De la Seine de Pierre à la Marne de Thomas : de la familiarité avec les images fluviales à leur utilisation dramaturgique

Liliane Picciola


Texte intégral

1Dans ses poèmes dramatiques, Pierre Corneille ne nomme les fleuves que lorsqu’il s’agit de désigner par synecdoque le pays qu’ils traversent : le Tibre ou le Pô pour l’Italie, le Tage pour l’Espagne, le Rhin pour les régions germaniques1. Leur présence se limite en quelque sorte à leurs rives, entendues au sens large du terme. Cette quasi-absence nous a paru logique dans la mesure où l’œuvre cornélien, d’abord tourné vers la « conversation des honnêtes gens » dans les comédies parisiennes, puis essentiellement voué au genre tragique, paraissait peu susceptible de receler des éléments concrets et paysagers, même dans de simples évocations ; seul l’usage de métaphores potamographiques semblait devoir y être accueilli. La rareté, dans la dramaturgie cornélienne, des termes désignant de réels cours d’eau, que leur nom propre soit donné ou non, nous a incitée2 à étudier les effets de ces mentions inhabituelles : qu’est-ce qui a amené Corneille à accorder une place à un « fleuve » dans le dernier quart du Cid et à une « rivière » dès l’acte I du Menteur sans toutefois les décrire véritablement ?

2Chez Corneille, rien n’est gratuit. Michel Autrand, estimant qu’aborder une tragédie comme Attila par la conception de ses personnages secondaires se révèle fructueux, écrit ceci :

Dans une œuvre grande, le plus petit détail concourt à la grandeur. Et c’est un moyen détourné peut-être, mais non négligeable, de confirmer la force d’un texte que de confirmer la pertinence de la plus petite de ses parties3.

3Le fleuve dans l’estuaire duquel se déroule la bataille livrée aux Mores par Rodrigue n’est pas nommé dans Le Cid. Dans l’Examen de sa tragi-comédie devenue tragédie, l’auteur reconnaît néanmoins avoir transféré en Espagne le phénomène du mascaret qui se produit dans l’estuaire de la Seine pour faciliter le récit du combat que son héros livre aux Mores. À cause de cet aveu, beaucoup ont insisté sur l’utilité technique de cette localisation de la bataille dans un contexte poïétique d’unité de jour, mais le cadre du récit de Rodrigue, qui évoque l’aspect et le mouvement des flots, totalement absents de la comedia dont s’inspirait la tragi-comédie, ne dépasse-t-il pas cette fonction de commodité ? Corneille, quand il imite l’œuvre dramatique d’un autre, ne saurait en affaiblir la portée et il cherche toujours des équivalents aux éléments non directement transposables qui en font la puissance. À quels aspects de la comedia ce combat sur les eaux se substitue-t-il ? Ce récit dépourvu de tout effet de « suspension » peut-il remplir une fonction dramatique ? Son esthétique même semble s’accorder au portrait du héros.

4La comédie du Menteur se déroulant à Paris, l’on est incité à identifier comme la Seine la « rivière4 » (v. 581) sur laquelle Dorante prétend avoir donné un festin en galante compagnie : pour apprécier les détails issus de la fertile imagination du héros, faut-il, comme dans le cas de la Seine normande dissimulée dans le récit du Cid, y voir une interpolation d’une expérience rouennaise ? En quoi s’intègre-t-elle à la conversation des honnêtes gens qui constituaient le public parisien de Corneille et dans quelle mesure peut-elle contribuer à l’élaboration du comique de cette pièce, elle aussi inspirée d’une comedia, dont elle imite l’action plus constamment que la tragi-comédie ne suit celle des Mocedades del Cid ?

5Dans Le Berger extravagant, pastorale burlesque de Thomas Corneille5, en revanche, la Marne, qui traverse la Brie, où une équipe de nobles parisiens se distrait en jouant les bergers, est nommée par deux fois : en prend-elle plus de réalité pour autant ? Il est attendu6 que, dans une « pastorale », des fleuves, des rivières, des ruisseaux soient fréquemment mentionnés car le genre, qu’il soit romanesque ou dramatique, met ses personnages au contact de la nature : dans les Bergeries de Racan7, la Marne, l’Oise, la Seine, sont nommées et l’action se déroule d’ailleurs sur une rive de ce dernier fleuve. De plus, les références à L’Astrée fourmillant dans la pièce de Thomas Corneille, elle devrait suivre ce roman fondateur sur la voie de la précision : chez d’Urfé, l’évocation quasiment géographique, voire cartographique, du Lignon, provoque, comme celle des nombreuses autres rivières mentionnées dans le roman, un effet de réel bien supérieur à celui des eaux de la tradition bucolique8. Mais si un cours d’eau figure bien dans Le Berger extravagant, il n’appartient pas au décor mais apparaît sous une forme personnifiée ; toutefois comme la pastorale est qualifiée de « burlesque » par son auteur, le rôle confié à ce personnage de rivière n’a rien à voir avec celui de la Nymphe de la Seine qui s’adresse au roi Louis XIII dans le Prologue des Bergeries : il fait partie de l’action et flatte, dans l’acte V, l’obsession délirante des métamorphoses ovidiennes du prétendu berger Lisis. Son rôle se limite-t-il à tromper plaisamment l’imagination d’un extravagant ? Faut-il envisager aussi son effet sur la perception de ses inventeurs élégants ?

La Seine hispanisée du Cid : une invention relevant de la poétique

Un choix de bataille fluviale qui ne s’imposait pas

6L’action, dans Las Mocedades del Cid, se déroule en Castille, c’est-à-dire dans une région sèche et austère. Ce n’est pas du tout le cas du Cid et, quand les détracteurs de la pièce ont pu accuser Corneille de plagiat, ils n’ont pas suffisamment pris garde à l’extraordinaire habileté du poète qui a métamorphosé une action tout en conservant ce qui faisait la force du texte original. En effet, en transférant au bord d’un fleuve une action se déroulant au centre des terres, le poète français a réussi à faire passer dans sa propre tragi-comédie une partie intéressante des caractéristiques du héros tel que le peignait la dramaturgie espagnole.

7La liberté de la scène tra los montes permettait de représenter la bataille, au moins partiellement : dans la comedia de Guillén de Castro, le récit de la bataille que Rodrigo livre aux Mores n’est pas assuré par le héros mais par un berger qui a peur des envahisseurs, et qui se réfugie sur un promontoire. Il assiste au combat depuis cette hauteur et raconte la bataille comme une énorme bagarre, et dans un langage peu châtié9. On voit cependant une partie du combat car le berger se tait quand la scène est traversée par des guerriers mores et castillans qui se battent. Ensuite un roi more prisonnier parachèvera ce récit devant le roi de Castille.

8Ni la présence du berger, ni la traversée de la scène par des combattants, ne pouvaient être conservées sur la scène française10. Comment restituer une bataille par un récit a posteriori et le rendre intéressant alors qu’il est dépourvu de tout suspens puisque le public a déjà assisté à une conversation entre Chimène et Elvire qui roulait sur l’incroyable victoire de Rodrigue ? Corneille a été attentif aux conditions du combat chez son auteur : « Ils [Les Mores arrivant] ont plus de justesse dans l’irrégularité de l’auteur espagnol. Rodrigue, n’osant plus se montrer à la Cour, les va combattre sur la frontière, et ainsi le premier acteur les va chercher, et leur donne place dans le poème ».

9Le respect des unités de jour et de lieu ne débouchait toutefois pas forcément sur le type de combat que Corneille a choisi. Parce que le poète a évoqué la bataille comme il l’a fait, on est tenté de croire qu’il était impossible de l’imaginer différemment ; or Corneille aurait tout à fait pu exploiter la mention faite dans la comedia des attaques fréquentes des hommes, du roi more sous la forme de petits escadrons11, et conserver à la bataille son caractère terrestre. Il n’était guère difficile à notre auteur d’imaginer qu’en commençant de traverser la Castille pour s’exiler, escorté par de nombreux amis de don Diègue, le héros se trouvait ainsi attaqué par les Mores : en ripostant, le jeune chevalier aurait pu retourner la situation à son avantage alors que d’autres troupes mores étaient venues à la rescousse des premiers attaquants12, les siens se voyant renforcés par de braves Castillans, et transformer ce qui devait n’être qu’une escarmouche en une véritable bataille et en une victoire éclatante. La méfiance de mise dans toute l’Espagne, où les possessions castillanes et mores offraient des contours bien indécis, incitait tout chevalier à se tenir sur ses gardes.

