Sommaire
Corneille et la pensée du fleuve
sous la direction de Yohann Deguin et Liliane Picciola
no 2, 2024
- Liliane Picciola Préface
La pensée du fleuve dans l’œuvre de Pierre Corneille et son frère : contexte dramaturgique et présentation des articles - Julia Gros de Gasquet Le fleuve cornélien comme modèle interprétatif
- Yasmine Loraud De la participation des mentions potamographiques au dynamisme de l’action dans les tragédies cornéliennes
- Tiphaine Pocquet L’image des « fleuves de sang » chez Corneille : quelle figure du passé ?
- Caroline Labrune Les sanglots de Sophonisbe. Tragédie et aridité dans la Sophonisbe de Corneille (1663)
- Liliane Picciola De la Seine de Pierre à la Marne de Thomas : de la familiarité avec les images fluviales à leur utilisation dramaturgique
- Anthony Saudrais De la représentation de la mer à celle du fleuve : une approche technique des tragédies à machines de Pierre Corneille, Andromède et La Toison d’or
- Michaël de Bonnechose, Adrien Bourget et Lucile Martin Anthologie des textes cornéliens lus lors de la journée d’études consacrée à Corneille et la pensée du fleuve
Corneille et la pensée du fleuve
Préface
La pensée du fleuve dans l’œuvre de Pierre Corneille et son frère : contexte dramaturgique et présentation des articles
Liliane Picciola
1Les œuvres de Pierre Corneille, illustre Rouennais, sollicitent-elles un imaginaire fluvial ? C’est la question que Jean-Baptiste Chantoiseau, directeur des deux musées Corneille, posa en février 2023 aux membres du bureau du Mouvement Corneille, afin d’envisager une participation du Mouvement aux actions culturelles de la Métropole destinées à mettre en valeur l’importance des fleuves dans l’activité, la pensée, l’imaginaire qui animent et /ou ont animé Rouen et ses environs. La connaissance du théâtre de Pierre Corneille inspira une réponse unanimement positive : oui, assurément, sous diverses formes, le cours des fleuves ou des rivières se trouve intégré à la pensée de maints personnages qui s’expriment dans les scènes agencées par le grand auteur. On ajouta que son frère Thomas, affectivement si proche de lui, intègre lui aussi des images de fleuve dans ses œuvres qui prennent davantage en compte l’évolution du goût du public sous Louis XIV que celle de l’aîné de la famille.
2Six communications furent donc proposées pour entamer cette réflexion. Entamer seulement : la richesse de l’œuvre de Corneille et, accessoirement, celle de son frère, est telle qu’il était impossible d’examiner toutes les pièces concernées par le sujet. Cette préface vient donc présenter les articles qui furent tirés de ces communications en situant leurs questionnements respectifs dans le temps littéraire et théâtral du corpus constitué, en soulignant les liens qui les unissent entre elles, et en en confirmant les conclusions par l’évocation de pièces que la brièveté de la journée d’étude n’a permis d’envisager que fugitivement, voire pas du tout : ainsi Don Sanche d’Aragon ou Attila. On trouvera en complément six extraits de pièces de Corneille, choisis et dits par trois étudiants, qui ont tenu à communiquer les émotions que certaines évocations de fleuves ou de torrents suscitaient en eux : hypotyposes associant définitivement certains personnages à leur environnement de flots lumineux ou sombres, déferlement impressionnant de mots porteurs de passions haineuses, plaisantes crues de larmes s’intégrant aux effets d’une force imaginaire exercée de manière spectaculaire sur des populations entières, ou au contraire absorption tragique, discrète, et paradoxalement jouissive, d’une liqueur destinée à dévaster le fond d’un être.
3Les deux frères ont composé essentiellement des œuvres dramatiques : a priori le genre théâtral, par nature peu descriptif, n’a guère vocation à faire voir ou même à évoquer des motifs paysagers, mis à part celui de la pastorale, qui, par ses personnages de bergers semble devoir accorder une place importante, dans les dialogues et dans les décors1, sinon à des fleuves, aux dimensions peut-être trop impressionnantes pour des fables relativement intimistes2, du moins à des rivières, des ruisseaux, voire des sources : si, à une époque où le genre était passé de mode, Thomas Corneille a bien conçu une pastorale, la singularité de celle-ci mérite que l’on évoque la forme inattendue sous laquelle y apparaît la rivière, ce qui occupera plus loin une partie de l’article de la rédactrice de cette préface.
4Quant à Pierre, depuis les travaux de Marc Fumaroli3, il paraît désormais évident que les personnages de ses premières comédies ressemblent par leurs modes de pensée aux bergers de L’Astrée, mais elles se présentent comme des pastorales paradoxalement urbaines, ce qui implique l’effacement visuel des éléments naturels que sont les bois, les rochers et les rivières ; bien des héros de tragédie, malgré la nature de l’action liée au genre, conservent aussi quelque chose de l’univers mental des figures de la pastorale. C’est pourquoi, dans la mesure où le théâtre du xviie siècle est essentiellement un théâtre de parole, nous sommes autant en quête de la contribution de la notion même de fleuve à l’élaboration de la pensée prêtée aux personnages que de son éventuelle importance dans l’action, voire le spectacle ; comédies et tragédies peuvent donc être examinées sous tous ces angles. Alors qu’on peut considérer que tous les grands personnages cornéliens se donnent sciemment à voir et à entendre, se composent en quelque sorte sous nos yeux comme personnages, il semble naturel de se demander en quoi les diverses images de fleuves ou de rivières qu’ils sollicitent dans leurs propos font partie de l’ethos qu’ils exhibent. De surcroît, d’une manière d’autant plus convaincante qu’elle puise dans sa propre expérience de comédienne, Julia Gros de Gasquet évoque la nécessité pour les acteurs, desquels se rapproche Dorante-le-menteur, expert en feintes4, de se créer une « vision intérieure », et montre comment la présence d’un lexique de la fluence et les images d’un fleuve peut les y aider quand ils interprètent Corneille.
Les rivières dans le théâtre purement dramatique du xviie siècle : peu à voir, beaucoup à imaginer
5Bien des dramaturgies, dans les années 1630, entretenaient un lien avec les sentiments et l’univers de la bergerie. Dans La Silvanire de D’Urfé, et celle de Mairet, respectivement une fable « bocagère » et une tragi-comédie « pastorale », les sources, les rivières sont fréquemment évoquées et il arrive que leur présence même soit suggérée dans leur fonction de miroir, pour ne pas parler du Lignon, qui constitue comme l’arrière-plan à la fois réel et mental des actions des divers personnages. Notons que la musique est associée à de telles dramaturgies sous la forme de chœurs intervenant entre les actes. Elle s’efface ailleurs jusqu’à un retour dans les années Mazarin qui verront en même temps réapparaître les eaux vives.
6Pour Les Amours tragiques de Pyrame et Thisbé, de Théophile de Viau5, la nature apparaît comme un espace de liberté mais compte aussi les dangers de la forêt orientale : des ours, des lions. Comme dans les Métamorphoses d’Ovide, pour organiser leur fuite commune, Pyrame, fixe à Thisbé un rendez-vous, près du tombeau de Ninus, au bord d’une petite rivière (v. 784-786) :
Là coule un clair ruisseau tout au pied d’une roche,
Qui, de ses vives eaux entretenant les fleurs,
Maintient à la prairie et l’âme et les couleurs ;
7Chacun des amants regarde et écoute la rivière ; Pyrame y mire la honte de son retard, incitant à penser que Théophile ne se contente pas d’évoquer les mûres désormais teintées en rouge pour figurer le sang de cet amant qui se poignarde de désespoir, croyant Thisbé morte, mais suggère aussi sa métamorphose en un fleuve, le Pyrame coulant en Cilicie6. La représentation du « clair ruisseau » se révèle néanmoins décevante dans la reproduction par Buffequin du décor qui fut imaginé pour la représentation de la pièce à l’Hôtel de Bourgogne, car on ne voit sur la droite qu’une fontaine semi-construite, dont, certes, la vasque est rudimentaire7 :
Mémoire pour la décoration des pièces qui se représentent par les Commédiens du Roy, entretenus de Sa Magesté… commencé par Laurent Mahelot et continué par Michel Laurent, en l’année 1673 (manuscrit).
Bibliothèque nationale de France. Département des Manuscrits. Français 24330.
