Réception créatrice contemporaine des mythes et grands récits de l’Antiquité

dir. par Ariane Ferry et Véronique Léonard-Roques

Responsables scientifiques

Ariane Ferry (Université Rouen-NormandieCÉRÉdI) et Véronique Léonard-Roques (Université de Bretagne Occidentale, Brest, HCTI)

Comité de lecture 

Ariane Eissen (Université de Poitiers)
Ariane Ferry (Université de Rouen-Normandie)   
Chantal Foucrier (Université de Rouen-Normandie)        
Ute Heidmann (Université de Lausanne)    
Sylvie Humbert-Mougin (Université de Tours)    
Dimitri Kasprzyk (Université de Brest)     
Claire Lechevalier (Université de Caen)  
Véronique Léonard-Roques (Université de Brest)           
Andrea Oberhuber (Université de Montréal)

Genèse et perspectives du carnet de recherche

Ce carnet de recherche en ligne consacré à la « Réception créatrice contemporaine des mythes et grands récits de l’Antiquité » trouve son origine dans l’atelier éponyme proposé lors du VIIIe Congrès de la Société Européenne de Littérature Comparée / European Society of Comparative Literature (ESCL/SELC) intitulé « Littératures, échanges culturels et transmission de savoirs et de créations : passé, présent et avenir ». Placée sous la direction de Fiona McIntosh et de Karl Zieger, cette manifestation s’est tenue à l’Université de Lille du 28 au 31 août 2019.
Les premiers textes publiés dans ce carnet sont issus des travaux de mythocritique [1] effectués dans ce cadre initial, mais aussi des sollicitations que nous avons adressées à de jeunes docteurs en littérature comparée. Nous espérons que d’autres articles pourront prochainement les rejoindre pour venir renforcer ce chantier de réflexions dans une entreprise ouverte et collective de work in progress.

Comment proposer un article

Les propositions d’article (argumentaire de 2 000 signes maximum) accompagnées d’une courte bio-bibliographie sont à adresser à Ariane Ferry (ariane.ferry@univ-rouen.fr) et Véronique Léonard-Roques (veronique.leonard@univ-brest.fr).
Les articles seront évalués par le comité de lecture avant publication.

