La Place Royale, Le Menteur, La Suite du Menteur de Pierre Corneille

sous la direction de Yohann Deguin et Bénédicte Louvat

Numéro spécial « Agrégation 2025 – Lettres modernes »

no 3, 2024.

<em>La Place Royale</em>, <em>Le Menteur</em>, <em>La Suite du Menteur</em> de Pierre Corneille

La Place Royale, Le Menteur, La Suite du Menteur de Pierre Corneille

La Suite du Menteur, vraie suite du Menteur ?

Bénédicte Louvat


Texte intégral

1Sans qu’on puisse l’affirmer avec certitude, il y a fort à parier que La Suite du Menteur ait été destinée à ouvrir au théâtre du Marais la saison 1644-1645 et à répondre à l’impatience des spectateurs parisiens qui attendaient depuis plusieurs mois la fin des travaux de reconstruction du théâtre. En janvier 1644 en effet, il avait été la proie d’un terrible incendie, qui « fut vu de tout Paris » et auquel « on accourut de toutes parts », tant « l’on voyait aussi clair que le jour1 ». La création eut lieu en tout cas après le 31 octobre 1644, date de l’achevé d’imprimer du Menteur que Cliton brandit à la dernière scène de La Suite dans l’édition originale2. En concertation avec les comédiens avec lesquels il collaborait depuis près de quinze ans, Corneille avait, selon toute probabilité, cherché à exploiter avec cette pièce le succès de sa première comédie à l’espagnole et à renflouer les caisses de la troupe, considérablement entamées par les travaux et le paiement aux propriétaires des lieux du manque à gagner occasionné par la fermeture du théâtre3.

2Régulièrement avancée par les historiens du théâtre et, de fait, incontestable, cette explication économique ne dit rien de la genèse de la pièce et de la manière dont Corneille a conçu sa seconde adaptation d’une comedia espagnole comme une suite de la première. Les seuls propos du dramaturge relatifs à la relation entre les deux pièces se trouvent dans l’épître dédicatoire placée en tête de la première édition de La Suite et dans l’Examen de 1660. Ils méritent qu’on s’y arrête.

3L’épître de 1645, adressée à un destinataire fictif ou à tout le moins non identifié, commence ainsi : « Je vous avais bien dit que Le Menteur ne serait pas le dernier emprunt ou larcin que je ferais chez les Espagnols ; en voici une Suite qui est encore tirée du même original, dont Lope a traité le sujet sous le titre de Amar sin saber a quién4 ». Corneille s’engage ensuite dans une réflexion sur l’utilité et le plaisir que procure le théâtre et distingue le Dorante de La Suite de celui du Menteur, affirmant que ce dernier, quoique « beaucoup plus honnête homme, et donn[ant] des exemples à suivre », « est ici bien moins à estimer qu’en la première comédie, puisque, avec ses mauvaises habitudes, il a perdu presque toutes ses grâces, et qu’il semble avoir quitté la meilleure part de ses agréments lorsqu’il a voulu se corriger de ses défauts5 », formulant en passant une sorte de loi du théâtre, selon laquelle le plaisir du spectateur serait inversement proportionnel à la moralité du spectacle qui lui est offert. Le lien entre les deux pièces est une dernière fois évoqué un peu plus loin, Corneille rappelant que « la comédie du Menteur, […] a donné lieu à cette Suite6 ». Quinze ans plus tard, l’Examen fait retour sur la réception des deux pièces et sur l’échec de la seconde, qui se trouve expliqué de deux façons. Le plaisir suscité par la première provenait des « railleries spirituelles d’un honnête homme de bonne humeur » ; celui que produit la seconde n’est fondé que sur « les bouffonneries froides d’un plaisant à gages ». Mais c’est aussi « l’obscurité que fait en celle-ci le rapport à l’autre » qui « a pu contribuer quelque chose à sa disgrâce, y ayant beaucoup de choses qu’on ne peut entendre, si l’on n’a l’idée présente du Menteur7 ».

4À la lecture de ces propos, il apparaît que Corneille a considéré sa pièce comme une suite du Menteur autant que comme une adaptation d’Amar sin saber a quièn de Lope de Vega. Or les commentateurs qui se sont penchés sur la seconde comédie à l’espagnole de Corneille se sont généralement acquittés à peu de frais de la question engagée par son titre, à savoir la manière dont elle prolonge la première. Voltaire, qui manifeste beaucoup d’intérêt pour cette pièce – « avec quelques changements, elle ferait au théâtre plus d’effet que Le Menteur même8 » –, ne dit pas un mot de son titre et du rapport qu’elle entretient avec la précédente. Dans la très courte notice qui accompagne La Suite du Menteur dans son édition des Œuvres complètes, Georges Couton évoque très rapidement la « soudure » entre les deux pièces qui se fait au premier acte9 ; dans son édition des deux Menteur, Jean Serroy consacre l’essentiel de sa notice à « la grande différence entre les deux pièces10 », à savoir les modèles espagnols retenus et leurs adaptations. Guillaume Peureux lit régulièrement les deux pièces ensemble, et établit un certain nombre de points de comparaison entre elles11, mais sans vraiment s’attacher à ce qui fait de la seconde une suite de la première. Quant à Liliane Picciola, autrice de la présentation la plus complète à ce jour de la pièce et la plus précise sur le traitement de la comedia de Lope de Vega, elle considère que Corneille « s’est encore compliqué la tâche en voulant faire de cette intrigue mouvementée la suite de la comédie qu’il avait tirée avec tant de bonheur de La Verdad sospechosa » et va jusqu’à « émett[re] l’hypothèse que le titre de la pièce l’a desservie : si […] Corneille avait ajouté, en guise de titre alternatif, celui qu’avait choisi Lope de Vega, Aimer sans savoir qui, il aurait sans doute créé un horizon d’attente plus ouvert à de nouvelles étrangetés du héros12 ». On sait que, l’année même où paraît La Suite du Menteur, ce titre sera retenu par Le Métel d’Ouville pour une pièce qui ne doit pourtant rien à Lope – elle constitue l’adaptation d’une comédie italienne, l’Ortensio de l’Académie des Intronati.

