Sommaire
La Revanche de Galatée
Sculptrices : portraits, représentations et personnages au XIXe siècle
Sous la direction de Florence Fix et Corinne François-Denève
- Florence Fix et Corinne François-Denève Avant-propos
- Nathalie Kremer Libération de Galathée
- Cassandre Martigny et Vicky Gauthier La renaissance féministe de Galatée dans Brouillon pour une encyclopédie féministe des mythes
- Lucie Nizard « Comme un rêve de pierre » : de Galatée à Pygmalionne dans les récits du second xixe siècle
- Céline Brossillon Pygmalion impuissant et Galatée vengée chez Rachilde et Isabelle Eberhardt
- Margot Irvine Auguste Rodin, « Pygmalion et Galatée » et Judith Cladel (1873-1958)
- Lara Guirao Entretien avec Lara Guirao
Comédienne et chanteuse, interprète du spectacle Requiem pour Camille Claudel (Théâtre de la Contrescarpe, Paris, 2018), d’après Une Femme d’Anne Delbée, biographie de Camille Claudel publiée en 1982 - Julie Rossello Rochet Galatée, ou le rêve brisé des Pygmalion dans les théâtres de Juliette Adam (1836-1936) et Marie Lenéru (1875-1918)
- Nikol Dziub Être sa propre Galatée ? Le cas Marie Bashkirtseff
- Corinne François-Denève Une ensorcelée et une lioncelle : les Galatées du Nord
- Nina Roussel « Le temps de ma sueur ne vaut pas un sou ! » – Les Mains de Camille ou Le Temps de l’oubli : hommage de papier à Camille Claudel, par la compagnie Les Anges au Plafond
La Revanche de Galatée
Une ensorcelée et une lioncelle : les Galatées du Nord
Corinne François-Denève
Figurer la sculpture, et la sculptrice
1Partant en quête de représentations de sculpteurs et de sculptrices dans la fiction, entendue au sens le plus large, Claire Gheerardyn constate la grande discrétion de ce type particulier d’artiste1. Gheerardyn choisit de commencer son inventaire au xixe siècle, arguant que c’est à cette époque que se produit un changement quant à la sculpture, qui entre « en son champ élargi », et « cesse d’être cantonnée aux techniques de modelage et de taille2 ». Tentant de justifier pourquoi les peintres sont plus nombreux que les sculpteurs dans les romans, ou les romances, de l’artiste3, Gheerardyn entreprend de montrer, au seuil de son article, que : « le sculpteur […] est placé en position seconde, et l’art qu’il pratique, la sculpture, constitue un art moindre4. » L’infériorisation de la sculpture a, selon la chercheuse, des causes multiples : toujours suspecte d’être un « moulage sur nature5 », la sculpture, ainsi, « brouille les notions d’“original” et de “copie”6 ». En outre, là où un tableau est unique, une statue peut se décliner en plusieurs matières, et parait aisément reproductible et donc avoir moins de valeur7. Gheerardyn rappelle également les propos de Léonard de Vinci, sculpteur déçu, qui affirmait que la sculpture serait un art somme toute vulgaire, la sueur se mélangeant à la matière. Léonard de Vinci compare en effet, comme le rappelle Gheerardyn, le sculpteur à un « boulanger » « couvert de petites écailles8 ». Le sculpteur serait juste un artisan. Gheerardyn rappelle enfin que dans la hiérarchie des arts (le « paragone ») de l’époque de Vinci, la sculpture est du côté du « mécanique », et la peinture du côté de l’intellect, de la « cosa mentale9 ». Une statue, au temps de la Renaissance, fait davantage appel au toucher qu’à la vue ; et elle est en ce sens aussi jugée inférieure.
2Au fil de son étude, Gheerardyn fait remarquer que, lorsque artiste il y a, le sculpteur ou la sculptrice sont généralement condamnés à un sort peu enviable. La chercheuse dresse le catalogue de figures fictionnelles de sculptrices, mettant en avant, pour la période qui nous concerne, l’hapax que constitue pour elle An Old-Fashioned Girl de Louisa May Alcott (1869), décidément grande spécialiste de romans de formation au féminin10. Gheerardyn rappelle ainsi que la sculptrice du roman, contrairement à beaucoup de ses consœurs, « parvient de manière magistrale à sculpter une admirable femme contemporaine, pleine de force11 ». La question du genre intéresse Gheerardyn : elle souligne que, « artiste » moindre, le sculpteur, en ses représentations, appelle les moindres, « Juifs, noirs, et surtout femmes12 ». De là des personnages parfois, mais rarement, « puissants » de sculptrices en fiction, comme celle de Louisa May Alcott ; de là peut-être la ressaisie, par les sculptrices, de cet art dit mineur, par une sorte d’inversion du stigmate, ou de paradoxale conscientisation. Gheerardyn indique en effet que les sculptrices, au fil du temps, se revendiquent « plasticiennes », intégrant peut-être un cliché qui veut que la femme travaille des matières nécessitant moins de force physique, ou investissant des espaces et des « crafts » supposément féminins13.
3Gheerardyn ne parle pas de Pygmalion ; ce n’est pas son sujet. Elle ne parle donc pas d’une autre nouvelle « avec sculptrice » de Louisa May Alcott, « A Marble Woman, or the Mysterious Model14 » (1865). Dans cette nouvelle, une jeune femme, prise sous l’aile d’un sculpteur, qui en fait son modèle, se révèle être une artiste elle-même – et surtout une femme amoureuse, qui finit par épouser le héros. Son passage par la sculpture ne lui sert qu’à ex-primer son amour. Pareil dénouement ne cesse de poser problème aux exégètes, qui y voient tantôt une révolte de Galatée, tantôt un retour réactionnaire de l’apprentie sculptrice dans ses foyers, happy ending nécessaire pour l’époque15. L’américain permet en tout cas de jouer aisément sur les mots : « act », et « matter16 ». L’héroïne doit se soucier de ce qui compte (« matters ») et doit agir pour cela : « acting », qui veut aussi dire « jouer (un rôle) » et permet d’évoquer la performance de genre. Mais elle est aussi « matter » (matière) pour le sculpteur – inerte, mort, passive. Le titre « Une femme de/en marbre » l’atteste, comme le nom de l’héroïne, Cecilia Bazil Stein (« pierre », en allemand17). Que la femme ne soit que « matière » n’est pas une nouveauté. Elle est une matière « molle », comme la cire18. Chez Alcott, cette matière finit par « vibrer », ou prendre vie. La Galatée de ce temps semble avoir lu David Henry Thoreau19 ou William James20.
4Dans un autre article complémentaire de celui de Gheerardyn, Eva Belgherbi21 part elle aussi en quête de personnages de sculptrices, mais son approche est délibérément menée au prisme des études de genre. Belgherbi met ainsi au jour d’autres personnages de sculptrices qui, sauf exception là encore, connaissent des fins peu réjouissantes, et obéissent aux stéréotypes d’alors qui cernent toute « femme artiste » (actrice comprise), perverse sphinge, femme malheureuse qui ne peut que passer à côté de sa réelle vocation, à savoir, nous le rappelons, le mariage et la maternité. Ainsi en va-t-il selon Eva Belgherbi de Félicia Ruys dans Le Nabab d’Alphonse Daudet, en 1878, ou de Giojà, personnage de l’Ariadnê de Marie Louise de La Ramée, dite Ouida, ouvrage qui parait en 1877 en anglais22. Ariadnê, sous-titré The Story of a Dream, est dédié à « Marcello », et renvoie donc à une « vraie » sculptrice, Adèle Castiglione Colonna, ou Adèle d’Affry, qui avait adopté ce pseudonyme23. La dédicace indique d’ailleurs que la jeune femme est « connue dans le marbre comme Marcello » et qu’« à tout le charme de la femme, [elle] a su réunir la force de l’art 24». Contrairement à son modèle, indique Belgherbi, Giojà échoue dans sa quête, car « jamais femme n’a réussi dans le marbre25 ». La sculptrice, ici, semble victime d’un désir prométhéen, d’un ubris qui lui dicte d’attaquer une matière dure, qui ne saurait être domptée que par des forces viriles, dont elle est par nature dépourvue. Plus que de talent, c’est de muscles dont aurait besoin la sculptrice ; et cela serait bien peu « naturel » pour le féminin. On remarque à ce propos que la fiction véhicule ce poncif, qui a été démenti par « Marcello » dans la « vraie » vie.
5Constatant la « féminisation du mythe de Pygmalion dans la littérature fin-de-siècle » (à côté d’autres mythes), Charlotte Foucher Zarmarnian choisit quant à elle de l’envisager du côté du rire26. Madame Pygmalion de Jean Lorrain (1887) a ainsi pour héroïne une sculptrice lesbienne, objet de ridicule ; Rachilde manie des « Pygmalionnes » dont la « créativité artistique » est secondaire. Foucher Zarmanian évoque également Madame Pygmalion, pantomime de Jules Adenis, Francis Tourte et Frédéric Barbier (1863), une caricature de Daumier représentant une Galatée qui fume, en 1842, toutes images mettant en avant le pouvoir transgressif, dangereux, de la figure de la sculptrice.
Question de genre : sa patine
6Art « moindre », donc pour femmes (selon Gheerardyn), ou art viril, et réservé aux hommes ? La sculpture, dans son imaginaire, semble intrinséquement convoquer des stéréotypes de genre solidement ancrés. Gheerardyn montre de fait bien que le mythe du sculpteur, nécessairement musculeux et viril, est une construction, le travail ne nécessitant pas tant de force que cela, et se faisant souvent collectif ; et que, à rebours, « certaines sculptrices, dont les Américaines Harriet Hosmer et Edmonia Lewis, ont mis un point d’honneur à tailler elles-mêmes le marbre pour répondre à cette attaque27 », au risque d’ailleurs, dans le cas de Hosmer, de se voir accusées de ne pas avoir sculpté elles-mêmes, tant cela semble inconcevable pour une femme28. Belgherbi, s’appuyant sur Jean-François Corpataux dans Le Corps à l’œuvre, ne dit pas autre chose : « l’un des gestes emblématiques de la sculpture demeure dans l’imaginaire collectif celui de la taille29. »
7Gheerardyn, se penchant sur les représentations visuelles du sculpteur et de la sculptrice, note la présence obsédante de la masse ou du maillet30. Ces outils mettent en évidence les schèmes de la lutte et de la force physique qui semblent associés, dans l’imaginaire, à la sculpture. De son côté, Eva Belgherbi évoque l’iconographie de la violence des femmes en liant la représentation d’un art « physiquement engageant31 » (la sculpture) à celle de la femme armée, la militante, la suffragette, la révolutionnaire, toujours transgressive ou dangereuse. Elle constate, à la suite de Griselda Pollock32 et de Mieke Bal33, que l’image des femmes violentes en peinture (chez Gentileschi en particulier) « correspond à l’image d’un sculpteur au travail ». Camille Claudel ne se promenait-elle pas avec un « ciseau » et un « court marteau34 », outils qui dans les mains d’une femme « dérangée », peuvent être vus comme des menaces ? Plus tard, Niki de Saint Phalle, et d’autres artistes femmes, se saisiront d’armes véritables, mais aussi de ces armes par destination que sont les accessoires de cuisine35. Semblablement, selon Mary D. Garrard36, la femme artiste, dans la culture visuelle, se reconnait à ses mains fermes, à ses bras solides, à ses manches retroussées, comme se représentent d’ailleurs la plupart des peintresses dans leurs autoportraits. À quelques siècles de là, la culture cinématographique nous lègue des images de combat de la sculptrice avec la matière, aussi cinégéniques qu’érotiques. Petite créature fragile, la femme artiste devient capable d’affronter, ou non, blocs de marbre et tas de glaise, comme les multiples incarnations de Camille Claudel s’attachent par exemple à le montrer. La sculpture se fait même le vecteur idéal de la lutte de la femme artiste quant à la conquête de sa légitimité : la « matière » qu’elle attaque, tente de soumettre à sa loi, est une métaphore rêvée des empêchements de la femme artiste, tout autant que de sa force, spirituelle et physique. On se souvient que Germaine Greer parlait de la carrière d’une femme artiste comme une « course d’obstacles37 ». « Montrer » la détermination d’une sculptrice à réussir n’est pas chose aisée : la montrer triompher du monstre-matière, inversion des films d’horreur qui voit la pauvre petite héroïne être engloutie par le limon, la vase, la lave, etc., est un raccourci facile. Camille Claudel / Ellen Ripley, même combat, l’asile en moins pour l’héroïne d’Alien, qui produit quand même une petite créature molle38. Choisir un matériau noble, faire une sculpture monumentale : c’est bien le choix de l’héroïne de An Old-Fashioned Girl. Ici, le roman de formation au féminin exhibe, expose, en son sein une grande œuvre, très visible, pleine de « force ». Le jugement esthétique, par syllepse, justifie et légitime l’effort de l’artiste femme. On pourrait même dire que cet effort est une preuve de son travail : la création se gagne ici au prix de la souffrance, de l’épuisement, schème également répandu dans le « mythe de l’artiste » (et de la parturiente…). La sculptrice rejoint, à la force de ses bras, le cercle des « manuels », des « ouvriers de l’art », de ses soutiers, acquiert une sorte de mérite, sinon de légitimité.