10Il semble donc que d’autres motifs ont pu pousser Corneille à situer la bataille dans un estuaire.

Une bataille fluviale adaptée au charisme du héros espagnol

11Au reste, chez l’auteur espagnol, Rodrigue est condamné à l’exil malgré sa victoire et, après avoir reçu les remerciements du roi et le titre de Cid, il doit se tenir éloigné de la Cour ; il transforme cet exil en un pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle. Justement le berger qui a assisté au combat l’a suivi jusque-là, admiratif, et c’est alors l’humilité du Cid chrétien qui l’emplit d’étonnement quand il le voit partager son repas avec un lépreux. Il convient de ne pas oublier que les Mores ne sont plus vus comme n’importe quels ennemis, que c’est un affrontement chrétienté / islam13 que Guillén de Castro porte à la scène. Cette tonalité religieuse est très prégnante dans la pièce espagnole et le talent guerrier du jeune héros est présenté comme « inspiré » et cautionné par le Ciel : c’est saint Lazare qui lui révèle que Fernand de Castille a besoin de lui pour relever le défi lancé à une Castille bien instable par un champion de l’Aragon aux allures de colosse (épisode écarté par Corneille).

12Ce caractère mystique prêté à Rodrigue par Guillén de Castro se trouve, par divers moyens, préservé sous la plume de Corneille, que la bienséance empêchait de représenter un acte de dévotion et surtout la transfiguration du lépreux en saint Lazare. Selon nous, parmi ces moyens, figure justement le récit de la bataille mi-terrestre mi-fluviale. Le poète y a préparé et il se place dans une dynamique de sacralisation du jeune guerrier, célébré en héros épique par Elvire, par Chimène et par l’Infante stupéfaites et admiratives (« il a fait des merveilles », ce « jeune Mars »). Abonder dans le sens de la rapidité d’action, c’était conférer au personnage une caractéristique de surhomme en même temps que respecter la règle d’unité de jour : la rapidité du combat – trois heures d’après Elvire – participe de l’élection quasi divine de Rodrigue, dont l’humilité du comportement à l’égard de Chimène est également et en même temps accentuée : une seconde fois, dans la scène 1 de l’acte V, il se soumettra à la volonté de sa dame, ce qu’il ne fait pas dans la comedia : « il [Rodrigue] vit son amour d’une manière plus mystique que Rodrigo mais n’est pas un mystique. […] Corneille a cherché à donner à son héros une dimension spirituelle que la seule préservation des traits amoureux du modèle n’aurait pas suffi à créer14 ».

13La nécessité non seulement temporelle mais morale de donner à la bataille un déroulement rapide a déterminé le lieu : pour une arrivée rapide des Mores, la voie fluviale était la voie idéale ; or Corneille, dans sa Normandie, pouvait regarder des bateaux tous les jours et il les empruntait pour aller rapidement d’une de ses demeures à l’autre. Il connaissait donc parfaitement le phénomène du mascaret, qui en lui-même constitue un affrontement de deux forces, celle de la marée montante et celle du courant descendant d’un fleuve, qui prend sa source au cœur d’un pays : long de six-cent-deux kilomètres, le Guadalquivir prend sa source dans la Sierra de Cazorla. Beau symbole…

Un estuaire andalou et courtois

14Corneille explique lui-même dans l’Examen du Cid pourquoi il a placé à Séville le lieu de l’action bien que « Don Fernand n’en ait jamais été le maître ». Toutefois la « falsification » de l’histoire n’est pas énorme, car Ferdinand Ier de Castille a effectivement pu descendre le long du Guadalquivir et il est parvenu aux portes de Séville, en 1063, mais sans pouvoir s’y maintenir. Cette localisation de l’action s’explique en partie par la présence en cette ville d’un estuaire, qui peut faire penser à celui de la Seine et à la Gironde. De surcroît, Corneille suppose avec quelque vraisemblance, et non sans vérité, que l’estuaire du Guadalquivir était affecté d’une même remontée de la marée dans cette embouchure. Il concèdera dans l’Examen du Cid :

Je ne voudrais pas assurer toutefois que le flux de la mer monte effectivement jusque-là ; mais comme dans notre Seine il fait encore plus de chemin qu’il ne lui en faut faire sur le Guadalquivir pour battre les murailles de cette ville, cela peut suffire à fonder quelque probabilité parmi nous, pour ceux qui n’ont point été sur le lieu même15.

15De fait, comme le roi Fernand l’énonce (v. 615-616 : « […] avec fort peu de peine / Un flux de pleine mer jusqu’ici les amène »), il existait bien un mascaret dans la vallée du Guadalquivir (il est devenu peu sensible à Séville maintenant à cause du détournement artificiel du fleuve et de l’aménagement d’un canal). Chapelain, dans les Sentiments de l’Académie française sur Le Cid, approuve au reste la manière dont Corneille a imaginé ce cadre de la bataille, ce qui revient à approuver le choix de Séville : il estime que, contrairement aux affirmations de Scudéry dans ses Observations sur Le Cid, on ne pouvait pas, en un tel endroit, tendre une chaîne d’une rive à l’autre pour fermer le port aux bateaux qui se présenteraient et donc que le roi Fernand de Corneille n’a pas commis d’erreur de gouvernance militaire. De surcroît, l’appellation de « port », qu’a contestée Scudéry, désigne bien l’endroit où sont amarrés les bateaux quand une ville est située dans un estuaire.

16L’autre avantage, incomparable, de cette situation de l’action à Séville, et de cette insistance sur le fleuve qui la traverse, c’est qu’elle offrait, notamment aux habitués de l’Hôtel de Rambouillet, l’image rassurante d’une région dans laquelle l’eau était agréablement présente partout, et n’avait rien de l’austérité géographique de l’Espagne centrale, qui semblait aller de pair avec ses mœurs. De fait, la région était réputée comme particulièrement belle et verdoyante car elle était irriguée grâce aux travaux effectués par les musulmans qui l’occupaient et qui appréciaient particulièrement la vallée du Guadalquivir : au vers 621, le roi Fernand explique l’acharnement des Mores à reconquérir l’Andalousie par l’expression « ce pays si beau que j’ai conquis sur eux »… Par ailleurs cette région était le berceau d’une culture raffinée. Dans les lettres d’Espagne que Voiture envoya à l’Hôtel de Rambouillet en 1633, lors du voyage qu’il y fit avec Gaston d’Orléans, l’Andalousie était particulièrement vantée :

L’Andalousie m’a réconcilié avec tout le reste de l’Espagne et l’ayant passée en tant d’autres endroits, je serais bien fâché de ne l’avoir point vue en celui seul par où elle peut être belle16.

17Surtout, la douceur du paysage s’accordait à celle des sentiments :

Vous devez me permettre d’être galant car je me trouve à la source de la galanterie, et au lieu d’où elle s’est répandue dans le monde17,

18écrivait l’épistolier, qui avouait aussi y avoir rêvé des combats et des tournois d’autrefois. L’Andalousie est le pays de la fin’amor, de l’amour courtois, où peuvent magnifiquement éclore les amours difficiles, et exigeantes parce qu’interdites, de Rodrigue et de Chimène. Voiture cite volontiers des romances…, histoires romancées et poétiques, écrites en vers.

Des flots pour un merveilleux épique

19Corneille en a lu également : il en cite deux, issus du Romancero general18, dans son Avertissement de 1648, qui révèle qu’il connaît aussi diverses chroniques. Assurément notre auteur était sensible à la geste du Cid et la dimension légendaire, littéraire et épique de son personnage – quelque peu contredite par la réalité historique19 – méritait à ses yeux d’être suggérée.