Problématique et pistes de réflexion

Alors que la voie des humanités classiques séduit de moins en moins d’étudiants dans les universités et que ce phénomène de désaffection menace à terme la transmission de savoirs philologiques accumulés depuis des siècles, mais aussi le renouvellement des interprétations sur les grands textes hérités de l’Antiquité, certains de ces textes (tragédies et épopées grecques et romaines ou récits historiques), fondateurs dans le développement des mythes littéraires, mais aussi dans la constitution d’un imaginaire héroïque et politique, n’en continuent pas moins à stimuler la création contemporaine dans nombre de genres littéraires et de productions artistiques [2].
La transmission et l’interprétation des mythes [3] et grands récits de l’Antiquité passent-elles aujourd’hui davantage par leur réécriture, leur adaptation, leur révision critique et ludique que par le travail philologique des spécialistes ? Pierre Judet de La Combe, dans une récente tribune du Monde (« Idées », 28/04/2018), constatait que, d’un côté, on pouvait observer une véritable « effervescence » contemporaine autour d’Homère dont les poèmes suscitaient l’« enthousiasme » à travers leurs recréations, mais que, d’un autre côté, les hellénistes les abordaient généralement avec une « incrédulité sourcilleuse », et il finissait par déplorer « un conformisme intellectuel pesant quand ils [ces hellénistes] répètent inlassablement depuis des décennies qu’après tout l’Iliade et l’Odyssée ne sont pas vraiment des poèmes construits, des patchworks », se méfiant de cette « poésie orale […] alors qu’elle est stupéfiante ». Stupéfiante et stimulante, notamment pour la création théâtrale contemporaine… On observe par ailleurs que, parmi les romanciers et essayistes contemporains qui fictionnalisent ou s’approprient, de manière personnelle et parfois autobiographique, cette matière antique, il y a des universitaires et des enseignants classicistes, conscients peut-être que la transmission traditionnelle est en crise et qu’elle se joue ailleurs aujourd’hui que dans les classes et amphithéâtres (Valerio Manfredi, Madeline Miller, Daniel Mendelsohn, William Marx, Sylviane Dupuis etc.)
Ce carnet propose donc une réflexion collective autour des modalités et enjeux de la transmission contemporaine des mythes et grands récits antiques et de leur réception à l’aune des changements de paradigmes socio-culturels et d’imaginaire. Car, comme l’a récemment remarqué Emmanuel Laurentin lors des Deuxièmes États généraux de l’Antiquité (Sorbonne, 8 et 9 juin 2018), l’Antiquité aujourd’hui « est d’abord le miroir de nos désirs, de nos fantasmes, c’est une grande toile tendue sur laquelle chacun peut projeter ses références » (article d’Agathe Moissenet, Le Monde des Livres, 29/06/2018).
Il accueille et accueillera des contributions sur toutes les formes d’adaptation (transmodalisation, hybridité générique et intermédialité) et de réécritures d’épisodes mythiques configurés dans la tragédie ou l’épopée (grecque / latine), mais aussi de réécritures ou de transformations (traductions nouvelles assorties de commentaires) des grands récits épiques et historiques à la source du canon occidental (Homère, Virgile, mais aussi Plutarque, par exemple).
Les articles ici rassemblés mettent en perspective les enjeux idéologiques, herméneutiques, éthiques et esthétiques de cette réception créatrice pour interroger la capacité des œuvres contemporaines à transmettre les grandes œuvres antiques et à assurer leur rayonnement. Si tout mythe littéraire vit de la transformation, de la contestation, de la révision idéologique (revisionist mythmaking [4]), mais aussi de la remédialisation de quelques textes fondateurs, les productions contemporaines qui actualisent, détournent, tronquent et manipulent ces récits peuvent peut-être parfois rendre incompréhensible toute une tradition d’interprétation. Nous proposons donc aussi d’examiner l’évaluation d’exemples de cette réception créatrice contemporaine dans des essais ou articles de presse, afin de mesurer comment évolue, sur les plans générique, poétique / esthétique, idéologique et éthique, notre rapport aux grands textes antiques.


[1] Sur la mythocritique, nous renvoyons par exemple aux travaux suivants : Pierre Brunel,Mythocritique. Théorie et parcours, Paris, Presses Universitaires de France, 1992 ; Danièle Chauvin et alii (dir.), Questions de mythocritique, Paris, Imago, 2005 ; Véronique Gély, « Pour une mythopoétique : quelques propositions sur les rapports entre mythe et fiction », SFLGC, bibliothèque comparatiste, 2006, URL : http://sflgc.org/bibliotheque/gely-veronique-pour-une-mythopoetique-quelques-propositions-sur-les-rapports-entre-mythe-et-fiction/?pdf=1591, page consultée le 12 avril 2021 ; Sylvie Parizet (dir.), Mythe et littérature, Nîmes, Lucie Éditions/SFLGC, coll. « Perspectives comparatistes », 2008 ; Véronique Léonard-Roques (dir.), Figures mythiques. Fabrique et métamorphoses, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise-Pascal, 2008 ; Ute Heidmann, Maria Vamvouri Ruffy et Nadège Coutaz (dir.), Mythes (re)configurés. Création, dialogues, analyses, Lausanne, collection du CLE, 2013 accessible en ligne : https://www.unil.ch/lleuc/home/menuinst/publications/collection-du-cle.html, page consultée le 12 avril 2021.