Une Suite parmi d’autres ?

5Laissant de côté, pour l’heure, la réception de l’œuvre, tentons d’en comprendre la genèse et de lire La Suite du Menteur comme… une suite du Menteur. Dans les années 1630-1640, la pratique de la suite ainsi que le titre ou sous-titre « La Suite de… » sont beaucoup moins fréquents dans le champ dramatique que dans celui de la fiction romanesque13. Mais ils se trouvent être en partie liés au théâtre de Corneille, puisque Le Cid a généré plusieurs suites, parues peu après la tragi-comédie cornélienne14. Toutes ces pièces sont écrites par d’autres auteurs, généralement des dramaturges obscurs ou novices qui cherchent précisément à se faire connaître en attachant leur nom à celui de l’auteur du Cid, et peuvent exploiter l’ouverture propre au dénouement de la pièce de Corneille15. Une telle ouverture caractérise-t-elle le dénouement du Menteur ? On serait tentée de répondre par la négative : n’était… La Suite du Menteur, et ce qu’elle nous apprend du devenir des personnages de la première pièce après le cinquième acte, rien ne permettrait de caractériser comme ouverte la fin du Menteur16. Conformément aux attentes du genre tout autant qu’à l’hypotexte espagnol, la pièce s’achève par l’annonce de deux mariages, celui d’Ariste avec Clarice et celui de Dorante avec Lucrèce, Corneille ayant de surcroît fait en sorte que le mariage du protagoniste puisse, jusqu’à un certain point du moins, apparaître comme un mariage d’amour, ce qu’il n’était pas, loin s’en faut, chez Ruiz de Alarcón, où il est présenté comme une punition du héros. Rien, donc, ne distingue a priori le dénouement du Menteur de celui de n’importe quelle autre comédie contemporaine ni ne programme une suite ; et c’est donc rétrospectivement que Corneille pourra faire fonctionner comme pierres d’attente des éléments de la première pièce17, comme on tentera de le démontrer.

6Il convient à ce stade de se demander à quels textes les pièces de Corneille et le geste qui les apparie peuvent être comparés et, au fond, à quelle famille ils appartiennent. Le phénomène de la suite a été analysé par Gérard Genette dans Palimpsestes, où se trouvent distinguées précisément la suite, qui serait autographe, et la continuation, toujours allographe, dans le prolongement de la définition du Dictionnaire des synonymes de d’Alembert : « on donne la continuation de l’ouvrage d’un autre, la suite du sien18 ». La Suite du Menteur appartiendrait donc à une autre catégorie que les suites du Cid ou que celle de La Mariane de Tristan L’Hermite19. Dès lors, on peut la faire entrer dans une, voire deux autre(s) famille(s) : celle, tout d’abord, des œuvres à personnages reparaissants, illustrée dans le domaine dramatique par la trilogie de Beaumarchais qui, un siècle et demi après Corneille, fait revenir les personnages du Barbier de Séville dans Le Mariage de Figaro puis dans La Mère coupable, et portée par Balzac à son degré de développement le plus remarquable dans le champ romanesque. Or si c’est véritablement avec La Suite du Menteur que Corneille fait revenir les protagonistes d’une pièce antérieure, il s’était plu, comme l’a justement remarqué Marc Escola, à faire « circuler [d]es personnages “absents” d’une pièce à l’autre, à la façon d’un Balzac dans La Comédie humaine20 », comme en témoignent l’évocation dans La Place Royale de Clarine et Théante. Clarine, autrice supposée des lettres écrites par Alidor et que Polymas apporte à Angélique à la scène 1 de l’acte II, est évoquée dans La Suivante, comme amie de Daphnis. Il en va de même du Théante dont parle Alidor en III, 4, à propos des duels (« La suite des duels ne fut jamais plaisante, / C’était ces jours passés ce que disait Théante21 »), référence cette fois à une tirade prononcée par un personnage de La Suivante (v. 649-652). Par la relation qu’elle entretient avec la pièce antérieure, La Suite du Menteur appartient aussi à la famille des suites métafictionnelles, inaugurée par Cervantès. Au début de la seconde partie du Don Quichotte parue en 1615 – et sans doute pas davantage prévue initialement par son auteur que La Suite du Menteur ne l’était par Corneille –, les aventures du protagoniste de la première partie, publiée dix ans plus tôt, sont en effet devenues la matière d’un livre : retrouvant Don Quichotte, Sancho Pansa lui raconte qu’il a revu une ancienne connaissance, qui vient d’achever ses études à Salamanque.

Quand j’ai été lui souhaiter la bienvenue, il m’a dit que votre histoire était déjà dans un livre qui a pour titre L’Ingénieux Hidalgo don Quichotte de la Manche. Il paraît qu’on y parle de moi sous mon vrai nom de Sancho Panza, et de Mme Dulcinée du Toboso : et aussi de choses qui se sont passées entre nous deux, tout seuls22.

7Si les analogies avec ces différents textes paraissent évidentes, on peut se demander plus précisément quels sont les procédés mis en œuvre par Corneille pour faire de sa seconde pièce espagnole une suite de la première.

Donner suite : mise en abyme, raccords et parentés structurelles

8Le plus spectaculaire de ces procédés – mais non le premier – est précisément celui de la mise en abyme, tout à fait analogue dans son principe à la manière dont sont liées la première et la seconde partie du Don Quichotte : les personnages et l’action de la première comédie sont devenus la matière d’une pièce de théâtre qui se joue avec succès à Paris ; à la scène 3 du premier acte, et pour expliquer à Dorante que son nom « est plus décrié que la fausse monnoie », Cliton lui apprend qu’« en une comédie on a mis [son] histoire », avant de décliner les constituants du spectacle (« On y voit un Dorante avec votre visage », « après votre portrait on produit ma figure, / Le héros de la farce, un certain Jodelet, / Fait marcher après vous votre digne valet… », « Votre feu père même est joué sous le masque23 »). Dans la dernière scène de la pièce, la comédie est devenue un livre, que Philiste présente à Dorante (« Il lui montre Le Menteur imprimé ») et qui suscite une nouvelle mise en œuvre du procédé : « C’est une comédie où, pour parler sans fard / Philiste, ainsi que moi, doit avoir quelque part / […] On la joue au Marais, sous le nom du Menteur24. » Molière, dont la tentative d’installation à Paris est rigoureusement contemporaine de la création du Menteur et de La Suite, s’en souviendra et insérera régulièrement dans ses comédies des allusions à son propre théâtre25.