8On peut noter qu’avec de tels poèmes dramatiques on a affaire à des courants d’une certaine modestie. Dès qu’on aborde les comédies, même les plus champêtres, ils deviennent plus considérables. Dans Les Vendanges de Suresnes, comédie de Pierre Du Ryer8, dont l’action se déroule dans une campagne soigneusement cultivée, seuls deux personnages sont des paysans, les autres appartenant à la bourgeoisie parisienne9 ; la double mention qu’on y trouve de la proximité de la Seine10 semble rattacher la pièce à l’univers urbain qui désormais est celui de la comédie, les allusions à Paris étant nombreuses dans la pièce.
9Il convient à cet égard de rappeler que, la scène comique, plus libre que la scène tragique, pouvait bien prendre deux ou trois aspects différents, moyennant l’usage d’une toile amovible, car l’unité de lieu s’entendait parfois au sens large et s’étendait à toute une cité ; même si dans des comédies moins conventionnelles comme certaines adaptations de comédies espagnoles l’action se concentrait dans un château ou un palais, elle pouvait aussi se déplacer aux alentours immédiats de l’édifice. Enfin dans des dramaturgies particulièrement libres, notamment les tragi-comédies, dont les personnages voyagent beaucoup, certaines scènes pouvaient se dérouler près d’une source (dite « fontaine11 »), pour contraster avec des scènes de palais : la première scène des Occasions perdues de Rotrou fait voir Hélène, la reine de Naples qui, se reposant de la chasse au bord d’un ruisseau, vante « le doux bruit de cette onde12 » et se réjouit du chant des oiseaux comme de la fraîcheur procurée par l’ombrage. Le Mémoire de Mahelot précise d’ailleurs : « il faut, au milieu du theatre, un pallais dans un jardin, […] A un des bouts du theatre, une fontaine dans un bois et, de l’autre costé, une ruine dans un bois » ; or le dessin de Buffequin pour ledit Mémoire, révèle que le ruisseau prenait l’aspect d’une fontaine construite, et, s’intégrant dans un ensemble bâti, elle évoquait moins le jaillissement spontané de l’eau parmi herbes et pierres que celles que l’on pouvait voir dans de nombreux jardins, même fort peu architecturées.
Georges Buffequin, dessin du décor des Occasions perdues, de Rotrou.
Bibliothèque nationale de France. Département des Manuscrits. Français 24330, fo 11 ro.
10Néanmoins la plupart des comédies cornéliennes, respectant la tradition de la comédie italienne de la Renaissance, qui localisait l’action dans des villes, faisaient voir un « carrefour comique », où figuraient parfois des habitations assez éloignées les unes des autres dans la réalité, ce qui, en Italie, était l’occasion de faire reconnaître grâce à l’arrière-plan telle ou telle cité, dont de grands peintres participant aux beaux décors offraient une vue synthétique. Les comédies en France ne bénéficiaient pas d’un dispositif aussi esthétique. Bien que les villes soient pour la plupart traversées par un cours d’eau, il était rare qu’on fît d’une rivière un élément du décor urbain et même que l’action en inclût la proximité. En fait, les fleuves qui traversent les villes ne semblent évoqués chez Corneille que pour donner un peu plus de réalité à la ville à imaginer, les décors ne la procurant guère. Dans La Galerie du Palais, dont l’action se déroule à Paris, l’écuyer Cléante dit avoir été attaqué par trois filous « vers le milieu du pont13 », ce qui suppose qu’il suivait Hyppolite du Palais de Justice, où Florimant la rencontre (on peut supposer soit qu’elle se rendait au nouveau quartier de Saint-Germain dont il est question à plusieurs reprises dans la comédie, soit qu’elle rejoignait la rive droite pour revenir chez elle dans le quartier du Marais) : il s’agit probablement du récent Pont-Neuf, enjambant les deux bras de la Seine. Par ailleurs, l’écuyer Aronte prétend venir de « la Croix du Tiroir14 » – en fait, la place de la Croix du Trahoir : les Parisiens d’alors savaient qu’y coulait une fontaine murale. Dans l’acte IV de La Suite du Menteur, publié en 1645, Cliton feint d’avoir été attaqué par des coquins, qui auraient voulu le traîner « à l’eau », ce qui, la scène se déroulant à Lyon, près de la place Bellecour, peut désigner soit le Rhône soit la Saône, dont elle est à peu près équidistante.
11C’est évidemment le héros du Menteur, publié en 1644, qui fait la plus grande part à « la rivière » sur laquelle, s’attribuant le mode de vie élégant et luxueux du milieu fréquenté par ses amis parisiens Alcippe, Philiste, ainsi que Clarice et Lucrèce, il prétend avoir offert une collation nocturne à une dame. Liliane Picciola évoque les possibilités de localisation de ce récit fictif dans l’imaginaire des auditeurs sur la scène et dans la salle de spectacle.
12Julia Gros de Gasquet oppose cette fonction « d’ancrage vernaculaire » des mentions fluviales de l’univers cornélien, qui sollicite la mémoire du quotidien des spectateurs, à celles qui marquent au contraire la fuite d’un esprit déréglé ou tourmenté vers l’univers fictionnel des Enfers, que le personnage soit comique ou tragique : l’évocation des fleuves infernaux sert alors à exprimer voire à inspirer la peur.
13Dans le genre tragique, qu’on vient d’évoquer, faire sentir la proximité de la mer ou d’un fleuve précis et important ainsi que de leurs rivages pouvait contribuer fortement à la représentation mentale soit de l’accomplissement héroïque survenant au cours de l’action, d’un personnage combattant, soit d’un crime. Un acte capital gagne à être situé dans un cadre susceptible de s’harmoniser avec lui pour en renforcer l’effet, comme le montrent, à propos du Cid, les articles de Yasmine Loraud et de Liliane Picciola. Ainsi le crime commis dans La Mort de Pompée ne se situe pas dans le grand large, mais à proximité de la côte, en un endroit où les eaux sont troubles, où le fond est proche, ce qui convient à un meurtre perpétré non pas au cours d’une franche bataille mais dans des conditions sordides. Au contraire, le puissant mouvement de flux et reflux de la mer dans l’estuaire de Séville convient à la prouesse de Rodrigue, qui accueille, arrête et repousse les Mores ; or Le Cid était à l’origine une tragi-comédie indirectement inspirée de romances et La Mort de Pompée constitue l’adaptation de la Pharsale de Lucain : la parenté évidente des deux pièces avec l’épopée semble expliquer ce relatif pittoresque alimentant les récits respectifs de Rodrigue et d’Achorée.
14Ces récits tragiques mis à part, la nature était exclue du genre théâtral le plus digne, et le rang des personnages imposait quasiment le décor d’un palais : son cadre d’élection15 fut bientôt le « palais à volonté16 », et le combat héroïque devint essentiellement un combat intérieur. Mentionner brièvement des fleuves contribue cependant à renforcer l’impression de réalité historique d’événements déjà survenus, en décalé plus ou moins prononcé, parfois à l’étranger, et présentant une incidence sur l’action scénique, parfois à donner de la consistance à un rêve d’action, comme le montre Yasmine Loraud au sujet du personnage de Sertorius : évoquer un pays non pas en nommant sa terre mais en nommant son fleuve principal, par le procédé de la synecdoque, c’est le présenter sous un aspect plus vivant, plus actif, parfois plus prospère, voire davantage inscrit dans le temps historique, dont le passage, l’écoulement, est toujours figuré de manière spatiale. Yasmine Loraud examine toutes ces utilisations de manière circonstanciée notant aussi que les mentions fluviales constituent un mode d’affirmation du pouvoir, bien ou mal exercé, mais dont ils peuvent aussi révéler la fragilité.
15Si les représentations de cours d’eau et les références à des fleuves précis ne surabondent pas, en revanche la fluence se révèle extrêmement présente sous la forme de métaphores.
Des métaphores de la fluence pour dire la force et la variété des passions
16Les scènes publiques françaises disposant de peu de moyens techniques au xviie siècle, et, vu les exigences de la fraction érudite et influente du public, leur animation consistait bien moins dans des effets visuels ou une agitation gestuelle de grande ampleur que dans les mouvements intérieurs aux personnages, dont seuls les mots pouvaient rendre compte. Les métaphores fluviales étaient particulièrement commodes pour exprimer la puissance de ces mouvements.