8Toujours dans son article sur les représentations de sculpteurs et de sculptrices, Gheerardyn indique également que l’artiste est souvent représenté avec une de ses œuvres, « en insistant sur le décalage des échelles entre les corps39 ». Elle indique que les sculptrices sont le plus souvent figurées sous le masque de l’allégorie : « les représentations de sculptrices habillées et au travail sont en revanche extrêmement rares40 ». Gheerardyn distingue une exception : la Femme sculpteur d’Antoine Bourdelle. Cette femme, comme le souligne Gheerardyn, est Cléopâtre Sevastos, élève puis épouse du maitre, mais elle n’est pas nommée. Elle est représentée par Bourdelle deux fois, au repos, et au travail. Comme l’indique Gheerardyn, l’œuvre à venir n’est pas visible. Elle est, entre les mains de la femme, encore en… gestation : « L’acte créateur de la femme sculpteur est présenté comme une grossesse métaphorique41. » Gheerardyn commente également une statue de Rodin, « Le Sculpteur et sa muse42 », y voyant « un continuel passage de l’informe à la forme, et une matière en transformation circule entre le sculpteur et son inspiratrice qui le torture43 » – on appréciera les termes choisis.
9Un détour par le Nord semble ici s’imposer : « femme sculpteur », c’est aussi le titre d’une huile sur toile de William Blair Bruce, qui représente son épouse, la sculptrice Carolina Benedicks-Bruce, regardant sans complaisance l’une de ses œuvres, un couple enlacé44 ». Comme nous le verrons plus tard, les « scènes d’atelier » sont légion dans la peinture de la fin du xixe siècle, rejouant le système de valeurs du paragone hérité de la Renaissance, et peut-être la hiérarchie des genres, au sens de gender. Bruce, Canadien, choisit bien le terme de « femme sculpteur », et non de « sculptrice ». Représentée dans son atelier à Rome en 1891, la Suédoise Carolina Benedicks-Bruce porte une blouse de peintre grise, dont la couleur rappelle celle de la statue. La jeune femme a un pied solidement posé sur le chevalet, ce qui lui confère une certaine autorité. Le regard de la sculptrice descend sur sa création, un couple d’amoureux nu, preuve qu’il n’y a pas de sujet inacceptable pour les femmes artistes. Œuvre et artiste sont représentées à égalité, de façon symétrique, divisant le tableau en deux parties égales, l’œuvre étant plus petite que la femme. Le « gaze » de la créatrice est surplomblant sur son œuvre. Les mains de la femme sont encore recouvertes d’argile : elle travaille, mais n’est pas souillée, ni souillonne. Enfin, ce qui frappe, ce sont les dimensions monumentales du tableau (204,5 sur 211,7 cm) : une véritable peinture de bataille de l’entrée en guerre de la « femme sculpteur » dans le champ artistique. Cet ouvrage, par sa composition, peut rappeler, par contraste, les caricatures évoquées par Charlotte Foucher Zarmanian45. Et « les femmes artistes, chacun son tour » (Frou-Frou, 1910), et « Fantaisies d’atelier » (Petit journal pour rire, no 236, 1880, A. Grévin46) représentent une sculptrice ou une peintresse avec son œuvre, ou au travail. Ces deux dessins, toutefois, font le choix de la dérision : dans le second, c’est un tigre (plus grand que la peintresse), qui se présente pour une place de modèle ; dans le premier, le modèle, un homme nu, n’est présent que par le galbe de sa jambe, représentée au premier plan. La sculptrice le regarde, son « gaze » semblant fixer, pour qui regarde le dessin, le milieu de l’anatomie du modèle qui lui fait face. Les sous-entendus sexuels sont bien présents ici ; ils sont absolument évacués de la peinture de Bruce, véritable œuvre légitimante, cadeau d’artiste à son épouse artiste, reconnue comme telle, par lui tout du moins.
10Eva Belgherbi indique d’autres figurations de la sculptrice, « pos[a]nt dans des photographies reproduites dans les revues illustrées, se montrant en train de sculpter, posant à côté de [ses] œuvres, et témoignant de [sa] pratique artistique47 ». Si ces photos montrent une sculptrice « domestiquée48 » dans la revue Femina, en particulier, revue très conservatrice, ou une « femme artiste en modèle attractif49 », Belgherbi rappelle l’attaque au hachoir, en 1914, à Londres, par la suffragette Mary Richardson, du tableau de Vélasquez, La Toilette de Vénus (Vénus Rokeby). L’acte de Richardson était motivé par les violences faites aux corps des femmes, au nom du « Cat and Mouse act », qui contrastait avec le « respect » qui entourait les corps des femmes emprisonnés dans la peinture et la statuaire, objets de regards concupiscents (voire de touchers érotiques), mais non torturés50. Comme Foucher Zarmanian, Belgherbi évoque également des caricatures concernant les sculptrices au passage du siècle51 : les outils (maillet et pointe) sont détournés pour montrer que la sculptrice est un être dangereux, toute prête à utiliser ces armes pour des castrations plus ou moins symboliques, mais surtout symptomatiques de l’anxiété masculine du temps, tant la sphère artistique, et la sphère sociale, sont peu à peu pénétrées par les femmes artistes. La représentation de la sculptrice oscille donc entre deux extrêmes, l’iconographie guerrière, et l’accommodement aux diktats bourgeois.
11La sculptrice, de fait, si l’on en croit Carina Rech52, défie encore plus que la peintresse la délimitation genrée des espaces qui a cours au xixe siècle. On peut peindre chez soi (des miniatures, s’entend), mais il est difficile de concevoir faire de la sculpture en dehors d’un atelier à soi, ce qui suppose, plus encore que l’écriture, comme le disait Virginia Woolf, de jouir d’une certaine indépendance, et de moyens. Dans le cas de la sculpture, également, la saleté, associée à cet art, semble encore moins convenir au féminin qu’au masculin53. Demeure aussi l’épineuse question du nu masculin54, essentiel à tout apprentissage de la sculpture. Comment peut-on penser qu’une femme puisse accueillir dans son atelier un homme nu ? (la question inverse ne se pose pas). Il n’en reste pas moins que la « question du caleçon55» sert de cache-sexe à l’émergence de sculptrices. Muse ou modèle, la femme artiste est en effet limitée dans ses possibilités de travail. Qui poserait pour elle, en dehors du cercle interlope des modèles femmes (dont elle connait l’anatomie), et qu’elle n’a peut-être d’ailleurs pas les moyens de payer ? C’est sans doute pour cette raison, argue Belgherbi, que l’autoportrait56 est si pratiqué par les peintresses et les sculptrices : l’artiste femme doit donc devenir son propre modèle pour sortir de son rôle de… modèle, pour, de Galatée, devenir Pygmalion. Dans l’aréopage peu glorieux des sculptrices de fiction abandonnées et condamnées à la solitude, Belgherbi met ainsi en évidence un personnage intéressant. Dans Daniel de Kerfons, confessions d’un homme du monde (1877) d’Ernest Daudet, Suzanne du Quesnay se sculpte elle-même : se regardant dans un miroir, elle « retouche » ses joues, dans ce qui semble passer aux yeux du narrateur pour un exercice de vanité narcissique absolu, sinon sacrilège, plus qu’un travail artistique57. Ici, Pygmalion n’a pas besoin de Galatée : elle est les deux.
Le « Galatée-turn » au passage du siècle
12Au xviiie siècle, rappelle Eva Belgherbi,
par un procédé métonymique, la pointe et le maillet restent dans l’imaginaire commun les attributs de la Sculpture ; dans les représentations de l’artiste en sculpteur, les outils font partie de l’image, qu’ils soient posés aux pieds d’épigones de Pygmalion ou brandis dans le geste michelangelesque de l’attaque de la matière pour en dégager l’œuvre58.
13Il nous semble que justement cette oscillation se cristallise au passage du siècle, par la conjonction de divers évènements et mobilise, ou remobilise autrement le mythe de Pygmalion et Galatée. Nous prendrons à ce titre deux exemples tirés de la littérature suédoise, à savoir L’Ensorcelée de Victoria Benedictsson (Den Bergtagna, 1888), et La Lioncelle de Frida Stéenhoff (Lejonets unge, 189659) qui, à quelques décennies de distance, présentent deux images contrastées de Galatée, comme, curieusement, les deux œuvres précédemment citées d’Alcott.
14C’est en effet au passage du siècle qu’est débattue la « question de la femme », dans les champs social et artistique, qui ici se superposent. Il nous semble que la fin du xixe siècle représente pour les femmes artistes, et particulièrement les sculptrices, après la « parenthèse enchantée » du xviiie siècle60, une avancée certaine, qui se traduit surtout par un désir de se regrouper pour « faire réseau61 ». Sarah Bernhardt, actrice et sculptrice, incarne à elle seule, de façon triomphale, cette révolution galatéenne. Les questions du modèle nu, des matières acceptables62, des sujets convenables, des tailles mêmes des statues sont ainsi évoquées, sinon résolues. Le combat (artistique) d’Auguste Rodin et de Camille Claudel est hautement symbolique de ce moment.
15Que l’émancipation de la femme artiste, et, singulièrement, de la sculptrice, au passage du siècle, se fasse au prisme du mythe de Pygmalion est logique, tant le mythe a été prégnant et a imposé l’idée que l’homme est un « créateur sexuellement dominant », comme le rappelle Linda Nochlin63. L’inertie, le manque d’agentivité de Galatée sont alors pour beaucoup un repoussoir et non un idéal. Il faut imaginer Galatée agente, ou actrice. Notons toutefois que le phénomène n’est pas unanime. La réaction est forte, qui veut maintenir Galatée dans sa passivité, et l’empêcher de vivre, et encore plus de vivre sa vie. La « Pygmalion-mania », selon Alexandra K. Wettlaufer, est aussi une réaction, et peut porter la trace d’une sorte de terreur devant l’émergence des femmes sur la scène publique, « comme productrices et consommatrices d’art64 ».