9Si cette relation spéculaire, de nature méta-théâtrale autant que métafictionnelle, a été bien mise au jour par les commentateurs, et peut être rattachée au fonctionnement du cinquième acte de L’Illusion comique, elle n’est pas, loin s’en faut, la première ni même la plus importante des procédures qui apparient La Suite à la pièce précédente. Le fait majeur est, en effet, le retour de trois des personnages du Menteur. Que Corneille ait fait revenir le couple que forment Dorante et Cliton – les acteurs qui les incarnaient, Floridor pour l’un, Jodelet pour l’autre – allait probablement de soi et était la condition sine qua non pour pouvoir qualifier la seconde pièce de « suite » de la première. Leurs retrouvailles au seuil de la pièce (« Cliton – Ah ! Monsieur, c’est donc vous ? / Dorante – Cliton, je te revoi26 ! ») assurent bien le lien entre les deux œuvres, les échanges entre le maître et le valet permettant de combler l’attente des spectateurs qui peuvent se demander non seulement pourquoi Dorante, qu’ils avaient quitté à la veille de son mariage avec Lucrèce, se trouve en prison, mais aussi pourquoi le maître et le valet ont été séparés. Mais le dramaturge a également redonné un rôle à Philiste, personnage secondaire du Menteur. Dans la première version du Menteur, la seule donc qui existe au moment où Corneille compose La Suite, cet ami d’Alcippe et de Dorante n’est présent que dans trois scènes : la scène 5 de l’acte I, où Dorante retrouve ses deux amis, puis une séquence de deux scènes, à l’ouverture de l’acte III, où il empêche le duel entre Dorante et Alcippe qui a commencé dans l’intervalle entre les actes II et III avant de dissiper les soupçons relatifs à une idylle entre Dorante et Clarice qui subsistaient dans l’esprit d’Alcippe. Le spectateur ne le revoyait plus après cette scène. C’est en 1660 seulement que Corneille décide de donner à Philiste un rôle déterminant dans la première scène du cinquième acte où, dit-il, « le Dénouement se trouve préparé27 ». Dans la première version de la pièce en effet, c’était un personnage épisodique, Argante, « plaideur de Poitiers », qui révélait à Géronte non seulement que l’hymen de Poitiers était une affabulation de Dorante mais encore que le jeune homme avait contracté pendant ses études la fâcheuse habitude de mentir, endossant d’une certaine manière le rôle du lettré de Salamanque de la pièce d’Alarcón qui, cependant, faisait ces révélations au père dès l’ouverture de la pièce. Dans le premier Discours, Corneille justifie cette modification par le seul fait que cette apparition tardive sentait un peu son deus ex machina28. Entrait-il, dans cette transformation et dans le choix qui est fait alors de Philiste pour remplacer Argante, le désir de donner un rôle plus important à ce personnage qui reparaît dans La Suite du Menteur ? Il est permis d’en faire l’hypothèse, même si le retour de Philiste pouvait s’expliquer précisément, en 1645, par le fait que, présent dans très peu de scènes de la pièce antérieure, sans aventure amoureuse et donc célibataire à la fin de la pièce, il était disponible pour être lancé dans une nouvelle intrigue, et notamment une intrigue amoureuse, ce qui n’était bien sûr pas le cas d’Alcippe. Il est introduit dès la première scène de La Suite du Menteur comme lyonnais et « parent des premiers magistrats29 », ce qui n’est pas incompatible avec son identité d’ami parisien de Dorante dans Le Menteur, ni même – Philiste présenterait quand même une mobilité géographique assez remarquable – d’ancien étudiant de la faculté de droit de Poitiers, identité qu’il revêt à partir de 1660.

10Outre qu’elle fait place à des personnages reparaissants, La Suite fonctionne comme telle à chaque fois qu’y affleurent des allusions aux personnages et actions de la première pièce, procédé distinct de la mise en abyme puisqu’il opère sans changement de niveau fictionnel : Clarice, Lucrèce, Alcippe ou Géronte ont alors le même statut et se situent sur le même niveau que Cléandre, Mélisse ou Lyse, et Dorante, Cliton et Philiste sont inscrits dans la continuité de leurs agissements antérieurs. Ces allusions sont, assez logiquement, le fait des trois personnages reparaissants, et surtout de Cliton ; elles sont, tout aussi logiquement, plus nombreuses dans le premier acte, qui assure la jointure avec la comédie antérieure, que dans les quatre suivants. La première scène de la pièce en est saturée, du moins jusqu’à ce que Dorante fasse le récit du duel malheureux qui lui a valu d’être « pr[is] pour un autre30 » et emprisonné : Cliton et Dorante se racontent l’un à l’autre et à destination du spectateur les événements qui se sont déroulés dans l’intervalle de deux ans qui sépare la fin de l’action du Menteur et le début de celle de La Suite (v. 10-87) ; dans la seconde partie de la scène, qui lance véritablement la nouvelle intrigue, la référence à la première pièce prend la forme d’allusions, et localement d’aparte (« N’aurons-nous point ici de guerres d’Allemagne31 ? »), qui instaurent une connivence avec un spectateur chez qui Corneille suppose une mémoire précise de la pièce antérieure. Ainsi, après avoir entendu le récit du duel et de la méprise à l’origine de l’emprisonnement de Dorante, Cliton ne peut s’empêcher de le commenter, en faisant un usage des déterminants qui suppose un savoir commun :

Je trouve ici, Monsieur, beaucoup de circonstances,
Vous en avez sans doute un trésor infini.
Votre hymen de Poitiers n’en fut pas mieux fourni,
Et le cheval surtout vaut, en cette rencontre,
Le pistolet ensemble, et l’épée, et la montre32.