20On ne peut pas dire que Corneille ait réservé une grande part à la nature dans son œuvre dramatique ; or la nature est particulièrement présente ici. C’est une belle nuit, étoilée, pleine de « cette obscure clarté qui tombe des étoiles » devenue si célèbre. Corneille, par la voix de Rodrigue, laisse imaginer les reflets de la lune et de diverses lumières dans le fleuve. L’image des trente voiles est également très esthétique. Nous parlions plus haut d’un affrontement de forces. Corneille a exploité la métaphore dans une évocation précise et réussie (v. 1285-1286) :

L’onde s’enfle dessous, et d’un commun effort
Les Mores et la mer montent jusques au port.

21Il s’agit d’abord de ne pas sous-estimer la force impressionnante de l’ennemi : la montée des Mores avait été comme irrésistible, favorisée par un phénomène naturel. Leur défaite s’inscrit aussi dans la nature, dans un mouvement forcément contraire à celui qui leur a permis d’approcher de la ville du roi Fernand : « Et nous faisons courir des ruisseaux de leur sang ». Surtout, dans une seconde rédaction des vers 1307-1308 de ce fameux récit, à partir de 1664, ces ruisseaux coulent comme le fleuve, mais, rougi, ce dernier est alimenté aussi par le sang de certains des compagnons de Rodrigue :

Contre nous de pied ferme ils tirent leurs alfanges,
De notre sang au leur font d’horribles mélanges.

22L’image produit un puissant effet car le « fleuve de sang » dépasse ici la métaphore hyperbolique et correspond ici à une réalité matérielle qui saisit.

23Corneille, composant cette tirade, n’a pu ne pas penser au récit de la bataille mi-terrestre, mi-navale20 que fut celle de Salamine, contée dans Les Perses d’Eschyle, et au cours de laquelle les Athéniens vainquirent une armée bien supérieure à la leur en nombre d’hommes et de bateaux : Salamine, c’était un combat qui, la nuit, commençait mal pour les Grecs et qui tournait à leur avantage au lever du jour grâce à la stratégie de leur général… Dans l’évocation qu’en fait le chœur au début de la tragédie d’Eschyle, l’énergie des Perses se mêlait aussi à celle de la mer21 :

Il meut mille bras, et mille vaisseaux22 ;
[…] Qui serait donc capable de tenir tête à ce large flux humain ? Autant vouloir par de puissantes digues contenir l’invincible houle des mers23 ! Irrésistible est l’armée de la Perse et son peuple au cœur vaillant.
[…] Mais voici qu’ils ont appris sur les larges routes des mers que blanchit le vent fougueux, à contempler l’étendue sacrée des eaux, confiants dans de frêles édifices de cordes dans des engins à transporter les hommes24 .

24Bientôt le messager fera le récit de la contre-attaque, qui crée la même surprise chez les Perses que celle de Rodrigue chez les Mores. Si Corneille n’a pas eu accès à la traduction latine de la tragédie eschyléenne de 1555, il connaissait au moins le récit de Plutarque ; l’historien grec se réfère, au reste, à la tragédie d’Eschyle quand il évoque cet épisode marquant de la « Thémistocle » dans les Vies parallèles :

Le coup d’œil de Thémistocle ne fut pas moins bon, semble-t-il, pour décider du moment que du lieu. Il n’eut garde de jeter ses trières proues en avant contre celles des barbares en devançant l’heure habituellement propice, laquelle amène toujours fort vent de mer et houle à travers les détroits : ce qui ne gênait pas les bateaux grecs, peu profonds et assez bas ; tandis qu’en s’abattant sur les vaisseaux barbares aux poupes relevées, haut pontés et lourds à la manœuvre, ce vent les faisait virer et les présentait de flanc aux Grecs, qui les attaquaient promptement attentifs à observer Thémistocle parce qu’il voyait parfaitement la manœuvre nécessaire.

25Comme chez Plutarque, les combats qui se font tantôt sur terre, tantôt sur les bateaux, laisse l’impression, dans le récit que Rodrigue en offre à son souverain, d’un accord cosmique entre la force de la nature et la force aussi bien physique que mentale du jeune chef de guerre. L’étude de la marée a remplacé celle du vent. La lumière du jour confirme et, en soi, célèbre la victoire de ceux qui étaient inférieurs en nombre, leur ralliant d’autres combattants (v. 1318-1322) :

Et n’en pus rien savoir jusques au point du jour.
Mais enfin sa clarté montra notre avantage,
Le More vit sa perte et perdit le courage,
Et voyant un renfort qui nous vint secourir
Changea l’ardeur de vaincre à la peur de mourir.

26Corneille a pu lire chez l’historien grec :

À ce moment du combat, une grande lumière irradia, dit-on, du côté d’Éleusis ; bruit et rumeur remplissent la plaine de Thria jusqu’à la mer, comme si quantité d’hommes rassemblés faisaient cortège à Iacchos, l’initiateur des mystères. Se dégageant du côté de cette masse criante, un nuage, peu à peu, parut s’élever de la terre puis se retourner et recouvrir les trières.
D’autres crurent voir des fantômes et des figures d’hommes armés en provenance d’Égine, qui levaient les mains devant les trières grecques25.

27Le reflux des Mores, irrésistible mouvement inversant celui qu’Eschyle prête à « l’invincible houle des mers » favorisant les Perses, s’impose comme un phénomène grandiose s’intégrant au dynamisme de la nature, derrière lequel on perçoit l’effet de la personnalité charismatique de Rodrigue : « Le flux les apporta ; le reflux les remporte » (v. 1328).

28Ainsi l’imaginaire normand et séquanais de Corneille ne s’est pas mobilisé seulement dans un effort utilitariste appuyé sur son expérience normande. Infusant des images littéraires dans sa tragi-comédie, il a hautement esthétisé et dramatisé le récit de cette bataille fluviale afin qu’il contribuât fortement à la restitution de la dimension mythique du Cid dans toute sa richesse.

29Toutefois la tentation de certains critiques, à une époque où l’on aimait expliquer l’œuvre par l’homme, de réduire l’imaginaire fluvial cornélien aux limites du quotidien normand ne s’est pas seulement exprimée à propos du Cid.

Des rivières comme lieux de « conversation » des honnêtes gens

30Quand, pour écrire Le Menteur26, Corneille imita de nouveau une comedia, La Verdad sospechosa de Ruiz de Alarcón, il prit soin de souligner qu’il avait « entièrement dépaysé les sujets pour les habiller à la française ». C’est si vrai qu’on trouve dans cette comédie plusieurs esquisses de description de certains quartiers de Paris.

31Pour le sujet qui nous intéresse, c’est évidemment la superbe collation que Dorante prétend avoir donnée avec concert et feu d’artifice, qui retiendra notre attention. Il semble que Dorante, arrivant de Poitiers, ait déjà été au courant de l’habitude prise dans le beau monde d’organiser de galantes et nocturnes réceptions en plein air et au frais. Le divertissement, succinctement évoqué par Alcippe, s’est donné sur une rivière. Peut-il s’agir de la Seine parisienne ou Corneille s’est-il inspiré encore de la Normandie ?

32Dans la comedia, la collation est donnée non pas sur l’eau mais au bord d’une modeste rivière, sur le Sotillo, c’est-à-dire dans un bosquet, sous un aulne immense dont on a utilisé les branchages pour constituer six tentes. Le Sotillo se trouve près de Madrid sur une rive du Manzanares, très modeste rivière de quatre-vingt-douze kilomètres de long, à la vallée étroite.

33Ce transfert de la collation dans un bateau semble correspondre à une volonté de prendre en compte des mœurs bien françaises. A priori la répercussion de la musique de la fête sur les rochers semble exclure que la collation, ou plutôt le régal, comme on disait à l’époque, ait été donné sur la Seine dans Paris. Certes, le poète a déjà manifesté et manifeste encore son goût pour les allusions aux beaux endroits de la capitale familiers à son public, comme la galerie du Palais de justice27, la place Royale28 ou encore le Palais-Royal, le Pré-aux-Clercs et l’île Saint Louis29, et il a soin de situer le début de l’action du Menteur dans les jardins des Tuileries. Néanmoins, l’organisation du divertissement paraît avoir été peu réalisable dans Paris, les gravures d’époque y montrant le fleuve surchargé de bateaux de commerce, et l’on est enclin à penser que, pour ceux qui l’entendaient à l’époque dans la salle, comme Alcippe et Philiste sur la scène, le récit de la grandiose fête fictive devait implicitement renvoyer à des habitudes plus champêtres.