17Sans référent géographique précis, elles exprimaient une grande diversité d’émotions et de sentiments, l’ensemble étant inclus dans la notion de « passions ». Après avoir volontiers permis à ses personnages de recourir à l’image de l’eau qui coule pour exprimer les sentiments dès Mélite, comme le rappelle Julia de Gasquet, invitant à une sorte de lecture bachelardienne des pièces de Corneille, l’auteur lui-même l’utilise quand en 1660 il procède à l’Examen du Cid, à propos des deux grandes scènes de tendre affrontement entre Chimène et Rodrigue (III, 4 et V, 1), que d’aucuns avaient jugées « trop spirituelles », et il écrit : « Si nous ne nous permettions quelque chose de plus ingénieux que le cours ordinaire de la passion, nos Poèmes ramperaient souvent17. » La passion apparaît ainsi animée du dynamisme d’une eau courante, voire vive. L’osmose se réalisant entre les eaux courantes et les sentiments est au reste très clairement énoncée dans la tragi-comédie pastorale de Rayssiguier, Palinice, Circeine et Florice. Ainsi s’exprime Alcandre, dans la première scène de l’acte V (v. 1216-1218) :
Et je ne me suis pleu qu’aux objets de tristesse.
Depuis j’ay mille fois au bord de ce ruisseau,
Vu couler tout ensemble et mes pleurs et son eau18 […].
18Comment peut-on opposer une résistance à une force qui semble s’intégrer à la nature ?
19C’est l’une des questions que pose la Carte de Tendre, dessinée – semble-t-il – par Chauveau, et insérée au début de la Clélie de Madeleine de Scudéry. À lire cette carte, consacrée à la naissance de la passion amoureuse, on découvre que, selon Clélie, c’est en faisant preuve de certaines qualités et en accomplissant une suite de petites actions, ou bien en s’en trouvant destinataire et bénéficiaire, que l’on atteint l’un ou l’autre des deux gros bourgs nommés Tendre : chacun de ces comportements ou services rendus donne son nom à un petit village, conçu comme une étape « terrestre », qui fait songer à la case d’un jeu de l’oie par laquelle il faut obligatoirement passer afin d’arriver à l’un des deux Tendre, arrosés respectivement par les fleuves Estime et Reconnaissance. Si l’on ne s’égare pas, car des négligences peuvent amener à la Mer d’inimitié ou au Lac d’indifférence, on est alors en mesure d’embarquer sur un fleuve de sentiments qui emporte vers la mer, aux marées montantes et descendantes, et que de multiples écueils rendent dangereuse : elle permettra un jour d’accoster sur des Terres inconnues, et non pas sur Cythère. Le chemin est long de Première rencontre à Tendre-sur-Estime et Tendre-sur-Reconnaissance, et il faut parcourir nombre de lieues d’Amitié, en des territoires apparemment arides, avant de gagner l’une ou l’autre de ces deux cités. Beaucoup plus rapide et aisée semble la voie fluviale : elle est offerte par le fleuve Inclination, qui permet d’aller sans étapes de Nouvelle Amitié jusqu’à Tendre-sur-Inclination. Encore faut-il pouvoir monter à bord…
20À partir des trois villages, les trois fleuves convergent et se confondent dans une embouchure commune sur la Mer dangereuse : faut-il s’y engager, faut-il rester prudemment dans un de ces trois bourgs de Tendre19 ? Il semble que l’appel du large doive être plus fort, vu la proximité de la mer, ainsi que plus tentant, pour ceux qui sont allés directement de Nouvelle Amitié à Tendre-sur-Inclination que pour ceux qui ont peiné pour arriver à l’un des deux autres villages de Tendre.
Carte du Tendre, François Chauveau.
dans Clélie, Histoire romaine, première partie de Madeleine de Scudéry.
Paris, Augustin Courbé, 1654.
BnF, Réserve des livres rares, RES-Y2-1496
21Claude Filteau20, s’appuyant sur le fait que Madeleine de Scudéry mentionne à plusieurs reprises les effets du tempérament dans les désordres de l’amour21, perçoit dans cet espace hydrographique la représentation des mouvements des humeurs du corps humain : il convient pour le suivre de ne pas oublier que le terme « humeur » désigne d’abord une « Substance fluide de quelque corps que ce soit » ; et le Dictionnaire de l’Académie française d’enchaîner : « Les quatre principales humeurs du corps sont, le sang, la pituite, la bile, & la mélancolie. » Claude Filteau souligne alors une ressemblance de la Carte de Tendre avec le schéma reçu alors de la circulation sanguine, qui reste celui du traité d’anatomie de Charles Estienne22, hérité de Galien, malgré les découvertes récentes de William Harvey23 :
Remarquons d’abord à propos des trois fleuves de Tendre une disposition symétrique qui ne se rencontre pas d’ordinaire dans la géographie ; parallèlement la cartographie donne à lire cette agitation qui traverse les canaux de la carte comme une coupe soumise aux lois de la perspective24. […] l’on reconnaîtra dans l’étrange ramification des trois fleuves, dans la courbure des rochers qui divise la Mer Dangereuse, une similitude frappante avec le canal hépatique lorsqu’il se sépare en quatre branches sous la veine porte. Cet endroit du corps est le seul où les canaux présentent une telle disposition symétrique au lieu stratégique où les humeurs échauffées par le foie se transmettent aux organes voisins : estomac, pancréas, rate, intestin25 (voir ci-contre la figure V26).
Claude Filteau, « Le Pays de Tendre : l’enjeu d’une carte », dans Littérature, no 36 : « Sémiotiques du roman », 1979, p. 57.
22Dans le cas des tragédies cornéliennes, la passion amoureuse n’est pas la passion dominante et, selon notre auteur, elle doit céder devant « quelque grand intérêt d’État ou quelque passion plus noble et plus mâle que l’amour telles que sont l’ambition, ou la vengeance27 » ; toutefois Corneille ajoute : « Il est à propos d’y mêler l’amour, parce qu’il a toujours beaucoup d’agrément, et peut servir de fondement à ces intérêts, et à ces autres passions dont je parle. » Aussi ne saurait-on s’étonner que le lexique fluvial soit abondamment utilisé dans des dramaturgies fondées sur les agitations intimes (l’indifférence est figurée par un lac dans la Carte de Tendre) pour exprimer non seulement l’amour mais aussi bien d’autres passions, comme la jalousie, la libido dominandi, le désir de vengeance, la haine, l’amour de la gloire personnelle, la colère, la fureur destructrice, le désespoir ou encore l’horreur, voire l’admiration… On lit dans le Dictionnaire universel de Furetière (1690), à l’article Impétueux : « Se dit figurément en Morale. Ce Capitaine est un homme impétueux, sa colère est un torrent impétueux ». Description des flots, qui peuvent se gonfler, évocation des ravages causés par les débordements, sauts spectaculaires effectués par les eaux, évocation des digues protectrices, élargissement du cours, accalmie des eaux : autant d’images qui peuvent rendre compte des mouvements intérieurs… Julia Gros de Gasquet28, qui souligne combien « la métaphorisation des affects » est importante pour le comédien, a ainsi remarqué dans Rodogune la présence de cette métaphore du « torrent » pour exprimer la colère de la redoutable Cléopâtre de Syrie.
23Plusieurs mouvements de l’âme peuvent au reste se mêler dans le flot passionnel : la comédie héroïque de Don Sanche d’Aragon (1650) en offre un exemple avec la reine Isabelle de Castille. Elle admire le roturier Carlos, d’une bravoure incommensurable à la guerre, et supporte mal qu’un homme d’une telle valeur soit humilié par les comtes de sa Cour. Après l’avoir anobli, et afin de faire taire la morgue persistante de ces deux grands courtisans, qui prétendent au reste à sa main, à l’égard du grand « soldat » envers lequel elle se sent redevable, elle lui accorde titre sur titre (I, 3, v. 414-417), comme dans un flux irrépressible de décisions inspirées par la colère :
Eh bien, seyez-vous donc, Marquis de Santillane,
Comte de Pennafiel, Gouverneur de Burgos.
Don Manrique, est-ce assez pour faire seoir Carlos29 ?