11Le même procédé, fondé sur la comparaison entre les événements présents et ceux de la pièce antérieure, est à l’œuvre à la scène 3 du premier acte : « Votre amour va toujours d’un étrange caprice. / Dès l’abord autrefois vous aimâtes Clarice, / Celle-ci, sans la voir33. » Moins nombreux, les raccords de ce type sont néanmoins présents dans les actes II à IV. Au début de la scène 4 de l’acte II, alors que, à la faveur d’une rupture de la liaison des scènes et d’une translation spatiale, le spectateur saisit Philiste et Dorante peu après leurs retrouvailles, Cliton ne peut s’empêcher de comparer une nouvelle fois le passé et le présent de Dorante, rappelant que « C’est le même qui prit Clarice pour Lucrèce, / Qui fit jaloux Alcippe avec sa noble adresse… » et prêtant serment « Par l’hymen de Poitiers, et le festin sur l’eau ». Philiste fait l’objet d’un même jeu lorsque le gracioso énumère les actions du Menteur auxquelles l’ami d’Alcippe et de Dorante a été mêlé, aux vers 629 et suivants34, toute la scène étant, en réalité, à verser au compte de la logique de la suite. Un acte plus loin, Philiste lui-même peut dire à Dorante, qui lui fait croire qu’il a une aventure avec une lingère : « Vous trouvez en tous lieux d’assez bonnes fortunes35. » Un dernier passage est particulièrement remarquable, à savoir la réplique que prononce Cliton à l’adresse de Dorante après la séquence nocturne de l’acte IV :

Ces fenêtres toujours vous ont porté malheur.
Vous y prîtes jadis Clarice pour Lucrèce,
Aujourd’hui même erreur trompe cette maîtresse,
Et vous n’avez point eu de pareils rendez-vous,
Sans faire une jalouse ou devenir jaloux36.

12Or Corneille vient de faire jouer là un autre ressort permettant d’assurer la continuité entre les deux pièces. La Suite reprend en effet régulièrement, dans ses structures comme dans le spectacle qu’elle offre, des scènes ou types de scène qui sont des marques du Menteur. Ces scènes sont de deux sortes, l’une actualisée une fois seulement, mais pour une séquence relativement longue, si l’on prend en considération sa préparation et sa résolution ; l’autre à intervalles réguliers : la séquence nocturne de la fenêtre d’une part, les dialogues entre Dorante et Cliton d’autre part. La présence de scènes de balcon, ou plus justement de fenêtre, se déroulant de nuit, n’est en soi pas étonnante dans une comédie à l’espagnole et ne devrait donc pas l’être dans deux… mais le fait que la séquence de La Suite du Menteur qui se déroule entre les scènes 5 et 7 de l’acte IV engage trois des personnages du Menteur dans un dispositif déjà éprouvé au sein de la pièce précédente est évidemment significatif. On y trouve mêmes rubriques de scène (« Clarice, Lucrèce, Isabelle à la fenêtre ; Dorante, Cliton en bas » dans Le Menteur ; « Mélisse, Lyse à la fenêtre ; Philiste, Dorante, Cliton » dans La Suite), renvoyant à un même dispositif scénographique37 ; même entame de dialogue (« Êtes-vous là, Dorante ? / Oui, Madame, c’est moi, / Qui veux vivre et mourir sous votre seule loi. » ; « Est-ce vous ? » / « Oui, Madame38. ») ; et même recours au procédé du quiproquo, traditionnel dans les séquences nocturnes, à ceci près que dans Le Menteur, les deux femmes installées à la fenêtre trompaient l’homme qui était sur la place et que dans La Suite du Menteur, la femme à la fenêtre confond les deux hommes qui se succèdent pour lui parler d’amour en contrebas – cette variante, appelée par la source espagnole, induisant une redisposition assurément plaisante pour le spectateur des deux pièces. Mais l’élément qui signe le plus visiblement, pour le spectateur sans doute encore davantage que pour le lecteur, la parenté entre les deux pièces, est le retour, à intervalles réguliers, du duo que forment Dorante et Cliton. Présents seuls dans 10 scènes sur les 36 que compte Le Menteur, dans 8 scènes sur 31 dans La Suite, les deux personnages en constituent les fils conducteurs, d’autant que leurs entretiens occupent des places stratégiques, en début (acte I et IV du Menteur, acte I de La Suite), et/ou fin d’acte (actes I et III du Menteur, actes I, II, III et IV de La Suite, où Corneille emploie le procédé de manière plus systématique). Commentant les événements qui viennent de se dérouler, annonçant ceux qui vont suivre, le maître et le valet jouissent dans ces scènes d’une position de surplomb qui les isole du reste des personnages, leur donne le statut objectif de maîtres du jeu et fait d’eux des complices du spectateur.

13Pièce dans la pièce à certains égards, les scènes entre Dorante et Cliton font circuler les mêmes procédés et les mêmes formules, dans une forme d’autonomisation remarquable. Aux variations sur « Tu seras de mon cœur l’unique secrétaire, / Et de tous mes secrets le grand dépositaire » aux scènes 6 de l’acte II, 1 de l’acte IV et 3 de l’acte IV du Menteur répond l’« oraison funèbre » de Dorante prononcée par Cliton à la scène 6 de l’acte I et évoquée deux actes plus loin, à la scène 5 de l’acte III39. Dans La Suite du Menteur cependant, l’occupation favorite de Cliton dans ces scènes consiste dans le décompte des mensonges de son maître. Ce qui deviendra un leitmotiv se met en place à la fin de l’acte I, alors que Dorante vient de révéler à Cliton qu’il a couvert Cléandre auprès du prévôt ; à la fin de l’acte II, Cliton peut compter deux mensonges, puisque Dorante vient de faire croire à Lyse qu’il donnera le portrait de sa maîtresse à un orfèvre retenu comme lui dans les geôles lyonnaises (« Bon, en voici déjà de deux en même jour, / Par devoir d’honnête homme et par effet d’amour40. ») ; un acte plus tard, un troisième mensonge s’est ajouté, à propos de l’identité de Mélisse, que Dorante vient de faire passer pour une lingère auprès de Philiste (« Mais en un demi-jour comptez déjà pour trois. / Un coupable honnête homme, un portrait, une dame, / À son premier métier rendent soudain votre âme ; / Et vous savez mentir par générosité, / Par adresse d’amour, et par nécessité41. »). Le jeu est tellement rodé qu’à la scène 6 de l’acte IV, Dorante, qui a alimenté le stratagème de Cliton destiné à éloigner Philiste de la fenêtre de Mélisse, peut dire en aparté : « Si Cliton m’entendait, il compterait pour quatre42. »