16Cette obsession pour la figure de Pygmalion, graduellement concurrencée par la figure de Galatée, innerve les représentations fictionnelles de la sculptrice. Eva Belgherbi reprend par exemple les mots de Shannon Hunter Hurtado :
most of the works featuring female sculptors addressed the multifaceted issue of the changing role of women and participated in the broader theme of the artist as hero/heroine. Therefore, how these women were portrayed depended upon an interaction between the particular social circumstances at the time of writing, the cultural myths pertaining both to artists and womanhood literary conventions and the author’s purposes and personal convictions65.
17En dehors-même des personnages de sculptrices, la figure de Galatée, et ce qu’elle convoie, est en effet idéale pour des autrices désireuses de faire bouger les lignes des personnages féminins dans la fiction. Selon Patricia Pulham, ainsi, la figure de Pygmalion et essentielle pour les autrices américaines du xixe siècle qui :
challenge those notions of female passivity implicit in the Pygmalion myth, and represent their ‘Galatea’ figures as active thinkers, speaking subjects, and/or agents in their own lives. In rewriting the Pygmalion story, they appropriate the animated statue for their own ends and give her life in their own words, thus liberating themselves and their own art in the process66.
18Lecture forcée, militante, anachronique ? La fascination de Louisa May Alcott pour ces « statues de/en marbre » qui cachent un tempérament amoureux convoque évidemment Galatée. Selon Michaela Keck, le travail d’Alcott sur le mythe de Pygmalion : « functions as a critique of reductionist views that appropriate, oppress, and devalue women » et présente au contraire les « women’s bodies and minds in their full potential and beauty, that is, as material spirit and spiritualized matter67 ». Galatée se remanifeste aussi dans les fantasmes fin-de-siècle de la dormeuse, ou de la morte amoureuse, forcément passives. La fin de siècle rejoint deux interprétations concurrentes du mythe de Galatée, l’une, extrêmement érotique, et l’autre, purement spirituelle68.
19Chair ou âme, matériel ou spirituel, mécanique ou cosa mentale ? Il semble qu’au passage du siècle, la sculpture soit graduellement « vue » différemment. Son caractère « moindre » n’est plus aussi évident. Selon Carina Rech, c’est bien à cette époque que le sculpteur devient un « worker-artist » – suant, sans que cela soit pris en mauvaise part – et que « the practice of sculpture gained a certain standing and enjoyed renewed popularity69 ». La sculpture n’est plus considérée comme morte, inerte, « ennuyeuse » (pour reprendre les mots de Baudelaire), mais une nouvelle critique, qui va vouloir l’émergence d’une « nouvelle sculpture », la montre proche de la vie, du mouvement (grande obsession de Rodin70). En outre, les analyses de Herder vont peu à peu s’imposer contre celles de Lessing. Il ne s’agit pas seulement en effet, pour Herder, dans le cas d’une statue, de la contempler : on peut en faire le tour, presque la toucher. Autant l’américain joue sur « matter », autant l’allemand joue sur « Begriff » : le concept de la sculpture est bien qu’on l’attrape. Imiter le vivant, rendre une statue « vivante » : pour Herder, c’est le regard que l’on pose sur elle qui produit le miracle. La sculpture a une puissance « haptique71 ».
20Il serait facile de tirer de ces théories l’idée que Galatée sort de son moulage non par la grâce de son créateur ou d’une déesse de plus en plus absente, mais par celle de son spectateur, ou de sa spectatrice. Le « gaze » que l’on porte sur une statue ne sera plus surplombant, condescendant, mais en sympathie. Comme la lecture, la vision d’une œuvre par quelqu’un ou quelqu’une l’anime ou l’active.
21Voire : Pygmalion peut être dépassé par sa créature. Elisabeth Bronfen évoque ainsi la gestation et la naissance d’une œuvre, qui passe par le pouvoir de création délégué à la femme : « For the masculine artist, incorporating the feminine power of creation, engenders and requires the decorporalisation of the woman who had inspired the artist as model and whose capacities to give birth are what the painting sessions imitate72. » Le pouvoir de « création » (la maternité), traditionnellement assigné aux femmes, tandis que lui est nié le droit de créer artistiquement est ici ressaisi : il semble que la femme modèle délègue pour un instant son pouvoir de « donner la vie » au sculpteur, qui doit en retour la décorporéiser pour que son œuvre « vive » hors d’elle. Bronfen prend même au pied de la lettre ce « donner vie » au sculpteur, continuant ainsi son analyse : « that the artist not only creates an art work but is also its creation. He not only controls and forms art but is in turn controlled and formed by it73. » Bronfen propose ainsi une révolution copernicienne du mythe de Galatée : l’artiste est « formé » par la créature qu’il crée.
22Là où Galatée se faisait chair, en effet, sortant du minéral pour devenir vivante, mais restait un objet de désir, érotique, nu et offert, la Galatée fin-de-siècle peut aussi s’émanciper de cette enveloppe charnelle et se faire esprit, ou Idée, ou « femme puissante ». Elle le peut encore plus quand elle sort de l’esprit d’une femme artiste, sculptrice ou autrice. La Galatée qui sort des mains de sa créatrice n’entretient pas avec elle une relation lesbienne, comme pourrait le penser Jean Lorrain (voir supra), mais bien une relation de maternité, ou de sororité. Ou encore mieux : Galatée est simplement œuvre d’art, et modèle au sens plein du terme – non pas une femme sans vie, exposée aux regards d’un homme, mais un exemple pour ses paires. Elle n’est plus, pour le sculpteur, une simple matière brute dont on attend la livraison, qu’on paie, qui est encombrante, mais au moins ne fait pas de bruit, et est en outre toujours « disponible » dans le froid d’un atelier, dont elle ne songerait pas même à se plaindre. Galatée s’agite, et refuse sa minéralisation sous le regard désormais impuissant d’un Pygmalion qui se souhaiterait Méduse. La femme sculptrice, de son côté, peut bien s’emparer d’une côte d’Adam pour la/le « tailler » un peu, ou plonger ses mains dans l’argile pour en tirer des « créatures » qu’elle porte davantage dans son cerveau, ou ses tripes, que dans son utérus.
23Charlotte Foucher Zarmanian mise à part, peu de chercheuses sont parties en quête des sculptrices en scène. Il est cependant patent que la sculpture est idéalement représentée au théâtre. Le théâtre en effet a pour mission d’incarner, d’animer, toute chose que la sculpture revendique également de faire – et le mythe de Pygmalion en premier. Bien plus, on juge les actrices tantôt à leur capacité à figurer des « poses plastiques », tantôt à s’en émanciper, et à ne pas demeurer des statues sans âme et sans souffle, pour devenir « naturelles », donner l’illusion du mouvement, de la vie « naturels » ; concurrence du mouvement et de la statuaire consubstantielle au théâtre du passage du siècle, comment en témoignent, de façon radicalement opposée, Monique Borie et Gail Marshall74. De là, cette étude de L’Ensorcelée et de La Lioncelle, écrites par des autrices. On trouvait déjà dans les pièces d’Ibsen un peintre (dans Gengangere, Les Revenants, 1881, pièce qui entretient de forts liens avec les nôtres), ou un sculpteur, dans la pièce plus tardive qu’est Når vi døde vågner (Quand nous nous réveillerons d’entre les morts, 1899), pièce peut-être écrite en référence à Auguste Rodin et Camille Claudel. On trouve également un sculpteur chez Strindberg, peintre lui-même, dans Fordringsägare (Créanciers, 1888) : évoquées, parfois décrites avec soin, les œuvres projetaient un éclairage sur la psyché des personnages. Dans nos pièces, il s’agit d’exposer, dans tous les sens du terme, un problème lié à la création, et des créations, car les peintresses et les sculptrices composent elles-mêmes des objets, parfois visibles sur scène, œuvres artistiques qui rejoignent la propre œuvre que compose la dramaturge avec sa pièce.
Les « femmes sculpteurs » : une nouvelle brise venue du Nord ?
24En 2022, le Nationalmuseum de Stockholm organisait une grande exposition, dont la commissaire était Linda Hinners, intitulée « ‛What joy to be a sculptor!’ Swedish Women Artists 1880-1920 ». La citation initiale était empruntée au journal d’Ida Matton, présente dans l’exposition au même titre que ses consœurs Ruth Milles, Carolina Benedicks-Bruce, Alice Nordin et sa sœur Hjördis Nordin-Tengbom, Antoinette Vallgren, Gerda Sprinchorn, Agnès de Frumerie et Sigrid Fridman. Proposant un compte rendu de cette exposition, Eva Belgherbi en soulignait l’aspect scientifique, et non purement opportuniste. Il n’était pas question de réunir des « femmes sculpteurs » sur le seul motif qu’elles étaient femmes et sculpteurs (reproches que l’on avait pu faire à l’exposition « Sculpture’Elles, les sculpteurs femmes du xviiie siècle à nos jours » au musée des Années Trente, à Boulogne, en 201175. Selon Belgherbi, le fil rouge de l’exposition était bien de « construire un propos pertinent sans essentialiser les sculptrices ni les enfermer dans un récit héroïque / victimaire76 ». « Sculptor », à savoir « femme sculpteur », et non encore « sculptrice ». Le désir de ne pas dessiner une catégorie différente de celle des sculpteurs se heurte à la volonté forte de la part des artistes suédoises de se constituer en réseau : comme le rappelle Eva Belgherbi, l’exposition montre les liens de sororité qui se créent entre les sculptrices suédoises au tournant du siècle, Ida Thoresen et sa compagne Elisabeth Barnekow participant à lancer le « Föreningen Svenska Konstnärinnor » (Association des femmes artistes suédoises) en 1910.
25Était-il plus simple d’être « sculpteur » pour une femme en Suède au passage du siècle ? Eva Belgherbi rappelle en tout cas que :
L’Académie royale des beaux-arts de Stockholm a été l’une des premières écoles publiques en Suède à ouvrir ses portes aux femmes artistes en 1864 et c’est en 1870 que la première sculptrice y entre. Pour donner une idée : à la Royal Academy de Londres des femmes artistes rentrent à partir des années 1860, et en France l’École des Beaux-Arts de Paris leur ouvre ses portes officiellement en 189777.
26La migration artistique des Scandinaves vers une capitale culturelle reconnue, dans les années 1870-1880 est un fait indubitable78 : après la guerre de 1870, les Scandinaves, qui, jusque-là partaient étudier en Allemagne, se mettent à préférer la France. Un tableau de Hugo Birger de 1886 représente Le Déjeuner des artistes scandinaves au café Ledoyen. Une photographie restée assez célèbre, « Les gars de Paris dans un studio », sans doute datée de 1885, montre Carl Larsson, Ernst Josephson, Richard Bergh, August Hagborg et Per Hasselberg ; le sobriquet (« Pariserpojkarne », « les gars de Paris ») servira d’ailleurs aussi de titre à un livre de souvenirs de Georg Pauli paru en 1926. La plupart de ces artistes émigrés à Paris entrèrent en sécession avec l’art académique suédois et créèrent une « Fédération des Artistes » indépendante en 1886. Cette fédération, nous rappelle toutefois Röstorp, « était très restrictive quand il s’agissait de faire entrer des artistes femmes dans ses rangs79 ». Les Scandinaves avaient leurs repaires, comme par exemple le café de la Régence, près du Louvre, ou, dans les années 1890, un autre, situé à Montmartre, « Hörnan80 » (« le coin »).