24Lorsque sa dame d’honneur, Blanche, s’extasie dans la première scène de l’acte II devant l’autorité dont la reine de Castille, sa maîtresse, semble avoir fait preuve, Isabelle recourt explicitement à la métaphore du torrent pour rendre compte de la complexité du phénomène intérieur qui, en réalité, se dissimulait derrière cet acte verbal d’autorité et cette accumulation de dons. Sont montées en elle à la fois la colère contre les comtes insolents et l’envie de céder à un amour irraisonné en multipliant les bienfaits (II, 1, v. 405-417) :
L’amour à la faveur trouve une pente aisée,
À l’intérêt du sceptre aussitôt attaché
Il agit d’autant plus qu’il se croit bien caché,
Et s’ose imaginer qu’il ne fait rien paraître
Que ce change de nom ne fasse méconnaître.
J’ai fait Carlos Marquis, et Comte, et Gouverneur ;
Il doit à ses jaloux tous ces titres d’honneur,
M’en voulant faire avare, ils m’en faisaient prodigue ;
Ce torrent grossissait rencontrant cette digue,
C’était plus les punir que le favoriser.
L’amour me parlait trop, j’ai voulu l’amuser ;
Par ces profusions j’ai cru le satisfaire,
[…]
25Dans Polyeucte, c’est la manière dont Stratonice exprime son indignation devant le bris des idoles, perpétré par le héros éponyme en pleine cérémonie de sacrifice aux dieux païens, que Pauline qualifie de « torrent d’injures » (v. 779-785) :
stratonice
Ce n’est plus cet époux si charmant à vos yeux ;
C’est l’ennemi commun de l’état et des dieux,
Un méchant, un infâme, un rebelle, un perfide,
Un traître, un scélérat, un lâche, un parricide,
Une peste exécrable à tous les gens de bien,
Un sacrilège impie : en un mot, un chrétien.
pauline
Ce mot aurait suffi sans ce torrent d’injures30.
26Il va cependant de soi que ce déferlement de qualificatifs dépréciatifs ne saurait se borner à exprimer l’indignation personnelle de Stratonice : il traduit aussi ce qu’a été la réaction des fidèles païens qui assistaient au sacrifice. Il révèle néanmoins que des personnages subalternes peuvent aussi être animés de puissants mouvements intérieurs mais c’est pour exprimer, devant un comportement plus qu’inattendu, leur surprise ou leur indignation, voire la communiquer à autrui. Philiste, pour qualifier le bavardage incontrôlé du valet de Dorante dans La Suite du Menteur, parle du « flux de langue » d’un Cliton commotionné par la persistance de son maître dans l’habitude de mentir.
27N’étant guère perturbés par d’autres passions que celle-là, les serviteurs du Menteur parlent plutôt de « pluie31 », donc d’un phénomène aléatoire, pour exprimer leur joie quand les écus viennent à eux en abondance ; mais quand Sabine, que le même Dorante a déjà récompensée par quelques bourses pour ses bons offices auprès de Lucrèce, lui exprime sa crainte de n’en recevoir plus beaucoup une fois la main de cette dernière obtenue (v. 1817 : « il ne pleuvra plus guère »), le plaisant héros s’emploie à la rassurer par des paroles qui toutefois ne constituent peut-être qu’un mensonge supplémentaire : « Je changerai pour toi cette pluie en rivières » (v. 1818). Par là, il mime à la fois l’élan de sa bienfaisance et l’onde de joie censée envahir Sabine.
Verser des flots de sang, laisser couler des larmes : un combat d’images ?
L’imaginaire des fleuves de sang
28La réaction du public au bris des idoles païennes rappelle que les passions peuvent aussi constituer un phénomène collectif. De telles passions collectives sont souvent inspirées et instrumentalisées par celle d’un personnage puissant, s’étant jadis livré à la fureur destructrice dont nous parlions plus haut, et qui en garde un souvenir obsédant, qu’expriment les hypotyposes.
29Dans Le Cid, l’imaginaire de bataille fluviale contre les Mores est purement cornélien. Déjà, pour traduire l’extrême souffrance de Chimène devant son père transpercé par Rodrigue, Corneille avait placé dans la bouche de la jeune fille une image déformante de la blessure du comte mort qu’il n’avait nullement empruntée à Guillén de Castro et qui suggérait des flots : « […] mes yeux ont vu son sang / Couler à gros bouillons de son généreux flanc32 » (v. 665-666). Le sang rougit de plus en plus les eaux du port fluvial de Séville au fil des éditions, comme le montre l’article de Liliane Picciola. Corneille renforce par là l’horreur du combat, qui incombe aux auteurs de l’attaque. Les Mores du Cid et le César responsable des horreurs sanglantes de Pharsale évoquées au début de La Mort de Pompée ont quelque chose en commun.
30Jamais Corneille n’a renoncé à cet imaginaire des fleuves de sang : il y recourt aussi bien dans une tragédie considérée comme la quintessence du classicisme (Cinna), que dans une tragédie perçue comme caractéristique de sa période baroque (La Mort de Pompée). S’appuyant sur ces deux tragédies, l’article de Tiphaine Pocquet, « L’image des “fleuves de sang” chez Corneille : quelle figure du passé ? », montre comment une fois versé, le sang des guerres civiles – ou, pire, le liquide de putréfaction des corps – continue indéfiniment de couler, comme porté par le temps, si souvent figuré par un écoulement. Le dynamisme de l’image connote les vagues intérieures, qui agitent autant le personnage responsable de l’horreur des massacres que ses victimes, voire les descendants de ces dernières. Leur expression dans une tragédie est d’autant plus puissante que les horribles flots inscrits dans la mémoire des événements actuels sont alimentés par les souvenirs d’autres épisodes historiques sanglants et par la culture littéraire et /ou nationale de l’auteur qui fait parler les personnages : ceux de la Pharsale de Lucain, si bien connue de Corneille, avec tous les détails des guerres civiles romaines, ne sont pas présents seulement dans La Mort de Pompée et les Tragiques d’Agrippa d’Aubigné qui ont été publiés en 1616 renouvelant le souvenir des guerres de religion en France, ont incontestablement contribué aux affreuses images obsessionnelles des fleuves rougis et de Cinna et de La Mort de Pompée. Une sorte d’indéfinissable mémoire collective des guerres civiles hante les deux tragédies : les personnages de la première tragédie semblent in fine pouvoir y échapper, à la différence de ceux de la seconde.
31Vingt-cinq ans plus tard, quand il compose Attila33, le poète prête à Honorie une métaphore cauchemardesque dans les vers 1065-1067 pour dénoncer la cruauté du roi des Huns :
Irais-je à ton exemple assassiner mon frère ?
Sur tous mes Alliés répandre ma colère ?
Me baigner dans leur sang, et d’un orgueil jaloux…
32Cet imaginaire sanglant apparaît comme terriblement habituel car Ardaric, pour correspondre aux vœux du terrible roi, demande pour sa part : « Faut-il teindre l’Arar34 du sang de Sigismond ? » Et Honorie, dans un nouvel affrontement verbal avec Attila, réitère par la même métaphore fluviale sa vision fantasmée du représentant symbolique des invasions barbares (v. 1567-1570) :
Achève, et dis que tu veux en tout lieu
Être l’effroi du Monde, et le fléau de Dieu.
Étale insolemment l’épouvantable image
De ces fleuves de sang où se baignait ta rage.
33Nous employons l’expression « vision fantasmée » car, comme le souligne Octar, parlant du tyran, en réalité (v. 1109-1116) :
Il aime à conquérir, mais il hait les batailles :
Il veut que son nom seul renverse les murailles ;
[…]
Et prodigue de sang, il épargne celui
Que tant de combattants exposeraient pour lui.
34Corneille, en son propre nom, écrit d’ailleurs dans l’avis « Au lecteur » :
Le nom d’Attila est assez connu, mais tout le monde n’en connaît pas tout le caractère. Il était plus homme de tête que de main, tâchait à diviser ses ennemis, ravageait les peuples indéfendus pour donner de la terreur aux autres et tirer tribut de leur épouvante35 […].
35On peut toutefois noter que, dans cette tragédie, l’image du fleuve de sang est concurrencée par celle du déluge sanglant, les fleuves de sang qui coulent sur terre étant la conséquence indirecte d’une volonté de submersion généralisée venant d’en haut. La colère de Dieu s’exerce sur les hommes sous la forme d’une noyade universelle, rappelant le déluge biblique dont ne réchappa que l’arche de Noé (v. 1575-1578) :
Mais quand à sa fureur il livre l’univers,
Elle a pour chaque temps des déluges divers.
