Sommaire
La Revanche de Galatée
Sculptrices : portraits, représentations et personnages au XIXe siècle
Sous la direction de Florence Fix et Corinne François-Denève
- Florence Fix et Corinne François-Denève Avant-propos
- Nathalie Kremer Libération de Galathée
- Cassandre Martigny et Vicky Gauthier La renaissance féministe de Galatée dans Brouillon pour une encyclopédie féministe des mythes
- Lucie Nizard « Comme un rêve de pierre » : de Galatée à Pygmalionne dans les récits du second xixe siècle
- Céline Brossillon Pygmalion impuissant et Galatée vengée chez Rachilde et Isabelle Eberhardt
- Margot Irvine Auguste Rodin, « Pygmalion et Galatée » et Judith Cladel (1873-1958)
- Lara Guirao Entretien avec Lara Guirao
Comédienne et chanteuse, interprète du spectacle Requiem pour Camille Claudel (Théâtre de la Contrescarpe, Paris, 2018), d’après Une Femme d’Anne Delbée, biographie de Camille Claudel publiée en 1982 - Julie Rossello Rochet Galatée, ou le rêve brisé des Pygmalion dans les théâtres de Juliette Adam (1836-1936) et Marie Lenéru (1875-1918)
- Nikol Dziub Être sa propre Galatée ? Le cas Marie Bashkirtseff
- Corinne François-Denève Une ensorcelée et une lioncelle : les Galatées du Nord
- Nina Roussel « Le temps de ma sueur ne vaut pas un sou ! » – Les Mains de Camille ou Le Temps de l’oubli : hommage de papier à Camille Claudel, par la compagnie Les Anges au Plafond
La Revanche de Galatée
Avant-propos
Florence Fix et Corinne François-Denève
1L’affaire semble entendue : Pygmalion, personnage masculin créateur, sculpte dans la pierre une femme à son désir comme Geppetto1 sculpte dans le bois un enfant souhaité ou accidentel, âprement voulu et un peu redouté aussi : au sculpteur sa création, sa muse, sa femme, au marionnettiste son rejeton, son petit garçon, son prolongement. Dans la lecture communément admise, Galatée, créature féminine supposément passive, est la métaphore idéale convoquée par les arts, la littérature et la critique2 pour figurer la toute-puissance du génie masculin, d’ailleurs seul concevable. En retour aujourd’hui, Galatée figure toute situation de minoration, d’emprise, d’invisibilisation de la création féminine, de toute façon impossible : l’homme crée, la femme est créée (par l’homme).
2Dans Les Métamorphoses d’Ovide, livre X, où apparait pour la première fois Pygmalion (tandis que Galatée n’est pas nommée, « Il la nomme la fidèle compagne de son lit. »), c’est pourtant bien Vénus qui anime la statue et non le sculpteur, transi d’un désir auquel la déesse de l’amour répond. Ce sont les suppliques, les prières d’un homme qui ne parvient pas à animer sa statue qui déterminent Vénus à rendre vivant l’objet d’ivoire.
La particularité de l’histoire de Pygmalion est que sa statue n’y imite rien (ni personne). Elle et le fruit de son imagination et de son « art » et la femme que les dieux lui donnent comme épouse est un être étrange, un artefact doué d’âme et de corps – mais néanmoins, un fantasme. Un simulacre, justement3.
3Les variations autour de ce motif y verront tantôt un mythe du créateur ou de l’artiste (dont le génie est suffisamment puissant pour créer une œuvre similaire à s’y méprendre à une femme), un mythe de la création, un mythe de l’impossible création (puisque l’art et le génie ne suffisent pas à rendre la femme vivante, à l’animer, à l’incarner). D’autres feront de Pygmalion un misogyne, un « incel » avant l’heure (que ne trouve-t-il pas un objet de désir parmi les femmes vivantes ?), un amoureux (combien faut-il aimer pour animer un corps froid : le sculpteur figurerait-il le déni du deuil ? La pétrification de l’amour sous la forme d’une statue serait-elle la mort de l’aimée4 dont l’artiste refuse la réalité ?), un fou (peut-être est-il seul à voir s’animer l’effigie et à glisser dans son lit un objet), un artiste épris de son seul art (à la recherche, comme dans le mélodrame de Rousseau5, de l’œuvre parfaite6). L’« effet Pygmalion7 » serait alors l’acte créateur, genré ici du côté du masculin : l’enchantement, l’émerveillement de créer, de former un objet qu’on touche et qui touche. Au xviiie siècle, c’est le fait de donner une âme, une voix, un regard mimétiques de l’humain à une statue (ou un automate, c’est-à-dire un objet inanimé) qui est profondément subversif, non le fait qu’il puisse y avoir motivation coercitive ou pulsion sexuelle : à cette époque, sous la plume de Descartes ou de La Mettrie (L’Homme-machine, 1747),
sa propulsion au rang d’emblème a une haute valeur destructurante : il relègue la création divine et s’impose comme une puissante métaphore de la capacité créative de l’homme, par laquelle la continuité, voire la consubstantialité corps-âme reçoit une nouvelle évidence8.
4Dans ce cadre, l’artiste n’a plus besoin de Vénus pour animer la statue, l’automate ou la machine : c’est le geste artistique, le toucher et le talent qui sont « divins », l’inspiration artistique sensualiste parvenant par elle-même à donner souffle, apparence humaine, consistance à l’objet9.
5Chez Ovide toutefois, si la statue doit tout à Pygmalion, Pygmalion n’est rien non plus sans sa statue (et sans Vénus). Il semble donc pertinent de se tourner vers les femmes, et vers Galatée. Ce sera ici notre geste, qui reprend celui, graduel, de la critique quant au mythe de Pygmalion : on s’attache d’abord à nommer la statue sans nom10 (Galatée), de même que l’on cherche aujourd’hui à nommer les modèles11, avant d’adopter à son endroit un « female gaze », qui invite à repenser le rôle de la muse ou de la créature, désormais considérée comme une construction plus qu’un état ontologique. Le collectif Brouillon pour une encyclopédie féministe des mythes12, paru en France en 2023, est à ce titre exemplaire. On trouvera dans ce carnet une contribution de Cassandre Martigny et Vicky Gauthier, autrices de l’entrée « Galatée », qui expose l’entreprise de cet ouvrage, comme le précise la quatrième de couverture : « faire émerger des modèles identificatoires alternatifs, positifs, puissants, pluriels et complexes, afin de nous penser au contact des mythes et de les faire circuler parmi celleux qui les cherchent. » Ainsi, face à une mythographie qui peut aisément être qualifiée de patriarcale, le Brouillon pour une encyclopédie féministe des mythes re-visibilise et re-nomme par exemple Tryphine, dernière femme de Barbe-Bleue13. Il rend également justice à « Lolita », avec le rôle que Nabokov voulait qu’elle tienne (celui de la victime innocente d’un regard masculin pervers14). Dans le livre, les entrées « Q15 » et « Muses16 » témoignent de la vigueur de la vision genrée, et forcément érotique, liée à la création artistique, dans le sillage de Pygmalion, comme nous le verrons. La pratique de la « lecture reclaim17 », le « braquage » du canon18 font également émerger les personnalités effacées de Sabina (ou Sabine de Steinbach), fille d’un maitre d’œuvre, autrice des statues « de forme molle » de la cathédrale de Strasbourg, et à ce titre (presque) première sculptrice, après Prosperia de Rossi19, ou de Dibutade, qui fournit un autre modèle de femme artiste (re)construite par le xixe siècle. Comme dans le cas de Galatée en effet, la naissance de Dibutade est à dater de l’Antiquité, car elle est mentionnée dans un texte de Pline l’Ancien20. Pline imagine que Dibutade, pour conserver, après le départ de celui-ci, la trace du jeune homme dont elle est amoureuse, s’est mise à dessiner le contour de sa silhouette sur un mur. Le père de la jeune fille, ému, a alors appliqué de l’argile sur ces traces, inventant le modelage. On remarquera que, même si l’on tente de voir en elles des pionnières, et Sabina et Dibutade restent les filles de pères dévoués et « vrais » créateurs, réduites à créer en « matière molle », ou mues par une émotion, le chagrin de l’amour.
6En 2024, Christine van Geen a entrepris de déconstruire le mythe de « l’allumeuse21 ». Pour ce faire, elle passe d’abord en revue un certain nombre de mythes féminins, comme celui d’Ève ou de Cassandre. Galatée occupe également une place importante dans l’ouvrage, avec un chapitre consacré à My Fair Lady (« une Galatée qui s’émancipe ») et un autre à « Jouer les Pygmalions22 ». Pour van Geen, Galatée est une « allumeuse dominée », connue davantage par le nom de son « artiste d’amant23 ». Revenant à la source du mythe chez Ovide, van Geen montre que Galatée fait un retour spectaculaire au xixe siècle, en particulier dans la peinture : elle analyse Travailler dans le marbre (en fait Le Travail du marbre, conservé à New York au Dahesh Museum of Art) de Jean-Léon Gérôme (1886), qui voit un sculpteur sculpter une femme d’après modèle, tandis qu’on aperçoit dans le fond un tableau représentant Pygmalion et Galatée24, montre ensuite que George Bernard Shaw propose une Galatée émancipée, puis revient sur le mythe de Pygmalion à l’heure de #MeToo (voir infra).
7Le présent volume s’inscrit dans le droit fil des recherches menées par les autrices du Brouillon ou Christine van Geen : penser d’abord la femme dans le mythe, ou chercher la femme sous le mythe, dans une perspective explicitement féministe, et la resituer dans le lieu où elle trouve son origine – celui de la création artistique, ici, singulièrement de la sculpture.
8Mais revenons-en d’abord à Galatée. Sans encore porter ce nom, et modelée en ivoire chez Ovide, Galatée passe au cours des siècles par de nombreuses matières : femme de glaise, comme dans la Bible, façonnée par l’homme ; femme de cire qui se réchauffe sous la main du créateur désirant et se forme à sa volonté ; femme de marbre, hautaine et indifférente à la passion qu’elle suscite ; jusqu’aux femmes-automates, andréides et autres poupées mécaniques qui d’E.T.A. Hoffmann à Villiers de l’Isle-Adam et aux Femmes de Stepford (The Stepford Wives, Ira Levin, 1972 pour le roman et Bryan Forbes, 1975, pour le film) se conforment à ce qui est attendu d’elles. La statue que Claude brise accidentellement dans son atelier dans L’Œuvre (1886) de Zola tombe « d’une chute vivante » tandis qu’il ne parvient pas à donner âme à sa propre œuvre. Quelle que soit la matière dont est fait le corps féminin, c’est bien l’animation, « vice d’artiste25 » ou perversion masculine26, coercition culturelle ou modèle social, désir de modelage ou de manipulation qui est au cœur du mythe.