14Corneille n’a donc pas ménagé sa peine pour lier les deux pièces, en recourant à des procédés à la fois variés et complémentaires. D’où vient, dès lors, l’impression tenace que La Suite du Menteur n’est pas exactement, ou pas jusqu’au bout, naturellement et sans réserve une suite du Menteur ? Très probablement de ce que, étant à la fois la suite du Menteur et l’adaptation d’une comedia sans rapport avec la source espagnole du Menteur, elle est structurellement dotée de deux hypotextes.

Hypotexte contre hypotexte

15C’est là, en effet, la singularité absolue de La Suite du Menteur, qui relève à la fois de la famille des suites dramatiques telles que celles du Cid et de la catégorie des adaptations de comedias : elle se donne comme l’hypertexte unique de deux hypotextes distincts que rien ne permettait de rapprocher et dont le premier avait donné naissance à une pièce autonome et jusque-là parfaitement complète. Outre qu’elle est due à un autre auteur que La Verdad sospechosa et qu’elle repose sur des personnages sans rapport avec ceux de la première pièce, Amar sin saber a quién relève en effet d’une autre sous-catégorie de la comedia que la pièce d’Alarcón : non plus la comedia de enredo ou comédie d’intrigue ou « intriquée » selon la traduction de Liliane Picciola43, mais la comedia de honor ou la comedia de capa y espada. L’action commence par un duel au cours duquel un homme perd la vie et engage ensuite des débats sur l’honneur autant que sur ce que l’on doit à l’amitié et ce que l’on doit à l’amour ; le protagoniste, Juan de Aguilar, possède des qualités morales remarquables – il endosse la responsabilité d’un crime qu’il n’a pas commis, refuse de dénoncer le meurtrier et est prêt à renoncer à l’amour par amitié et reconnaissance à l’égard de celui qui lui a permis de sortir de prison – et il est si séduisant que la maîtresse de Fernando, le personnage auquel Corneille donnera le nom de Cléandre, s’éprend de lui. Corneille ne conserve pas ce personnage féminin, ou plus exactement le réduit à n’être qu’un nom, prononcé à la fin de la scène 3 de l’acte IV – « Adieu, je vais une heure entretenir Climène44. » – et supprime la seconde action portée par Fernando et qui nourrissait plusieurs scènes de la pièce espagnole45.

16Justifiée par les procédures propres à l’habillage à la française, la suppression de cette intrigue secondaire a pour effet de libérer une place qui pourra être investie par le déploiement de la suite de l’hypotexte français. S’il est malaisé de présenter sous la forme d’un tableau ce que chaque acte et, à l’échelle de l’acte, chaque scène doit à l’un ou à l’autre hypotexte, dans la mesure où plusieurs scènes trouvent leur source dans l’un et l’autre simultanément ou alternativement, il apparaît néanmoins que certaines scènes ou séquences de scènes proviennent exclusivement d’Amar sin saber a quién et d’autres exclusivement du Menteur46. Relèvent de la pièce espagnole ou de la logique de l’adaptation, qui implique des opérations de transposition, amplification ou ajouts locaux, toutes les scènes d’où sont absents Dorante, Cliton et Philiste et qui engagent donc Cléandre, Mélisse et Lyse. Il s’agit des scènes 1 à 3 de l’acte II et 1 à 3 de l’acte IV. Généralement, dans les scènes qui mettent en présence ces trois personnages avec les trois personnages reparaissants du Menteur, l’hypotexte espagnol, c’est-à-dire celui qui fournit à La Suite l’essentiel de son action, s’impose massivement. Il en va ainsi, par exemple, des scènes 4 et 5 de l’acte I, où Corneille reprend, en l’abrégeant, la séquence de confrontation du vrai et du faux coupable dans la prison, ou de la scène 3 de l’acte III, pour laquelle il concentre deux scènes de visite distinctes de la pièce de Lope. Le phénomène est encore plus sensible dans les deux derniers actes de la pièce, qui proviennent presque entièrement d’Amar sin saber a quién. À l’inverse, la scène 6 de l’acte I, comme une partie de la première scène de l’acte I ont pour hypotexte Le Menteur et assurent la jointure entre les deux pièces, la première au prix d’un long récit à deux voix (celle de Cliton puis celle de Dorante) dont le romanesque rivalise avec celui de l’hymen de Poitiers.

17Il arrive, cependant, que le souvenir du Menteur affleure dans des scènes mettant en présence personnages nouveaux et personnages reparaissants, comme dans la première scène de l’acte III, empruntée à Lope de Vega et qui se termine par la sortie de Fernando / Cléandre après que Juan / Dorante lui a montré le portrait de Leonarda / Mélisse, mais au sein de laquelle Corneille ajoute un échange de son cru relatif à Cliton. Alors que le valet ne peut s’empêcher de parler, Cléandre note que « Cet homme a de l’humeur », enclenchant alors un portrait de ce « vieux domestique / Qui […] n’est pas mélancolique » et ne peut rivaliser qu’avec Jodelet47. La digression est d’ailleurs assumée comme telle, Cléandre y mettant fin par un « Presque insensiblement nous avons pris le change. / Mais revenons, Monsieur, à ce que je vous dois48. » La scène 4 de l’acte III présente un cas similaire : globalement fidèle à une scène de la pièce espagnole entre Luis et Juan, elle fait place à une brève réplique de Philiste, à qui Juan vient de parler de la supposée lingère – « Vous trouvez en tous lieux d’assez bonnes fortunes49 » – qui est à verser au compte de la logique de la suite.