27À Paris, les artistes femmes étaient nombreuses. Vibeke Röstorp, Linda Hinners ou le catalogue de l’exposition Women Painters81 évoquent par exemple les figures de Julia Beck (1853-1935), Emma Löwstädt (1855-1932), Carolina Benedicks-Bruce (1856-1935), Ida Matton (1863-1940), Sigrid Blomberg (1863-1941), Agnès de Frumerie (1869-1937), Ruth Milles (1873-1941), ou Alice Nordin (1871-1948). On pourrait y ajouter les noms de Jeanna Bauck (1840-1926), Hanna Hirsch Pauli (1864-1940) ou Jenny Nyström-Stoopendaal (1854-1946), et rappeler les noms de Mina Carlson-Bredberg, Eva Bonnier ou Ida Ericson-Molard. Formées aux Beaux-Arts de Stockholm, ces artistes, pourtant avancées dans leur art82, étudiaient non aux Beaux-Arts de Paris, qui leur demeurèrent fermés jusqu’en 1897, mais dans des académies comme l’Académie Julian83, l’Académie Trélat ou l’Académie Calarossi, souvent deux fois plus couteuses pour elles que pour leurs homologues masculins84. Ces femmes exposèrent et participèrent à de nombreux salons, s’établissant parfois en France, rentrant parfois dans leur pays.
28Le passage du siècle est donc un moment clé de l’histoire de l’art au féminin, en France, celui de la progressive ouverture des écoles aux femmes et, en Suède, celui de l’évasion possible vers un ailleurs artistique plus légitime ou prestigieux représenté par Paris. Mais c’est également un moment clé de l’histoire de l’art et de l’histoire littéraire des pays scandinaves, celle de la « percée moderne » (« genombrott »), mouvement très féminin, comme l’a montré Pil Dahlerup85, au rebours de Georg Brandes, précisément, qui n’y avait vu que des hommes, dans Det moderne Gjennembruds Mænd, en 1883. L’avant-propos du catalogue Women Painters in Scandinavia 1880-1900, rappelle bien que la percée moderne est un temps qui « saw a hitherto unknown upsurge in the number of women artists86 ».
Un nouveau paragone boréal féminin ?
29Face aux représentations de femmes sculpteurs étudiées par Claire Gheerardyn (La Femme sculpteur de Bourdelle et Le Sculpteur et sa muse de Rodin), Carina Rech propose d’analyser d’autres œuvres, venues de la Scandinavie, et exécutées par des femmes, qui pour elle, illustrent un renversement du regard « pygmalionien » sur la femme, et la femme artiste. Rech postule en effet que :
When employed by painters, the use of the subject matter usually served to illustrate the superiority of painting over sculpture, and representations of Pygmalion often turned into painted comments on the paragone. To stage the Pygmalion myth in painting was thus an ideal opportunity to reflect upon the sister arts of painting and sculpture87.
30Rech rappelle ainsi les variations de Jean-Léon Gérôme sur la figure de Pygmalion, et mentionne un tableau d’Édouard Dantan, présenté au Salon de 1887, Un moulage sur nature chez Haviland à Auteuil88. Le tableau représente deux hommes occupés à retirer un plâtre qui moule les jambes du modèle vivant. Nue sur un piédestal, offerte à la vue des spectateurs et spectatrices, le modèle de chair observe avec une sorte de lassitude résignée le manège, main crânement posée sur la hanche. Une statue posée en fond de composition montre son imminent devenir-inerte, même vert de gris et non plus rose89.
31Rech évoque également les œuvres créées par le peintre sécessionniste Carl Larsson pour la Galerie Fürstenberg, désormais au musée de Göteborg90. La contestation du mythe de Pygmalion a pour lui valeur de manifeste esthétique. Pour les peintres de l’âge moderne suédois, l’art ne se conçoit plus en effet sur le modèle de la peinture de batailles et l’imitation de modèles vivants (Galatée), mais bien celui de la nature et de la vie quotidienne.
32Carina Rech se propose d’étudier deux tableaux de femmes peintres, Ateljéinteriör i Paris91 (Scène d’atelier à Paris) d’Eva Bonnier, peint en 1886, et Porträtt av Venny Soldan-Brofeldt92 (Portrait de Venny Soldan-Brofeldt), d’Hannah Hirsch (ensuite Pauli par son mariage), datant de 1886-1887.
33Ateljéinteriör i Paris représente une tête de jeune garçon sculptée, posée sur un chevalet. La peinture s’est longtemps appelée In Hasselberg’s Studio, et l’on a également cru longtemps que cette sculpture était l’œuvre de Verner Åkerman. Ce n’est qu’en 1999 que Margareta Gynning a pu démontrer que Bonnier avait peint son propre studio, et représenté l’une de ses sculptures, lui rendant ainsi une double auctorialité. Eva Bonnier, en effet, était à la fois peintre et sculptrice. Si l’on suit Rech, la peinture de Bonnier serait :
a free interpretation or pictorial allusion to the myth of Pygmalion about the Cypriot sculptor who made his sculpture come to life […] Bonnier alludes to the iconography of the myth by making the sculpture of the boy appear animate, as if undergoing the transformation into a living human being93.
34Rech poursuit :
The studio space thus enabled Bonnier to allude to the trope of the sculptor as magician and to subversively appropriate an imagery from which women as artists had traditionally been excluded. In that sense, Bonnier’s studio interior can be understood as a mediated self-fashioning in the role of Pygmalion. Employing the argument that the studio interior can be conceived of as a self-portrait, Bonnier’s presence is not only implied, but even visually embodied in the sculpture on the modeling stand and its imagined awakening94.
35Porträtt av Venny Soldan-Brofeldt d’Hannah Hirsch est un portrait de Venny Soldan. Les deux Suédoises, tout juste âgées de la vingtaine, partageaient un studio à Paris et suivaient les cours de l’Académie Colarossi. Le portrait, prévu pour être présenté au Salon de 1887, est une « scène d’atelier ». Rech rappelle que Hirsch et Soldan (devenue plus tard « Soldan-Brofeldt » par son mariage) avaient prévu d’y présenter une peinture et une sculpture. Rech souligne que, dans le portrait, l’artiste est représentée tenant une boule d’argile dans sa main, tandis qu’un dessin, représentant un nu, est posé au sol devant elle. Le dessin, au premier plan, est posé sur un papier maculé de taches de peinture colorées. La matérialité de la sculpture, qui ne peut qu’être vue « à plat » sur une peinture, prend « matière » dans les mains de l’artiste, qui touche l’argile pour justement, lui donner une forme. Une statue, en fond, atteste la transformation de l’esquisse. Elle est posée devant une toile. Rech invite à voir ce portrait comme l’illustration du « paragone » qui met en avant la peinture. Rech insiste aussi sur la pose de l’artiste, assise par terre, comme surprise dans son travail.
36Si le « paragone » semble respecté, la pose de la jeune femme suscite la surprise. Rech rappelle les analyses séminales de Margareta Gynning : pour cette dernière, le point de vue est celui d’une « sonposition ». La peintresse, de ce fait, selon Rech, « free[s] herself from her own position as a woman » et peut dessiner son amie, comme le dit Gynning, selon « a young man’s perspective95 ».
37Rech poursuit :
Instead of mythically elevating the paragone with her sister art, Hirsch literally takes sculpture down from its pedestal and lets it sit on the wooden floor of a humble studio. This is a radical move given the traditional role of woman as the artist’s model and the female body as the subject for sculpture. Soldan’s pose is not only provocative in the sense that it counter – acts feminine decorum by appropriating the ideal of the worker – artist, it is also unusually proprietorial in the sense that it stages an act of appropriation of the studio as a professional space and hence turns Soldan into the creator of sculpture96.
38La réception à l’époque du tableau fut contrastée. L’artiste et critique Fanny Churberg fut choquée par l’attitude dégingandée du modèle, sans même penser qu’il pouvait s’agir d’une artiste : elle n’y voyait qu’une femme « mal » assise97.
39La critique par Herman Anakreon Ring mérite sans doute d’être citée :
Denna bild verkar utan alla yttre medel, endast och allenast genom sin inneboende, frappanta, ja, nästan hänsynslösa sanning och enkelhet. Det är en ung qvinna i en vanlig rent af tarflig svart hemdrägt som sitter på golfvet, det är alltsammans. Till en början tror man nästan, så tarfliga äro accessoarerna, att det är till ett fängelse man blifvit förd. Ser man blott ett ögonblick med eftertanke på figurens ansigte, så märker man därpå snart, att detta är omöjligt. Den unga damen har, det är hela saken, blifvit framstäld midt under sitt arbete, i en atelier, der man verkligen arbetar, ej blott tager emot besök. Hon har för en stund upphört med modelleringen, och hennes händer, som ännu hålla den plastiska leran, hvila under ett ögonblick. Men hennes själ hvilar ej, det ser man. Betrakta blott detta tänkande, vakna, intelligenta ansigte! En ny idé har runnit upp för henne, och hon hejdar sig bara en stund för att sedan klatscha till sin skizz och gifva den en helt ny form. Det ligger en intelligens i detta porträtt, som fängslar med oemotståndlig makt. Just så skulle vi vilja tänka oss den unga amerikanska bildhuggarinnan I Louise Alcotts roman, då hon arbetar på sin staty af framtidens qvinna.
This painting appeals without any outer means, only through its inherent and striking, indeed, almost reckless truth and simplicity. A young woman in an ordinary, in fact, cheap, black domestic dress is sitting on the floor; that is all. Since the attributes are so shabby, in the beginning one believes one has been led into a prison cell. But if you look for just a moment, but closely, at the face of the figure, you will quickly realize that this is impossible. The young lady has, in fact, been depicted during her work, in a studio, where people actually work and not only receive visitors. She has for a second paused the modeling and her hands, which hold the plastic clay, rest for a moment. But her soul is not resting, you can see that. Simply look at that thinking, alert and intelligent face! A new idea has presented itself to her and she holds herself back just for a moment before she proceeds to tackle the sketch and give it a whole new form. There is an intelligence in this portrait, which fascinates with an irresistible power. This is how we want to imagine the young American woman sculptor in Louisa Alcott’s novel, who is working on the future woman98.
40Cette allusion à une « staty af framtidens qvinna » dans un roman de Louisa May Alcott, qui a priori n’est pas nommé, ne laisse pas de surprendre, et nous permet d’aborder le dernier temps de cet essai.
41Dans A Marble Woman, la protagoniste, modèle d’un sculpteur, finit par sculpter un petit faune, signe de son désir de devenir une Galatée de chair pour son sculpteur, de se signaler comme une femme en peine possession de sa sensualité, qui tient un « faune » entre ses doigts. La transgression reste « moindre » : la sculptrice produit un modèle de petite dimension, sorti de la mythologie, que la psychanalyse verrait comme l’expression de son désir pour son mentor-sculpteur, là où les études de genre verraient plutôt une envie de rivalité artistique.
42Dans An Old-Fashioned Girl, le personnage de la sculptrice n’est que secondaire. Polly, la protagoniste, est une « fille de la province » qui se confronte à la fois au marché du mariage et à l’expérience de la sociabilité, parfois artistique, qui est incarnée par des femmes exerçant des professions différentes. Parmi celles-ci, Rebecca Jeffrey et Lizzie Small, présentées ainsi par Polly :
Rebecca Jeffrey is a regularly splendid girl, full of talent; she won’t let us call it genius; she will be famous some day, I know, she is so modest, and yet so intent on her work. Lizzie Small is an engraver, and designs the most delightful little pictures. Becky and she live together, and take care of one another in true Damon and Pythias style. This studio is their home, they work, eat, sleep, and live here, going halves in everything. They are all alone in the world, but as happy and independent as birds; real friends, whom nothing will part99.
