille) que Muir, Wilbur et Kushner en préférant l’édition de 1660 à la vivacité baroque de la première édition de 1639. C’est un choix qu’aucun des quatre ne justifie, se laissant guider par l’habitude de prendre la dernière édition établie par l’auteur du texte d’origine.

12 Pierre Corneille, L’Illusion comique, éd. Georges Couton, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1980, t. 1.

13 Les vers ne sont pas numérotés.

14 Ni les vers ni les scènes ne sont numérotés.

15 L. Hutcheon, ouvr. cité, p. 16-17.

16 Au New York Theater Workshop.

17 R. Bolt, ouvr. cité, p. 14.

18 La dernière mise en scène était en septembre-octobre 2013 au Porticos Art Space à Pasadena en Californie. Voir https://www.facebook.com/porticosartspace/ (page consultée le 13 décembre 2019).

19 Dans la mythologie grecque, c’est une demoiselle d’Éphèse sur le point d’être mariée contre son gré qui se sauve le jour des noces. Melibea est aussi le nom de l’héroïne de La Celestina de Fernando de Roja, autrement dit La Tragicomedia de Calisto y Melibea (1499). Au début de la pièce, Calisto rencontre Melibea dans un jardin, comme c’est le cas chez Kushner. Pour la manière dont Kushner exploite la matière fournie par De Roja, voir Teresa J. Kirschner, « Calisto y Melibea: Illusion (comica) de Tony Kushner » dans Celestinesca 21, nos 1-2, 1997, p. 79-92. On est toujours dans le domaine de l’adaptation.

20 Tony Kushner, The Illusion, Freely Adapted from Pierre Corneille’s L’Illusion comique, New York, Broadway Play Publishing Inc., 2011, acte I, p. 16.

21 « Mais sache que quand tu meurs, moi aussi je meurs ». À part l’incitation de Lyse / Clarina, la seule différence d’avec l’acte V, scène iii de Corneille a à voir avec les bienséances du xviie siècle : Théagène est tué par le prince lui-même plutôt que par son écuyer.

22 Tony Kushner, ouvr. cité, acte II, p. 68.

23 « […] the doubled pleasure of the palimpsest : more than one text is experienced – and knowingly so » (L. Hutcheon, ouvr. cité, p. 116.)

24 Mary Ann Frese Witt insiste sur ce point dans Metatheater and Modernity : Baroque and Neobaroque, Fairleigh Dickinson University Press, 2013, p. 70.

25 Tony Kushner, ouvr. cité, acte I, p. 1.

26 Ibid., acte I, p. 2-3.

27 Ibid., acte I, p. 42-43.

28 Ibid., acte II, p. 69.

29 Ibid., acte II, p. 70-71.

30 Ibid., acte II, p. 47.

31 Ibid., acte II, p. 71.

32 Kushner explique l’influence brechtienne sur son œuvre dans une interview en novembre 1994. Voir Carl Weber, « I Always Go Back to Brecht » dans Robert Vorlicky (dir.), Tony Kushner in Conversation, Ann Arbor, U of Michigan Press, 1998, p. 105-124. M. Witt explore la possibilité de diverses influences sur Kushner (Aristote, la commedia italienne, la comedia espagnole et Pirandello aussi bien que Brecht) afin de qualifier The Illusion de pièce néo-baroque postmoderne (ouvr. cité, p. 72 et p. 132). Il est plus productif à mon avis de mettre l’accent sur Corneille et Brecht car leur impact sur la pièce est clair.

33 Myriam Tanant, « Une petite fille qui chante dans le noir », Théâtre en Europe, janvier 1985, p. 93-105 ; citation p. 93.

34 La théorie de l’adaptation de Linda Hutcheon ne s’adresse pas à la possibilité de considérer la mise en scène comme adaptation, mais dans la mesure où la mise en scène fournit une nouvelle interprétation du texte, la perspective de Hutcheon pourrait être dans ce cas un outil de lecture productif.

35 Strehler emploie d’ailleurs le titre de 1660, L’Illusion, tout en retenant le texte de 1639. Voir M. Tanant, art. cité.

36 Il s’agit du metteur en scène Brian Kulick ; dans le « Author’s Note » pour The Illusion, Kushner indique que c’est Kulick qui lui a demandé de faire l’adaptation de L’Illusion comique.

37 Voir L’Illusion de Corneille, livre-programme du spectacle réalisé par J.-M. Amartin et Éveline Perloff, Paris, Éditions Beba, 1985 ; les italiques se trouvent dans la citation d’origine.

38 La mise en scène de Strehler et celle Louis Jouvet en 1936 à la Comédie-Française représentent deux moments clés dans l’histoire de L’Illusion comique car chacune fait revivre la pièce à sa façon, provocatrice et originale dans les deux cas. Jouvet a fait redécouvrir la pièce, oubliée depuis la fin du xixe siècle, mais comme Jean Serroy le note, Jouvet en « accentue la charge comique », tout à fait contrairement à Strehler. Voir l’historique des mises en scène du xxe siècle établie par J. Serroy dans son édition de L’Illusion comique, Paris, Gallimard, coll. « Folio classique », 2000, p. 193-197. Voir aussi, pour l’impact de la mise en scène de Strehler, l’article cité de M. Tanant et celui de Cynthia B. Kerr : « Rencontre autour d’une Illusion : Giorgio Strehler, Théâtre National de l’Odéon-Théâtre de l’Europe » dans Corneille à l’affiche : Vingt ans de créations théâtrales, 1989-2000, Biblio 17 123, Tübingen, Gunther Narr, 2000, p. 43-61.

39 Stefka Mihaylova, « Reading Corneille with Brecht: The Comedy of Illusion and the Illusions of Citizenship » dans Tony Kushner : New Essays on the Art and Politics of the Plays, James Fisher (dir.), Jefferson, NC, McFarland, 2006, p. 135-148. Bernard Dort a fait une lecture brechtienne de la pièce dans deux articles pour le livre-programme de la mise en scène de Strehler : « Pierre Corneille, son inscription sociale » et « Une vis sans fin ou le vertige de L’Illusion », ouvr. cité.

Pour citer ce document

Claire Carlin, « L’Illusion comique sur la scène du monde anglophone, entre traduction et « adaptation libre » » dans Appropriations de Corneille,

Actes du colloque organisé à l’Université de Rouen en octobre 2014, publiés par Myriam Dufour-Maître

© Publications numériques du CÉRÉdI, « Actes de colloques et journées d’étude », n° 24, 2020

URL : http://publis-shs.univ-rouen.fr/ceredi/index.php?id=819.

Quelques mots à propos de :  Claire Carlin

University of Victoria, British Columbia, Canada
Claire Carlin est professeure émérite à l’Université de Victoria (Colombie Britannique, Canada). Ses deux principaux axes de recherche sont 1) le théâtre de Pierre Corneille (notamment deux livres en anglais et l’édition de La Veuve et La Suivante dans le nouveau Théâtre complet, Classiques Garnier, 2014, ainsi qu’une douzaine d’articles) 2) la représentation du mariage sous l’Ancien Régime (voir le site toujours en voie de développement à http://mariage.uvic.ca/).