[2] Parmi les études récentes consacrées à cette fécondité : Emily Greenwood and Barbara Graziosi, Homer in the Twentieth Century : Between World Literature and the Western Canon, Oxford, Oxford University Press, 2007 ; Véronique Gély, « Les Anciens et nous : la littérature contemporaine et la matière antique », Bulletin de l’Association Guillaume Budé, 2009/2 et « Partages de l’Antiquité : un paradigme pour le comparatisme », Revue de Littérature Comparée, 2012/4, no 344 ; Mélanie Bost-Fiévet et Sandra Provini (dir.), L’Antiquité dans l’imaginaire contemporain, Paris, Classiques Garnier, 2014 ; Véronique Krings et Catherine Valentini (dir.), L’Antiquité imaginée. Les références antiques dans les œuvres de fiction (XXe-XXIe siècles), Bordeaux, Ausonius, 2019 ; Fiona Cox and Elena Theodorakopoulos (eds.), Homer’s Daughters. Women’s Responses to Homer in the Twentieth Century and Beyond, Oxford, Oxford University Press, 2019 ; Claire Lechevalier et Brigitte Poitrenaud-Lamesi (dir.), Un besoin d’Homère (de la fin du XXe siècle à aujourd’hui), actes du colloque des 15 et 16 octobre 2020, Université de Caen, à paraître.

[3] Nous empruntons à Véronique Gély la définition suivante du « mythe » : « Tradition, image, scénario ou récit reconnus et répétés au sein d’une communauté humaine » (V. Gély, « Les sexes de la mythologie. Mythes, littérature et gender », dans Anne Tomiche et Pierre Zoberman (dir.), Littérature et identités sexuelles, Paris, SFLGC, coll. « Poétiques comparatistes », 2007, p. 48).

[4] Alicia Ostriker, « The Thieves of Language: Women Poets and Revisionist Mythmaking », Signs, 8, 1982.

Logos

Réception créatrice contemporaine des mythes et grands récits de l’Antiquité

Revisiter une figure mineure du mythe troyen dans la littérature contemporaine : l’exemple d’Œnonè chez Christa Wolf et Claude Pujade-Renaud

Véronique Léonard-Roques


Texte intégral

1Absente du corpus homérique comme des pièces des tragiques grecs, la figure de la nymphe Œnonè semble être apparue à la période hellénistique (Lycophron, Conon, Parthénios de Nicée, entre autres). Elle est développée dans la cinquième héroïde d’Ovide où elle est l’auteure d’une lettre adressée à Pâris dans laquelle, lui rappelant le monde pastoral de leurs amours heureuses, elle lui reproche de l’avoir abandonnée et de lui avoir préféré Hélène. La figure est donc rattachée à un épisode précédant la guerre de Troie (l’exposition du jeune Pâris sur le mont Ida). Œnonè est la première épouse du prince troyen du temps de son obscurité dans les bois du Mont Ida. Son histoire « se situe en marge des épopées homériques », la guerre de Troie étant alors considérée « sous l’angle des amours entre Alexandre et Hélène1 ».

2Œnonè apparaît comme un personnage mineur du cycle troyen, une figure de la mythologie savante que mentionnent Strabon, Apollodore ou Dictys de Crète. Après Quintus de Smyrne (ive siècle), qui la réactualise au chant 10 de sa Suite d’Homère à l’occasion du récit de la mort de Pâris, la protagoniste semble tomber quelque peu dans l’oubli. La popularité d’Ovide à la Renaissance lui assure une nouvelle émergence. On note en particulier une fausse héroïde commise en 1474 par un humaniste (sous le pseudonyme d’Angelus Quirinus Sabinus) qui livre une réponse de Pâris à Œnonè2 ou une réécriture sous la plume de Lemaire de Belges (Illustrations de Gaule et Singularités de Troie, à partir de 1511). Au xviie siècle, c’est essentiellement la peinture qui assure la transmission de cette histoire (Pieter Lastman, Paris und Önone, 1619 ; Claude Gelée dit le Lorrain, Paysage avec Pâris et Œnonè, 1648 ; Reyer van Blommendael, Pâris et Œnonè, 1655 ; Angelica Kauffmann, Paris and Œnone Carving their Names into a Tree, 1779…). Au xixe siècle, avec la publication du poème d’Alfred Tennyson (Œnone, 1829), la figure connaît un regain de fortune, en particulier dans les pays anglophones (Harriet Hosmer, Œnone, 1854-1855 ; Helen Hunt Jackson, Œnone, 1885 ; Laurence Binyon, Paris and Œnonè. A Tragedy in One Act, 1906). Si au xxe siècle, elle semble se faire plus discrète (Janet Monteith Gilbert, Œnone. Multimedia piece, 1975), elle reparaît chez Christa Wolf et Claude Pujade-Renaud, deux autrices contemporaines qui reconfigurent certains épisodes de la guerre de Troie dans Kassandra (1983) et Celles qui savaient (2000)3. Chez la romancière est-allemande, Œnonè appartient à la communauté féminine du Mont Ida où se rêvent et s’expérimentent des relations de genre et de classe en rupture avec celles qui ont cours à Troie. Chez l’écrivaine française, la voix de la nymphe est la deuxième à se faire entendre dans un recueil de poèmes qui donne successivement la parole à cinq figures mythiques féminines issues de l’Antiquité grecque.