Jadis, de toutes parts faisant regorger l’onde,
Sous un déluge d’eaux il abîma le monde ;
36Attila se fait redoutable en se considérant comme le « fléau de Dieu » (v. 1581-1582) :
Et mon bras, dont il fait aujourd’hui son tonnerre,
D’un déluge de sang couvre pour lui la terre.
37L’époque du sang héroïquement versé semble révolue : c’est l’horreur qui domine. Toutefois le processus s’applique aussi in fine au roi des Huns lui-même :
À peine sortions-nous, pleins de trouble et d’horreur,
Qu’Attila recommence à saigner de fureur,
Mais avec abondance ; et le sang qui bouillonne
Forme un si gros torrent, que lui-même il s’étonne.
Tout surpris qu’il en est : « s’il ne veut s’arrêter,
Dit-il, on me paiera ce qu’il m’en va coûter ».
Il demeure à ces mots sans parole, sans force ;
Tous ses sens d’avec lui font un soudain divorce :
Sa gorge enfle, et du sang dont le cours s’épaissit
Le passage se ferme, ou du moins s’étrécit.
De ce sang renfermé la vapeur en furie
Semble avoir étouffé sa colère et sa vie ;
Flots de larmes contre flots de sang : purifier, humaniser, forcer l’oubli, se soumettre
38La Camille d’Horace36 refuse ces fleuves de sang, percevant la guerre entre Rome et Albe comme une sorte de guerre civile. D’emblée, aux vers 93-94 de la tragédie, elle énonce, évoquant la guerre entre les deux cités, ce que sera, et a toujours été, son attitude : « Et je garde, attendant ses funestes rigueurs, / Mes larmes aux vaincus, et ma haine aux vainqueurs ». Ces vainqueurs, forcément, auront fait ruisseler le sang… Qu’une femme puisse pleurer tous les morts semble attendu, comme si les larmes servaient à purifier des combats fratricides. Au vers 1287 d’Horace, quand Curiace est mort au combat, Camille récidive dans sa revendication des larmes mais elle les présente comme interdites et donc dépourvues de leur valeur lustrale pour son frère, qu’elle provoque dans sa cruauté : « Tigre affamé de sang qui me défends les larmes ».
39Le vieil Horace souligne, pour ce qui est de l’action, l’incompatibilité des larmes et du sang héroïque dans les vers 680-681 et il empêche pour cette raison les futurs combattants de rester au contact de la douceur et de la pitié féminines :
Et perdez-vous encor le temps avec des femmes ?
Prêts à verser du sang regardez-vous des pleurs ?
40La mention de ces larmes qui coulent dit la souffrance désespérée de l’être intérieurement dissous. Cependant on ne peut supposer qu’elles soient véritablement versées en abondance par les comédiens, troublant leur diction37 – Julia Gros de Gasquet explique comment, sur scène, elles peuvent être suggérées par un geste minimal de l’acteur, voire dans sa manière de faire entendre certaines sonorités. Diderot rappelait : « Les larmes du comédien viennent de son cerveau38. »
41Ce n’est qu’une fois seule que Chimène épanche son chagrin (v. 809 : « Pleurez, pleurez mes yeux et fondez-vous en eau […] »), et si, au vers 181 d’Horace, Camille évoque les « ruisseaux » des larmes qu’elle a versées sur les morts romains et les morts albains, c’est en quelque sorte pour imposer son refus absolu de tout sang versé dans une image frappante parce qu’esthétique : la scène cornélienne n’est assurément pas le lieu où les pleurs se déversent le plus. Une approche superficielle pourrait faire penser au lecteur, comme à la Sabine d’Horace, qu’ils caractérisent le comportement féminin ; mais un examen plus attentif révèle que les hommes n’en sont nullement exempts. En effet, Curiace évoque ceux que cause la guerre « civile » opposant Rome et Albe et au cours de laquelle « le plus beau triomphe est arrosé de pleurs » (v. 294) ; le vieil Horace, comme plus tard le Néarque de Polyeucte, concèdera avoir « les larmes aux yeux » (v. 709) ; Antiochus ne rougit pas de montrer son chagrin à Rodogune et à Cléopâtre ; Polyeucte ne craint pas de laisser couler des larmes devant son épouse ni de révéler par là, non pas son attendrissement, mais la compassion que lui inspire Pauline en proie aux douleurs des passions humaines alors que lui-même bénéficie de la félicité de ceux qui les ont quittées (v. 1256-1262). Les larmes sont surtout le témoignage de l’humanité d’un personnage.
42Toutefois pour bien des personnages masculins de Corneille, laisser couler ses larmes est signe de faiblesse, sinon de féminité. On peut se demander si, symboliquement, le fait que Curiace, qui a toujours « des pleurs à répandre » au contraire d’Horace, fasse partie de ceux qui acceptent de se plaindre avec les femmes (Camille, en l’occurrence), et qui ont peur des larmes des autres, ne s’accorde pas avec sa défaite… Cependant cette approche n’est pas toujours valable car, dans Rodogune39, Séleucus, qui ne peut supporter l’attitude larmoyante de son frère jumeau, Antiochus (v. 1101-1102 : « Pleurez donc à leurs yeux, gémissez, soupirez, / Et je craindrai pour vous ce que vous espérez »), sera éliminé tandis qu’Antiochus survivra.
43Quoi qu’il en soit, les larmes spécifiquement « féminines » coulent de moins en moins dans le théâtre de Corneille : si la « furie » que voit Guez de Balzac en l’Émilie de Cinna n’hésite pas à évoquer les pleurs que lui causent ses souffrances, il ne s’agit toutefois de larmes d’encre40, à l’exception de la scène 5 de l’acte II : Fulvie y révèle que sa maîtresse pleure sur scène après avoir contraint son amant à perpétrer un assassinat dont il ne veut plus et qu’il fera suivre de son suicide. Par ailleurs, si l’on excepte l’Antiochus de Rodogune, et, beaucoup plus tard, le Massinisse de Sophonisbe, les pleurs des hommes se tarissent également. Au reste, lorsque, traduisant les effets des passions sur le visage humain, Charles Le Brun dessinera Le Pleurer, c’est à peine si l’on distinguera des larmes sur les joues de l’homme représenté : sa description de l’altération des traits ne mentionne pas un véritable écoulement car l’artiste évoque des « yeux presque fermés, mouillés, et abaissés du côté des joues41 », mais nul véritable écoulement :
Le Pleurer, Charles Le Brun.
INV 28323, Recto, Département des Arts graphiques.
GrandPalaisRmn / Hervé Lewandowski.
44Les larmes que le César de La Mort de Pompée42 , publiée en 1643, « laisse couler » devant la tête coupée de son adversaire assassiné pourraient sembler remplir la même fonction purificatrice que celles de Camille, mais l’écuyer de Cléopâtre d’Égypte, Achorée, rappelle qu’ainsi le vainqueur, très calculateur, « se montre généreux par un trait de faiblesse » (v. 790) et qu’il donne là une sorte de spectacle d’une émotion utile à la réconciliation nationale. En effet, ces larmes ne sont pas spontanément versées, César ayant même ressenti « quelque maligne joie ». L’écuyer omniscient de Cléopâtre analyse ainsi son comportement (v. 786-788) :
Il se juge en autrui, se tâte, s’étudie,
Consulte à sa raison sa joie et ses douleurs
Examine, choisit, laisse couler des pleurs.
45Contre toute attente, la reine Cléopâtre, dans Rodogune, se met à pleurer abondamment devant son fils Antiochus, auquel elle vient pourtant de lancer un terrible « Périssez, périssez […] / Mes yeux sauront le voir sans verser une larme » (v. 133-1335) : contrairement à son fils lui-même, le public doute cependant que les pleurs d’Antiochus aient pu susciter les siens ; ils sont feints, en réalité, et, une fois seule, la reine de Syrie révèle qu’il ne s’agissait que de « pleurs de rage » (v. 1388). Dans les deux cas, les larmes viennent atténuer l’effet produit par le spectacle, effectif ou imaginaire, du sang répandu…
46Comme Cléopâtre, le tyran Phocas d’Héraclius43 se montre capable de répandre des larmes suspectes devant le pseudo-Martian qu’il croit son fils afin que, le reconnaissant pour père, ce dernier lui fasse en quelque sorte allégeance et lui assure ainsi la liberté d’exécuter son frère de lait que le tyran croit être Héraclius, fils de l’empereur légitime44. De surcroît, Phocas trouverait quelque jouissance à voir pleurer la fille de l’empereur Maurice, cette Pulchérie, dont il a exterminé les parents, les frères et les sœurs quand il croit avoir arrêté le survivant mâle de la famille (v. 1003-1004) :
Mais ne te contrains point dans ces rudes alarmes,
Laisse aller tes soupirs, laisse couler tes larmes.