18Les choses deviennent en effet plus troubles dès lors qu’aucun des personnages de la pièce espagnole n’est présent : de même que La Suite du Menteur possède deux hypotextes, Dorante, Cliton et Philiste ont chacun deux modèles et sont la rémanence de deux personnages distincts, le Dorante du Menteur et Juan de Aguilar pour le premier, Cliton et Limón pour le deuxième, Philiste et Luis pour le troisième. Philiste étant chargé de très peu d’histoire au sortir du Menteur, il peut endosser sans difficulté le costume de Luis de Ribera, fils du corrégidor de la région de Tolède, sans lien avec Juan avant le début de l’action, les liens d’amitié entre Philiste et Dorante imaginés par Corneille constituant une motivation supplémentaire pour que Dorante fasse appel à lui pour l’aider à sortir de prison. Il n’en va pas de même de Dorante et Cliton. Il est à noter, tout d’abord, que la pièce espagnole n’est pas ponctuée, comme l’adaptation française, de ces scènes d’ouverture et de clôture d’acte entre maître et valet. Leurs échanges, moins nombreux, se font souvent en présence d’autres personnages et prennent alors la forme de brefs apartés. Les quelques scènes dans lesquelles ils se trouvent seuls tournent essentiellement autour de l’identité de la belle inconnue dont Juan s’est épris ; Corneille en conservera la matière dans les scènes 5 de l’acte II et 2 de l’acte III. Peut-on considérer que Dorante y est alors l’avatar du seul Juan, et Cliton du seul Limón, c’est-à-dire de leurs équivalents dans la pièce espagnole ? Rien n’est moins sûr : la scène 5 de l’acte II s’achève en effet par une nouvelle réplique de Cliton rapprochant le comportement actuel de son maître de ses agissements passés (« Sans scrupule autrefois, témoin votre Lucrèce, / Vous emportiez l’argent, et quittiez la maîtresse50… »). S’il apparaît que Corneille n’invente de toutes pièces qu’une seule scène entre Dorante et Cliton (la scène 6 de l’acte I), les autres scènes sont le résultat d’un savant mélange d’éléments de l’hypotexte espagnol, souvent déplacés, et d’éléments du Menteur. Elles tournent en partie, on l’a dit, sur l’obsession de Cliton à vouloir qualifier de mensonges les actions de son maître. Or cette obsession n’est pas, ou pas seulement, celle du valet de Dorante. Ou plus justement, elle est l’habillage d’une nécessité du texte et la tentative de remédier à un, voire deux problème(s) majeur(s). Dorante, en effet, s’est repenti, perdant dès lors non seulement ce qui faisait le charme et l’efficacité de la première pièce, comme le souligne Corneille en 1660 dans l’Examen déjà cité, mais aussi et surtout ce qui constituait son identité propre. Et s’il en va ainsi, c’est que Dorante n’est pas seulement Dorante ; il est aussi l’avatar français de Juan de Aguilar, personnage parfaitement vertueux et qui, partant, ne ment pas. Corneille a donc à faire face à une injonction contradictoire : pour que La Suite puisse fonctionner comme suite du Menteur, Dorante doit être présenté comme menteur et doit donc continuer à mentir ; pour que La Suite puisse fonctionner comme adaptation d’Amar sin saber a quién, il ne doit plus mentir. Plus encore, Dorante doit faire oublier son passé pour pouvoir espérer conquérir le cœur et la main de Mélisse. La mise en fiction de ses actions passées et les représentations du Menteur ont non seulement « enrichi […] la ville » « d’un nouveau proverbe », mais plus encore ruiné la réputation de Dorante, qui aura toutes les peines du monde à se marier51. Conscient de cette difficulté, Dorante doit donc « réussir avant qu’elle ait rien su52 ». Réussir, c’est-à-dire faire oublier son passé de menteur et faire disparaître le premier Dorante sous l’identité de Juan de Aguilar… alors que Cliton est chargé, pour faire exister La Suite comme suite, de manifester en permanence la continuité du personnage et son lien avec le protagoniste du Menteur. Les commentateurs ont beau jeu, dès lors, d’opposer les « mensonges vertueux » ou les « mensonges généreux » aux « mensonges d’intérêt » ou « mensonges gratuits53 », il y a là, surtout, frottement et même conflit entre deux hypotextes dont chacun possède sa logique propre et que Cliton tente, tout au long de la pièce, de faire fonctionner ensemble. Aussi s’emploie-t-il non seulement à tisser des liens entre les actions des deux pièces, mais surtout à qualifier de mensonges toutes les actions de Dorante.

19Le procédé se met précisément en place avec la première scène entièrement inventée de la pièce, la dernière de l’acte I, qui vient dialoguer avec les scènes 1 et 3 du même acte, où Dorante a affirmé qu’il s’était « amendé du voyage de Rome » et ne mentait plus. Il se poursuit tout au long de la pièce, Cliton se plaisant, on l’a vu, à compter dès le deuxième acte les mensonges de son maître, et est soutenu par plusieurs occurrences du verbe « mentir », comme celle que l’on trouve dans la bouche de Lyse à la scène 6 de l’acte II (« Sans mentir54 ? »), qui maintiennent toujours à la surface de la pièce ce motif qui, à la vérité, n’y aurait aucune place si Corneille s’était contenté d’un seul hypotexte. L’opération est claire : il s’agit, envers et contre tout, de maintenir la continuité du personnage de Dorante, et de faire croire aux spectateurs qu’il n’y a aucune différence entre Dorante I et Dorante II, qu’il « mentir[a] toujours », qu’il est le même bien plus qu’un autre (« C’est un tout autre esprit sous le même visage, / […] C’est le même qui prit Clarice pour Lucrèce55… »), et qu’en définitive, « Jamais cheval, ni méchant homme, n’amenda pour aller à Rome », comme le dit le proverbe avec lequel joue Cliton dans la première scène de la pièce… Mais, de manière significative, la qualification des agissements de Dorante et le rappel de son passé de menteur n’ont pour auditeurs que ceux qui connaissent déjà le premier Dorante, à savoir Philiste et surtout le spectateur. Dans la première version de la pièce, la production par Philiste du « Menteur imprimé » dans la scène finale, qui réunissait tous les personnages, contraignait Dorante à avouer « Au sortir d’écolier, j’eus certaine aventure / Qui me met là-dedans en fort bonne posture56 » ; la suppression de la scène à partir de 1660 a pour conséquence que le passé de Dorante demeure finalement inconnu de Cléandre, Mélisse et Lyse, et que tout fonctionne donc comme s’il était, tour à tour et en fonction de son interlocuteur, l’avatar de Juan de Aguilar ou celui de Dorante…