43On pourra s’interroger sur ce compagnonnage sororal. Ce qui nous intéresse ici, c’est le dévoilement de la statue. Nous nous permettons de citer longuement ce texte étant peu connu :
“Slowly. The idea is working itself clear, and I follow as fast as my hands can. Is the face better, do you think?”, said Becky, taking off a wet cloth, and showing the head of the statue.
“How beautiful it is!”, cried Fanny, staring at it with increased respect.
“What does it mean to you?”, asked Rebecca, turning to her with a sudden shine in her keen eyes.
“I don’t know whether it is meant for a saint or a muse, a goddess or a fate; but to me it is only a beautiful woman, bigger, lovelier, and more imposing than any woman I ever saw”, answered Fanny, slowly, trying to express the impression the statue made upon her.
Rebecca smiled brightly, and Bess looked round to nod approvingly, but Polly clapped her hands, and said, “Well done, Fan! I did n’t think you’d get the idea so well, but you have, and I’m proud of your insight. Now I’ll tell you, for Becky will let me, since you have paid her the compliment of understanding her work. Some time ago we got into a famous talk about what women should be, and Becky said she’d show us her idea of the coming woman. There she is, as you say, bigger, lovelier, and more imposing than any we see nowadays; and at the same time, she is a true woman. See what a fine forehead, yet the mouth is both firm and tender, as if it could say strong, wise things, as well as teach children and kiss babies. We couldn’t decide what to put in the hands as the most appropriate symbol. What do you say?”
“Give her a scepter: she would make a fine queen” answered Fanny.
“No, we have had enough of that; women have been called queens a long time, but the kingdom given them isn’t worth ruling,” answered Rebecca.
“I don’t think it is nowadays,” said Fanny, with a tired sort of sigh.
“Put a man’s hand in hers to help her along, then,” said Polly, whose happy fortune it had been to find friends and helpers in father and brothers.
“No; my woman is to stand alone, and help herself,” said Rebecca, decidedly.
“She’s to be strong-minded, is she?” and Fanny’s lip curled a little as she uttered the misused words.
“Yes, strong-minded, strong-hearted, strong-souled, and strong-bodied; that is why I made her larger than the miserable, pinched-up woman of our day. Strength and beauty must go together. Don’t you think these broad shoulders can bear burdens without breaking down, these hands work well, these eyes see clearly, and these lips do something besides simper and gossip?”
Fanny was silent; but a voice from Bess’s corner said, “Put a child in her arms, Becky.”
“Not that even, for she is to be something more than a nurse.”
“Give her a ballot-box,” cried a new voice, and turning round, they saw an odd-looking woman perched on a sofa behind them.
“Thank you for the suggestion, Kate. I’ll put that with the other symbols at her feet; for I’m going to have needle, pen, palette, and broom somewhere, to suggest the various talents she owns, and the ballot-box will show that she has earned the right to use them. How goes it?” and Rebecca offered a clay-daubed hand, which the new-comer cordially shook.
“Great news, girls! Anna is going to Italy!” cried Kate, tossing up her bonnet like a school-boy.
44Becky a sculpté une statue pleine de puissance, qui représente la « vraie » femme (« true ») mais également la « coming woman », la « femme de demain ». C’est donc bien à ce texte que pense le critique suédois. Cette « new woman » reste encore associée à des symboles « féminins », comme les « bébés » qu’elle peut embrasser. Elle a un « front délicat » (qui connote l’intellect), ce qui peut la destiner à l’enseignement. Elle a une bouche à la fois « ferme » et « tendre », des épaules solides, une bouche faite pour dire des choses intelligentes. Cette femme puissante, toute en superlatifs, cherche son symbole. Lui mettra-t-on dans les mains un sceptre ? la main d’un compagnon ? un jeune enfant ? une urne de vote ? Cette suggestion, lancée par une dame « à l’allure étrange, perchée sur un sofa », est acceptée par la sculptrice, qui gravera au pied de la statue divers symboles – une aiguille, un stylo, une palette, un pinceau, et, donc, cette urne. Et Becky de tendre une main « tachée d’argile ». La création de la femme de demain passe-t-elle par l’érection d’une femme puissante, la sculptrice se substituant au Créateur, la statue devenant le symbole de l’empouvoirement de la femme, et de la femme artiste ? Becky reste toutefois encore bien timide, réservant ces accessoires « de femme » au piédestal, et ne tranchant pas quant au symbole à placer dans ses mains.
La femme d’hier, et la femme de demain : L’Ensorcelée et la Lioncelle
45Voilà qui nous fournit une transition idéale. Les deux sculptrices d’Alcott ressemblent en effet curieusement aux héroïnes de Victoria Benedictsson et de Frida Stéenhoff.
46L’Ensorcelée de Victoria Benedictsson présente une curieuse particularité. Il s’agit en effet du dernier ouvrage de l’autrice, laissé inachevé par son suicide. Il se présente dans des formes différentes : une esquisse en prose, nourrie de paperoles diverses, et une pièce de théâtre laissée inachevée, complétée par l’ayant-droit de Benedictsson, Axel Lundegård100. L’ensemble tire son titre d’une ballade ancienne, « den Bergtagna », littéralement « la femme prise par la montagne ». Le conte original raconte ce que l’on nommerait aujourd’hui une histoire d’emprise. Benedictsson reprend cette trame pour poser le cadre de sa fable. Une jeune femme, parfois nommée Louise au gré des états de l’ouvrage, devient la victime consentante d’un artiste-ogre, Gustav Alland. Sculpteur, ce dernier traverse une phase de stérilité artistique : il ne fait plus que des bustes, qui sont des commandes qui l’aident à vivre, sans aucune valeur ou ambition artistique. La rencontre de « Louise », modeste fille de la campagne, montée à Stockholm pour se retrouver au cœur d’une bohème interlope, aux mœurs libres, change la donne. Alland, cyniquement, voit en cette « petite souris » innocente et sans malice une muse idéale. Dénuée d’artifices, elle peut être modelée à son goût. Vierge, elle peut être déflorée, tandis que le sculpteur tire de cette conquête une excitation érotique qui lui redonne le goût de créer. Vidant petit à petit « Louise » de sa sève vitale, qui semble se reverser dans son inspiration à lui, Alland sent qu’il est sur le point de réussir sa grande œuvre101. Par amour, ou esprit de sacrifice, Louise accepte de se donner, de tout donner. Elle s’étiole tandis qu’Alland, plein de vigueur, sculpte dans le marbre. La statue doit être révélée lors d’une soirée prestigieuse.
47Or « Ödet », « La Destinée », sculpture d’Alland, figure la fin de l’héroïne, et lui indique son tragique chemin102. La sculpture, ainsi, « écrit » le destin du personnage féminin, qui passe à la postérité, son histoire « gravée dans la pierre » et « rendue immortelle », l’humaine derrière l’œuvre d’art devant s’effacer du monde. On ne verra pas cette sculpture : c’est Louise qui la décrit, dans une ekphrasis d’une cruauté saisissante. La sculpture la représente en effet comme la victime qu’elle est, foulée aux pieds par une déesse surhumaine, la Destinée, ou toute autre femme plus « libre », apte à captiver le cœur du sculpteur. Pour des raisons sans doute pratiques, qu’on aimerait aussi penser philosophiques, Benedictsson fait le choix de ne pas montrer cette sculpture, mais d’invisibiliser ce monumental travail masculin, réalisé comme il se doit en marbre, matériau noble et viril. Chose intéressante, d’ailleurs, alors que le personnage de la peintresse ne figure pas explicitement dans la première version en prose, Den Bergtagna, dans cette première mouture, intègre une autre ekphrasis, celle d’un puissant autoportrait de peintresse au travail, qui disparaît des autres versions, qui intègrent le personnage de la peintresse, Erna, réduite au rôle d’ex-maitresse du sculpteur. Dans cette version en prose, la protagoniste raconte son histoire sur le mode de la confession, et ce portrait est la seule image d’un « je » féminin fort, artiste, sujet et non objet, regardant et non regardée.
48Terrifiée, Louise découvre donc qu’Alland a sculpté une femme pleine de puissance, mais qui n’est pas elle : il l’a représentée foulée au pied par cette même statue, tout comme elle avait été écrasée par le donjuanisme d’Alland, avide d’amantes aussi fortes que lui. La statue d’Alland révèle à Louise son sort. C’est ici la statue qui décille le regard de la muse/modèle. À moins que Louise ne se soit jamais fait d’illusions, et qu’elle ait toujours su qu’elle courait, avec Alland, à sa perte. Mais au moins aurait-elle connu l’amour, et lui retrouvé sa créativité. « Louise » souffre ici d’un anti-complexe de Galatée, ou elle a été victime du mythe. Elle croyait que son sculpteur allait lui donner la vie, via l’amour. Il lui donne la mort. Son Pygmalion n’a jamais vu en elle autre chose qu’un anti-modèle, et une bourse à vider, comme le cœur de la jeune femme. Ruinée, acculée à la destitution sociale, abandonnée, Louise se suicide en se jetant, de son appartement, dans la Seine. Elle est repêchée, et, chose insolite, ramenée sur scène, cadavre inerte, pleuré, avec peut-être une certaine sincérité, par Alland. Enveloppée dans un linge, « Louise » devient « sa » statue, momifiée, figée en « gisante », spectacle éminemment pathétique. Hilary Frazer, au sujet des monuments funéraires sculptés de la fin du siècle, évoquait un « anti-Pygmalion counter-myth for the origins of sculpture as a medium of mourning103 ». Louise en est le parfait exemple.
49« Exigi monumentum », j’ai fait une œuvre qui est un tombeau, pourrait dire Alland, s’il était un « vrai » artiste et non un prédateur, qui songe trop tard à « réparer » en épousant ; « exigi monumentum », semble écrire Benedictsson, reprenant des éléments de sa vie pour la sublimer également sans doute. La lecture de L’Ensorcelée est en effet souvent autobiographique : on veut voir dans « Louise » une image possible de l’autrice elle-même, méprisée par son amant Georg Brandes, qui ne considérait pas comme légitimes ses écrits, au point qu’elle se trancha la gorge dans un hôtel – ce dont August Strindberg put se souvenir pour sa Mademoiselle Julie. Intéressante, cette lecture ne rend pas compte des autres personnages féminins de la pièce. Louise, en effet, n’est pas artiste, à la différence de son frère. Elle a également pour amie Erna, une peintresse, ancienne amante d’Alland, qui tente de mettre en garde la jeune femme contre la prédation du maitre. En vain : « Louise » est victime du regard d’Alland, qui la voit peut-être le premier comme une femme. La chair de Louise est bonne à échanger dans un troc qui fait grandir la cote d’Alland. Erna, peintresse, entretient des relations sadiques avec son nouveau compagnon, Henrik. Elle fume et boit. Dans L’Ensorcelée, Erna gravite dans le petit milieu des artistes parisiens, un milieu où on « lâche plus facilement la bride ». Erna fume et jure, et vit maritalement avec Henrik, toutes choses contre lesquelles elle met en garde sa sœur, en bonne « chaperonne » qu’elle est pout tout le monde, elle exceptée. Certes, Benedictsson a esquissé certaines scènes pittoresques de fêtes où l’on chante, boit et danse (ce que Louise regarde sans trop participer). Les mœurs semblent en effet plus libres, dans ce milieu, et la discussion sur les modèles laisse à penser que ce ne sont pas des modèles de vertu, comme le veut le topos. Paris est ici le lieu idéal pour la chute dans « l’amour libre » de Louise / la narratrice, l’ensorcelée. Le monde de l’art semble donc fonctionner comme un repoussoir. Louise subit l’amour libre dans un milieu dépravé et artiste, déplacé à Paris. La bohème telle que la représente Benedictsson est un monde de perdition. C’est pourtant lors d’une visite au musée, dans l’esquisse en prose de l’ouvrage, que « Louise » a une épiphanie. Trainée, initiée par Alland, elle s’arrête devant l’autoportrait d’Erna. Las, elle ne sera pas cette image, mais une autre, méprisée.