3Face à deux œuvres qui revisitent des figures et des épisodes de la guerre de Troie, on s’interrogera sur les modalités et les enjeux du réinvestissement contemporain de cette protagoniste mineure, voire obscure4, à l’aune d’une « révision mythopoétique » (traduction possible de la notion de « revisionist mythmaking » théorisée par Alicia Ostriker5) attentive aux questions de genre (gender) et de changements de paradigmes anthropologiques. Il conviendra d’abord de s’arrêter sur ce qui, de l’Antiquité à nos jours, fait l’identité de la figure d’Œnonè au sein du mythe troyen. Puis nous examinerons comment la protagoniste sert la valorisation de l’harmonie naturelle et des valeurs pacifiques dans le corpus retenu. Enfin, nous questionnerons l’autonomie de sa parole et son savoir.

Épisodes de l’histoire d’Œnonè et traits majeurs de la figure

4Dans la mesure où Œnonè est une figure savante de la mythologie gréco-romaine à la présence limitée dans la culture collective actuelle, les deux autrices se sont manifestement informées et documentées à son sujet. Christa Wolf a confié s’être passionnée pour la « multiplicité des sources6 » de la geste troyenne ou du mythe des Argonautes7. Kassandra entretient un dialogue intertextuel explicite avec de nombreuses lectures, ce dont témoignent tout particulièrement les titres mentionnés dans la quatrième des conférences d’un ouvrage qui en compte cinq (la cinquième consistant en une réécriture fictionnelle de la guerre de Troie dont Cassandre est la narratrice) ainsi que la riche bibliographie8 qui fait partie des « seuils9 » de l’œuvre mais qui n’a pas été reprise dans la traduction française. Christa Wolf connaît bien The Greek Myths10, le célèbre recueil mythographique de Robert Graves qui figure dans la bibliographie finale de Kassandra), et The White Goddess11 constitue l’un des ouvrages cités dans la quatrième conférence12. La reconfiguration d’Œnonè semble précisément porter l’empreinte, nous le verrons, de la lecture de la cinquième héroïde d’Ovide, qui constitue la version antique la plus connue de l’histoire de la nymphe.

5Il en va de même chez Claude Pujade-Renaud qui a manifestement puisé chez Ovide la matière liée à Œnonè (héroïde V) comme à Okyrrhoè (Métamorphoses 2, 633-675), la troisième des locutrices qu’elle fait intervenir dans son recueil. Or, ces deux protagonistes sont précisément les moins connues des figures féminines dont l’autrice fait entendre la voix aux côtés de celles de Cassandre, Jocaste et Ismène. De plus, Celles qui savaient est également un recueil lié par le retour de figures ou de motifs communs, principe d’écriture que l’on observe dans les Héroïdes où l’on trouve des références à Œnonè aux lettres XVI et XVII (il s’agit respectivement des lettres de Pâris à Hélène et d’Hélène à Pâris). On peut en outre supposer que Pujade-Renaud connaît la Kassandra de Wolf dont le retentissement éditorial a été considérable13 et qui a pu constituer une médiation supplémentaire dans sa réception du personnage d’Œnonè.