47Mais Pulchérie met un point d’honneur à ne pas adopter le comportement attendu des femmes, qui ne sied pas à une princesse, et elle répond :
Moi, pleurer ! Moi, gémir ! Tyran, j’aurais pleuré
Si quelques lâchetés l’avaient déshonoré,
S’il n’eût pas emporté sa gloire tout entière.
48Enfermée dans le palais de Phocas, qui ne l’a laissée vivante que pour lui faire épouser son fils, ce n’est guère que dans ce refus de verser des larmes qu’elle peut faire acte d’héroïsme.
49Dès cette tragédie, s’esquisse le thème du refus des larmes dont Caroline Labrune note déjà la présence dans Héraclius et Pertharite, soulignant qu’il devient essentiel dans Sophonisbe. Il convient de distinguer les larmes officielles, requises pour les cérémonies de funérailles (que l’on songe au rite des pleureuses) et attendues dans la supplication codée, des larmes spontanées. Caroline Labrune le rappelle à bon escient, quand elle évoque l’aspect que s’est donné Sophonisbe, dans la tragédie éponyme de Corneille, pour obtenir l’appui de Massinisse afin d’échapper à la cérémonie du triomphe : elle s’est montrée « captive, et pleurante » (II, 1, v. 427). Outre que de telles larmes, quand il s’agit d’une femme, font partie du rite de supplication, elles ne sauraient constituer la preuve ni d’un désespoir profond ni d’un sentiment d’humilité et Syphax est cité dans l’article pour souligner qu’elles ne parviennent pas à effacer l’expression orgueilleuse de la reine numide.
50Caroline Labrune révèle une sorte d’inversion des sexes dans la propension aux larmes attribuée respectivement à cette fille d’Asdrubal et au prince numide Massinisse. Elle souligne combien les pleurs, avec leur écoulement, sont différents des sanglots, qui ne désignent qu’une respiration saccadée et bruyante, et elle montre comment, par son insistance sur la présence ou l’absence de pleurs, Corneille se révèle toujours convaincu de la valeur dramatique de la tension entre l’être et le paraître : l’absence de pleurs ne dit pas plus l’absence de douleur que leur présence n’assure d’une souffrance profonde.
Le spectacle des fleuves pour divertir les yeux de la cour dans la magnificence
51Au cours du xviie siècle, le théâtre français dut accueillir de plus en plus des moments de pur divertissement pour la Cour. Mazarin, en bon Italien, aimait l’opéra et il tenta de l’acclimater en France, notamment en commandant à Corneille le texte d’une tragédie mythologique avec chœurs et musique et dont l’enchanteur Torelli assurerait la beauté visuelle : une beauté en mouvement. Ce fut Andromède. Si, dans cette première tragédie cornélienne à machines, on ne voit point de fleuve mais la mer, ce spectacle fournit cependant bien des informations sur la manière dont purent être représentés pour le deuxième acte de La Conquête de la Toison d’or, non seulement le Phase, qui arrose la Colchide de Médée, mais aussi les torrents tombant des rochers qui lui servaient de rives d’après la didascalie accompagnant la rubrique de scène. L’article d’Anthony Saudrais apporte bien des précisions sur la manière dont on pouvait représenter un « mouvant cristal » pour reprendre l’expression prêtée par Corneille à Absyrte qui voit arriver sur le fleuve la reine Hypsipyle. Les vers cornéliens, très travaillés à ce moment de l’action, accroissent l’impression de beauté incontestablement procurée par le décor. Yasmine Loraud a montré comment l’impression d’harmonie et de maîtrise de l’eau peut aussi créer une illusion de pouvoir.
52La présence des eaux dans le théâtre ne fit que croître dans la mesure où elle constituait un élément de spectacle extrêmement esthétique dont le jeune roi Louis XIV et sa Cour raffolaient. Dans Psyché, tragédie-ballet, donnée pour la première fois dans le Jardin royal des Tuileries en janvier 1671, fruit de la collaboration de Molière – pour le plan, l’acte I, et la première scène des actes II et III –, de Quinault – pour les intermèdes –, et de Corneille pour le reste des vers, il fallut représenter « une vaste campagne » et « le bord sauvage d’un grand fleuve où elle [l’héroïne] veut se précipiter » à la fin de la scène 3 de l’acte III. Ce cadre contrastait avec le superbe jardin dans lequel Psyché s’entretenait avec l’Amour avant de lui avoir demandé de révéler son identité. La profondeur et l’irrésistible courant de ce fleuve attirent une Psyché désespérée d’avoir perdu par sa curiosité l’être qu’elle aimait et pour lequel elle ressent de plus en plus d’amour (v. 1580-1583) ; elle cherche donc à s’abîmer dans ces flots qui ressemblent aux puissants tourbillons intérieurs qu’elle ressent :
Fleuve, de qui les eaux baignent ces tristes sables,
Ensevelis mon crime dans tes flots,
Et pour finir des maux si déplorables,
Laisse-moi dans ton lit assurer mon repos.
53Sans doute le fleuve était-il représenté avec des moyens techniques voisins de ceux qui furent employés pour La Conquête de la Toison d’or et dont Anthony Saudrais a expliqué le fonctionnement, évoquant au reste la rivalité de Vigarani et du marquis de Sourdéac pour la décoration de cette tragédie-ballet. Empêchée de se noyer, descendue aux Enfers pour accomplir le dernier des travaux imposés par Vénus, et ainsi munie de la boîte obtenue de Proserpine pour cette déesse, Psyché se découvre au début de l’acte V dans la barque de Charon, qui sillonne le Styx, et elle évoque les « Effroyables replis des ondes infernales ».
54Mais les eaux vives ne sont pas présentes seulement dans le décor animé. Psyché fait voir des rivières et des fleuves personnifiés. Dès le Prologue, on peut voir, parmi d’autres dieux liés à la nature, « Palamon, Dieu des Eaux » qui, de surcroît, mène « des Fleuves et des Naïades ». Ces divinités des eaux chantent avec les divinités de la terre, deux fleuves font une entrée de ballet, puis toutes les divinités dansent45.
55Surtout à la fin de l’acte III, le « Dieu Fleuve » apparaît, selon la didascalie, « assis sur un amas de joncs et de roseaux et appuyé sur une grande urne, d’où sort une grosse source d’eau », mais, dans les vers 1584-1587, Corneille lui prête une réponse à Psyché quand elle demande à ses flots de l’accueillir pour mettre fin à son désespoir :
Ton trépas souillerait mes ondes,
Psyché, le Ciel te le défend,
Et peut-être qu’après des douleurs si profondes
Un autre sort t’attend.
56Ce n’est toutefois pas Corneille l’aîné qui fut le premier à intégrer à l’action une allégorie de fleuve personnifié. Son cadet, Thomas, le fit avant lui, dans sa pastorale burlesque du Berger extravagant, publiée en 1653. C’est au mode de représentation du dieu de la rivière Marne que nous nous sommes intéressée puisqu’il s’agit là de la figuration plaisante d’un cours d’eau connu, comme le sont la crypto-Seine offrant son estuaire à la bataille gagnée sur le Mores par le Rodrigue du Cid, ou les rivières proches de Paris sur lesquelles on pouvait organiser des fêtes musicales. Ce dieu de rivière semble sortir tout droit d’un ballet, comme il s’en donnait alors beaucoup, et, magnifiquement habillé, comme un décor vivant, il a bien pu, de surcroît, être pourvu d’une voix de basse, annonçant par là bien des spectacles de Cour à venir. Mais il suggérait aussi les dieux-fleuves des jardins à la française mêlés aux jets d’eau.