50La Lioncelle de Frida Stéenhoff présente une tout autre vision de la femme artiste. Issue de la grande bourgeoisie, Stéenhoff avait elle-même suivi des cours de peinture et envisagé une carrière artistique, avant d’épouser un médecin et d’embrasser une carrière d’écrivaine et de militante. La Lioncelle est sa première pièce, encore encombrée d’arguties théologiques qui viennent de son milieu familial. Son père était en effet Carl Bernhard Philonegros Wadström, luthérien sécessionniste. La pièce raconte donc les aventures de Saga Leire104, sculptrice. Fille d’un penseur radical, elle a reçu une éducation cosmopolite et libre, qui explique sans doute son choix de carrière. Au début de la pièce, elle est en pension chez l’évêque et sa femme. Elle a reçu la commande de bustes officiels dans la petite ville où ils résident. Sa mission menée à bien, Saga s’interroge sur son avenir. Ne doit-elle pas aller en Italie, pour perfectionner son art ? Adil, le filleul de l’évêque, toutefois, journaliste impécunieux, ne lui est pas indifférent. Mais Adil ne peut l’épouser : il n’a pas de capital. Peut-il la suivre en Italie, en union libre ? C’est bien le choix que fera Saga, non sans avoir débattu pied à pied avec le recteur, partisan des vieilles mœurs. Elle veut créer des statues en argile, il lui conseille de fabriquer de petits êtres vivants. En 1896, c’est bien le contrôle des naissances et le droit des femmes à disposer de leur corps que prône, discrètement, l’autrice, qui s’en fera le chantre, quelques années plus tard. Contrairement à ce qui se passe chez Benedictsson, le choix de l’amour libre est fait « librement » par Saga et Adil, de Suède, qui vont se mettre en route vers l’Europe pour des raisons seulement artistiques. Nos pièces portent à des titres divers la trace de cette association entre le monde des artistes et celui de la promiscuité sexuelle. Si L’Ensorcelée utilise le monde de la « bohême » à des fins morales, La Lioncelle ne nous présente pas de scène-cliché de la « vie de bohème » : la fête d’adieu de Saga a l’air fort sage, et n’est pas commentée.
51Louise n’est qu’une muse jetée une fois usée, Saga est sculptrice. L’une est objet, l’autre sujet. L’une souffre passivement, l’autre agit. L’une n’a même pas droit au don du souffle conféré à Galatée : son Pygmalion n’en a même pas fait la demande à Vénus ; il ne connait sans doute qu’Eros. Sa Galatée, il faut le dire, a tout fait à rebours : elle s’est d’abord faite chair, avant de devenir statue, puis matière morte. Plus besoin de Pygmalion, en revanche, pour Saga : elle construit son histoire (ou son mythe ?) elle-même, emmenant Adil dans son sillage, dans une relation proprement égalitaire.
52Au milieu de son atelier – chez Benedictsson, on ne verra pas Erna dans son atelier, et l’atelier du frère de Louise ne sert qu’à abriter ses amours avec Alland, ou de pittoresques scènes de la vie de bohème que la timide protagoniste regarde de loin – Saga sculpte des statuettes d’argile : à l’homme le marbre monumental, à la femme l’argile souple et la statuette aux dimensions plus modestes105. Le père de Saga, qui n’est pas un libre penseur pour rien, a toutefois bien observé le plaisir que prend sa fille à jouer avec de l’argile, et à en faire des créatures – fille de lion, ou fille de démiurge ? En tout état de cause, Adil, objet des amours de Saga, a le loisir de se pencher sur une des « créatures » de la jeune femme, au stade de l’ébauche : la statuette représente un concept auquel elle tente de donner une forme, même si ses lignes sont « grossières », ce qui d’ailleurs en constituait une qualité, refusant la norme de la grâce imposée aux corps de femmes. L’ébauche représente une femme enceinte, aux membres et au visage délicats, mais au corps difforme. Aux pieds de cette femme, un serpent qu’elle foule, victoire « sur la force de la destruction. Sur l’anéantissement, dont elle triomphe en donnant la vie ». On a pu faire observer qu’Adil était l’anagramme de « Lida », la souffrance. Le prénom du jeune homme se rapproche aussi d’Adam, d’autant que Saga annonce qu’elle ne sera pas « Ève ». Ici, la connaissance intellectuelle ne se paie pas du prix du péché originel, et c’est le serpent, et non la femme pécheresse (ou la protagoniste de Benedictsson), qui est foulé aux pieds. Fille de son père, qui voulait faire « table rase de tout », Saga sait également renvoyer au rebut les modèles féminins – Marie, Marthe, Judith, Charlotte Corday, là où Louise marche dans les pas d’Ophélie ou de Dona Elvire. Bien plus : si Louise, chez Benedictsson, ne peut pas sortir du « cercle du pouvoir des trolls », Saga sait faire sienne la sorcellerie, et utiliser l’amulette qu’on lui a offerte, pour son usage, et son bonheur.
53Chez Benedictsson, Louise n’a même pas le loisir de devenir Galatée. Qui prendrait le temps de regarder cette invisible, foulée au pied par une femme puissante ? Chez Stéenhoff, il n’en ira pas ainsi. C’est la sculptrice qui décide qui, de son ventre ou de sa main, fera naitre des créatures, ou des créations. La sculptrice exposera ses œuvres, la femme ne sera plus exposée comme un chef-d’œuvre sans son consentement. Pour Stéenhoff, il est temps de ne plus enfermer les femmes dans des « moules » – c’est aux femmes d’en fondre de nouveaux, nous dit Stéenhoff, et de cesser d’être les chefs-d’œuvre des hommes. Saga, peut-être, est Dibutade, une Dibutade qui n’a plus besoin de son père, ni d’être séparée de son amant.
54La femme artiste est donc utilisée dans nos pièces pour figurer une modalité de la femme, libre, pour son bonheur (chez Stéenhoff), ou trop libre, pour son malheur (chez Benedictsson). On y retrouve toutefois un certain nombre de lieux, souvent plus évoqués que montrés : l’atelier, le musée, le salon (d’exposition, ou mondain). On y distingue aussi des moments topiques (l’exposition, le vernissage, la création, avec ses exaltations et ses doutes), des images (l’ange, la muse, la matière, marbre, argile ou poussière…), des topoï (l’enseignement du « maitre » ou du père, les relations amoureuses et sociales…) – mais tout cela est souvent très esquissé. Nos deux pièces semblent s’inscrire sur, ou contre l’horizon d’attente des romans de l’artiste : ainsi, Alland évoque avec mépris les modèles féminins, renvoyant sans le dire au topos de la « scène d’atelier ». Essentielle pour l’époque, la question du rapport du nu masculin à la femme artiste est toutefois évoquée, de façon grotesque par Erna chez Benedictsson, de façon plus ironique chez Stéenhoff : à l’évêque qui se scandalise de la présence d’un homme nu chez lui, un garçon de cirque qui a posé pour Saga, la tante rétorque avec esprit que les infirmières s’occupent aussi des corps nus des hommes sans que personne n’y trouve rien à redire106. Mais le suicide de Louise, qui pourrait rappeler celui de Claude Lantier dans L’Œuvre d’Émile Zola, ou celui de la peintresse Constance Mayer en 1821, comme le rappelle Germaine Greer107, n’est toutefois pas un suicide artistique : Louise ne crée rien, et elle se suicide par amour (comme du reste Mayer) ; Erna crée, et ne se suicide pas, par lâcheté, dit-elle – mais si elle se suicidait, ce serait par amour – son « comportement » est sans doute un suicide social. Si Erna crée, d’ailleurs, c’est grâce à la « haine » que lui inspire Alland, son ancien amant, artiste lui-même. Alland est grand et se surpasse quand il trouve une « muse », ou plutôt une amante qui lui permet de sublimer sa dépense sexuelle : il crée alors des œuvres admirables. Erna « mène sa barque » car elle a trouvé une sorte d’émulation malsaine dans son combat avec Alland pour la gloire et la reconnaissance. Elle est devenue incapable d’aimer, et rejoint en quelque mesure les artistes perverses ou asexuées des romans de la décadence.
55Le monde de l’art selon Benedictsson est un champ institutionnel où le talent se mesure à l’obtention de bourses, de médailles, d’achat par des galeries ou par l’État. L’art est conçu comme relevant du positivisme, et obéit aux règles du progrès : chaque œuvre doit être meilleure que la précédente, il faut aller vers son « apogée », sans régresser – c’est ce qui tourmente Alland. Chez Stéenhoff, le progrès est surtout dans les mœurs, et la peur panique de la décadence, morale. Mais chez Stéenhoff également, le monde de l’art est régi par l’économie : les commandes, les mécènes, les bonnes critiques sont importants – Alland et Saga font des « bustes » de personnalités pour se faire reconnaitre, mais cela n’a rien à voir avec la vraie création, ce sont des signes de distinction qui montrent bien que l’art a trait au pouvoir. Toutefois pour la jeune sculptrice qu’est Saga, cette commande officielle, avec la possibilité de loger, et d’avoir un atelier, chez un homme respectable entre tous, est une promotion, un pied à l’étrier ; pour Alland, sculpteur déjà plus avancé, il s’agit d’une régression facile. Les circonstances pécuniaires sont exacerbées dans les autres versions de Den Bertagna, où l’on voit bien que la jeune femme sacrifie le peu qu’elle a pour s’élever au niveau social de son amant, satisfaire son goût des « belles choses », et en mourir. Sa « dépense » est radicale. Dans la même pièce, Erna vit de bourses, comme Saga vit de ses sculptures. C’est Adil qui a des problèmes d’argent. Plus que d’art, nos pièces parlent d’argent. La jeune femme de Den Bergtagna, qui n’est pas artiste, meurt surtout parce qu’elle est pauvre, que ses moyens ne lui permettent pas de rester longtemps à Paris : si elle revient, c’est pour s’offrir « en muse ». Faut-il s’étonner que, quelques décennies avant Virginia Woolf, ce soient deux autrices qui mettent en avant l’importance de l’argent, et d’un atelier à soi, pour devenir artiste ?
56Stéenhoff est la seule à parler de génie (sans sexe). Chez elle également est prégnante l’idée que le talent est fait sans doute à part égale de dons (Saga jouant dès l’enfance avec l’argile), et de technique (il faut s’instruire et apprendre pour parvenir à ses fins, avec une certaine humilité). Benedictsson pense l’art comme compétition, reconnaissance et réussite (entre hommes et femmes, ou plutôt entre un homme et une femme). Erna, ainsi, croit qu’elle doit être reconnue en prenant Alland comme échelle de valeur – elle n’est pas entrée dans l’âge féministe de l’histoire de l’art. Il n’en va pas de même pour Saga, qui ne se compare pas, et encore moins à un homme : elle est résolument moderne.