6Chez les Anciens, Œnonè est une nymphe, généralement la fille du fleuve Kébren14, qui évolue dans les forêts du Mont Ida. Incarnation de la puissance des éléments naturels, elle figure parmi les divinités de rang inférieur (qui, participant du divin, sont néanmoins mortelles). Cette caractéristique est respectée par Pujade-Renaud, la locutrice éponyme du second poème se présentant comme « moi la nymphe des bois15 » et évoquant sa « beauté d’écorce et de sève16 ». Dans le récit de Wolf où la transcendance est écartée (prêtresse d’Apollon, Cassandre a perdu la foi et jamais les dieux n’interviennent dans l’action), Œnonè est un personnage de rang socialement inférieur (elle sert par exemple à la table du palais), mais Cassandre, la narratrice, signale qu’« aux dires des serviteurs, [elle] avait dû être une nymphe dans sa vie antérieure17 », mention qui peut opérer comme un signe de complicité adressé par l’autrice à son lectorat cultivé. La protagoniste appartient à l’« univers des montagnes et des forêts18 », un monde périphérique en marge de la cité et du palais sur lequel nous reviendrons.

7L’identité d’Œnonè tient aussi à deux dons qu’elle présente dans nombre de textes antiques. Le premier, qui réside dans sa capacité à annoncer l’avenir (Parthénios, Conon, Apollodore), se manifeste particulièrement par la prédiction du destin de son époux (elle prophétise la trahison qu’il commet à son égard en l’abandonnant pour Hélène et la funeste blessure qu’il reçoit au combat19). On retrouve cet élément chez Pujade-Renaud :

Ne t’en va pas vers les tiens
ne pars pas en quête d’Hélène
je vois ta mort se profiler
Ne pars pas je vois je sais20.

8Le motif des prophéties d’Œnonè est néanmoins absent chez Lycophron ou Ovide, comme il l’est aussi dans le réinvestissement livré par Wolf. On proposera plus loin une interprétation de ce point. En outre, Œnonè se caractérise aussi par sa connaissance des plantes qui en fait une guérisseuse hors pair. Selon Ovide, elle tient ce don d’Apollon qui la jugea « digne d’être initiée à ses secrets » et lui « enseigna l’usage des plantes médicinales21 ». Wolf en fait une soignante aux compétences bien supérieures à celles des médecins officiels de Troie22. Dans les textes des Anciens, c’est tout particulièrement dans sa relation à Pâris que la nymphe exploite ce don, ce que reprend Pujade-Renaud : « j’allais cueillir / des plantes connues de moi seule / destinées à la soigner23. » Les versions antiques font même d’Œnonè la seule auxiliaire à pouvoir sauver Pâris de la blessure que Philoctète lui inflige à la fin de la guerre de Troie. Citons Parthénios : « Et elle lui expliquait comment il devait un jour être blessé à la guerre, et que personne ne serait capable de le guérir sauf elle24 » ou Quintus de Smyrne : « Œnonè seule peut de ses mains le préserver de la mort et des Trépas, si elle y consent25 ».

9Dans les textes antiques, la relation d’Œnonè à Pâris est aussi sous-tendue par une opposition structurale qui fait osciller la figure féminine entre les positions de victime et de bourreau. La nymphe peut être promue au rang d’épouse exemplaire au regard de sa fidélité conjugale et rejoindre ainsi, selon les assignations traditionnelles de genre, des figures comme Pénélope ou Andromaque. La trahison du prince troyen à son égard la rapproche également des premières épouses délaissées que sont Didon ou, plus encore, Médée. L’Œnonè d’Ovide fait entièrement entendre sa plainte à la première personne tandis que chez Quintus les compagnes de la nymphe s’exclament : « Ah ! vraiment, Pâris n’était qu’un scélérat, lui qui quitta femme si fidèle pour prendre une concubine sans pudeur, fléau de mort pour lui-même, pour les Troyens et pour sa cité26 ! » Cette fidélité à la parole donnée, qui s’accompagne parfois de mésalliance (chez Ovide, Œnonè rappelle que, « fille d’un grand fleuve », elle « a daigné s’unir à un esclave27 », à un « pauvre pasteur28 »), valorise le personnage féminin et dévalue la figure masculine en en affichant la versatilité. C’est chez Wolf, nous le verrons, que la dégradation axiologique de Pâris culmine, l’inconstance du personnage étant associée à un désir de puissance qui le conduit à multiplier les trahisons.