Une fête sur la Seine normande ?

34C’est la raison pour laquelle à la fin du xixe siècle, un professeur rouennais, François Bouquet30, commenta l’habillage à la française du souper nocturne espagnol en émettant l’hypothèse que Corneille avait pu encore une fois vouloir évoquer sa Normandie : « Ce n’est point Paris mais Rouen qui lui a fourni l’idée première de cette substitution par le spectacle de ce qui se passait, à Rouen au xviie siècle », écrit-il. Il faut dire qu’il s’appuie sur un témoignage intéressant, celui d’Hercule Grisel, prêtre et auteur d’un recueil de poésies latines intitulé Fasti Rothomagenses, Les Fastes de Rouen, qu’il fit publier en 1631. Sous la plume de Grisel, on trouve pour le mois de juillet, car un poème est donné pour chaque mois de l’année, les vers suivants :

Contecta ludunt alii post prandia cymba,
Per vaga quam remex flumina binus agit.
Sol ubi jam tepuit, religant ; vehit altera cœnam
Cymba, cavasque viros qui tetigere lyras.
Dumque sonant, epulis fluvius quam movit orexim
Exsatiant, redeunt nox ubi densa ruit
.

D’autres après le dîner se divertissent dans une barque couverte, que deux rameurs font voguer sur le fleuve. Quand le soleil est déjà baissé, ils amarrent la barque ; une autre porte la collation, et des musiciens jouent des instruments à cordes. Pendant qu’ils jouent, un festin apaise l’appétit que le fleuve a donné aux promeneurs, et le retour a lieu aussitôt qu’arrivent les ténèbres de la nuit31.

35Selon François Bouquet, les barques correspondent aux « gondoles » qu’on utilisait alors pour passer d’une rive à l’autre de la Seine. Il ajoute :

C’est bien plutôt « une fête rouennaise, mais ordonnée dans de plus vastes proportions, grâce à la féconde imagination de Dorante le menteur. Ces rochers, dont l’écho répète les harmonieux accords du concert, ne se trouvent pas sur les bords de la Seine aux environs de Paris, mais sur les bords de la Seine, tout près de Rouen, à Lescure, à la Mi-Voie, à Croisset, à Dieppedalle, au Val- de-la- Haye32.

36Pour les feux d’artifice, François Bouquet cite ceux qu’on a pu organiser sur la Seine pour la venue de Louis XIII, en 1618.

37À vrai dire, Bouquet s’ingénie à tout expliquer des détails et des noms fournis dans Le Menteur – mais aussi dans d’autres pièces – par la vie rouennaise de Corneille, comme si le poète ne se rendait presque jamais à Paris ; or on sait qu’il surveillait de près la représentation de ses pièces, qu’il y organisait des lectures privées, qu’il fréquentait l’Hôtel de Rambouillet, etc.

Un « régal » aquatique adapté aux mœurs parisiennes

38Quelques détails font penser qu’avec cette collation sur l’eau, Corneille avait en tête des pratiques qui ne correspondaient précisément ni aux petites fêtes normandes ni à une fête parisienne mais n’en relataient pas moins de réelles habitudes des élégants de la capitale. On sait que les jeunes filles qui ont participé à la véritable soirée « sur l’eau » s’y sont rendues dans le carrosse qu’elles ont emprunté à Clarice : il a pu les emmener hors de Paris pour participer à un repas en musique à quelques kilomètres de la capitale, soit sur le fleuve principal, soit sur une rivière affluente.

39Dès Saint-Cloud, lieu fort prisé, où se trouvait au reste un château que Monsieur, Philippe d’Orléans, finira par acheter, on trouvait sur les bords de la Seine des côteaux qui pouvaient être qualifiés de « rochers », surtout dans la bouche de Dorante. Parfois, la noblesse parisienne allait plus loin pour organiser des repas festifs sur l’eau, et même jusqu’à Conflans, pour la Seine et l’Oise. On désignait l’organisation de telles soirées par le mot « cadeau », que Furetière définit comme consistant en un « repas qu’on donnait à la campagne33 ».

40Proche du cadeau, plus beau encore, le « régal » – le mot vient de regalo, qui signifie « cadeau » en espagnol : outre des plats raffinés, dans lesquels, à lire le Dictionnaire universel de Furetière, les rafraîchissements et les illuminations semblent avoir été attendus, il comportait de la musique, voire des ballets, et le même Furetière emploie pour expliquer le terme l’expression « appareil de plaisirs ». Une idée des habitudes de ces régals musicaux donnés à proximité de l’eau, sinon sur l’eau, est déjà donnée vers 1630 par un joli poème de Voiture :

L’autre jour, venant de Suresnes,
Nous dîmes au bord de la Seine :
Tant que le beau chemin dura,
Pues quiso mi suerte dura34 ;
Et n’eûmes jamais le courage,
Seulement d’y faire un passage35.
Nos guitares et notre voix
Ne charment plus comme autrefois ;
Nous n’aimons plus les promenades,
Les musiques, les sérénades,
Et avons passé ce gros d’eau36,
Sans chanter un seul air nouveau37 .

41On comprend bien, à cette évocation, que la campagne agrémentée par une eau courante était considérée comme propice à l’accueil des habitudes culturelles citadines du beau monde et comme une extension champêtre des salons parisiens.

42Non loin de Paris, s’élevait aussi le château de Berny38, les bords de la Bièvre : propriété du marquis de Sillery, il avait été transformé par Mansart. Il appartint ensuite à Pomponne de Bellièvre avant de passer au comte de Lionne, qui y organisa des fêtes somptueuses à partir de 1653.

43Le jardin donnait sur la rivière :

Image

Jardin du château de Berny
issu de la bibliothèque de Reims
13 janvier 1900 – G.Garitan – Sous licence Creative Commons

44Loret, dans sa Muze historique raconte qu’y furent reçus en mai 1659 le roi, la reine, et la Cour. Il note : « On visita l’escarpolette / Où maint courtisan s’exerça, / Puis on pêcha, puis on chassa » ; on représenta ensuite dans le jardin la Clotilde de Boyer, « Après quoi l’on couvrit trois tables / De mets friands et délectables39. » On assista à un ballet composé par Beauchamps, puis à un feu d’artifice ; un bal eut lieu avant une « exquise collation ».

45Un récit du Mercure galant d’octobre 1678 atteste la fréquence de ces régals sur l’eau. Un marquis de la Cour s’est travesti en batelier pour pouvoir s’approcher d’une femme dont il est éperdument amoureux. Elle prend des bains tous les jours dans la rivière, des bateliers mettant à disposition des tentes commodes pour se déshabiller, et il agrémente cette baignade d’un superbe « régal » :

Il la baigne une seconde fois, & elle se trouve régalée lors qu’elle s’y attend le moins. Elle est à peine dans l’eau, qu’une agreable Symphonie de Violons, & de Hautbois se fait entendre. Elle sort du Bain, & voit dans le Bateau une magnifique Collation, où les Fruits, les Confitures, & les Liqueurs sont en abondance. La Fleur d’Orange est semée par tout, & il ne se peut rien de plus propre. C’estoit un Bateau tout preparé, dont le Cavalier avoit fait faire l’échange avec celuy que son faux habit luy permettoit de conduire. Il ne luy avoit pas esté difficile d’en venir à bout pendant que les Dames estoient dans l’eau. Elles se regardent, admirent la magnificence du Régal, loüent à l’envy la galanterie de celuy qui le donne, sans s’imaginer en estre entenduës, & luy demandent à luy-mesme à qui elles doivent une Feste si bien ordonnée40.