57La question du genre est d’ailleurs présente dans les textes de Benedictsson, où l’on dit souvent d’Erna qu’elle est « masculine » (dans sa façon d’aimer, ou dans son art108), et de Louise qu’elle est « asexuée » : c’est Alland qui le dit, qui lui reproche de ne pas aimer avec la passion d’une femme ; la femme ne pourrait être que sentimentale. En cela, Benedictsson rejoint les théories de Georg Brandes sur les natures différentes de l’homme et de la femme, exposées dans des conférences en 1886 à Copenhague. Essentialisation des rôles sans doute, à moins que Benedictsson ne conçoive la création comme polarisée du côté du masculin, et voulant être un auteur, reconnu(e) à l’aune masculine, et non comme une autrice d’« ouvrages pour dames ». Dans son journal, en janvier 1888, elle écrit : « Ja är en kvinna. Men jag är författare; är jag då icke också något av en man109? » On notera qu’Erna ne postule pas pour un « art au féminin », non plus que Saga. On se doute qu’Erna n’expose pas par exemple au Salon des femmes peintres de la rue Vivienne, non plus qu’avec l’Union des femmes peintres et sculpteurs comme Julia Beck ou Greta Claesson110 : elle n’a comme camarades que des hommes, qu’elle traite d’égale à égal, et elle veut revenir, dans la compétition, sur la même ligne qu’Alland, donc que les hommes.
58Chez Saga en revanche, il y a un refus de l’essentialisation de la femme qui est extrêmement moderne :
Saga : C’est bien vous, monsieur le recteur, qui avez toujours à la bouche les expressions « la femme », « la femme de notre temps », « la femme du Nord ». À chaque fois j’ai juste envie de vous demander : mais qui est cette personne ? Comment s’appelle-t-elle ?
Le recteur : Quelle médiocre petite critique… (Avec condescendance.) Le modèle ne disparaitra jamais, vous comprenez ?
Saga : Le modèle extérieur, oui ! On peut en faire un moule. Mais pour ce qui est de l’intérieur ?
59L’art, via la sculpture, est en effet utilisé chez nos deux autrices comme métaphore. Dans Madame Marianne, un roman de Victoria Benedictsson, souvent comparé à Madame Bovary, Paul, le prétendant de Marianne, la regardait « comme une statue antique », et avait cette phrase : « tout cela me fait penser à Pygmalion et Galatée ! Et moi aussi j’aimerais que ma statue prenne vie. Va-t-il falloir que j’en appelle aux dieux111 ? » Dans Den Bergtagna, soucieuse de connaître le sort de la peintresse qu’a aimée Alland, Louise lui demande ce qu’elle est devenue à l’intérieur. Même question chez Saga, donc : il s’agit que le moule de la femme ne sonne plus creux, voire, ne soit plus déclinable en série, mais bien individuel. Voire : que l’on s’intéresse enfin à ce qu’il y a dedans, toute enveloppe charnelle s’étant évaporée112. Saga est indépendante et amoraliste : la seule façon de se sortir des apories du débat sur les mœurs est bien d’en proposer de nouvelles, et même de les incarner, comme le fait Saga avec ses sculptures, ou son propre corps.
60Une dernière question demeure : peut-on parler d’un « male » puis d’un « female gaze » dans nos pièces ? Le regard d’Alland est « male » : il érotise et fragmente. Le regard d’Erna est le regard lucide d’une femme blessée. Celui de Benedictsson est aussi un « male gaze » qui a intériorisé l’objectification et le sacrifice des femmes. Saga, en revanche, dont le nom signifie « histoire », semble porter sur son agency l’embryon d’un « female gaze113 ».
Cet article est dédié à Eva Belgherbi, qui a organisé avec enthousiasme la journée d’études sur cette « Révolte de Galatée », et termine sa thèse, réalisée sans financement, pendant l’élaboration de ce numéro. Ses articles, billets et relectures en font une camarade exceptionnelle, une valeureuse pionnière, et une « sœur » précieuse.
1 Claire Gheerardyn, « Identités de sculpteur : l’artiste moindre (xixe‑xxie siècle) », dans Muriel Plana et Frédéric Sounac (dir.), Identités de l’artiste, Dijon, EUD, 2021, p. 39-61, ici cité dans la version en ligne : https://doi.org/10.4000/books.eud.3877, consulté le 1er octobre 2024.
2 Ibid.
3 Ibid.
4 Ibid.
5 Ibid.
6 Ibid.
7 Les opérations préalables sont souvent déléguées à des petites mains, à des sculpteurs et sculptrices sans nom, qui préparent la grande œuvre.
8 Cité par Gheerardyn, art. cité, de Léonard de Vinci, Traité de la peinture, trad. André Chastel, Paris, Berger-Levrault, 1987, p. 98.
9 Gheerardyn, art. cité.
10 Louisa May Alcott est connue pour son « coming-of-age novel », Little Women (1868), traduit de façon erronée et genrée en France par Les Quatre Filles du Docteur March en 1880 par Pierre-Jules Hetzel. Elle est aussi l’autrice de Work: A Story of Experience, roman autobiogaphique paru en 1873.
11 Gheerardyn, art. cité.
12 Ibid.
13 Ibid..
14 Louisa May Alcott, « A Marble Woman, or The Mysterious Model », paru en 1865. On peut trouver la nouvelle dans Plots and Counterplots: More Unknown Thrillers of Louisa May Alcott, édité par Madeleine Stern, New York, William Morrow and Company, 1976, p. 131-237. Je dois cette référence à Verena Laschinger, Annemarie Mönch et Sophia Klefisch, dans « “She Loves Nothing but Her Art”: Vibrant Marble and the Agency of the Female Artist in Louisa May Alcott’s “A Marble Woman, or The Mysterious Model” », European journal of American studies [en ligne], 17-3 | 2022, URL : http://journals.openedition.org/ejas/18753 ; DOI: https://doi.org/10.4000/ejas.18753, consulté le 1er octobre 2024, cité ici en ligne. Les autrices renvoient également au précieux article de Daniela Daniele, « “Art is a Jealous Mistress”: Living Galateas in Louisa May Alcott’s Art Tales », dans Giampaolo Borghello (éd.), Per Teresa Dentro e oltre i confini, Udine, Forum, 2009, p. 487-504.
15 Voir sur ce point les rappels de Verena Laschinger, Annemarie Mönch et Sophia Klefisch, art. cité.
16 Ibid.
17 Ibid.
18 Voir sur ce point l’introduction de ce numéro, et le rappel de la citation de Simone de Beauvoir.
19 Verena Laschinger, Annemarie Mönch et Sophia Klefisch, art. cité. Les autrices s’appuient sur Jane Bennett, Vibrant Matter. A Political Ecology of Things, Durham et Londres, Duke University Press, 2010.
20 Voir sur ce point : Hilary Fraser, « Grief encounter: the language of mourning in fin-de-siècle sculpture », Word & Image, 2018, 34:1, p. 40-54, DOI: 10.1080/02666286.2017.1333880 (cité en ligne, p. 50).
21 Eva Belgherbi, « “Il s’agit de sculpture dans le livre : je suis toujours sur le point d’en faire” (Journal de Marie Bashkirtseff). Entre imaginaire et réalité, autour de quelques personnages de sculptrices fictives au tournant du xixe siècle », Sculptures, Études sur la sculpture (xixe-xxie siècles), no 7, 2021, p. 66-75.
22 Une version française est sortie en 1879 chez Hachette, dans une traduction de Benjamin-Paul Buisson.
23 Voir l’introduction de ce dossier.
24 Une édition en ligne « bon marché » (https://archive.org/details/262828093.2258.emory.edu, consulté le 1er octobre 2024), permet de voir que cette dédicace est en français.
25 Cité par Belgherbi, « “Il s’agit de sculpture dans le livre : je suis toujours sur le point d’en faire” (Journal de Marie Bashkirtseff). Entre imaginaire et réalité, autour de quelques personnages de sculptrices fictives au tournant du xixe siècle », art. cité, dans la traduction française, tome 1, p. 126.
26 Charlotte Foucher, « Madame Pygmalion : le rire transgressif de la femme artiste au passage du siècle (xixe-xxe siècles) », dans Ariane Bayle et Florence Fix (dir.), Rire et émancipation féminine, Paris, L’Harmattan, 2013, p. 99-116.
27 Gheerardyn, art. cité.
28 Voir sur ce point Hilary Frazer, art. cité : « In 1864 the American sculptor Harriet Hosmer responded forcefully to allegations that her statue Zenobia was not really her own work but was produced by her Italian artisan studio assistants. In an article titled ‘The Process of Sculpture’, she starts by correcting ‘the false, but very general impression, that the artist, beginning with the crude block, and guided by his imagination only, hews out his statue with his own hands’. ‘This disclosure’, she writes, ‘I am aware, will shock the many, who often ingeniously discover traces of the sculptor’s hand where they do not exist’, but it is the skilled workmen who ‘translate the original thought of the sculptor, written in clay, into the language of marble’. Hosmer nevertheless asserts powerfully the distinctive creative genius of the sculptor who models the original clay and finishes the work—a point reinforced by promotional photographs that emphasize the hands-on nature of her art. »
29 Eva Belgherbi, « Pointes, hachoirs et marteaux », Les Cahiers de l’École du Louvre [En ligne], 15 | 2020, URL : http://journals.openedition.org/cel/9572 ; DOI : https://doi.org/10.4000/cel.9572, mis en ligne le 3 novembre 2020, consulté le 29 septembre 2024, cité ici en ligne. Jean-François Corpataux, Le Corps à l’œuvre : sculpture et moulage au xixe siècle, Genève, Droz, 2012, p. 229-232.
30 Gheerardyn, art. cité.
31 Eva Belgherbi, « Pointes, hachoirs et marteaux », art. cité.
32 Griselda Pollock, Differencing the Canon: Feminist Desire and the Writing of Art’s Histories, Londres et New York, Routledge, 1999.
33 Mieke Bal, Reading Rembrandt: Beyond the Word-Image Opposition, Cambridge, New York, Cambridge University Press, 1991.
34 Cité par Eva Belgherbi, « Pointes, hachoirs et marteaux », art. cité. Les mots sont de D. Henry-Asselin, « Une Femme artiste », La Presse, 10 mars 1905, n. p.
35 Eva Belgherbi, « Pointes, hachoirs et marteaux », art. cité.
36 Mary D. Garrard, « Artemisia’s Hand », dans Mieke Bal (éd.), The Artemisia Files: Artemisia Gentileschi for Feminists and Other Thinking People, Chicago, Chicago University Press, 2005, p. 5. La référence se trouve dans Carina Rech, Becoming Artists: Self-Portraits, Friendship Images and Studio Scenes by Nordic Women Painters in the 1880s (diss. Stockholm 2021), Göteborg & Stockholm, Suède, Makadam Publishers, 2021, p. 232.
37 Germaine Greer, The Obstacle Race: The fortunes of women painters and their work, Londres, Secker et Warburg, 1979.
38 On lira aussi : Eva Belgherbi (9 janvier 2020), « Stéréotypes de la femme artiste à l’écran (xviiie-xixe siècles) », Un carnet genre et histoire de l’art, consulté le 29 septembre 2024 à l’adresse https://doi.org/10.58079/p1mz.
39 Gheerardyn, art. cité.
40 Ibid.
41 On lira aussi sur le sujet : Eva Belgherbi (24 octobre 2019). Blouse d’une femme sculpteur au travail. Carnet de recherche autour d’Antoine Bourdelle, consulté le 5 octobre 2024 à l’adresse https://doi.org/10.58079/m4lk. Belgherbi rappelle que La femme sculpteur au travail doit beaucoup à la figure de la danseuse, et en particulier à Loïe Fuller et Isadora Duncan. Belgherbi rappelle aussi les mots de Cléopâtre Bourdelle : « J’étais alors son élève et dégrossissais un marbre pour lui. Je portais un grand châle tricoté blanc parce que j’avais froid. Bourdelle trouva beau le mouvement et me fit poser ainsi » (cité de Cléopâtre Bourdelle à M. Manoukian, 31 octobre 1959, Paris, archives du musée Bourdelle, legs Rhodia Dufet Bourdelle, 2002.)