10Figure de la passion amoureuse, Œnonè peut par jalousie rechercher la vengeance (en cela elle entre une nouvelle fois en résonance avec les représentations les plus courantes de Médée) et se révéler funeste à Pâris. Dans la plupart des versions antiques en effet, elle se refuse à soigner le prince troyen de sa blessure reçue au combat. Chez Parthénios, Conon ou Quintus, elle renvoie à Hélène l’ex-époux qui, à l’agonie, se souvient de ses prédictions et de ses pouvoirs et la supplie de le sauver (à titre d’exemple on citera La Suite d’Homère où elle déclare : « Retourne auprès d’Hélène : passe tes nuits et tes jours à roucouler tes plaintes dans son lit, cloué par l’atroce douleur29 »). De victime, Œnonè devient donc bourreau, avant de reprendre une place de victime. Lorsque prise de remords elle se décide à soigner son époux, elle arrive en effet trop tardivement pour ce faire. Désespérée, elle se suicide alors en se jetant sur son bûcher funéraire (Lycophron, Parthénios) ou en s’étranglant (Conon, Apollodore).

11Notons qu’il est même des versions où la jalousie d’Œnonè la conduit, pour se venger d’Hélène, à utiliser Korythos, le propre fils qu’elle a eu avec Pâris. Korythos devient alors le rival de son père qui finit par le mettre à mort (Conon, Parthénios). Partant, l’histoire d’Œnonè et de Pâris illustre les dangers des passions d’amour excessives et dévastatrices (Erotica Pathémata) lorsqu’« un double crime se commet au nom de la passion : l’adultère du fils et l’infanticide du père30 ». Mais les manifestations de dépit amoureux et le désir de vengeance potentiellement éprouvés par une épouse trahie disparaissent significativement chez Wolf31 et Pujade-Renaud. Ce choix s’explique sans doute par la fonction première dévolue à Œnonè : figurer un ethos en complète opposition avec les catégories et les valeurs de la cité patriarcale, lesquelles, pour deux autrices qui ont fait l’expérience des violences de masse du xxe siècle, conduisent inexorablement à la ruine.

Œnonè ou la valorisation de l’harmonie naturelle et des valeurs pacifiques

12Le réinvestissement de l’histoire d’Œnonè et de Pâris sert le traitement d’une opposition entre nature et culture lorsque cette dernière prend la forme pervertie d’une société régie par le goût de la domination et de la destruction, qui exclut le féminin de la sphère publique et s’engage obstinément dans les violences et les surenchères de la conquête ou de la guerre. « Là-bas dans la cité troyenne / tu vas apprendre la haine / et le plaisir de détruire32 », dit du prince la nymphe de Celles qui savaient, ajoutant : « À présent tu vas t’enivrer / du goût âcre du sang versé33 ».

13Aux côtés d’autres personnages féminins, l’Œnonè de Wolf incarne le choix d’un mode de vie en marge de la cité dans un univers d’authenticité, celui des femmes des bords du Scamandre et du Mont Ida. Ce monde périphérique des cabanes et des cavernes devient le « véritable foyer34 » et le refuge de la princesse Cassandre en rupture avec les siens pendant les dernières années du conflit. Il s’agit d’un espace où existe le « nous35 », communauté véritable au sens de Gemeinschaft36 : un lieu de partage, d’échange des savoirs et des capacités. Dans ce monde frugal empli de joie et propice à la création artistique37 s’expérimentent de nouvelles relations de genre et de classe en vue de la formation d’une communauté pacifique régie par d’autres logiques que celles de la domination patriarcale et des hommes en armes. En harmonie avec les cycles naturels, Œnonè participe pleinement à cette expérience à valeur d’utopie dont les participants – les femmes ont été rejointes par « certains autres jeunes hommes dont la guerre avait abîmé le corps ou l’âme38 » – ont conscience, face aux ravages des combats, de « projeter un mince rayon d’avenir dans les ténèbres du présent39 ».