9Comme le notent encore Vicky Gauthier et Cassandre Martigny dans le Brouillon pour une encyclopédie féministe des mythes, le signifiant Galatée sort de fait du seul domaine de la création artistique et se trouve aussi communément associé à un « mythe de formation27 » – elle est celle qui est formée, et non celle qui forme. Le glissement de la créature artistique à la créature-femme ne doit pas surprendre, dans une civilisation qui voit Ève créée dans une côte d’Adam, donc fabriquée à partir de la nécessaire matière d’un autre corps, masculin, qui la précède28. Comme le remarquait Simone de Beauvoir dans Le Deuxième Sexe, soulignant l’importance de la matière, décidément molle et malléable :
Mais la femme ne flatte pas seulement la vanité de l’homme ; elle lui permet aussi un orgueil plus intime ; il s’enchante de la domination qu’il exerce sur elle ; aux images naturalistes du soc entaillant le sillon se superposent quand la femme est une personne des symboles plus spirituels ; ce n’est pas seulement érotiquement, c’est moralement, intellectuellement que le mari « forme » son épouse ; il l’éduque, la marque, lui impose son empreinte. Une des rêveries auxquelles l’homme se complaît, c’est celle de l’imprégnation des choses par sa volonté, du modelage de leur forme, de la pénétration de leur substance : la femme est par excellence la « pâte molle » qui se laisse passivement malaxer et façonner, tout en cédant elle résiste, ce qui permet à l’action masculine de se perpétuer29.
10Dans ce carnet sur la revanche de Galatée, Nathalie Kremer montre bien que ce n’est d’ailleurs pas tant, dans cette perspective, le Pygmalion d’Ovide qui implique cette réflexion, que celui de George Bernard Shaw : avec la pièce Pygmalion (1912 pour l’écriture, 1914 pour la création), également adaptée sous le titre My Fair Lady, par George Cukor, pour un film en 1964, avec Audrey Hepburn dans le rôle d’Eliza, il marque jusqu’à aujourd’hui l’image d’un professeur (d’un donneur de leçons ?) tombant peu à peu amoureux d’une femme qui se tient mal, mais surtout parle mal, en la faisant devenir celle dont il rêve – une lady. Dans le film comme dans la pièce, Higgins est perturbé par sa créature, qui fait peu à peu sa conquête, alors qu’il ne voyait en elle que l’objet d’un pari avec un de ses pairs. Eliza est « animée » par Higgins selon les codes de la société bien-pensante, et elle réanime chez ce fils à maman des pulsions inconnues. Chez Shaw, Eliza figure une primo-revanche de Galatée, elle qui provoque l’amour, par sa personne, alors que, chez Ovide, l’amour (ou le désir) provoquait l’advenue d’une créature qui n’était pas encore une personne. Eliza perturbe le schéma du mythe, mais aussi celui de l’« happy ending » attendu par le public de l’époque de Shaw : cette Galatée s’émancipe de son Pygmalion, et ne l’épouse pas – mais en épouse un autre, Freddy, qui sait la respecter. Eliza, « formée », a appris à se respecter ; c’est bien le danger de l’éducation donnée aux filles. Confronté au mécontentement de ses spectateurs, Shaw se sentit obligé d’écrire un « What happened afterwards », pour défendre son dénouement, supposé malheureux. Shaw, de façon évidente, choisit de prendre le contrepied du mythe ovidien, comme le montre cette lettre à son actrice, Mrs Campbell :
When Eliza emancipates herself – when Galatea comes to life – she must not relapse. She must retain her pride and triumph to the end. When Higgins takes your arm on ‛consort battleship’ you must instantly throw him off with implacable pride; and this is the note until the final ‛Buy them yourself.’ He will go out on the balcony to watch your departure; come back triumphantly into the room; exclaim ‛Galatea!’ (meaning that the statue has come to life at last); and – curtain. Thus he gets the last word; and you get it too30.
11Galatée, pour Shaw, a bien « le dernier mot ». De fait, le personnage d’Eliza-Galatée est profondément problématique. Higgins a vu en elle une Galatée qu’elle n’était pas ; elle n’est pas une statue creuse qu’il pourrait faire résonner à sa guise, mais précisément une femme dotée d’une profonde intériorité. Shaw voit dans son personnage une Nora capable de sortir de sa maison de poupée, ou plutôt de sa cage. La métaphore de la « cage » qui enfermait les femmes était extrêmement opérante au xixe siècle, et, de fait, dans le cas d’Eliza, on assiste bien à l’envol d’un bel oiseau qui refuse de devenir le perroquet de son maitre. Cette nuance (passage de la statue qui s’anime à la femme qui doit « bien » parler) marque également le pas de côté avec le mythe originel. Eliza doit s’animer, c’est-à-dire acquérir une « âme », qui la rend apte à bien prononcer, mais surtout à bien comprendre et ressentir ce qu’elle exprime, et à trouver la voie de l’amour vrai et socialement plausible. Elle ne doit justement pas être une statue ou une poupée décorative, qui parle, – elle doit également trouver sa voix, et sa vérité, qui ne passe pas par Higgins – dont Shaw souligne l’intransigeance et l’inadaptation à son temps. Eliza prend donc vie, presque à l’insu d’Higgins, qui se voit pris à son propre piège. Mais l’Eliza de Shaw porte finalement une revanche de Galatée assez prudente : elle choisit quand même (dans la pièce) de faire une fin en se mariant. On pourrait toutefois tenter une lecture autre de ce Pygmalion : que dire d’Eliza, arrachée à son milieu d’origine sur la base d’un pari entre deux hommes d’une classe supérieure, qui certes se verront floués ? Eliza est humiliée, modelée pour devenir une « pretty woman » (le film du même nom31 reprend finalement la même trame, la Galatée campée par Julia Roberts étant une prostituée, déjà femme-objet, marchandise). Eliza est vue comme un simulacre, conformément au mythe. Elle est devenue, pour un Higgins nourri d’Ovide, un fantasme bourgeois et capitaliste au prix d’une opération bien douloureuse pour elle, même si elle en ressort intègre, grandie (et mariée). Certes, on sait qu’elle pourrait être une lady. Mais Shaw choisit de la donner à Freddy, et de la laisser dans sa classe sociale, dont elle n’aurait sans doute jamais dû sortir. Eliza n’a pas choisi ce trajet, qui ne lui est imposé que pour qu’elle puisse s’affirmer en refusant de le continuer. Elle ne sera pas une « transfuge de classe ». Pareille vision sera impossible pour les Américains : au pays du tout est possible, Eliza, dans les versions outre-Atlantique, reviendra à Higgins. En 1964, George Cukor ose moins que Shaw, ramenant Galatée aux pieds et aux petits chaussons de son maitre32. Il n’en demeure pas moins qu’Eliza a été « déformée » (c’est le but avoué d’Higgins, qui veut la changer, l’altérer) tout autant que formée. On ne sait si Galatée et Pygmalion « vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants » ; le bonheur de Galatée, non plus que son désir de maternité, ou son absence de désir, Shaw l’a bien vu, ne sont pas au programme du mythe.
12L’antonomase « Pygmalion » désigne ainsi, dans divers champs, un homme qui forme tant et tant qu’il déforme l’être féminin, lui nuit et l’écrase. L’antonomase « Galatée » dit quant à elle l’impossible émancipation et la projection du désir de l’autre, l’objet et non le sujet, la beauté et la grâce (sur)exposées aux dépens de toute autonomie. Est définie comme « relation pygmalionnienne33 » la volonté de faire répéter un rôle à quelqu’un, de le contraindre à ressembler à ce que l’on désire. Pygmalion serait un marionnettiste, un metteur en scène, manipulant ses actrices comme autant de fantasmes et de projections imaginaires. Quant au « pygmalionisme34 », identifié comme perversion sexuelle, il est contemporain de la naissance du star system, comme a pu le montrer Marjorie Rosen dans Popcorn Venus35 au sujet du cinéma – et que le cinéma montre à son tour dans Showgirls36. Le mythe de Pygmalion, en effet, a tout à voir avec les actrices, au prix sans doute d’une petite extrapolation interprétative. Comme le rappelle Cédric Lesec, au sujet des avatars modernes de Pygmalion : « La plupart de ces œuvres prennent pour sujet ce moment-clé de la création où se confondent carnation et incarnation37 », là où le mythe se concentre « sur le moment où l’inspiration donne vie à l’œuvre38 ». Galatée, simulacre qui s’anime, métaphorise un rêve d’animation de la comédienne qui traverse tous les spectateurs. Elle est le « comme si », le « pouvoir d’illusion39 » associé au mythe autant qu’au jeu théâtral40. Au théâtre, le rêve est jouable, en trois dimensions41, le spectacle « vivant » permettant le passage de la « pose plastique » au mouvement et à la parole. Shakespeare l’a bien compris, qui fait s’animer une statue, à la fin du Winter’s Tale. Sur scène, Paulina propose de dévoiler la statue d’Hermione,
As she lived peerless
So her dead likeness, I do well believe
Excels whatever yet you look’d upon
Or hand of man hath done.
13Elle le fait de façon théâtrale, tirant un rideau. L’Hermione dévoilée est une statue qui a eu la grâce de vieillir, affichant ses rides (au mépris des codes esthétiques). On la croirait vivante : de fait, elle l’est. Paulina, maitresse du jeu, somme la statue de se réveiller (« be stone no more »), sous les yeux émerveillés de ceux qui la regardent (« Strike all that look upon with marvel ») : c’est le miracle de Galatée, mais aussi le miracle toujours renouvelé de l’incarnation au théâtre qui se rejoue sur scène42. Le théâtre est même plus « fort » que le mythe de Galatée :
She is living
Were it but told you, should be hooted at
Like an old tale43.
14Au cinéma, l’envie que l’actrice sorte de l’écran pour devenir chair est un présupposé de l’industrie hollywoodienne, qui fabrique un « male gaze », selon Laura Murvey. Ce « male gaze » peut d’ailleurs s’exercer sur les acteurs, et concerner les spectatrices, à l’image de Mia Farrow, personnage de La Rose pourpre du Caire (The Purple Rose of Cairo, Woody Allen, 1985), dont la folie44 est suffisamment forte pour faire sortir le personnage de l’écran45. L’« apparition » est le mode de naissance de Galatée, et de l’actrice de cinéma, à l’image de Delphine Seyrig, apostrophant Antoine Doinel dans Baisers volés (François Truffaut, 1968) : « Je ne suis pas une apparition, je suis une femme… ce qui est tout le contraire. » Le devenir-mythe de Delphine Seyrig, alors tout juste esquissé, rend désormais la phrase plus profonde46.