46En fait, ce genre de divertissement semble se rattacher à la barque courtoise et oisive du Moyen Âge, véritable réceptacle des cinq sens, mais qui servait avant tout à la musique et au chant41. L’habitude des divertissements sur la Seine ou ses affluents ne fit que croître au fil du siècle. Le Mercure galant de juin 1679 commente au reste la fréquence de tels divertissements42.

47On voit que Corneille, même s’il fait inventer à Dorante un « régal » un peu trop prestigieux, rend plausible l’adhésion de Philiste, et surtout d’Alcippe, à son récit, car il présente bien des similitudes avec des habitudes de plaisirs qu’ils connaissent. Puisqu’il s’agit d’une affabulation, le « Menteur » ne saurait fournir de précisions sur le lieu où a été donné ce « régal » ; aussi ses deux amis peuvent-ils l’imaginer sur la Seine, à Suresnes, à Saint-Cloud, à Meudon, sur la Bièvre, peut-être sur l’Orge, en tout cas pas trop loin de la capitale puisque Alcippe estime que « Paris » voit peu de telles merveilles (v. 301-302).

L’eau : un élément hédonique

48On notera d’abord que Dorante, qui imagine une soirée flattant tous les sens, a ménagé des parfums qui évoquent l’Espagne, comme en hommage à la source de sa comédie, qui ne précise pas quels parfums flattèrent l’odorat ; ses bateaux sont censés être pleins de « bouquets de Jasmin, de Grenade, et d’Orange » : on sait que les réjouissances de la Cour de France en usaient abondamment, de même que les réceptions données par les courtisans dans leurs châteaux proches. La présence de l’onde de la rivière ne contribue pas peu à flatter les autres sens.

49En effet, l’onde parcimonieuse du Manzanares n’est pratiquement pas évoquée dans le récit espagnol (sauf à propos des mets glacés que l’on sert, et qui semblent venir des montagnes où le Manzanares a pris sa source) ; Corneille ne manque pas d’exploiter le surplus de plaisir que permet la localisation du régal sur des bateaux : effets de l’eau sur les sons, sa surface les renvoyant à la manière d’un miroir, amplification offerte à la musique par les collines de la vallée. La volupté offerte à l’ouïe paraît plus grande que celle que procure un simple concert de plein air et prend un caractère plus « naturel » que lors d’un concert en salle (v. 284-285) :

Cependant que les eaux, les rochers et les airs
Répondaient aux accents de nos quatre concerts.

50Elle s’ajoute à la sensation tactile de fraîcheur dispensée par la rivière. De surcroît, la présence de l’eau accroît le plaisir visuel donné par le feu d’artifice puisqu’il se reflète dans le miroir qu’elle forme (v. 285-289) :

Après qu’on eut mangé, mille et mille fusées,
S’élançant vers les cieux, ou droites ou croisées,
Firent un nouveau jour, d’où tant de serpenteaux
D’un déluge de flamme attaquèrent les eaux,
[…]

51Corneille cultive donc ici une esthétique du divertissement sur l’eau, tendant aux spectateurs un miroir flatteur de leur mode de vie, réel pour certains, rêvé pour d’autres, dont fait partie le novice Dorante qui a soin de le cacher.

52Dans Le Berger extravagant, le jeune frère de l’auteur, renvoie à son public un autre reflet de ses mœurs en proposant une image de rivière dépourvue de tout réalisme mais conforme à une double culture artistique.

La Marne allégorisée par Thomas Corneille : souvenirs de statues et de chorégraphies dans Le Berger extravagant

53Cette « pastorale burlesque » tirée par Corneille le jeune du livre V de l’anti-roman de Charles Sorel43, qu’elle simplifie beaucoup, en réduisant l’action à vingt-quatre heures et en limitant son cadre à la Brie, fait voir un jeune roturier qui, l’imagination bouleversée par les aventures des bergers des romans et des poèmes dramatiques, décide de vivre à la manière des personnages de L’Astrée.

Du Morin à la Marne : une rivière briarde personnifiée

54Dans le roman de Sorel, c’est un affluent capricieux de la Marne, le Morin, qui est évoqué : sa taille correspond bien à une transposition à proximité de Paris de la rivière du Lignon. Dans la pastorale dramatique, le nom de cette petite rivière a disparu. Pour évoquer la résidence de campagne d’Angélique, Thomas choisit une rivière plus considérable, la Marne. L’oracle dit à Clarimond : « Sur les rives de Marne, au royaume des lys, / Va trouver la nymphe Angélique44 » (v. 659-660). C’est pourquoi, lorsqu’il s’agit d’évoquer un possible suicide de Lisis, à l’instar de celui de Céladon, c’est dans la Marne qu’Anselme, au vers 1046, imagine que l’étrange berger a pu se jeter. Mais ce n’est pas par des descriptions que la pastorale de Thomas Corneille évoque le plus la rivière : elle en propose une personnification, comme c’est le cas dans le roman.

55En effet, dans la plaisanterie finale, qui consiste à faire croire au berger Lisis qu’il a été métamorphosé en arbre, un gentilhomme, Monténor, noble frère de l’Angélique45 qui ne dédaigne pas le déguisement pastoral tout en se moquant des excès de Lisis, se déguise en une divinité des eaux, le « dieu de rivière » ; quelques nymphes, en réalité des voisines d’Angélique travesties, s’en disent familières. Cette appellation de « dieu de rivière », désigne un dieu beaucoup moins précis que le dieu Morin, incarné chez Sorel non par Monténor mais par Hircan : appelé « dieu Marne », il eût sans doute laissé moins libre l’imagination des spectateurs. Le travestissement en un dieu de rivière semble faire partie de la stratégie de séduction de Monténor, qui ne s’est fait berger que pour plaire à Lucide, dont toute la pièce montre qu’elle aime le jeu et les plaisanteries.

Le « dieu de rivière » et la statuaire des jardins

56Désigné par Lisis comme un « grave barbon », le « dieu de rivière » de Thomas, porte une barbe longue, selon la didascalie fournie, et, par là, il ressemble aux dieux-fleuves dont on aimait placer des statues dans les jardins ou sur des places. La date de représentation du Berger extravagant (1652) coïncide presque avec l’érection, par Le Bernin, de la Fontaine des quatre fleuves sur la Piazza Navona de Rome, qui représente quatre continents et résulte du travail de quatre artistes : Antonio Raggi pour le Danube, Claude Poussin pour le Gange, Giacomo Antonio Fancelli pour le Nil, Francesco Baratta pour le Rio de la Plata. Déjà, depuis 1639, le château de Fontainebleau faisait voir au centre d’un bassin un dieu-Tibre, commandé par Henri IV au sculpteur-ingénieur Tomaso Francini. Ce dieu était bien connu, et souvent dessiné et gravé. Ainsi François Perrier46 et Michel Lasne47 le gravèrent respectivement en 1638 et 1642. Il était aussi imité sous forme de statuettes. Toutes ces représentations s’inscrivaient dans l’admiration enthousiaste de cette Antiquité romaine qui faisait voir le dieu Tibre jusque sur des pièces de monnaie, de l’époque de Néron et d’Hadrien notamment. Surtout, en 1512, on avait découvert à Rome, sur le Champ de Mars une statue du dieu-Tibre, et, un an plus tard, une statue du dieu-Nil. Ces dieux-fleuves étaient presque toujours représentés en position semi-couchée et arboraient l’aspect imposant d’une divinité âgée et protectrice – on désigne souvent le Tibre comme Pater Tiberinus – ; maintes statues françaises s’en inspirèrent. On notera que Sinope s’adresse au dieu de rivière en l’appelant « mon père », précise qu’il est « des plus relevés » et elle avertit Lisis : « Parlez en révérence » (v. 1792 », ce qui s’accorde au grave aspect de la plupart des statues. Ainsi, faire apparaître un dieu de rivière sur la scène, c’était rappeler le luxe et la beauté des jardins agrémentant les châteaux. N’oublions pas que l’action se déroule ici à proximité du château d’Angélique…

57Thomas Corneille se contente d’indiquer que Monténor est « déguisé en Dieu de rivière », sans fournir d’autre indication que la présence de la barbe. Cependant la familiarité du meilleur public avec l’épopée virgilienne imposait presque de lui donner l’aspect du Tiberinus qui apparaît en songe à Énée « avec de sombres roseaux couvrant sa chevelure48 », en accord avec l’évocation du dieu-fleuve dans les Métamorphoses d’Ovide49 ; il pouvait porter une amphore d’où de l’eau peut couler, substitut d’une rivière ; il pouvait aussi être muni d’une corne d’abondance, avec des fruits, ou d’une rame.