57L’imaginaire fluvial ancré dans un réel saisissable contribue dans l’univers cornélien à donner une réalité aux récits d’exploits ou de crimes, passés ou à venir, des contours à un pouvoir exhibé, un cadre quasi tangible à des mœurs appréciées. Selon les termes auxquels, dans un usage métaphorique, l’eau courante est associée – sang ou larmes, injures ou désespoir, paroles vaines ou paroles performatives –, elle peut dire la puissance de telle ou telle passion, non seulement individuelle mais aussi collective, la force d’un souvenir obsessionnel, elle est susceptible de véhiculer une impression de pureté lustrale ou au contraire la pénible conscience d’une impureté, elle oppose le féminin qui refuse la violence des relations au masculin qui appelle à la confrontation, mais elle fait également repérer au sein de l’œuvre cornélien des évolutions qui inversent la répartition des attitudes héroïques entre les sexes. Imiter sur la scène l’aspect du fleuve et de la rivière offre enfin au spectateur le plaisir d’apprécier les capacités techniques de l’homme et incite en même temps à l’émerveillement devant les modèles naturels. L’approche livresque des fleuves et rivières, nourrie de la connaissance des mythes antiques et des Métamorphoses d’Ovide, est encore l’occasion d’agréables spectacles allégoriques où se mêlent l’humain et le naturel : sur ces allégories, quand elles sont conçues par des Précieux, peuvent aussi et enfin s’exercer le jeu et la dérision.
58Ainsi intégrés au vécu mental des personnages cornéliens et reflétant de manière flatteuse divers aspects les habitudes de vie sociale et culturelle de leur public, les fleuves, les rivières, les ruisseaux, les fontaines, les torrents coulent dans tout l’œuvre cornélien pour le rendre vivant.
Le dieu-fleuve Alphée, parc du château de Chantilly.
Photo L. Picciola
59Les contributions sont données dans l’ordre suivant : Julia Gros de Gasquet expose d’abord les effets de la fluence présente dans le texte cornélien sur les comédiens et leur manière de la faire percevoir par le public ; puis on bénéficie, avec l’article de Yasmine Loraud, d’une sorte de vision panoramique sur les mentions potamographiques dans les tragédies de Corneille, qui les fait apprécier dans le contexte d’une obsession de la bravoure, de la détention du pouvoir comme de sa quête, ou du sentiment de la faute, individuelle aussi bien que collective ; justement, centrée sur Cinna et La Mort de Pompée, l’étude de Tiphaine Pocquet montre que les fleuves de sang qui traversent leur paysage tragique sont alimentés par des eaux rougies provenant et de l’histoire ancienne, consignée dans la littérature, et de l’histoire civile plus récente, les deux se mêlant dans une rémanence d’ordre pathétique ; loin de ces eaux d’horreur, Caroline Labrune, partant également de l’idée d’une parenté entre écoulement et affects développée dans le premier article, s’intéresse paradoxalement à l’absence relative de larmes chez Sophonisbe ainsi qu’à la répartition inattendue des pleurs entre les sexes dans cette tragédie éponyme, mais elle souligne qu’en cette anomalie peuvent résider et un héroïsme de résistance et un conflit tragique entre le dedans et le dehors ; en rupture avec ces univers affectifs et métaphoriques, Liliane Picciola montre comment trois dramaturgies, deux de Pierre (Le Cid, Le Menteur), et une de Thomas Corneille (Le Berger extravagant), ont habilement recouru aux mœurs qui, en leur temps, étaient liées à la fréquentation des rivières – habitudes de transport, de distractions, de culture –, afin de mieux susciter l’admiration ou la conjouissance du public ; enfin, bouclant la boucle en nous ramenant sur le théâtre, Anthony Saudrais attire notre attention non plus sur les acteurs mais sur la décoration de la scène et sur les procédés techniques mis en œuvre dans La Conquête de La Toison d’or pour y figurer les eaux courantes et leur beauté.
1 De fait, certaines comédies de Rotrou qui comptent au reste des bergers dans la liste des acteurs sont qualifiées de « pastorales » par des critiques comme Jacques Scherer et Jacques Morel. La Célimène et le Filandre de cet auteur se déroulent dans un milieu champêtre, la proximité de la Seine étant patente dans les dialogues.
2 On note toutefois la place accordée à la Seine dans la scène d’ouverture de Palinice, Circeine et Florice, tragi-comédie tirée de L’Astrée, par le Sieur de R. [Rayssiguier], Paris, Antoine de Sommaville, 1634 : « Et si nostre regard se tourne vers la plaine, / Avez-vous jamais veu rien d’égal à la Seine ? / Vous diriez qu’elle sort du milieu de Paris, / Pour baiser en passant l’herbe des prés fleuris » (v. 17-20). Toutefois, dans la suite de la pièce, il n’est plus accordé aucune attention à ce fleuve, qui sert simplement à valoriser la France à côté de l’Italie. Les anonymes ruisseaux, eux, se trouvent maintes fois cités, les fontaines sont nommées deux fois. En revanche, en 1633, c’est dans la Seine et non pas dans le Lignon que le berger Palémon de Palemon, fable bocagère et pastoralle de N. Frénicle (Paris, Dugast, 1632), se précipite, n’en réchappant que par miracle, et que Nais se noie effectivement d’après le récit de Delon. Le fleuve, lié à la prétendue mort de Palémon, est sans cesse évoqué.
3 Marc Fumaroli, Histoire littéraire de la France, Paris, Les Éditions sociales, 1975, article « Corneille » et, dans Héros et orateurs, 2e édition revue et corrigée, Genève, Droz, 1996, chap. I, « Corneille fils de son œuvre », « Aspects d’une œuvre dramatique. De Mélite au Cid : les bergers naissent à l’héroïsme », p. 36-45.
4 Bientôt, selon La Suite du Menteur, un acteur professionnel l’incarnera.
5 Les Amours tragiques de Pyrame et Thisbé, mis en vers français par le Sieur Théophile, Paris, Jean Martin, 1626.
6 C’est la version de Nonnos de Panopolis (ive-ve siècles) dans les Dionysiaques, chant VI.
7 Mémoire pour la décoration des pièces qui se représentent par les Commédiens du Roy, entretenus de Sa Magesté… commencé par Laurent Mahelot et continué par Michel Laurent, en l’année 1673 (manuscrit). On peut également voir cette planche dans une édition critique récente : Pierre Pasquier, Le Mémoire de Mahelot : mémoire pour la décoration des pièces qui se représentent par les comédiens du roi, Paris, Champion, 2005, p. 244.
8 Les Vendanges de Suresnes, comédie, par P. Du Ryer, Paris, Antoine de Sommaville, 1636.
9 Cette bourgeoisie s’offre le luxe de posséder des vignes non loin de la capitale. Elles sont exploitées par leurs vignerons personnels, auxquels elles ne sauraient appartenir.
10 Ces mentions sont les suivantes : « Ce sera donc alors que les eaux de la Seine / Cesseront de laver les rives de Suresnes ; » (I, 14, v. 249-250) et « Il prendrait pour du vin l’eau même de la Seine » (V, 7, v. 1747). Après la liste des acteurs, dont plusieurs sont mentionnés comme « bourgeois de Paris », on peut lire que « le théâtre représente Suresnes », ce qui est peu précis. Il se peut que dans une toile peinte ait figuré un dessin de la Seine.
11 La fontaine est définie par le premier Dictionnaire de l’Académie française comme une « eau vive qui sort de terre », et non pas comme une fontaine architecturée.
12 Les Occasions perdues, tragi-comédie de Rotrou, Paris, Anthoine de Sommaville, 1636 ; v. 4 dans l’édition critique de L. Picciola, dans Jean de Rotrou, Théâtre complet, tome 11, Paris, Société des textes de français moderne, 2014, p. 7-171.
13 I, 9, v. 239, dans La Galerie du Palais, édition critique de Liliane Picciola dans Corneille, Théâtre, t. I, Paris, Classiques Garnier, « Bibliothèque du théâtre français », 2014 (1re édition en 1637), p. 595-776.
14 Ibid., v. 1100.
15 C’était évidemment aussi celui de la comédie héroïque que fonda Corneille avec Don Sanche d’Aragon.
16 Voir Jacques Scherer, La Dramaturgie classique en France, Nizet, 1950 ; rééd. 1977, p. 191-192.
17 Examen du Cid dans Corneille, Théâtre, t. II, Paris, Classiques Garnier, « Bibliothèque du théâtre français », 2017.
18 Dans l’édition critique établie par Fallom Tay dans le cadre d’un mémoire de master 1 sous la direction de Georges Forestier (2011-2012) : http://bibdramatique.huma-num.fr/rayssiguier_palinice, page consultée le 12 novembre 2024.