15Au cinéma, le mythe de Pygmalion figure toutes les « images fabriquées par l’homme » comme autant de « réceptacles de pouvoir », de « dispositifs de désir47 » et somme toute comme l’essence même du dispositif de l’écran48. Il s’agit d’objectifier un corps féminin : modeler, former une matière pour en faire une femme vivante prisonnière de ce désir ; et dans l’autre sens aussi, s’accaparer une femme vivante pour en faire un objet de pierre, un corps sensible devenu forme contrainte, peu mobile, peu active.
16Contraindre l’autre à être un double, une image de ce que l’on veut, le forcer à mourir à lui-même pour n’être qu’à soi : l’« effet Pygmalion » en art révèle la nature et les motivations de nos simulacres. Pour l’artiste britannique David Walliker, nos Galatée aujourd’hui ne sont plus des corps de marbre ou de cire, mais tous les objets à base de circuits électroniques qui encouragement notre narcissisme :
Pygmalion, the Cretan king, sculpted a female figure Galatea that he brought to life by kissing. An expression of the ancient/modern state formulating itself in its own narcissism. Today our Pygmalions of state are data and electronic circuit boards, the new bodies in proliferation. Our armour and survival depend upon the skin of microcircuitry, an externalised skin through which information and light passes49.
17La virtualité de notre monde en vient paradoxalement à priver Galatée de corps. Dans le film Her (Spike Jonze, 2014), Scarlett Johansson, fantasme hollywoodien s’il en est, « incarne » « Samantha », voix féminine créée de toutes pièces pour Theodore par les merveilles de l’informatique. Mais Scarlett Johansson n’apparait jamais : c’est sa voix qui convoie pour le spectateur l’image rémanente de son corps, vu auparavant, dans d’autres films, sur d’autres écrans – simulacre de la star porté à son paroxysme, mécanisme de séduction-frustration déjà testé par Jules Verne dans Le Château des Carpathes. Dans Her, Vénus est remplacée par l’IA, et la Galatée du film a pour fonction de mener l’éducation sentimentale du protagoniste masculin (ce qu’Eliza faisait pour Higgins, en un sens). « Her », possessif privé de substantif, ou pronom-objet50, revient à la non-nomination de Galatée dans le mythe ovidien : il est bien question de la femme essentialisée.
18D’un tournant du siècle à l’autre, le mythe de Pygmalion n’en finit en effet pas de revivre – ou de mourir51. Au creux des années 1970, Claude Alzon déplore « la mort de Pygmalion52 ». Le sous-titre de son ouvrage donne la clé de son argumentation : « essai sur l’immaturité de la jeunesse ». Tentant de faire le bilan de 1968, Alzon se penche sur la jeunesse de son pays, « hissée sur un piédestal », mais qui ne peut qu’« échouer et décevoir », dans un contexte de « pouvoir répressif, d’un P.C. démobilisé et d’un ultra-gauchisme débile53 » [sic]. La faute à l’éducation, bien sûr, au meurtre des pères, à l’immaturité de la société. Pour l’auteur, le mythe de Pygmalion est un « beau conte54 ». Conte que, d’ailleurs, il traite à sa manière, imaginant un Pygmalion chargé de sculpter une Galatée « nymphe aimée du géant Polyphème », éminemment perfectionniste, et ne parvenant pas à finir sa statue. L’apparition d’Aphrodite, une nuit, a pour effet de le doter d’un modèle bien vivant, Galatée. Une Galatée qui, de fait, alors qu’il gît dans son lit, se met à sculpter « un jeune garçon » « dans le marbre ». « Le soir qui suivit, Galatée embrassa son père tendrement. C’était la première et la dernière fois : Pygmalion, l’âme en paix, s’éteignit doucement dans la nuit55. » On ne sait où Alzon est allé chercher cette Galatée sculptrice, fille de son père Pygmalion. Alzon imagine, en outre, que Pygmalion commence par sculpter son buste, ce qui pourrait être un délice de psychanalyste, et que la statue ne sera jamais achevée ; qu’importe, la fable sert à illustrer ce que l’auteur veut démontrer : la relation parent-enfant ne doit pas être placée sous le signe de Narcisse56, mais sous celui de Pygmalion, ici pensé comme « vieux » et comme « père social57 ». Pygmalion est ici à nouveau associé au « mythe de formation » que nous avons vu plus haut, vidé de tout érotisme, à moins de voir dans la relation Galatée-Pygmalion un soupçon d’inceste. Si Alzon semble se consacrer à la jeunesse, rassurons-nous toutefois : la quatrième de couverture de son ouvrage indique bien que « le jeune, tout comme la femme, ne pourra se libérer que par une remise en cause douloureuse et radicale de sa propre éducation58 ». Il est toutefois intéressant de voir que Pygmalion engendre une Galatée sculptrice, qui sculpte des jeunes gens, tandis que Pygmalion se pétrifie à son tour, mourant allongé dans son lit.
19Pourtant, Pygmalion est bien vivant. Dans les premières décennies du xxie siècle, à la suite des révélations entraînées par les mouvements #MeTooCinéma ou #MeTooThéâtre, les actrices n’ont eu de cesse de dénoncer les relations inégalitaires entre le génie (masculin) et son interprète ou sa créature (féminine, ou considérée comme inférieure, donc féminine, face au mythe viriliste du génie, et du réalisateur59). Dans le contexte, la figure de Pygmalion fait un fracassant retour. C’est par exemple Télérama qui, dans un dossier spécial consacré aux « jeunes actrices sous emprise », écrit, parlant des années 1990 : « le mythe du metteur en scène pygmalion est alors un modèle particulièrement en vogue dans le cinéma français60 ». « Pygmalion » a ici position d’adjectif, et devient presque une épithète de nature. Dans le monde du cinéma, la Nouvelle Vague, relayée par l’atmosphère de mai 68, est posée comme un jalon déterminant dans l’exacerbation de la pratique. Ainsi, dans un autre article, cette fois consacré au « mythe de la jeune fille », Zineb Dryef cite les propos de Geneviève Sellier, spécialiste du cinéma et d’études de genre : « le mythe de Pygmalion est au cœur de la Nouvelle Vague. On fait jouer des inconnues, on les crée, on les fabrique, on les façonne61. » Le « male gaze » théorisé par Laura Mulvey à propos du cinéma hollywoodien, pensé pourtant comme vécu du côté du spectateur et de la spectatrice, se déplace et s’incarne dans la seule personne du réalisateur tout puissant, seul dépositaire de la pulsion scopique, qu’il s’accapare à son seul profit, et plus uniquement dans l’optique de la création. Tout se passe comme si Pygmalion n’était justement plus qu’un « mythe », qu’une histoire qui sert d’alibi ou de métaphore dans un système complaisant, acquis aux relations d’emprise. Le « cinéma d’auteur », adoubé par une critique aveugle, objectifie des actrices redevenues muettes, matériau de film, chair à créer, à jouir pour créer. Le discours est intégré par les réalisateurs, témoin Christophe Ruggia, accusé par Adèle Haenel, qui se défend ainsi : « j’ai commis l’erreur de jouer les pygmalions avec les malentendus et les entraves qu’une telle posture suscite62 ». « Pygmalion » devient un totem d’immunité ; depuis quand Galatée, ou Eliza, se plaint-elle de ce qu’on lui a donné, et qu’elle n’aurait pu acquérir seule ? En psychologie en effet « l’effet Pygmalion » possède une définition bien commode : le fait que quelqu’un croie en vous vous fait réussir63. Ce qui se joue toutefois ne tourne pas seulement autour de l’animation, mais bien du désir et de la consommation. Pygmalion veut que sa statue s’anime. La désire-t-il et demande-t-il à Vénus de sortir sa statue de sa frigidité ? Dans le Pygmalion de Rousseau, il ne sera pas question de désir. Pour les Pygmalions du cinéma, il s’agit tout à la fois d’animer, en images animées, sur un écran une femme qui dans la vie ne connait pas la magie de sa cinégénie (la former, donc) et de la consommer, car le désir serait la base de toute relation cinématographique, et sa consommation, le nécessaire prix de la création. Pas de place pour les statues, justement, dans le 7e art : le media impose la mobilité et la souplesse d’un corps et d’un visage qui doivent provoquer le désir, devenir objets érotiques, validés par le réalisateur. Higgins corrigeait les fautes de langue et de goût d’Eliza, il ne se fait pas son initiateur sexuel. Le golden boy de Pretty Woman n’a pas à initier sa conquête au plaisir : c’est une prostituée64. Elle connait sinon le plaisir (penser cela serait très masculin), à tout le moins le désir et la séduction, qu’elle éveille chez l’autre à défaut de le ressentir. Ici, le Pygmalion doit désexualiser sa créature, véritablement trop libérée, dans un récit conservateur très hollywoodien. Nul doute que Julia Roberts va aussi lui préparer ses chaussons ; elle est idéalement au service des hommes.
20Il est intéressant de noter que si Pygmalion est omniprésent dans le tournant #MeToo, force est de constater que les apparitions nominatives de Galatée sont inexistantes. Où est-elle donc passée ? Ici encore, une interpolation avec d’autres figures mythiques semble s’être produite. Galatée s’est effacée au profit d’une entité non nommée, moins identifiée, appelée la « muse65 », l’« égérie ». Dans l’article du magazine M précédemment cité, la figure de Pygmalion se voit d’ailleurs associée à un autre mythe, celui de « Lolita », mythe aussi singulièrement dévoyé, comme nous l’avons vu66. L’écart générationnel désormais courant entre le Pygmalion et sa « muse » trouve son incarnation idéale dans le personnage de Nabokov, ensuite mis en image par Kubrick : « muse » et « nymphe » finissent par se confondre comme l’indique Julie Delpy, toujours dans Télérama67. L’article du Monde cite Métamorphoses de la jeune fille de Pierre Péju68 pour montrer que la muse s’incarne, dans une société « viriarcale », dans la figure de la (très) jeune fille.