Image

Parc du château de Chantilly : le dieu-fleuve Alphée, par Jean Hardy.
Photo L. Picciola

58Mais le Dieu de rivière du Berger extravagant ne saurait avoir l’immobilité d’une statue puisqu’on le voit arriver sur scène, ce qui donne lieu à un commentaire plaisant de Lisis (v. 1799-1802) :

Jamais nous n’eussions cru qu’un Dieu si magnifique
Fut sorti pour nous voir de son lit aquatique,
Et que nous connaissant demi-Dieux si petits,
Il nous eût préférés à Neptune et Thétis.

59S’il est animé de mouvements, le barbon aquatique ne réédite pas la tentative de séduction de la nymphe Marne par le dieu Morin de Sorel, volontiers grivois, ce qui ne correspondrait pas au degré de distinction des personnages de la pastorale burlesque, bien que l’épisode romanesque parodie le mythe d’Alphée50 et Aréthuse ; en revanche, Thomas Corneille lui prête le geste de vouloir, par affection, étreindre Lisis, ce qui provoque une réaction de rejet chez ce pseudo-arbre et qui s’accorde à la thérapie voulue par Monténor. En effet, comme ses compagnons, ce dernier entend bien détourner Lisis de son vœu, sinon de sa certitude, d’être à jamais métamorphosé en arbre (v. 1816-1818) :

lisis, tâchant à se tirer d’entre les bras du Dieu de rivière qui le serre trop étroitement en l’embrassant.
Ah, pourquoi me presser ainsi que tu me presses ?
Tes bras réparent-ils le défaut de ta voix ?
Arrête, Dieu muet, n’écache pas mon bois.

60On a affaire ici à une scène qui frôle la farce : Thomas qualifie en effet sa pastorale de « burlesque » ; surtout, cette animation de la scène s’ajoute à la musique jouée par le Cyprès, qui accompagne le Dieu de rivière. L’incursion de la musique rapproche cette pastorale de toutes les formes de spectacles musicaux, ballets et les divertissements, qui incluaient des dieux-fleuves51.

Un dieu-fleuve pour réjouir les yeux et les oreilles

61À en croire l’iconographie des livrets de ballets, ces personnages de dieux-fleuves étaient pittoresques et destinés au régal des yeux. On est ainsi frappé par le costume conçu et dessiné par Henri Gissey pour le Fleuve d’Oubly, figurant dans Les Fêtes de Bacchus, ballet du roi donné le 2 mai 1651. On voit que la barbe et les cheveux longs s’imposent tandis que de nombreux roseaux forment une couronne sur la tête du Fleuve et ornent, aux épaules et sur la jupe52, un costume dont l’étoffe imite les vagues, comme le fera celle du costume du Démon de l’eau dans le fameux Ballet royal de la Nuit donné en 165353.

62C’est le Marquis de Pisy-Genlis qui dansait le rôle du Fleuve d’Oubly dans l’entrée XXIII. Dans de tels ballets, la présence conjointe de diverses créatures mythologiques, les Hamadryades, sortes d’arbres ambulants, et, de même qu’ici, les fleuves personnifiés, devait constituer une sorte de tableau vivant fort agréable.

Image

Source de la reproduction de ce Fleuve d’Oubly : Ballet du Roy aux festes de Bacchus, dansé par Sa Majesté a au Palais Royal, le 2e jour de May 1651, entrée XXIII, f. 89 ro
Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie.
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b105446557/f147.item.

63Conçus par le même ingénieur-décorateur, les costumes des deux dieux-fleuves de Thessalie, Onochone et Éridan, qui chantaient dans le chœur célébrant Apollon au début du Prologue des Noces de Thétis et Pélée54, représentées en 1654, ressemblaient beaucoup à celui de ce Fleuve d’Oubly : mêmes roseaux, fleurs de pavot en moins, même tissu aux vagues bleues…

Image

Image

Source : Dessins originaux et croquis d’habillements, mascarades, scènes et décorations de théâtre, exécutés par les peintres et les costumiers du roi pour les ballets et les divertissements de la cour, depuis Henri III, et pour l’Académie royale de musique, depuis son établissement, en 1671, jusqu’à l’époque de Louis XVI, p. 4 vo, fig. 29 et 31.
BNF, Bibliothèque nationale de France. Département des Manuscrits. Rothschild 1460.
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b525037092/f15.item.

64« La première scène qui sert de prologue représente le Mont Piéron dans la Thessalie entre deux fleuves Apidan et Onochon ». Cette didascalie du livret précise plus loin : « Les deux fleuves dont nous avons parlé coulent deux roches entourées de joncs et autres herbes qui naissent dans l’eau ; et sur leurs rives deux chœurs de nymphes ». Cependant la gravure d’Israël Silvestre, d’après François Francart, ne montre, de chaque côté de la scène, que deux dieux-fleuves dans la pose conventionnelle des statues mi-couchées que nous avons évoquées plus haut.

Image

Décorations et machines aprestées aux nopces de Tetis, ballet royal, représentées en la salle du Petit Bourbon par Jacques Torrelli, inventeur, dédiées à l’Eminentissime Prince Cardinal Mazzarin Décorations et machines aprestées aux Nopces de Tetis,
Ballet Royal, Planche 1, premier décor.
Collections numérisée de l’INHA, licence ouverte, numérisation 2009.
https://bibliotheque-numerique.inha.fr/idurl/1/15449.

65Il est vraisemblable que le Dieu de rivière de Thomas Corneille adoptait également cette position semi-couchée au début de la scène 6 de l’acte V et la conservait pendant que Sinope et Lisis l’honoraient, ne sortant de son attitude figée que pour tendre les bras à Lisis et faire mine de l’étreindre, mais sans se lever pour autant. Il semble ensuite parfaitement immobile pendant que Sinope chante en s’accompagnant du luth emprunté au Cyprès.

66Si, assurément, ce dieu ne danse pas, le poète lui permet de participer largement à l’animation musicale de la séquence. La référence aux spectacles musicaux dans lesquels intervenaient des dieux-fleuves est évidente ici puisque Clarimond a prévu de faire accompagner Monténor par un Cyprès qui joue du luth55 et que, de plus, il est relayé par Sinope, qui non seulement joue, mais chante : le chant des nymphes encadrées par des dieux-fleuves est presque un topos des divertissements musicaux. Le dieu-Monténor ne joue pas de musique mais semble devoir chanter de manière bien amusante56 : le dieu émet un « grondement », qui effraie Lisis. On imagine aisément une fantaisie musicale qui s’efforcerait de suggérer le bruit d’une rivière quelque peu sauvage : ou Monténor se livre à des onomatopées, avec une voix de basse émettant des sons discordants, ou il se contente de feindre de chanter tandis que des instruments, peut-être des timbales, très prisées à l’époque, émettraient des sons inquiétants en coulisse.

67Ainsi, dans une visée très récréative, Thomas Corneille offre à son public une représentation de fleuve qui n’a cure de figurer la Marne. En revanche, en exhibant la même image personnifiée d’un fleuve que les jardins des châteaux, les ballets, et les comédies en musique, sa pastorale burlesque flatte le narcissisme du public, qui, comme les amis d’Angélique, se moque de Lisis. Elle montre que Monténor et ses compagnons, capables de reproduire et mimer ce qu’ils ont vu sur des scènes d’apparat et dans de beaux parcs, sont imprégnés de la culture à la fois mythologique et festive de la collectivité distinguée que formait la noblesse de l’époque.