19 « Aussi cette sage Fille voulant faire connaître sur cette Carte, qu’elle n’avait jamais eu d’amour, & qu’elle n’aurait jamais dans le cœur que de la tendresse, fait que la Rivière d’Inclination se jette dans une Mer qu’elle appelle la Mer dangereuse : parce qu’il est assez dangereux à une Femme, d’aller un peu au-delà des dernières Bornes de l’amitié : & elle fait ensuite qu’au-delà de cette Mer, c’est ce que nous appelons Terres inconnues, parce qu’en effet nous ne savons point ce qu’il y a, & que nous ne croyons pas que personne ait été plus loin qu’Hercule : de sorte que de cette façon, elle a trouvé lieu de faire une agréable Morale d’amitié, par un simple jeu de son esprit : & de faire entendre d’une manière assez particulière, qu’elle n’a point eu d’amour, & qu’elle n’en peut avoir » (Clélie, Paris, Augustin Courbé, 1655, tome I, livre 1, p. 405). Nous avons modernisé l’orthographe.
20 Claude Filteau, « Le Pays de Tendre : l’enjeu d’une carte », dans Littérature, no 36 : « Sémiotiques du roman », 1979, p. 37-60, notamment dans le chapitre « La mécaniques des fluides et l’anatomie du sentiment », p. 54-58.
21 Un exemple : « Comme la diversité est l’âme du monde, il se faut bien garder d’aller faire que tous les hommes soient des héros, que toutes les femmes soient également belles, que les humeurs des uns et des autres soient semblables, et que l’amour, la colère, la jalousie, et la haine produisent toujours chacune les mêmes effets. Au contraire, il faut imiter cette admirable variété qu’on voit en tous les hommes » (Clélie, Augustin Courbé, 1660, tome IV, livre 2, Paris, p. 1131).
22 La Dissection des parties du corps humain divisee en trois livres, faictz par Charles Estienne, docteur en medecine, Paris, Simon de Colines, 1546, p. 165-196.
23 Exercitatio Anatomica de Motu Cordis et Sanguinis in Animalibus, Francfort, Fitzer, 1628.
24 Claude Filteau note que le point de fuite se trouve dans les Terres Inconnues.
25 Claude Filteau, art. cité, p. 56.
26 Elle se trouve dans l’article cité à la page 57.
27 Discours de l’utilité et des parties du poème dramatique, dans Corneille. Trois discours sur le poème dramatique, éd. B. Louvat et M. Escola, Paris, GF Flammarion, 1999, p. 72.
28 Son article « Le fleuve comme modèle interprétatif », envisage comment relier la présence des images d’écoulement dans le texte cornélien à l’interprétation vocale et gestuelle du comédien ainsi qu’à son imaginaire.
29 Dans Don Sanche d’Aragon, édition critique de Liliane Picciola, dans Corneille, Théâtre, t. IV, Paris, Classiques Garnier, « Bibliothèque du théâtre français », Paris, 2024, p. 811-996.
30 Polyeucte, édition critique de Pierre Pasquier, dans Corneille, Théâtre, t. III, Paris, Classiques Garnier, « Bibliothèque du théâtre français », 2023, p. 242-413.
31 Passim, dans Le Menteur, édition critique de Liliane Picciola, dans Corneille, Théâtre, t. III, Paris, Classiques Garnier, « Bibliothèque du théâtre français », 2023, p. 605-927. Nos citations sont extraites de cette édition. Peut-être cette pluie fait-elle référence à Danaé, devant laquelle Zeus se manifesta sous la forme d’une pluie d’or.
32 Dans Le Cid, édition critique de Liliane Picciola dans Corneille, Théâtre, t. II, Paris, Classiques Garnier, « Bibliothèque du théâtre français », 2017.
33 Paris, Guillaume de Luyne, 1668. Nous citons le texte dans l’édition procurée par Georges Couton, dans Corneille, Œuvres complètes, t. III, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », p. 639-703 et 1532-1554. Notre soulignement dans les citations.
34 La Saône.
35 Ibid., p. 641.
36 Nous tirons nos citations d’Horace, édition critique de Laura Rescia, dans Corneille, Théâtre, t. II, Paris, Classiques Garnier, « Bibliothèque du théâtre français », 2017, p. 903-1043.
37 Voir ce qu’écrit Diderot dans le Paradoxe sur le comédien, vraisemblablement composé vers 1773 mais publié seulement en 1830 : « Une femme malheureuse, et vraiment malheureuse, pleure et ne vous touche point : il y a pis, c’est qu’un trait léger qui la défigure vous fait rire ; c’est qu’un accent qui lui est propre dissone à votre oreille et vous blesse ; c’est qu’un mouvement qui lui est habituel vous montre sa douleur ignoble et maussade ; c’est que les passions outrées sont presque toutes sujettes à des grimaces que l’artiste sans goût copie servilement, mais que le grand artiste évite. Nous voulons qu’au plus fort des tourments l’homme garde le caractère d’homme, la dignité de son espèce. Quel est l’effet de cet effort héroïque ? De distraire de la douleur et de la tempérer. Nous voulons que cette femme tombe avec décence, avec mollesse, et que ce héros meure comme le gladiateur ancien, au milieu de l’arène, aux applaudissements du cirque, avec grâce, avec noblesse, dans une attitude élégante et pittoresque » (Diderot, Paradoxe sur le comédien précédé des Entretiens sur Le Fils naturel, Paris, Garnier-Flammarion, 1967, p. 137).
38 Ibid., p. 133.
39 Rodogune, édition critique de Liliane Picciola, dans Corneille, Théâtre, t. IV, Paris, Classiques Garnier, « Bibliothèque du théâtre français », 2024, p. 45-231.
40 Voir Benjamin Deruelle et Laurent Vissière, « Des larmes de sang. Émotions funèbres au lendemain des batailles, de la fin du xve au milieu du xvie siècle », dans Pascal Bastien (dir.), Émotions en bataille xvie-xviiie siècle. Sentiments, sensibilités et communautés d’émotions de la première modernité, Paris, Hermann, « Les collections de la République des Lettres », 2021, p. 179-202.
41 Les expressions des passions de l’âme, représentées en plusieurs testes gravées d’après les dessins de feu M. Le Brun, Paris, J. Audran, 1727. Les dessins correspondent à un discours de Charles Le Brun à l’Académie royale de peinture et de sculpture d’avril 1668 et publié à Paris la même année sous le titre Conférence sur l’expression générale et particulière, avec vingt-trois dessins.
42 La Mort de Pompée, édition critique de Liliane Picciola, dans Corneille, Théâtre, t. III, Paris, Classiques Garnier, « Bibliothèque du théâtre français », 2023, p. 415-603.
43 Publiée en 1647. Citations tirées de Héraclius, édition critique de Liliane Picciola, dans Pierre Corneille, Théâtre, t. IV, Paris, Classiques Garnier, « Bibliothèque du théâtre français », 2024, p. 389-586.
44 Chacun de ces deux exemples fait l’objet d’une note dans l’article de Caroline Labrune.
45 Plus tard dans Atys, de Lully et Quinault, on assiste à un véritable festival des eaux courantes personnifiées : le dieu du Fleuve Sangar, père de l’héroïne, Sangaride, est accompagné dans les scènes 5 et 6 de l’acte IV, d’une multitude de grands dieux de fleuves, certains dansants, d’autres chantants, de huit dieux de fleuves jouant de la flûte, de divinités de fontaines, de deux petits dieux de ruisseaux, de deux vieux dieux de fleuves et deux vieilles fontaines dansantes… Cette Tragédie en musique, ornée d’entrées de ballet, de machines et de changements de théâtre, fut représentée devant sa Majesté, à Saint Germain en Laye, le 10e jour de janvier 1676.
La pensée du fleuve dans l’œuvre de Pierre Corneille et son frère : contexte dramaturgique et présentation des articles » dans Corneille et la pensée du fleuve,
sous la direction de Yohann Deguin et Liliane Picciola
© Publications numériques du CÉRÉdI, « Revue Corneille présent », n° 2, 2024
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