42 Gheerardyn, art. cité. Pour voir la sculpture : https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Le_sculpteur_et_sa_muse_-_L71_-_Musée_Rodin.jpg, consulté le 3 décembre 2024
43 Gheerardyn, art. cité.
44 Voir Johanna Pietikäinen, Heartists: Om konstnärsparet Carolina Benedicks Bruce och William Blair Bruce med inriktning på könsroller, klass och identitet, mémoire soutenu en 2015 à l’Université d’Uppsala. Le tableau est reproduit en tête de Eva Belgherbi (2 août 2022), « Pleins feux (de joie) sur les sculptrices suédoises au Nationalmuseum de Stockholm – part. 1 », Un carnet genre et histoire de l’art, consulté le 28 septembre 2024 à l’adresse https://doi.org/10.58079/p1nl.
45 Charlotte Foucher, art. cité.
46 L’article de Charlotte Foucher reproduit ces images.
47 Eva Belgherbi, « Pointes, hachoirs et marteaux », art. cité.
48 Le terme est d’Eva Belgherbi.
49 Eva Belgherbi, « Pointes, hachoirs et marteaux », art. cité.
50 On renvoie ici au tableau de John McLure Hamilton, Edward Onslow Ford, datant de 1893, qui représente le sculpteur Edward Onslow Ford. L’artiste touche les seins de sa sculpture.
51 Nous empruntons à Foucher Zarmanian (art. cité) ce terme, plutôt que « tournant du siècle ».
52 Carina Rech, op. cit., p. 229.
53 Ibid., p. 230.
54 Ibid.
55 Voir sur ce point Charlotte Foucher Zarmanian, art. cité, p. 111.
56 Eva Belgherbi, « “Il s’agit de sculpture dans le livre : je suis toujours sur le point d’en faire» (Journal de Marie Bashkirtseff). Entre imaginaire et réalité, autour de quelques personnages de sculptrices fictives au tournant du xixe siècle », art. cité, p. 72. La chercheuse évoque les exemples de Marcello pour sa Pythie et de Mary Pownall Bromet pour The Harpy Celaeno.
57 Ibid., p. 70-71.
58 Eva Belgherbi, « Pointes, hachoirs et marteaux », art. cité.
59 Nous renvoyons à nos traductions de ces œuvres : L’Ensorcelée de Victoria Benedictsson et La Lioncelle de Frida Stéenhoff, traduction et appareil critique de Corinne François-Denève, Paris, Garnier, coll. « Littérature du monde », 2022.
60 Séverine Sofio, Artistes femmes. La parenthèse enchantée xviiie-xixe siècles, Paris, CNRS Éditions, 2016.
61 L’Union des femmes sculpteurs est créée par Hélène Bertaux en 1881.
62 Carina Rech, op. cit., p. 229.
63 Cité par Charlotte Foucher Zarmanian, art. cité, p. 99.
64 Alexandra K. Wettlaufer, Pen vs. Paintbrush: Girodet, Balzac and the Myth of Pygmalion in Postrevolutionary France, New York, Palgrave, 2001, p. 3 et p. 28.
65 Eva Belgherbi, « “Il s’agit de sculpture dans le livre : je suis toujours sur le point d’en faire” (Journal de Marie Bashkirtseff). Entre imaginaire et réalité, autour de quelques personnages de sculptrices fictives au tournant du xixe siècle », art. cité, p. 67. La citation provient de Genteel Mavericks: Professional Women Sculptors in Victorian Britain, Berne, Peter Lang, 2012, p. 245.
66 Patricia Pulham, « Marmoreal Sisterhoods: Classical Statuary in Nineteenth-Century Women’s Writing », Interdisciplinary Studies in the Long Nineteenth Century, vol. 22, 2016, p. 1-29, ici p. 18.
67 Michaela Keck, « Of Marble Women and Sleeping Nymphs: Louisa May Alcott’s A Modern Mephistopheles », dans Ben Pestell, Pietra Palazzolo et Leon Burnett (éd.), Translating Myth: Studies in Comparative Literature, Londres, Routledge, 2016, p. 144-160, ici p. 155-156.
68 On renvoie ici à l’introduction.
69 Carina Rech, op. cit., p. 235.
70 On renvoie ici à l’introduction, et en particulier à l’ouvrage de Monique Borie.
71 On renvoie ici à l’article cité d’Hilary Frazer, pour une éclairante mise en perspective.
72 Elisabeth Bronfen, Over Her Dead Body: Death, Femininity and the Aesthetic, Manchester, Manchester University Press, 1992, p. 112.
73 Ibid., p. 125.
74 Voir l’introduction. Gail Marshall, Actresses on the Victorian stage, feminine performance and the Galatea myth, Cambridge, New York, Cambridge University Press, 1998 (1996).
75 Anne Rivière (dir.), Sculpture’ Elles, les sculpteurs femmes du xviiie siècle à nos jours, cat. exp., Boulogne-Billancourt, Musée des années 30 ; Paris, Somogy, 2011.
76 Eva Belgherbi (2 août 2022), « Pleins feux (de joie) sur les sculptrices suédoises au Nationalmuseum de Stockholm – part. 1 », Un carnet genre et histoire de l’art, consulté le 28 septembre 2024 à l’adresse https://doi.org/10.58079/p1nl.
77 Ibid.
78 Vibeke Röstorp, Le Mythe du retour. Les Artistes Scandinaves en France de 1889 à 1908, Stockholm, Eidos no 26, Stockholms universitets förlag, 2013.
79 Ibid., p. 47.
80 Ibid., p. 229.
81 Voir Helle Behrndt et Jorunn Veiteberg, Women painters in Scandinavia 1880-1900, Copenhague, Copenhagen Kunstforeningen, 2002.
82 « Cette avance dans l’éducation des femmes artistes suédoises explique sûrement leur présence relativement grande auprès des artistes masculins dans les Salons parisiens », écrit ainsi Vibeke Röstorp (Rostörp, op. cit., p. 19.)
83 « L’atelier Julian, le seul sérieux pour les femmes », dit Marie Bashkirtseff (Paris, Fasquelle, 1955, t. 2, p. 9 et suivantes).
84 Vibeke Röstorp, op. cit., p. 114.
85 Pil Dahlerup, Det moderne gennembruds kvinder, Copenhague, Gyldendal, 1983.
86 Helle Behrndt et Jorunn Veiteberg, op. cit., p. 8.
87 Carina Rech, op. cit., p. 248.
88 On peut voir ce tableau via ce lien : http://www.arauco.org/academia/patioescayolas/felicecalchi.html, consulté le 3 décembre 2024.
89 Notre interprétation. On peut aussi analyser une autre scène d’atelier de Dantan, Un coin d’atelier. (https://www.musee-orsay.fr/fr/oeuvres/un-coin-datelier-70266, consulté le 3 décembre 2024). La scène représente un sculpteur, de dos, occupé à sculpter un bas-relief. Au premier plan son modèle, à moitié habillée, lasse, le regarde.
90 Voir : https://goteborgskonstmuseum.se/en/the-collection/the-furstenberg-gallery/, consulté le 3 décembre 2024.
91 Visible ici : https://en.wikipedia.org/wiki/Interior_of_a_Studio_in_Paris#/media/File:Interior_of_a_Studio_in_Paris_(Eva_Bonnier)_-_Nationalmuseum_-_20563.tif, consulté le 3 décembre 2024.
92 Visible ici : https://sv.wikipedia.org/wiki/Porträtt_av_Venny_Soldan-Brofeldt#/media/Fil:Venny_Soldan-Brofeldt,_Artist_(Hanna_Pauli)_-_Gothenburg_Museum_of_Art_-_GKM_0444.tif, consulté le 3 décembre 2024.
93 Carina Rech, op. cit., p. 245.
94 Ibid., p. 247.
95 Ibid., p. 218. Rech cite Margareta Gynning, Det ambivalenta perspektivet: Eva Bonnier och Hanna Hirsch-Pauli I 1800-talets konstliv, PhD diss., Uppsala University, Stockholm, Bonnier, 1999, p. 50-53.
96 Ibid., p. 250-251.
97 Ibid., p. 227.
98 Cité par Carina Rech, op. cit., p. 226. Le texte vient de Ring, “Konstnärsförbundets utställning, Göteborg”. Il est donné en anglais dans l’ouvrage, sans doute traduit par l’autrice elle-même.
99 Le texte se trouve ici : https://www.gutenberg.org/files/2787/2787-h/2787-h.htm, consulté le 3 décembre 2024.
100 On renvoie à notre édition.
101 On ne peut que penser à Rodin, dont le « désir » était un stimulant nécessaire.
102 Une des sculptures majeures de Camille Claudel, un groupe, appelé « L’Âge mûr » a aussi pour titre « La Destinée » ou « Le Chemin de la vie » (je remercie encore une fois Eva Belgherbi pour cette référence). La sculpture date de 1894-1900, elle ne peut donc avoir été vue par Benedictsson, mais la coïncidence est troublante.
103 Hilary Frazer, art. cité.
104 La conjonction du prénom et du nom est évidemment fâcheuse en français…
105 Selon une idée reçue qui vient peut-être du couple Auguste Rodin Camille Claudel. Vibeke Röstorp (op. cit., p. 87) nous apprend toutefois que la sculptrice suédoise Carolina Benedicks-Bruce avait pour spécialité des œuvres monumentales représentant souvent des hommes nus, comme L’Obsédé, en 1899.
106 Dans les expositions, on pouvait reconnaitre la main d’une artiste femme au fait que les modèles masculins étaient… habillés. Notons que la nudité des modèles choque également quand l’artiste est un homme, chez Benedictsson.
107 Germaine Greer, op. cit.
108 La « virilité » des femmes artistes scandinaves était parfois soulignée, ainsi d’Agnès de Frumerie, sur laquelle Albert Thomas écrit que, comme les « femmes du Nord » elle « surpasse la coquetterie de nos Parisiennes » et a « des qualités quasi viriles » (« Trois femmes artistes », L’Art décoratif, no 32, mai 1901, p. 69-74, cité par Röstorp, op. cit., p. 217).
109 « Je suis femme. Mais je suis écrivain. Ne suis-je donc pas un peu un homme aussi ? », Victoria Benedictsson Dagbok, dans Ord på liv och död I–II. Kortprosa, drama, dagbok, éd. et commentaires d’Ebba Witt-Brattström, Stockholm, Atlantis, 2008, p. 735.
110 Viveke Röstorp, op. cit., p. 48.
111 Victoria Benedictsson, Madame Marianne [Fru Marianne, 1887], traduit du suédois par Vincent Dulac, [Clichy], Cupidus legendi, 2020, p. 290.
112 « Je n’ai de la femme que l’enveloppe, et cette enveloppe est diablement féminine ; quant au reste, il est diablement autre chose », écrit par exemple Marie Bashkirtseff dans son journal (Paris, Fasquelle, 1955, t. 2, p. 9 et suivantes). Plus haut dans le texte, l’apprentie-peintresse parle de la « magie » du Quartier Latin : diable, trolls et diables se mêlent donc décidément dans les histoires de peintresse.
113 Katarina Wadstein MacLeod, « Nineteenth-Century Sculpture and the Female Gaze », cat. exp. Nordic Women Sculptors at the Turn of the 20th Century, éd. Linda Hinners, Stockholm, Nationalmuseum, 2022, p. 260-269.
Sous la direction de Florence Fix et Corinne François-Denève
© Publications numériques du CÉRÉdI, « Les Carnets comparatistes du CÉRÉdI », n° 2, 2024
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Quelques mots à propos de : Corinne François-Denève
Université de Bourgogne
CPTC