21À la suite de Carole Roussopoulos, Delphine Seyrig, Ioana Wieder et Nadja Ringart, toutefois, bien avant #MeToo, s’est formé le terme « insoumuse », mot-valise qui témoigne d’une volonté de révolte contre un regard masculin, façonné par le cinéma69. La « politique des actrices » (expression de Camille Nevers, reprenant un article fameux de Luc Moullet), conçues non comme des interprètes passives, mais comme des femmes pleines d’activité, voire d’agentivité, vient chahuter cette politique des auteurs, qui, en retour, renoncent à convoquer Pygmalion, allant même jusqu’à affirmer être « revenus de cette mythologie de la muse70 ». Un nouveau discours se fait jour, celui d’une création plus égalitaire, d’un « couple » de création où l’un et l’autre se forment mutuellement. Devenues autrices ou metteuses en scène, les « muses » se réapproprient leurs histoires, mettant en avant la notion de « consentement71 » ou, à tout le moins, la souffrance de la créature, dont le mutisme n’équivaut pas à l’accord. Se superpose au mythe de Pygmalion celui de la souffrance nécessaire à la création, souffrance curieusement endurée par les actrices, et non les réalisateurs ; la glaise modelée ne saurait avoir émotions ni paroles. « Je parle, mais je ne vous entends pas », dit Judith Godrèche à la cérémonie des César en 2024 : Galatée ou Cassandre ? Plutôt que de parler de Pygmalion, les actrices, ou les muses, préfèrent convoquer une figure venue du conte, celle de Barbe Bleue : c’est le cas de Françoise Gillot, « muse » de Picasso72 ; et c’est le personnage que choisit Laurence Cordier, quand elle parle de la clé que lui donne Benoit Jacquot : il s’agit de « la clé de Barbe Bleue73 », celle, précisément que le roi polygame donne avec instruction de ne pas ouvrir la porte, qui révèle les assassinats de ses épouses passées. Pareil détour par le conte, et l’onirique, est aussi le choix de Judith Godrèche, lors de son discours aux César, ressaisissant la petite fille des contes, mais lui rêvant un autre destin, « petit chaperon rouge » déjouant les plans des loups. Il y a aussi des cinéastes, hommes ou femmes, qui inventent d’autres héroïnes : Céline Sciamma, avec son Portrait de la jeune fille en feu (2019), invente une nouvelle relation entre la créatrice et son modèle, et la « maternité » de l’art. Ainsi en va-t-il également, selon Sandrine Aragon74, du Poor Things (Pauvres créatures, 2023) de Yórgos Lánthimos, dans lequel Bella Baxter, l’héroïne, inverse les rôles de Pygmalion et de Galatée, choisissant de « se créer » – on remarquera pourtant qu’elle choisit de se prostituer, et se marie à la fin du film… Bella incarnerait un « non » des femmes, pour reprendre les termes de Jennifer Tamas75, tout en restant dans une fiction très programmée. En 2020, de fait, un documentaire consacré aux femmes du cinéma portait le titre de Pygmalionnes76 : la « lionne » figurait la puissance, et non la courtisane.
22« Pygmalionne », c’est aussi un terme attaché à Rachilde77, et donc au xixe siècle finissant. C’est cette période que nous avons choisi de mettre en avant. En effet, comme le signale Anne Geisler-Szmulewicz, au cours du xixe siècle, dont la littérature de langue française est riche en réécritures et adaptations de mythes antiques, « le mythe de Pygmalion réussit un tour de force étonnant : sans faire saillie nulle part, sans inscrire en lettres glorieuses son nom dans les titres, comme le fait Prométhée, il hante un nombre considérable de textes78. » Ce sont ces textes qu’explore dans ce volume Lucie Nizard, ouvrant la voie à l’acception aujourd’hui répandue de « Pygmalion ». Il n’est plus question d’un Pygmalion strictement sculpteur en quête d’une œuvre idéalisée, mais d’un usage métaphorique devenu monnaie courante pour parler de toute situation d’emprise, d’entrave, de coercition ou de violences sexuelles et sexistes dans le domaine de l’art. Comme l’indique une fois encore le Brouillon pour une encyclopédie féministe des mythes, des contre-mythes comme celui de Sabina ou de Dibutade émergent à la même période, car « les artistes femmes sont souvent passées par les allégories, les mythes et les métamorphoses pour revendiquer leur place, pour contester les images qu’on leur propose – amatrices, bas-bleus, hystériques – et les pièges qu’on leur tend – la parentèle qui les efface79 ». S’il serait abusif de dire que le xixe siècle est le « siècle » des artistes femmes80, constatons toutefois que c’est sans doute à compter de ce siècle que commencent à se faire sentir l’absence des femmes dans les histoires de l’art, et le désir de combler ce manque : « à partir du xixe siècle, musiciennes, cantatrices et compositrices exigent d’être reconnues en tant qu’artistes à part entière, et non plus simples instruments du souffle créatif d’un génie masculin », écrit Eugénie Bourlet dans l’entrée « muses » du Brouillon pour une encyclopédie féministe des mythes81. Si l’autrice choisit le champ de la musique, elle parle du « souffle » du créateur, ce qui fait bien penser à Galatée et Pygmalion. Bourlet cite également une phrase de Geneviève Fraisse qui, à propos de la danse et de Loïe Fuller, évoque l’« artiste-sujet », arguant que « la messagère s’est faite propriétaire du message82 ».
23Peut-être pourrait-on aussi dire que les « insoumuses » sont nées au xixe siècle. Selon Gail Marshall, ainsi, l’actrice victorienne se définissait par la figure de Galatée, et la métaphore de la sculpture83. Les comédiennes devaient être « sculpturales » et « sculpturesques », réalisant sur scène des « poses plastiques » figées et codifiées. Cette « galatéisation » de l’actrice entrainait une sexualisation de la comédienne, et une limitation de ses possibilités d’expression en tant qu’actrice. C’est un mouvement littéraire, né au théâtre, celui du « New Drama », qui provoqua un changement de paradigme (amenant la naissance de la « New Woman », nouveau personnage dramatique du théâtre anglais). Que des actrices prennent la plume pour écrire leurs mémoires, des romans, ou des pièces, permit à la métaphore galatéenne de reculer. Dans une perspective moins proprement féministe, mais plus esthétique, Monique Borie indique également que c’est « à la fin du xixe siècle et au début du xxe siècle que le théâtre revendique sa dimension d’art de la scène travaillant avec des corps vivants dans un espace et qu’il s’interroge sur sa spécificité84 ». À ce titre, la sculpture est convoquée. Borie envisage la « pensée de la sculpture » et la « pensée du théâtre » quant au « corps d’art » de l’acteur, en lien avec le modèle grec85. Toutefois, la relation de Galatée et de Pygmalion s’impose aussi dans sa dimension créative et spiritualiste, comme dans sa dimension genrée et érotique, la structure du champ théâtral de l’époque proposant une idéale partition des sexes entre auteur et actrice86. Si Cédric Lesec rappelle que le xviiie siècle est « l’âge d’or de Pygmalion87 », car il permet à Winckelmann d’articuler sa pensée de la création, le xixe siècle semble être l’âge d’or, ou d’ivoire, de Galatée.
24On l’a dit, le « pygmalionnisme » (ou « agalmatophilie »), est une attirance sexuelle envers les statues, ou les mannequins, en particulier créés par soi – on voit comment la confusion avec l’emprise sexuelle sur la muse de cinéma peut se mettre en place. Cette perversion diffère de « l’agalmatorémaphobie », crainte que les statues ne se mettent à parler… Ce « syndrome de la statue qui parle » désigne idéalement Galatée, dotée de souffle et de parole, mais qui commence à trop parler, ou à trop bien parler, comme Eliza Doolittle. C’est bien de sa « vengeance » que nous aimerions parler ici, en investissant, particulièrement, les figures de sculptrices, réelles ou fictionnelles, qui envahissent les récits de la fin du xixe siècle.
25Difficile, ici, de ne pas évoquer la figure imposante d’Auguste Rodin. Sculpteur reconnu, officiel, Rodin a sculpté en 1889 un Pygmalion et Galatée de marbre. Il parait patent que Rodin se représente lui-même dans la figure de Pygmalion, qui n’est pas le jeune éphèbe du mythe. Deux ans auparavant, le sculpteur avait réalisé une Galatée « ou la Jeunesse » ; il avait également sculpté, en 1888, une première étude pour le groupe « Polyphème, Acis et Galatée » du panneau des Portes de l’Enfer. Analysant la « fable de Pygmalion », Monique Borie distingue l’interprétation qu’en fait Winckelmann de celle qu’en donne Rodin. Selon l’autrice, pour Winckelmann, Pygmalion spiritualise la création : « la fable de Pygmalion ou la capacité de voir au-delà de la pierre, au-delà de l’inerte ». L’origine du mythe est pour lui une « volonté “d’élever” la matière », de spiritualiser le sensible88. Au contraire, pour Rodin, Pygmalion est le symbole de la « puissance créatrice de l’artiste ». Il s’agit bien d’une force pensée comme virile, car Rodin parle de la capacité à « façonner des musculatures vivantes ». Borie conclut : « Tout sculpteur est donc une sorte de Pygmalion pour Rodin qui inscrit au cœur de la sculpture l’alliance de la pierre et l’illusion de la chair », reprenant en cela l’idée développée par Diderot, dans ses salons, toujours au sujet d’un groupe de Falconet représentant Pygmalion et Galatée. Revenant à Rodin, Borie rappelle que le maitre, devant un marbre grec, avait eu ces phrases : « c’est de la vraie chair, on la croirait pétrie sous des baisers et des caresses ». Touchant la statue, il poursuit : « on s’attendrait presque à la trouver chaude ». Et Borie de s’interroger : « Rodin serait-il donc du côté de Pygmalion89 ? »
26Des « Galatées », ou des « Muses », il y en eut beaucoup, dans la vie de Rodin, la plus en vue étant sans doute Camille Claudel90, réduite, à la fin de sa vie, à devenir une statue muette et mutique, dans un asile de fous, où elle mourut de faim, bouche inutile, en dépit de ses lettres désespérées. Lara Guirao, qui l’a incarnée au théâtre, nous en parle dans ce volume, tandis que Nina Roussel se penche sur Les Mains de Camille ou Le Temps de l’oubli, autre pièce de théâtre sur Camille Claudel. Corinne François-Denève, de son côté, part en quête de Galatées nordiques, destinées également aux planches. L’Ensorcelée de Victoria Benedictsson et La Lioncelle de Frida Stéenhoff présentent en effet, à quelques années d’écart, une évolution singulière du personnage de la sculptrice au théâtre. C’est bien « au tournant du xixe et du xxe siècle », encore une fois, que « les temps sont mûrs pour une nouvelle donne, et c’est pourquoi Claudel quitte Rodin et s’en va91 ». D’autres figures de muses rodiniennes, ou de Galatée, émergent, comme Gwyn Jones. Mais que penser de ces Galatées ? N’étaient-elles pas désireuses de devenir, consciemment, les muses du maitre, pour entrer dans son cercle, dans le « réseau Rodin » ? Se poser comme modèle pour avoir un modèle (de maitre), à une époque où les sculptrices n’étaient pas admises aux Beaux-Arts peut être aussi une négociation avec les empêchements de la femme artiste. Ainsi Margot Irvine revient-elle dans ce volume sur les stratégies de notoriété et de reconnaissance de Judith Cladel, « amie » d’Auguste Rodin, insistant sur le trouble sexuel malsain qui sourd de leur correspondance.