68Au terme de cette étude, nous pensons avoir montré que, loin d’être anecdotique, l’évocation des fleuves, chez Pierre Corneille et son jeune frère, se trouve d’abord extrêmement bien intégrée aux actions respectives de chaque pièce (nécessité pour Rodrigue d’informer le roi des détails de la bataille fluviale livrée avec maestria mais sans son ordre, nécessité pour Dorante d’inventer une aventure correspondant aux mœurs des Parisiens, ce qui la rend crédible malgré sa fantaisie, projet du groupe des faux bergers de guérir Lisis de son identification aux héros de romans en feignant de partager ses visions). Par ailleurs le récit de la bataille dans l’estuaire et celui de la collation sur l’eau, d’une part, l’aspect de la scène quand le Dieu de rivière et le Cyprès rejoignent les Nymphes des bois avec leurs branchages et leurs fruits-confitures d’autre part, présentent un indéniable caractère esthétique. Enfin, ni Pierre ni Thomas ne perdent de vue que leurs dramaturgies doivent apporter du plaisir à leurs spectateurs : grâce à la synchronie imaginée entre les amples mouvements d’une « Seine andalouse » et les effets de la puissance physique et stratégique du héros, qui permet au Cid cornélien de récupérer la plupart des aspects du mythe espagnol, le public peut éprouver ce pur plaisir d’admiration pour le personnage principal que le poète cherche de manière récurrente dans son œuvre tragique ; quant à la restitution verbale mensongère d’un régal sur l’eau et quant au rappel des divertissements de Cour, par l’irruption, non moins trompeuse, de la figure familière et pittoresque d’un Dieu de rivière, ils sont destinés à provoquer une véritable conjouissance : quoi de plus agréable, en effet, que de retrouver sur scène sa propre image dans des figures de nobles cultivés, familiers des agréments des eaux claires, habitués à s’amuser et se moquer ?

Notes

1 Dans L’Illusion comique, ce sont plusieurs pays d’Europe qui sont ainsi désignés par Pridamant, qui dit avoir, dans sa quête de Clindor, « vu / Le Pô, le Rhin, la Meuse, et la Seine, et le Tage » (v. 31).

2 En dehors des deux cas que nous allons étudier, il faut noter les eaux troubles du Tibre dans lesquelles le Maxime de Cinna est censé s’être précipité. Voir, dans ce volume, l’article de Tiphaine Pocquet.

3 Michel Autrand, « Stratégie du personnage secondaire dans l’Attila de Corneille. Étude dramaturgique », dans Pierre Corneille, actes du colloque tenu à Rouen du 2 au 6 octobre 1984, dir. Alain Niderst, Paris, PUF, 1985, p. 519-533.

4 Nos citations du Cid et du Menteur se réfèrent aux éditions que nous avons procurées dans Pierre Corneille, Théâtre, Paris, Classiques Garnier, respectivement tome II, 2017 (p. 575-899), et tome III, 2023 (p. 605-827).

5 Le Berger extravagant, pastorale burlesque, Rouen, Laurent Maurry, 1653.

6 Voir la préface donnée à ce volume, partie « Les rivières dans le théâtre purement dramatique du xviie siècle ».

7 Racan, Les Bergeries (Poésies, II), éd. critique par Louis Arnould, Paris, Droz, 1937 (1re édition en 1625).

8 Voir l’article de Jean-Brice Rolland : « De la source d’Aréthuse à la rivière de Lignon : transposition du roman pastoral à la Renaissance et imaginaire de l’eau dans L’Astrée d’Honoré d’Urfé », Dix-septième siècle, 2003/4, no 221, p. 659-674. DOI : 10.3917/dss.034.0659.

9 « Palsembleu, ils n’y vont pas de main morte, les chrétiens ! […] Et celui-là qui porte un panache jaune comme un coq sa crête, il s’escrime de belle façon ! Je vais raconter ça au curé. Parguienne ! Je ne tue pas autant de fourmis d’un seul coup de pied, et d’un seul coup de faucille je ne fauche pas autant d’épis qu’il fait tomber de têtes… Oh, fils de pute, il est tout éclaboussé de sang maure… » (Les Enfances du Cid, acte II, traduction de Robert Marrast, dans Théâtre espagnol du xviie siècle, tome I, dir. Robert Marrast, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1994, p. 893-894)

10 Non que la scène des corrales fût techniquement bien équipée pour changer de décor ou faire apparaître de nombreux personnages mais parce que les auteurs de comedias se fiaient à l’imagination des spectateurs : « la pensée est ailée », écrit Lope de Vega dans El arte nuevo de hacer comedias en este tiempo (1609).

11 Ces formes d’agression sont évoquées par le père de Rodrigo puis par le roi more vaincu et que Rodrigue a envoyé au roi.

12 « Le roi more de Guillén de Castro indique : « trois rois vinrent à mon aide, et leur venue ne servit qu’à ajouter à sa victoire ».

13 Avant la fin de la Reconquête, les Mores ne sont pas présentés dans les ouvrages qui les évoquent comme des ennemis particuliers ; certaines alliances furent, au reste, passées entre tel petit royaume d’Espagne et telle taïfa ; le Cid lui-même, exilé par Alphonse VI de Castille, se mit au service d’Al-Mutaman pour défendre la taïfa de Saragosse contre le roi d’Aragon, Sanche Ier. On sait d’ailleurs combien les rois catholiques se sont sentis investis d’une mission et se sont montrés intolérants à l’égard des musulmans, à l’égard également des juifs, fussent-ils convertis.

14 Nous nous permettons de citer ici notre Corneille et la dramaturgie espagnole (Tübingen, Gunter Narr Verlag, 2002), et de renvoyer notamment aux pages 208-212.

15 Dans Le Cid, édition critique de L. Picciola dans Pierre Corneille, Théâtre, t. II, Paris, Classiques Garnier, « Bibliothèque du théâtre français », 2017 (p. 575-901), p. 869.Toutes nos citations de la pièce sont issues de cette édition.

16 Lettre à M. de Chaudebonne écrite le « premier jour d’août 1633 », dans Œuvres de Voiture, Lettres et poésies, nouvelle édition, par M. A. Ubicini, tome premier, Paris, Charpentier, 1855, p. 158. Les Lettres de Voiture parurent pour la première fois en 1650 grâce aux soins de Pinchesne, aidé par Conrart et Chapelain.

17 Lettre à Mademoiselle Paulet, probablement de juillet 1633, ibid., p. 157.

18 Publié dans son intégralité en 1604.

19 Le Cid, après sa rupture avec le roi Alphonse Ier, n’hésita pas à mettre ses services de chef de guerre à disposition d’un roi more. Malgré des réconciliations, il entretint toujours des relations difficiles avec le roi de Castille et se montra jaloux de ses propres conquêtes. Il s’allia à plusieurs reprises avec des rois mores. Toutefois Rodrigo Díaz de Vivar ne perdit jamais une bataille et le roi de Castille fut toujours à la peine sans son soutien.

20 Voir le vers 1300 : « Nous les pressons sur l’eau, nous les pressons sur terre. »

21 Une traduction latine des sept tragédies d’Eschyle avait été donnée à Montpellier en 1555 par Joannes Sanravius (Jean Sanravy) : Aeschyli poetae Tragoediae sex, quot quidem extant, summa fide ac diligentia è Greco in Latinum sermonem, pro utriuso linguae tyronibus, ad uerbum conuersae, per Joannem Sanravium, Montempessulanensem, Basileae, Per I. Oporinum, 1555, p. 88-123.

22 « Il » désigne Xerxès, au « regard bleu sombre du dragon sanglant ».

23 Voir les vers 1285-1286 cités plus haut.

24 Traduction de Paul Mazon dans Eschyle, Les Suppliantes, Les Perses, Les sept contre Thèbes, Prométhée enchaîné, Paris, Les Belles Lettres, 1931, v. 83-113, p. 65-66.

25 Voir les vers 1294-1295 dans Le Cid. Nous empruntons la traduction de Plutarque (Vies, « Thémistocle », ch. 14 et 15) à Marie-Paule Loicq-Berger donnée dans la Bibliotheca Classica Selecta en 2006, d’après le texte établi par R. Flacelière, É. Chambry et M. Juneaux pour Les Belles Lettres (1961).