20Le dialogue incessant entre les deux hypotextes de La Suite du Menteur est assurément le ressort essentiel de sa variété, la logique de l’hypotexte français et la complicité avec le spectateur sur laquelle elle repose et qu’elle ne cesse d’entretenir apportant une forme de légèreté et de mise à distance du pathétique propre à l’hypotexte espagnol. L’opération n’a, semble-t-il, pas convaincu le public contemporain de Corneille, pas plus que celui des siècles postérieurs, et l’on peut faire l’hypothèse que cet échec ne tient pas seulement aux efforts de mémorisation demandés au public, comme Corneille feint de le croire dans l’Examen, mais peut-être davantage à l’inconfort que suscite la mise en concurrence de deux hypotextes si différents et, partant, le rôle de Cliton, qui se trouve être tout à la fois le plaisant de la comédie et une figuration du dramaturge lui-même…

Notes

1 Journal d’Olivier Lefèvre d’Ormesson, cité par S. Wilma Deierkauf-Holsboer, dans Le Théâtre du Marais, Paris, Nizet, 1958, t. I, p. 96.

2 La Suite du Menteur, V, scène dernière, supprimée à partir de 1660 ; éd. Guillaume Peureux, Paris, Le Livre de poche, 2010, p. 298. Toutes nos citations du Menteur, de La Suite du Menteur et des paratextes des deux pièces seront extraites de cette édition.

3 Voir S. W. Deierkauf-Holsboer, op. cit., t. I, p. 96-102.

4 Épître dédicatoire de La Suite du Menteur, p. 291.

5 Loc. cit.

6 Ibid., p. 293. Nous soulignons.

7 Examen de La Suite du Menteur, p. 296.

8 Voltaire, Commentaires sur Corneille, dans Œuvres complètes, Oxford, Voltaire Foundation, t. 54, 1975, p. 379.

9 Corneille, Œuvres complètes, éd. citée, t. II, p. 1241.

10 Jean Serroy, Notice de Corneille, Le Menteur. La Suite du Menteur, Paris, Gallimard, « Folio Théâtre », 2000, p. 305.

11 Guillaume Peureux, Préface, éd. citée, p. 19 sq.

12 Liliane Picciola, Introduction à La Suite du Menteur, dans Corneille, Théâtre, Paris, Classiques Garnier, t. IV, 2023, p. 833.

13 Deux exemples au moins peuvent être évoqués : les suites concurrentes données à L’Astrée d’Honoré d’Urfé par Gomberville (1625-1626) et Baro (1627-1628), et celles, plus tardives, du Roman comique de Scarron (la première, dite « suite d’Offray », paraît en 1663), romans laissés inachevés du fait de la mort de leur auteur respectif.

14 La Suite et le Mariage du Cid d’Urbain Chevreau et La Vraye Suite du Cid de Desfontaines, parues à la fin de l’année 1637 ; L’Ombre du comte de Gormas de Chillac publiée en 1639. Elles ont été réunies par Daniela Dalla Valle dans Les Suites du Cid de Corneille (1637-1639), Toulouse, Société de Littératures classiques, 2009.

15 Le Roi, en effet, dit à Chimène, rétive à l’idée d’épouser Rodrigue au lendemain de la mort de son père : « Prends un an si tu veux pour essuyer tes larmes. », tandis qu’il intime l’ordre au protagoniste de « prendre les armes » et de « reporter la guerre » jusqu’au pays des Mores (Corneille, Le Cid, V, 7, v. 1847-1851, éd. citée, t. I, p. 777).

16 Voir, sur ce point, la contribution de Marc Escola dans la présente livraison.

17 Selon le procédé de la paralipse, auquel Marc Escola a consacré un article (« “Chaque âge a ses plaisirs”. Les aventures de la paralipse », Poétique, no 185, 2029, p. 73-98).

18 Gérard Genette, Palimpsestes. La Littérature au second degré [1982], Paris, Seuil, « Point Essais », p. 222.

19 La Mort des enfants d’Hérode ou suite de la Mariane de La Calprenède (1639).

20 La Place Royale, éd. Marc Escola, Paris, GF-Flammarion [2001], 2019, n. 1, p. 101.

21 Ibid., III, 4, v. 746-747, p. 127-128 et note n. 1, p. 128.

22 Cervantès, L’Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche, trad. Aline Schulman, Paris, Seuil, 1997, t. II, chap. II, p. 27. À notre connaissance, le rapprochement entre les deux comédies cornéliennes d’une part, et les deux parties du roman de Cervantès d’autre part n’a été explicitement fait que par Isabelle Rouane Soupault dans « Une réminiscence cervantine chez Corneille », Cahiers d’études romanes, no 39, 2019, p. 79.

23 La Suite du Menteur, I, 3, v. 268, 272, 275-291, p. 179-180.

24 Ibid., V, scène dernière, vers supprimés à partir de 1660 ; éd. citée, p. 298.

25 Voir notamment Le Misanthrope (I, 1, v. 98-100 : « Je ris des noirs accès où je vous envisage ; / Et crois voir, en nous deux, sous mêmes soins nourris, / Ces deux Frères que peint L’École des maris » ; éd. Georges Forestier, Claude Bourqui et alii, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2010, t. I, p. 651) et Le Malade imaginaire (III, 3 : « … je souhaiterais seulement pour vous désennuyer vous mener voir un de ces jours représenter une des Comédies de Molière sur ce sujet. », éd. citée, t. II, p. 696). Au reste, le couple que forment Don Juan et Sganarelle n’est pas sans rappeler celui de Dorante et Cliton…

26 La Suite du Menteur, I, 1, v. 1, p. 161.

27 Discours de l’utilité et des parties du poème dramatique, dans Corneille, Trois Discours sur le poème dramatique, éd. M. Escola et B. Louvat, Paris, GF-Flammarion, [1999] 2021, p. 87.