27Dans Le Grand Incident, Zelba imagine que toutes les femmes nues des peintures et sculptures du Louvre se révoltent92. En 2024, dans le cadre du « Voyage à Nantes », l’artiste Cyril Pedrosa retravaille les quatre cariatides imaginées par Charles-Auguste Lebourg pour les fontaines Wallace. Lasses de porter leur fardeau avec le sourire, et d’incarner la bonté, la simplicité, la charité et la sobriété, les quatre femmes finissent par délaisser leur tâche, et s’en aller93. C’est cette revendication de propriété des sculptées, dessinées, croquées que nous voudrions étudier, qui passe par un « ceci est mon corps », comme par un « ceci est mon œuvre ».
28Galatée aspirerait à une revanche qui prendrait la forme d’une réappropriation de son corps, de sa voix et enfin de ses gestes, y compris des gestes artistiques, d’une propre autonomie de création. La formule « revanche de Galatée » que nous proposons comme titre des articles réunis ici figure alors une seconde animation, après la première (modelage et emprise) : il s’agit d’une reprise d’agentivité, d’une autonomie conquise, d’un mouvement propre – jusqu’à parfois, donc, se faire « Pygmalionne » et modeler un corps d’homme comme le proposa Rachilde.
29Investissement fantasmatique, modelage, animation, éducation, formation : le motif de Pygmalion implique le toucher ; cet artiste n’est ni peintre, ni écrivain, il travaille la matière brute et crée un corps nu. Revenons au fait que Pygmalion soit un sculpteur et son œuvre une femme de pierre : le choix de cet art-là, réputé plus « physique » (« tailler le marbre » en blouse, dans un atelier, ne serait pas fait pour les femmes) engage de multiples occasions de penser à nouveaux frais le geste créateur. En histoire de l’art, l’interrogation sur l’absence, ou plutôt le manque de visibilité, des femmes artistes, a beaucoup à dire sur les sculptrices – le personnage de Galatée, statue, mobilisant encore de nombreuses images de la femme-argile, « pâte molle » sublimée par une main d’homme, s’émancipant et se faisant à son tour main qui sculpte. La redécouverte de Camille Claudel dans les années 1980, les expositions consacrées à Marie d’Orléans (2008), Félicie de Fauveau (2013) ou Marcello (Adèle d’Affry) (2014), ne sont que des exemples parmi d’autres en France, qui tous ont convoqué à des degrés divers une « Galatée » objet devenue artiste et sujet. La représentation suppose toujours que la sculptrice ait été modèle, avant d’être créatrice : on imagine une jolie muette, un corps immobile qui brusquement se meut et ne s’arrêtera plus. Comme le rappelle Séverine Sofio94, un personnage sympathique de sculptrice est présent dans Le Pays des arts, livre de Louis Duranty paru en 1881 : Lucie Hambert est d’autant plus sympathique qu’elle ne crée pas, mais pose pour un collègue mâle.
30Isabelle Eberhardt et Rachilde, telles qu’étudiées par Céline Brossillon, n’ont eu de cesse de mettre à mal le fétichisme masculin d’un corps féminin entravé – et de lui rendre la pareille en proposant des Pygmalion impuissants. La pétrification du corps de l’autre, maintenu dans une immobilité-vulnérabilité poreuse à toutes les manipulations est un motif structurant des variations du mythe : frigidité, passivité, mépris, arrogance sont alors les raisons invoquées pour expliquer l’immobilité du corps féminin.
31Une part des articles réunis ici entend faire la lumière sur les parcours de vie et de création des sculptrices durant tout le xixe siècle. Est ainsi proposée une sorte de « cité des sculptrices », ou de « dinner party » en non-mixité, à la Judy Chicago, dans laquelle Rodin ne serait pas convié (mais dont on parlerait sans cesse).
32Ces artistes ont voyagé, exposé, elles ont parfois pratiqué d’autres arts, plus acceptables socialement. Ainsi de Marie Bashkirtseff, bien connue comme diariste, beaucoup moins comme sculptrice, pratique que Nikol Dziub met au jour chez cette artiste dont Gustave Moreau estima, dit-on, que « l’intrusion sérieuse de la femme dans l’art serait un désastre sans remède ». Il manqua souvent aux sculptrices les communautés d’artistes, les stratégies de travail, de commande ou d’exposition, que la pratique en atelier des hommes favorisait ; il en découle que leur réception critique fut parfois faible et largement encombrée de biais de genre.
33C’est pourquoi il s’agit ici également d’offrir des regards croisés, des comparaisons et des dialogues, entre des travaux biographiques et historiques portant sur une ou plusieurs sculptrices réelles et des travaux sur des sculptrices fictionnelles, c’est-à-dire des récits scéniques, romanesques, iconographiques ou cinématographiques ayant pour personnages des sculptrices. Quels sont les récits de vie qu’engage le métier de sculptrice ? Sont-ils plus ou moins captifs de biais bien connus de l’histoire de l’art (la sculptrice plus encline au modelage qu’à la taille de pierre, par exemple, ou plus portée à la figurine mythologique féminine qu’au bas-relief) ? Comment envisagent-ils la sculpture au féminin dans la catégorisation des pratiques artistiques ? Comment décrivent-ils ses succès et/ou ses échecs ?
34Le réseau métaphorique qu’impliquent ces représentations, et parfois ces stéréotypes, est un axe important de notre démarche : une femme qui manie la glaise et l’argile95, en blouse sale et en atelier, une femme qui cisèle la pierre blanche, une femme qui sculpte le nu ou le visage, la scène mythologique ou l’hommage historique, convoquent des imaginaires que nous souhaitons aborder comme autant de façons de situer ces artistes dans l’histoire culturelle et dans l’histoire des représentations. Dans Créatrices, Marie-Jo Bonnet rappelle que la carrière de sculptrice de Camille Claudel fut entravée par nombre d’injonctions. Désireuse d’obtenir une commande officielle, Claudel écrit au ministre des arts en lui rappelant le succès de « La Valse ». L’inspecteur Armand Dayot trouve toutefois un peu gênants ces deux corps nus. Si Claudel était disposée à les habiller, sans doute pourrait-elle recevoir une commande, et utiliser le marbre, alors très cher. La statue ne sera pas réalisée en marbre, et Claudel réalisera Les Causeuses, en plâtre, sujet et matériau plus féminins, avant de la sculpter en onyx96.
35Dans cette optique, la boutade « revanche de Galatée » invite également à aborder les textes non-fictionnels comme les écrits des artistes (correspondance, essais) ainsi que la réception critique (dans la presse comme dans l’histoire de l’art) du travail des sculptrices.
36Exegi monumentum aere perennius : « J’ai achevé un monument plus durable que l’airain. » Depuis Horace, la postérité littéraire se métaphorise par le biais de la matière, supposée infrangible. Modèles d’une œuvre et non maitresses d’œuvre, sculptées et non sculptrices, petites créatures d’argile, « pâtes molles », confinées à la perpétuation de l’espèce, et non à la création, les Galatées métaphorisent idéalement les invisibilisations des autrices – et leur progressive révolte et légitimation. Si les statues de femmes sont légion, cariatides et jolies nymphes de fontaines publiques, les statues de femmes célèbres sont statistiquement très peu présentes dans l’espace public. C’est par un geste fort que les équipes de Thomas Jolly ont choisi de faire jaillir des statues de femmes célèbres pour leur agentivité, recouvertes d’un métal noble (l’or) pour la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de Paris 2024. Dans « Transfiguration », à l’inverse, Olivier de Sagazan, se défigure avec de l’argile pour devenir une sorte de mi-homme mi-bête : ultime masochisme de Pygmalion qui se rêve Galatée, d’un sculpteur qui se veut modèle, et retourner à l’argile mère97 ?
37Alzon, Claude, La Mort de Pygmalion, essai sur l’immaturité de la jeunesse, Paris, François Maspero, 1975.
38Aragon, Sandrine, « Le mythe de Pygmalion s’inverse, Galatée prend enfin la parole », Slate, 3 mars 2024, https://www.slate.fr/story/266006/cinema-litterature-fin-mythe-de-pygmalion-galatee-metoo, consulté le 15 août 2024.
39Baboulene-Miellou, Natacha, Le Créateur et sa créature : le mythe de Pygmalion et ses métamorphoses dans les arts occidentaux, Toulouse, Presses universitaires du midi, 2016.
40Beaune, Jean-Claude, L’Automate et les mobiles, Paris, Flammarion, 1989.
41Belgherbi, Eva, « Sculpture et littérature, quelques personnages de sculptrices fictives au xixe siècle », Sculptures, Études sur la sculpture (xixe-xxie siècles), Presses universitaires de Rouen et du Havre, no 7, janvier 2021, p. 67-75.
42Belgherbi, Eva, « Les sculptrices en Europe : formations, circulations, créations (xixe et xxe siècles) », dans Encyclopédie pour une histoire nouvelle de l’Europe - EHNE, https://ehne.fr/fr/encyclopedie/th%C3%A9matiques/les-arts-en-europe/femmes-et-arts-identit%C3%A9-cr%C3%A9ations-repr%C3%A9sentations/les-sculptrices-en-europe, mis en ligne le 10 septembre 2020, consulté le 3 décembre 2024.
43Benedictsson, Victoria, Stéenhoff, Frida, L’Ensorcelée suivie de La Lioncelle, traduction et édition critique par Corinne François-Denève, Paris, Classiques Garnier, 2022.
44Berthier, Manon, Dejoie, Caroline, Renné Hertiman, Marys, Leïchlé, Mathilde, Levy Anna, Martigny, Cassandre, Meyer, Suzel, Plantec Villeneuve, Maud (dir.), Brouillon pour une encyclopédie féministe des mythes, Donnemarie-Dontilly, iXe, 2023.
45Blottièr, Mathilde et Marzolf, Hélène, « Muses et Pygmalions, la fin de la prédation ? », Télérama, « Jeunes actrices sous emprise. Histoire d’un aveuglement collectif », no 3866, 14 février 2024, p. 16-21, https://www.telerama.fr/cinema/jacquot-doillon-cineastes-et-actrices-sous-emprise-enquete-sur-un-systeme-de-predation-7019193.php, consulté le 15 août 2024.
46Blühm, Andreas, Pygmalion. Die Ikonographie eines Künstlermythos zwischen 1500 und 1900, Francfort, Peter Lang, 1988.
47Bonnet, Marie-Jeanne, Créatrices : l’émancipation par l’art [exposition, Rennes, Musée des beaux-arts, 29 juin-29 septembre 2019], Rennes, Éditions « Ouest-France », 2019.