26 La comédie fut publiée en 1644. Nos citations du Menteur proviennent de l’édition critique de L. Picciola, dans Pierre Corneille, Théâtre, t. III, Paris, Classiques Garnier, « Bibliothèque du théâtre classique », 2023 (p. 605-927).

27 La Galerie du Palais, publiée en 1637.

28 La Place royale, publiée en 1637, ne la nomme que dans son titre. En revanche, c’est bien sur cette place que se déroulent quatre actes du Menteur où son harmonie est vantée par le père de Dorante dans Le Menteur dans la scène 5 de l’acte II (v. 555).

29 Les deux premiers de cette série sont nommés respectivement par Géronte dans les vers 564 et 562 du Menteur ; c’est assurément à l’île Saint-Louis que pense Dorante quand il parle d’une « île enchantée » au vers 557 (acte II, scène 5).

30 Dans son ouvrage, Points obscurs et nouveaux de la vie de Pierre Corneille : étude historique et critique, avec pièces justificatives, par F. Bouquet, Paris, Hachette, 1888.

31 F. Bouquet, ouvrage cité, p. 177.

32 Ibid., p. 178

33 Dictionnaire universel de Furetière (1690)

34 Trois vers de ce même chant, dont celui-ci, sont cités dans une lettre de Voiture écrite vers 1630 au Cardinal de la Valette et qui évoque une soirée offerte dans un parc, par Madame de Vigean, aux familiers de l’Hôtel de Rambouillet, tout près d’une fontaine. Et l’épistolier d’ajouter : « Et continuai le reste si mélodieusement et si tristement qu’il n’y eut personne en la compagnie à qui les larmes n’en vinssent aux yeux et qui ne pleurât abondamment. Et cela eût duré trop longtemps si les violons n’eussent vitement sonné une sarabande si gaie que tout le monde se leva aussi joyeux que si de rien n’eût été. Et, ainsi sautant, dansant, voltigeant, pirouettant, cabriolant, nous arrivâmes au logis où nous trouvâmes une table qui semblait avoir été servie par les fées » (Œuvres de Voiture, Lettres et poésies, éd. citée, p. 47-48).

35 « Passage, Se dit aussi en musique d’un certain roulement de voix, qui se fait en passant d’une note à une autre », selon le premier Dictionnaire de l’Académie française.

36 Cette masse importante d’eau : ils sont donc passés d’une rive à l’autre en bateau.

37 Œuvres de Voiture, Lettres et poésies, nouvelle édition, par M. A. Ubicini, tome second, Paris, Charpentier, 1855, p. 364.

38 À l’emplacement actuel de la Croix-de-Berny.

39 La Muze historique, ou recueil des Lettres en vers contenant les Nouvelles du temps écrites à son Altesse Madame la Duchesse de Nemours, Paris, Charles Chenault, 1659, Livre Dixième, Lettre vingtième du vingt-quatre Mai [1659], p. 78, colonne b.

40 Citation empruntée à Marcel Poète dans La Promenade à Paris au xviie siècle, Paris, Armand Colin, 1913, p. 258.

41 Voir l’article de Frédéric Delaive, « La “barque oisive”, véhicule des sens », Communications, no 86 : Langages des sens, sous la direction de Marie-Luce Gélard et Olivier Sirost, 2010, p. 81-97, surtout les pages 81-84.

42 « Nous vivons sous un Regne si heureux & si florissant, & les continuelles victoires du Roy nous ont tellement, accoûtumez à la joye, que les Bals qui n’entroient autrefois que dans les plaisirs du Carnaval, sont presentement de toutes Saisons, avec cette diférence, que la plûpart de ceux qui servent de divertissement pendant les beaux jours, ne se font pas dans des lieux fermez. On en a donné six au Port de Neüilly. Mr de Bourges, Correcteur des Comptes, a commencé le premier ces magnifiques & galans Régals. Il donna son Bal dans l’Isle de Puteaux. Le second fut donné dans l’Isle de Pont. L’Isle de Villiers servit de Salle aux trois autres, & le sixiéme se fit dans le Jardin de Mr des Hallus Seigneur de Corvois. […] Les Isles que je viens de vous nommer estoient remplies d’un nombre infiny de lumieres, qui donnant un éclat nouveau à la verdure naissante, produisoient le plus bel effet du monde. Joignez à cela ce qu’on en voyoit briller sur la Riviere, ou plus de cent petits Bateaux qui en estoient tous garnis, servoient à passer & à repasser sans cesse, selon le besoin qu’on en avoit. Il y eut Collation à chaque Bal, & le tout fut digne des belles Assemblées qui s’y trouverent ». Édition du Mercure galant de juin 1679 [tome 6], p. 83-85, procurée par les directeurs d’OBVIL.

43 C’est ainsi que, dans la deuxième édition (1633), Charles Sorel désigne son ouvrage, publié pour la première fois cinq ans plus tôt (Le Berger extravagant : où parmi des fantaisies amoureuses on void les impertinences des romans & de poésie, Paris, Toussaint du Bray, 1627).

44 Nos citations du Berger extravagant se réfèrent à l’édition que nous avons procurée dans Thomas Corneille. Théâtre complet, tome II, dir. Ch. Gossip, Paris, Classiques Garnier, 2021 (p. 7-204).

45 Angélique est l’organisatrice de la farce jouée à Lisis, cherchant à la fois à s’amuser avec ses amis et à le guérir de la lecture des pastorales, comme on a guéri Don Quichotte de la lecture des romans de chevalerie, en lui faisant croire qu’il est effectivement berger : comme réplique de Céladon, il arrive à Lisis des malheurs orchestrés et destinés à l’éloigner de son obsession de la bergerie.

46 Dans Segmenta nobilium signorum estatuaru[m], Paris, de Poilly, 1638.

47 Dans Pierre Dan, Le Trésor des merveilles de la maison royale de Fontainebleau, Cramoisy, 1642, t. XI.

48 Virgile, Énéide, VIII, 34 : « des roseaux ombreux couvraient ses cheveux (crinis umbrosa tegebat harundo) ».

49 Au livre IX, le dieu-fleuve Achéloüs y est ainsi décrit aux v. 2-3 : « le fleuve de Calydon, la chevelure sans apprêt, ceinte de roseaux, commence ainsi » (« sic Calydonius amnis coepit inornatos redimitus harundine crines »).

50 Voir la statue d’Alphée dans le parc du château de Chantilly.

51 Georgie Durosoir, « L’allégorie de la renommée royale dans les airs de ballet au temps de Louis XIII », dans Le Chant, acteur de l’histoire, édité par Jean Quéniart, Presses universitaires de Rennes, 2000, p. 77-88, https://doi.org/10.4000/books.pur.48013.

52 Déjà dans le Ballet de la délivrance de Renaud (1617), et selon un dessin attribué à Daniel Rabel, les joncs constituaient l’immense coiffe en palissade du démon des eaux, joué par Monsieur de Vendôme.

53 Ballet Royal de la Nuit, Divisé en quatre Parties, ou quatre Veilles et dansé par sa Majesté le 23 Fevrier 1653.

54 Noces de Thétis et Pélée. Comédie italienne en musique entremêlée d’un ballet sur le même sujet, dansé par sa Majesté, Paris, Robert Balard, 1654 (musique de Carlo Caproli, livret bilingue de Francesco Buti, avec des vers de Benserade pour le ballet final, machines de Torelli). Il ne subsiste de cette œuvre que le livret.

55 Chez Sorel c’est le dieu Morin qui joue lui-même.

56 Sorel avait prêté au dieu Morin le ronflement d’un pourceau, contrastant avec la musique de son luth.

Pour citer ce document

Liliane Picciola, « De la Seine de Pierre à la Marne de Thomas : de la familiarité avec les images fluviales à leur utilisation dramaturgique » dans ,

© Publications numériques du CÉRÉdI, « Revue Corneille présent »,

URL : http://publis-shs.univ-rouen.fr/ceredi/index.php?id=1820.

Quelques mots à propos de :  Liliane Picciola

EA 1586, CSLF Paris Nanterre