28 Rappelant que le premier acte « doit contenir les semences de tout ce qui doit arriver, tant pour l’action principale, que pour les Épisodiques, en sorte qu’il n’entre aucun Acteur dans les Actes suivants, qui ne soit connu par ce premier, ou du moins appelé par quelqu’un qui y aura été introduit », Corneille critique le rôle qu’il a fait jouer à Argante, dont l’entrée en scène n’est pas préparée : « Le Plaideur de Poitiers dans Le Menteur avait le même défaut [que les Maures dans Le Cid], mais j’ai trouvé le moyen d’y remédier en cette Édition, où le Dénouement se trouve préparé par Philiste, et non plus par lui » (ibid., p. 86-87).

29 « … dans ces murs Philiste a pris naissance, / Et comme il est parent des premiers magistrats, / Soit d’argent, soit d’amis, nous n’en manquerons pas. » (La Suite du Menteur, I, 1, v. 152-154, p. 168).

30 Ibid., v. 88, p. 164.

31 Ibid., v. 104, p. 165.

32 Ibid., v. 132-136, p. 167.

33 I, 3, v. 263-265, p. 179.

34 « N’était-il pas, Monsieur, avec Alcippe et vous, / Quand ce festin en l’air le rendit si jaloux ? / Lui qui fut le témoin du conte que vous fites… » (p. 201).

35 III, 4, v. 1101, p. 230.

36 IV, 8, v. 1552-1556, p. 261.

37 Le frontispice du Menteur en garde peut-être la mémoire, qui montre Clarice et Lucrèce à la fenêtre d’une maison et Dorante et Cliton sous cette fenêtre.

38 Le Menteur, III, 5, v. 943-944, p. 95 ; La Suite du Menteur, IV, 5, v. 1428, p. 251.

39 « … on dira de vous pour oraison funèbre : “C’était en menterie un auteur très célèbre, / Qui sut y raffiner de si digne façon, / Qu’aux maître du métier il en eût fait leçon ; / Et qui tant qu’il vécut, sans craindre aucune risque, / Aux plus forts d’après lui put donner quinze et bisque.” » (I, 6, v. 375-380, p. 186) puis « Croyez-moi, vous mourrez, Monsieur, dans votre peau, / Et vous mériterez cet illustre tombeau, / Cette digne oraison que naguère j’ai faite, / Vous vous en souvenez, sans que je la répète. » (III, 5, v. 1175-1178, p. 235).

40 II, 7, v. 777-778, p. 211.

41 III, 5, v. 1164-1168, p. 234.

42 IV, 6, v. 1453, p. 254.

43 Liliane Picciola, Frédéric Calas et Anne-Marie Garagnon, Corneille, Le Menteur, La Suite du Menteur et La Place Royale, Neuilly, Atlande, « Clefs concours », 2024, p. 58 et passim.

44 IV, 3, v 1346, p. 246.

45 Sur cette suppression et ses conséquences sur le rôle de Cléandre, voir l’article de Marc Douguet dans le présent volume.

46 Nous nous appuyons ici sur le tableau comparatif des actions d’Amar sin saber a quién et de La Suite du Menteur de Liliane Picciola (introduction à son édition de La Suite du Menteur, éd. citée, p. 858-871.

47 III, 1, v. 815 sq, p. 214.

48 Ibid., v. 832-833, p. 215.

49 III, 4, v. 1101, p. 230.

50 II, 5, v 675-676, p ; 204.

51 I, 3, v. 296 et 308-311, p. 181.

52 Ibid., v. 314.

53 Nous reprenons ici les termes de Guillaume Peureux (préface de l’édition au programme, p. 19) et de Georges Couton (notice de son édition de La Suite du Menteur, éd. citée, t. II, p. 1242).

54 La Suite du Menteur, II, 6, v. 747, p. 209.

55 I, 6, v. 367, p. 186 ; II 4, v. 600 et 603, p. 200.

56 V, 5, scène supprimée, p. 298.

Pour citer ce document

Bénédicte Louvat, « La Suite du Menteur, vraie suite du Menteur ? » dans La Place Royale, Le Menteur, La Suite du Menteur de Pierre Corneille,

sous la direction de Yohann Deguin et Bénédicte Louvat

© Publications numériques du CÉRÉdI, « Revue Corneille présent », n° 3, 2024

URL : http://publis-shs.univ-rouen.fr/ceredi/index.php?id=1890.

Quelques mots à propos de :  Bénédicte Louvat

Bénédicte Louvat est professeure de littérature française à la Faculté des Lettres de Sorbonne Université. Spécialiste du théâtre français du xviie siècle, elle a d’abord travaillé sur les rapports entre théâtre et musique (sa thèse, intitulée Théâtre et musique. Dramaturgie de l’insertion musicale dans le théâtre français (1550-1680), est parue en 2002 chez Champion) avant de se tourner vers la tragédie (L’« Enfance de la tragédie » (1610-1642). Pratiques tragiques françaises de Hardy à Corneille, Paris, PUPS, 2014). Aujourd’hui, ses recherches portent essentiellement sur Molière (approche historique et réception de l’œuvre au fil des siècles) et sur le théâtre provincial, notamment occitan (elle dirige ainsi chez Classiques Garnier l’édition du Théâtre de Béziers, corpus franco-occitan de 24 pièces jouées et publiées à Béziers pendant la première moitié du xviie siècle). Elle a co-dirigé avec Pierre Pasquier le Théâtre des provinces au  siècle. Une anthologie, ouvrage rassemblant 7 pièces en français, en occitan et en breton (Classiques Garnier, 2024).
En 1999, elle a édité avec Marc Escola les Discours de Corneille (Paris, GF-Flammarion) ; elle est présidente du Mouvement Corneille depuis 2024.