48Borie, Monique, Corps de pierre, corps de chair : sculpture et théâtre, Montpellier, Éditions Deuxième époque, 2017.
49Carr, John L., « Pygmalion and the Philosophes. The Animated Statue in Eighteenth-Century France », Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, 1960, XXIII, 3-4, p. 239-255.
50Claudel, Camille, Correspondance, éd. Anne Rivière et Bruno Gaudichon, 3e édition revue et augmentée, Paris, Gallimard, 2014.
51Castiglione Colonna, Adèle, Correspondance, éd. Pascal Griener, Pamella Guerdat, Fribourg, Société d’histoire du canton de Fribourg, 2 vol., 2015.
52Creissels, Anne, Prêter son corps au mythe. Le féminin et l’art contemporain, Paris, Éditions du Félin, 2009.
53Dinter, Annegret, Der Pygmalion-Stoff in der europäischen Literatur. Rezeptionsgeschichte einer Ovid-Fabel, Heidelberg, Carl Winter, 1979.
54Dornbusch, Jean M., Pygmalion’s Figure. Reading Old French Romance, Lexington, French Forum Publishers, 1990.
55Dotal, Christiane, Dratwicki, Alexandre (dir.), L’Artiste et sa muse, Paris, Somogy Éditions d’art/Académie de France à Rome, 2006.
56Dromard, Jean-Paul, « Sur la création artistique : du mythe au complexe de Pygmalion », Semen, no 9, 1994, http://journals.openedition.org/semen/3019 ; DOI : https://doi.org/10.4000/semen.3019, mis en ligne le 31 mai 2007, consulté le 18 mars 2024.
57Dryef, Zineb, « Le conte cruel de la jeune fille et du cinéaste », dans M, le magazine du Monde, « La jeune fille au cinéma. Les ravages d’un mythe », p. 29-37.
58Essaka, Joshua, Pygmalion and Galatea, The history of a narrative in English literature, Aldershot, Ashgate, 2001. Nouvelle édition, London and New York, Routledge, coll. « in Routledge Revivals », 2019.
59Foucher Zarmanian, Charlotte, Créatrices en 1900 : femmes artistes en France dans les milieux symbolistes, Paris, Mare & Martin, 2015.
60Geisler-Szmulewicz, Anne, Le Mythe de Pygmalion au xixe siècle. Pour une approche de la coalescence des mythes, Paris, Honoré Champion, 1999.
61Golub, Spencer, « Revolutionizing Galatea », chap. 3 dans The Recurrence of Fate. Theatre and Memory in Twentieth-Century Russia, Iowa City, University of Iowa Press, 1994, p. 70-99.
62Gonnard, Catherine, Lebovici, Élisabeth, Femmes artistes, artistes femmes : Paris, de 1880 à nos jours, Paris, Hazan, 2007.
63Grassin, Jean-Marie (dir.), Mythes, images, représentations, Paris, Didier, 1981.
64Gross, Kenneth, The Dream of the Moving Statue, Philadelphie, Penn University Press, 1992.
65Larue, Anne, Nachtergael, Magali, Histoire de l’art d’un nouveau genre, Paris, Max Milo, 2014.
66Lesec, Cédric, « Pygmalion ou le pouvoir du mythe », Perspective, no 2, 2008, URL : http://journals.openedition.org/perspective/3435 ; DOI : https://doi.org/10.4000/perspective.3435, mis en ligne le 31 mars 2018, consulté le 18 mars 2024.
67Marshall, Gail, Actresses on the Victorian stage, feminine performance and the Galatea myth, Cambridge, New York, Cambridge University Press, 1998 (1996).
68Nancy, Jean-Luc, Les Muses, Paris, Galilée, coll. « La philosophie en effet », 1994.
69Rivière, Anne (dir.), Sculpture’Elles, les sculpteurs femmes du xviiie siècle à nos jours, cat. exp., Boulogne-Billancourt, Musée des années 30, Paris, Somogy, 2011.
70Rivière, Anne, Dictionnaire des sculptrices en France, Paris, Mare & Martin, 2017.
71Rueda Ana, Pigmalión y Galatea: refracciones modernas de un mito, Madrid, Editorial Fundamentos, 1998.
72Sellier, Geneviève, La Nouvelle Vague. Un cinéma au masculin singulier, Paris, CNRS éditions, coll. « Cinéma et Audiovisuel », 2005 et Le Culte de l’auteur. Les dérives du cinéma français, Paris, La Fabrique, 2024.
73Sofio, Séverine, Artistes femmes : la parenthèse enchantée, xviiie-xixe siècles [Nouvelle éd.], Paris, CNRS éditions, 2023.
74Sterckx, Marjan, « The Invisible “Sculpteuse”: Sculptures by Women in the Nineteenth Century Urban Public Space - London, Paris, Brussels », Nineteenth-Century Art Worldwide, vol. 7, no 2, Automne 2008, https://www.19thc-artworldwide.org/, consulté le 3 décembre 2024.
75Sterckx, Marjan, « In the Picture: Nineteenth-Century European Women Sculptors Portrayed », dans Nordic Women Sculptors at the Turn of the 20th Century: Formation, Visibility, Self-Creation, dir. Linda Hinners, Stockholm, Nationalmuseum, 2022, p. 283-303.
76Stoichita, Victor I., L’Effet Pygmalion. Pour une anthropologie historique des simulacres, Genève, Librairie Droz, 2008.
77Tomás, Facundo, Justo, Isabel (dir.), Pigmalión o el amor por lo creado, Barcelone, Anthropos, 2005.
78Van Geen, Christine, Allumeuse. Genèse d’un mythe, Paris, Seuil, 2024.
79Yarrington, Alison, « The Female Pygmalion: Anne Seymour Damer, Allan Cunningham, and the Writing of a Woman Sculptor’s Life », The Sculpture Journal, 1, Liverpool University Press, 1997, p. 32-44.
1 Le avventure di Pinocchio. Storia di un burattino, écrit en 1881 par Carlo Collodi.
2 Voir le colloque Muses, Égéries, Pygmalions. Créations et rapports de genre, Université de Bordeaux, avril 2023.
3 Voir Victor I. Stoichita, L’Effet Pygmalion. Pour une anthropologie historique des simulacres, Genève, Droz, 2008, p. 12. Monique Borie rappelle que pour Platon le sculpteur est « capable de faire concurrence à la création de la vie à partir d’une matière inerte », ce qui produit une illusion trompeuse (Monique Borie, Corps de pierre, corps de chair : sculpture et théâtre, Montpellier, Éditions Deuxième époque, 2017, p. 36).
4 Voir Victor I. Stoichita, op. cit., p. 22 et le rapprochement opéré entre Orphée et Eurydice et Pygmalion et Galatée dans les Métamorphoses d’Ovide : « Récit dans le récit, l’histoire de Pygmalion apparaît ainsi comme un chant d’espoir de résurrection. » On verra plus loin que le mythe de Pygmalion agrège d’autres figures (Anne Geisler-Szmulewicz, Le mythe de Pygmalion au xixe siècle. Pour une approche de la coalescence des mythes, Paris, Honoré Champion, 1999). Stoichita rappelle par ailleurs que dans les illustrations du Roman de la Rose Pygmalion est représenté travaillant debout devant une table où gît un corps de pierre féminin, invitant à penser son ouvrage comme un gisant. « La statuaire grandeur nature était, au xive siècle, constamment employée pour la décoration des tombeaux de personnes de rang, de sorte que le gisant féminin constitue un point de référence important dans ce contexte. », ibid., p. 63. On peut voir « Pygmalion sculptant Galatée (Roman de la rose, Oxford e Mus. 65, fol. 162v » ici : https://utpictura18.univ-amu.fr/notice/13454-pygmalion-sculptant-galatee-roman-rose-oxford-e-mus-65-fol-162v, consulté le 15 août 2024. Sur Le Roman de la rose et Pygmalion, voir infra, note 56.
5 Pièce en un acte de Jean-Jacques Rousseau, écrite vers 1762.
6 On lira sur ce point les analyses de Louis Marin dans Des pouvoirs de l’image, glose 3, Paris, Seuil, 1993, p. 105 et suivantes, reprises par Monique Borie, op. cit.
7 On emprunte ce terme à Victor I. Stoichita, op. cit.
8 Victor I. Stoichita, ibid., p. 175-176.
9 Voir ibid., p. 184-185 ainsi que p. 201 et p. 208 sur Diderot notamment et son commentaire de l’œuvre d’Etienne-Maurice Falconet, Un groupe de marbre représentant Pygmalion aux pieds de sa statue, à l’instant où elle s’anime, 1763.
10 Virginia Woolf avait déjà souligné en son temps que lorsque la femme est reléguée à l’anonymat nommer est un geste militant. « Galatée » est sans doute nommée ainsi car elle est en ivoire, soit blanche comme le lait. Quant à Pygmalion, Jean-Paul Dromard rappelle que Robert Graves pensait que son nom voulait dire « poing qui tremble » (Jean-Paul Dromard, « Sur la création artistique : du mythe au complexe de Pygmalion », Semen, no 9, 1994, URL : http://journals.openedition.org/semen/3019 ; DOI : https://doi.org/10.4000/semen.3019, mis en ligne le 31 mai 2007, consulté le 18 mars 2024.). La référence de Graves est : Robert Graves, Les Mythes grecs, tome II, Paris, Fayard, 1967, p. 441.
11 On peut évoquer ici les modèles de la statue « Diana » d’Augustus Saint-Gaudens, juchée en haut d’une tour du Madison Square Garden entre 1893 et 1925, au grand scandale des ligues de vertu. Julia « Dudie » Baird avait prêté (donné ?) son corps à la statue, et Davida Johnson Clark, maitresse du sculpteur, son visage. La statue avait été commandée par l’architecte Stanford White. On imagine parfois que c’est la propre maitresse de ce dernier, Evelyn Nesbit, qui avait posé. Nesbit dessine d’ailleurs une figure intéressante de Galatée : modèle, chorus girl, elle se fait « Gibson girl », ou la fille des « French postcards » un peu lestes, un simulacre et un fantasme parfaits pour une société en voie de médiatisation effrénée. « Protégée » et « initiée » par Stanford White, Nesbit fut au cœur d’un scandale retentissant quand son mari, Harry Kendall Thaw, assassina l’architecte lors d’une soirée théâtrale au Madison Square Garden. Thaw n’avait pas supporté que sa femme ait été touchée, ou « imprégnée », avant lui par un autre homme. – querelle de Pygmalions pour une même Galatée ? Hollywood se saisit de l’affaire avec les films The Girl in the Red Velvet Swing (Richard Fleisher, 1955) et Ragtime (Miloš Forman, 1981). Pour l’identification des modèles, geste féministe, voir également le roman de Camille de Peretti, L’Inconnue du portrait (Paris, Calmann-Lévy, 2024), qui part sur les traces de la femme représentée dans Portrait d’une dame de Gustav Klimt.
12 Manon Berthier, Caroline Dejoie, Marys Renné Hertiman, Mathilde Leïchlé, Anna Levy, Cassandre Martigny, Suzel Meyer, Maud Plantec Villeneuve (dir.), Brouillon pour une encyclopédie féministe des mythes, Donnemarie-Dontilly, iXe, 2023.
13 Entrée rédigée par Mathilde Leïchlé, ibid., p. 36-38. Le nom a été suggéré par Catherine Velay-Vallantin.
14 Entrée rédigée par Mathilde Leïchlé et Caroline Dejoie, ibid., p. 135-137.
15 « Q – pour en finir avec les mythes sur nos culs », entrée rédigée par Hélène Fromen, ibid., p. 75-78.
16 Entrée rédigée par Eugénie Bourlet, ibid., p. 115-116.
17 Il s’agit bien de faire dire aux textes autre chose que ce que l’auteur ou l’autrice a pu avoir idée. Il s’agit sans doute d’une « mauvaise lecture », au sens où Martin Revermann parle de « productive misreading » (cité dans l’entrée « Lysistrata » de Suzel Meyer, ibid., p. 130-132, p. 131).
18 On emprunte cette métaphore au projet HOLDUP21 (https://holdup21.com/public/) et à Aurore Turbiau, qui l’utilise pour un article consacré à Monique Wittig, elle-même coutumière des métaphores guerrières (Aurore Turbiau, « Wittig, canon braqué », En attendant Nadeau, https://www.en-attendant-nadeau.fr/2024/07/23/wittig-canon-braque/, mis en ligne le 23 juillet 2024, consulté le 3 décembre 2024). La lecture en féministe du canon et de l’histoire littéraire amène son lot de métaphores : contre-canon (voir Eva Belgherbi, « Contre-canons. Contre une histoire de l’art des héroïnes, pour une histoire de l’art des réseaux », https://ghda.hypotheses.org/2946, consulté le 3 décembre 2024), « généalogie alternative » (Muriel Plana), etc.
19 L’entrée, rédigée par Eva Belgherbi (Brouillon, op. cit., p. 69-71) montre que Sabine de Steinbach devient, à partir de 1850, une métaphore de la femme artiste. Elizabeth Ellet, dans son Women Artists in all Ages and Countries, en fait la première sculptrice. En 1893, pour l’Exposition Universelle de Chicago, les statues de Sabine sont reproduites en papier mâché sur la façade du Women’s Building. Elles figurent également dans The Dinner Party 1974-1979 de Judy Chicago, installation « féministe » (https://fr.wikipedia.org/wiki/Art_et_féminisme#/media/Fichier:Judy_Chicago_The_Dinner_Party.jpg, consulté le 3 décembre 2024). On pourra visionner Eva Belgherbi, « Réactivation et réappropriation de la légende strasbourgeoise de Sabine par les sculptrices du xixe siècle, entre historiographie et féminisme », communication dans le cadre du colloque « Constellations créatrices : héritages et réseaux féminins / queer », organisé par les Jaseuses et soutenu par le groupe Philomel / Initiatives Genre (Sorbonne Université). : https://www.youtube.com/watch?v=jinitBNSZcU, consulté le 15 août 2024.
20 Voir : Histoire Naturelle, XXXV.
21 Christine van Geen, Allumeuse, Paris, Seuil, 2021.
22 Les autres figures examinées seront ensuite celles de Salomé, Lolita, les sirènes, et Lorelei.
23 Christine van Geen, Allumeuse, op. cit., p. 53.
24 https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:Gérôme,_le_travail_du_marbre,_1890_(5613512697).jpg, consulté le 3 décembre 2024. On pourra aussi regarder le Portrait de Girodet peignant « Pygmalion et Galatée », de François-Louis Dejuinne, pour une mise en abyme de la création, sous le regard de Galatée : https://www.musee-girodet.fr/portrait-de-girodet-peignant, consulté le 3 décembre 2024.
25 Victor I. Stoichita, op. cit., p. 336 et suiv.
26 Voir ibid., p. 29 : Galatée peut être vue comme ayant une « valeur de remplacement » : « c’est parce qu’il est dégoûté des femmes que Pygmalion crée un simulacre » ; on peut ainsi la voir dotée d’une « valeur de protection », la figurine aidant le sculpteur à tenir son vœu de chasteté : « c’est pour se protéger des femmes que Pygmalion crée un simulacre. »
27 Brouillon, op. cit., p. 171.
28 Monique Borie (op. cit., p. 22) rappelle le poème de Victor Hugo « le Sacre de la femme : Ève » : « Chair de femme, argile idéale, ô merveille … / Boue où l’on voit les doigts du divin statuaire ».
29 Simone de Beauvoir, Le Deuxième Sexe 1949, Paris, Gallimard, coll. « Folio Essais », 1986, tome I, p. 299.
30 Cité dans The Instinct of An Artist: Shaw and the Theatre, catalogue de l’exposition tirée de la Bernard F. Burgunder Collection, Cornell University, 1997 p. 34, en ligne : https://rmc.library.cornell.edu/EAD/pdf_guides/RMM04617_pub.pdf, consulté le 15 août 2024.
31 Gary Marshall, 1990.
32 On renvoie ici également à l’analyse de Christine van Geen, op. cit., p. 59-62.
33 Voir sur cette relation et à propos de Vertigo d’Hitchcock, notamment, Victor I. Stoichita, op. cit., p. 269.
34 Richard von Krafft-Ebing le mentionne dans l’édition de 1923 de sa Psychopathia Sexualis. Plus récemment, on pourra consulter les résultats de l’enquête : Taly Dvir, Dov Eden, Michal Lang Banjo, « Self-fulfilling prophecy and gender: can women be Pygmalion and Galatea? », Journal of applied psychology, vol. 80 (2), avril 1995, p. 253-270. Cédric Lesec mentionne le fait que le « pygmalionnisme », fait une apparition dans Là-bas de Huysmans. Il le définit comme un « phénomène […] propre à l’artiste qui s’éprend, comme le Pygmalion du mythe de l’œuvre qu’il a créée ». Cédric Lesec, « Pygmalion ou le pouvoir du mythe », Perspective, no 2, 2008, URL : http://journals.openedition.org/perspective/3435 ; DOI : https://doi.org/10.4000/perspective.3435, mis en ligne le 31 mars 2018, consulté le 18 mars 2024.
35 Marjorie Rosen, Popcorn Venus: women, movies and the American dream, New York, Coward, McCann and Geoghegan, 1973. Une traduction (assez peu satisfaisante) est parue aux Éditions des femmes Antoinette Fouque en 1976, sous le (beau) titre de Vénus à la chaine (traduction d’Aline Dupont et Nicole Rougier).
36 Showgirls est un film de Paul Verhoeven sorti en 1996. Échec absolu, il a depuis acquis le statut de film culte. Le film relate les heurs et malheurs de Nomi, désireuse de devenir une vedette à Las Vegas. Il a détruit la carrière de son actrice principale, Elizabeth Berkley. À ce titre, le film est parfois la métaphore de l’objectification de la femme de spectacle. C’est la lecture qu’en fait Marlène Saldana dans Showgirl, performance créée en 2024.
37 Cédric Lesec, art. cité.
38 Ibid. Lesec propose de lire en ce sens les quatre tableaux qu’Edward Burne-Jones consacre à Pygmalion en 1878.
39 Voir sur ce point Ernst Gombrich et « le pouvoir de Pygmalion », à savoir le pouvoir qu’a le créateur d’insuffler le sentiment à son œuvre (dans L’Art et l’illusion. Psychologie de la représentation picturale, Paris, Phaidon, 2002 [1960], p. 80-98).
40 Monique Borie, op. cit., p. 109.
41 Ibid., p. 108.
42 Sur ce point voir également Monique Borie, ibid., p. 109.
43 Voir, sur l’importance du spectateur, Bernard Vouilloux, Le Tableau vivant : Phryné, l’orateur et le peintre, Paris, Flammarion, 2002. La coalescence des mythes suppose ici l’interpolation de Phryné.
44 Au sujet de Pygmalion, Monique Borie, à la suite de Louis Marin et de Georges Didi-Huberman, parle de la « folie du voir », et de la « folie du croire » (op. cit., p. 107 et 108).
45 Le film se termine par un retour à la norme, l’acteur réintégrant son studio et l’écran, et la spectatrice, dévastée, se replongeant dans ses amours vicaires et cinéphiliques.
46 Le documentaire de Delphine Seyrig consacré à la condition des actrices, Sois belle et tais-toi (1977), semble désigner Galatée.
47 Victor I. Stoichita, op. cit., p. 13.
48 À propos du « complexe de Pygmalion » du cinéma, voir Dominique Païni, « Le complexe de Pygmalion (sculpture à l’écran) », dans Michel Frizot et Dominique Païni (dir.), Sculpter-Photographier / Photographie-Sculpture, Paris, Marval, 1993, p. 109-121.
49 L’installation de David Walliker Galatea and the Pygmalions a été exposée du 5 octobre au 11 octobre 2020, The Nordic Guest Studio. Voir la description du projet : https://nkfsweden.org/project-page/david-walliker-pygmalion-and-galatea, consulté le 3 décembre 2024. « David Walliker is a British visual artist based in Edinburgh staying at NKF to present his posters that are currently on view in the exhibition ‛Galatea and the Pygmalions’ displayed at outdoor sites in Edinburgh and Glasgow. / Walliker has exhibited internationally in Europe and the US with solo shows in such venues as Brno Museum of Arts in BRNO, Rudolfinum in Prague and at Lund Konsthall. He has also curated international exhibitions and was instrumental in setting up the ArtWall Gallery in Prague in 2005. »
50 Il serait tentant de rapprocher Her de Elle, film de Blake Edwards sorti en 1979. Malheureusement, le titre original du film est Ten, la « elle » en question, incarnée par Bo Derek, étant un « 10 » (sur 10) dans l’échelle des fantasmes du protagoniste masculin. Il est bien question de simulacres dans cette comédie, dans laquelle Dudley Moore incarne un compositeur saisi par le démon de midi. George Webber (mélange de Gershwin et d’Andrew Llyod Webber ?) renonce toutefois à la réalisation de son fantasme, pour retourner auprès de son épouse. Dans le film, elle est incarnée par Julie Andrews, la propre femme du réalisateur, dont le personnage s’appelle « Samantha ». Ten et Her pourraient être considérés comme des méta-films sur le syndrome hollywoodien du Pygmalion.
51 On renvoie également ici aux analyses de Christine van Geen, « Jouer les Pygmalion », op. cit., p. 62-66.
52 Claude Alzon, La Mort de Pygmalion, essai sur l’immaturité de la jeunesse, Paris, François Maspero, 1975.
53 Ibid., 4e de couverture.
54 Ibid., p. 36.
55 Ibid., p. 37
56 Le parallèle entre Narcisse et Pygmalion se trouve dans Le Roman de la rose, dans la version de Jean de Meung. Narcisse et Guillaume de Lorris figurent l’exemple à ne pas suivre. Lire sur ce point (et sur l’habillement par Pygmalion de la statue, qui joue avec elle comme à la poupée) : Jean R. Scheidegger, « La peinture à l’or du Roman de la Rose », dans L’Or au Moyen Âge, Aix-en-Provence, Presses universitaires de Provence, 1983, https://doi.org/10.4000/books.pup.2777, consulté le 3 décembre 2024.
57 Claude Alzon, op. cit., p. 44.
58 Claude Alzon est aussi l’auteur de Femme mythifiée, femme mystifiée (Paris, PUF, 1978) et de La Femme potiche et la femme boniche (Paris, La Découverte, 1977).
59 Les acteurs ont également lancé #MeTooGarçons.
60 Mathilde Blottière et Hélène Marzolf, « Muses et Pygmalions, la fin de la prédation ? », Télérama, « Jeunes actrices sous emprise. Histoire d’un aveuglement collectif », no 3866, 14 février 2024, p. 16-21, cité ici p. 18, https://www.telerama.fr/cinema/jacquot-doillon-cineastes-et-actrices-sous-emprise-enquete-sur-un-systeme-de-predation-7019193.php, consulté le 15 août 2024.
61 Zineb Dryef, « Le conte cruel de la jeune fille et du cinéaste », dans M, le magazine du Monde, « La jeune fille au cinéma. Les ravages d’un mythe », p. 29-37, ici cité p. 31. Voir Geneviève Sellier, La Nouvelle Vague. Un cinéma au masculin singulier, Paris, CNRS éditions, coll. « Cinéma et Audiovisuel », 2005 et Le Culte de l’auteur. Les dérives du cinéma français, Paris, La Fabrique, 2024.
62 Ibid., p. 32, reprise d’une interview de Mediapart datée du 6 novembre 2019.
63 Voir Robert Rosenthal et Lenore Jacobson, Pygmalion in the classroom: Teacher expectation and pupils' intellectual development, Bancyfelin, Carmarthen, Crown House Publishing, 1992 (newly expanded edition).
64 Le mythe de Pygmalion est souvent lié à celui des Propétides. Prostituées, les Propétides furent punies par Aphrodite qui les transforma en pierres.
65 On renvoie également aux pages de Simone de Beauvoir sur les muses. « Les Muses sont femmes » ; « la Muse ne crée rien par elle-même » (Beauvoir, op. cit., p. 304). « Et par là elle est si nécessaire à la joie de l’homme et à son triomphe qu’on peut dire que si elle n’existait pas, les hommes l’auraient inventée. Ils l’ont inventée. » (ibid., p. 305). Voir Jean-Luc Nancy, Les Muses, Paris, Galilée, coll. « La philosophie en effet », 1994.
66 Zineb Dryef, art. cité, p. 29.
67 Mathilde Blottière et Hélène Marzolf, art. cité, p. 20.
68 Paris, Robert Laffont, 2023.
69 On écoutera aussi « Le mythe de Pygmalion au cinéma : vers une émancipation du regard masculin », émission de Diego Caparros, diffusée le 15 mars 2024, https://www.radiofrance.fr/franceculture/le-mythe-de-pygmalion-au-cinema-vers-une-emancipation-du-regard-masculin-5118033, consulté le 3 décembre 2024.
70 Léos Carax, dans Mathilde Blottière et Hélène Marzolf, art. cité, p. 20.
71 Ibid., p. 21.
72 Zineb Dryef, art. cité, p. 33.
73 Mathilde Blottière et Hélène Marzolf, art. cité, p. 20. Hélène Frappat, de même, parle du « syndrome de Barbe Bleue » en évoquant Benoit Jacquot, héritier de « l’arnaque du romantisme ». L’autrice dit également que la muse est un « cadavre de femme, un cadavre de petite fille » (Hélène Frappat, « Toutes les femmes, au cinéma, qui est la vraie vie agrandie, sont des survivantes », Le Monde, 14 février 2024).
74 Sandrine Aragon, « Le mythe de Pygmalion s’inverse, Galatée prend enfin la parole », Slate, 3 mars 2024, https://www.slate.fr/story/266006/cinema-litterature-fin-mythe-de-pygmalion-galatee-metoo, consulté le 15 août 2024. Composition de la créature de Frankenstein et de Galatée, Bella Baxter permet une libération du jeu de l’actrice Emma Stone plus qu’une émancipation problématique, selon la critique Dana Stevens, 7 décembre 2023, : « She’s Frankenstein’s monster in satin bloomers, Pygmalion’s Galatea leaping off her pedestal to take off at a full run. If for no other reason, watch Poor Things for the chance to see an actor at the top of her game build a character literally from the ground up, growing from infancy to strong-willed womanhood using no effects more special than the body and face God(win) gave her. » Voir https://slate.com/culture/2023/12/poor-things-emma-stone-mark-ruffalo-movie-review.html, consulté le 3 décembre 2024.
75 Jennifer Tamas, Au non des femmes, Paris, Seuil, 2023.
76 Pygmalionnes, film documentaire de Quentin Delcourt, 2019.
77 Voir infra.
78 Anne Geisler-Szmulewicz, op. cit., p. 15.
79 Brouillon, op. cit., p. 188.
80 Séverine Sofio date du siècle précédent la « parenthèse enchantée » des artistes femmes (Artistes femme : la parenthèse enchantée, xviiie-xixe siècles [Nouvelle éd.], Paris, CNRS éditions, 2023.
81 Brouillon, op. cit., p. 106.
82 Ibid. pour la citation. Elle est issue de La Suite de l’histoire, Paris, Seuil, 2019, p. 45 et 41. La figure de la danseuse apporte un éclairage singulier sur la figure galatéenne. Sur scène, elle est le mouvement, muet, contrairement à la comédienne. En ce sens, plus encore que l’actrice, elle a partie liée avec la statuaire. On renvoie à nouveau à Monique Borie (op. cit., p. 64), qui rappelle qu’Antoine Bourdelle, voyant Isadora Duncan danser, s’était exclamé : « c’est de la sculpture vivante ». Bourdelle aura la même impression au sujet de Nijinski. Les deux artistes sont évoqués dans la « Leçon du 15 mars 1912 », dans Antoine Bourdelle, Cours et leçons à l’académie de la Grande Chaumière, Paris, Evergreen, 2008, p. 201-202.
83 Gail Marshall, Actresses on the Victorian stage, feminine performance and the Galatea myth, Cambridge, New York, Cambridge University Press, 1998 (1996).
84 Monique Borie, op. cit., p. 5.
85 Ibid., p. 6 et 7, passim.
86 Monique Borie rappelle que Meyerhold cherchait à lutter contre les « corps flasques » des acteurs (op. cit., p. 22). Est-ce un rappel de l’odieuse « pâte molle » des femmes (voir supra) ? Plus loin, Borie mentionne un texte d’Eugenio Barba, « Marbre vivant », qui célèbre la pose et le maintien du célèbre comédien anglais Henry Irving (op. cit., p. 34). Borie consacre un chapitre à la « question de la matière », également essentielle pour nous.
87 Cédric Lesec, art. cité.
88 Monique Borie, op. cit., p. 36.
89 Monique Borie, ibid., p. 38. Les citations de Rodin sont issues de L’Art, Paris, Grasset, 2005, p. 40 et p. 39.
90 Voir Anne Larue et Magali Nachtergael, Histoire de l’art d’un nouveau genre, Paris, Max Milo, 2014. Les pages 126-130, intitulées « délices du marbre onyx », traitent de Camille Claudel. Les autrices rappellent que Camille Claudel est elle aussi devenue un mythe, en renvoyant à l’article de María López Fernández, « Derrière le mythe de Camille Claudel : la construction d’une image » (catalogue de l’exposition Camille Claudel, 1864-1943, Paris, Musée Rodin, 2013-2014 et Madrid, Fundacion Mapfre, 2007, p. 66-79). Elles indiquent que le mythe fut largement alimenté par Paul Claudel, grand pourvoyeur de récits sordides et sans réplique dans Ma Sœur. Paul décide de faire de Camille une femme brisée par sa rupture avec Rodin, alors que celle-ci expérimente au contraire une période de création frénétique.
91 Ibid., p. 128.
92 Zelba, Le Grand Incident, Paris, coédition Futuropolis / Musée du Louvre Éditions, 2023.
93 « L’Évasion », https://www.levoyageanantes.fr/oeuvres/levasion-1/, consulté le 3 décembre 2024.
94 Séverine Sofio, op. cit., p. 529.
95 Les arts dits « plastiques » tirent leur origine du mot grec qui renvoie à la matière, molle, comme la cire et la glaise (voir sur ce point Dominique Château, Arts plastiques. Archéologie d’une notion, Paris, Jacqueline Chambon, 1999, p. 7). Monique Borie rappelle que Rodin faisait d’abord des ébauches en argile, pour saisir le mouvement, avant de passer à la pierre ou au bronze (op. cit., p. 39).
96 Marie-Jo Bonnet, Créatrices : l’émancipation par l’art [exposition, Rennes, Musée des beaux-arts, 29 juin-29 septembre 2019], Rennes, Éditions « Ouest-France », 2019, p. 26-28. Un encart, dans le même ouvrage, p. 44-45, signé Macha Paquis, inventorie les « regards de femme sur le corps masculin ». Anne Larue et Magali Nachtergael (op. cit., p. 129-130) reviennent sur cette question de la matière, et de l’onyx. Elles indiquent que le nom fait bien sûr penser au poème de Mallarmé, rappelant que le poète décrit un lampadaire « fait d’une statue de femme tenant à bout de bras quelque chandelier, de quoi monter très haut ses ongles d’onyx pour éclairer quand le soir tombe » (p. 129). À la page suivante, elles signalent que le marbre onyx est un albâtre blanc, extrêmement technique, qui permet une belle polychromie avec le bronze.
97 https://olivierdesagazan.com/performancetransfiguration, consulté le 15 août 2024.
Sous la direction de Florence Fix et Corinne François-Denève
© Publications numériques du CÉRÉdI, « Les Carnets comparatistes du CÉRÉdI », n° 2, 2024
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