14Dans cette opposition de deux univers, face à Œnonè campée en allégorie des cycles naturels, « demeurant elle toujours la même, comme la nature, à travers les changements40 », Pâris opère comme une incarnation des dérives de la volonté de puissance favorisée par la domination patriarcale. Le frère aimé de Cassandre rejoint en effet la galerie des figures masculines négatives du roman de Wolf que sont en particulier Achille et Agamemnon. « Faible, mon frère, faible. Une lavette41 », dit de lui la princesse. Aux yeux d’Œnonè, le personnage est accablé d’une « maladie42 » inconnue qui l’effraie, tant elle est étrangère à son comportement et à ses valeurs. Ce mal que la guérisseuse ne sait nommer est sans doute le désir de puissance qui dévore le héros, le poussant à « vouloir posséder [Hélène] uniquement parce qu’elle passe pour être la plus belle de toutes les femmes » et « parce qu’en la possédant, il deviendrait le premier de tous les hommes43 ». Un tel désir conduit Pâris, dans la spirale destructrice de la guerre, à « march[er] sur des cadavres – pas des cadavres de Grecs ; des cadavres de Troyens44 ». « Toute sa vie durant il fut tenu de prendre une revanche après l’autre45 », diagnostique Cassandre. Cette interprétation psychologisante des mécanismes de compensation est conduite chez Pujade-Renaud au prisme d’un regard plus empathique, celui amoureux d’Œnonè elle-même :

Sans doute pour réparer l’atroce rejet premier
lui fallait-il ce don suprême
la plus belle femme connue
si prodigieusement belle
de n’être qu’une ombre46
[…]
Aucune de mes plantes
ni ma geste amoureuse
n’auront pu guérir
la blessure originelle
du reniement par les siens
enfant qui aurait dû périr de l’abandon ou dévoré
dans l’obscur des forêts47.

15Comme son avatar chez Pujade-Renaud, l’Œnonè de Wolf, quoique trahie, ignore la vengeance ou la rancœur. Ainsi se rend-elle immédiatement auprès de Pâris lorsque celui-ci, mourant, la réclame. Mais la guerre et ses violences radicales ont raison de celle qui incarne la plénitude des cycles naturels. Épouvantée par la découverte des extrémités que les humains peuvent s’infliger dans leur rage de destruction et leur avidité de victoire48, elle intègre la galerie romanesque des femmes rendues folles, aliénées par la sauvagerie des combats : « En voici une de plus […] dont le regard se fige49 », constate Cassandre. Le monde d’espérance et les revendications éthiques incarnés par la communauté du Mont Ida sont défaits par le triomphe de la fureur guerrière qui signifie seulement « massacres et désastres50 ».

16Le réinvestissement d’Œnonè sert manifestement le refus des catégories indexées à l’épique. Face à la binarité proposée par le monde de la cité (« tuer ou mourir »), l’Œnonè de Wolf est un personnage en quête d’une troisième voie (« vivre51 »), choix prôné par l’autrice depuis que celle-ci a progressivement pris ses distances avec le régime est-allemand et qu’elle privilégiera encore lors de l’absorption de la RDA par la RFA. Chez Pujade-Renaud, l’accent élégiaque des propos de la nymphe et les motifs pastoraux qui lui sont associés rappellent nettement la cinquième héroïde d’Ovide. L’univers d’Œnonè est un locus amoenus (« Ruissellement des sources / bruissantes autour de nous52 ») où l’on ne chasse que par nécessité et avec un profond respect de la vie. Le poème de Celles qui savaient réactive les valeurs d’amour et de paix dont la poésie pastorale est porteuse. Chez Ovide en effet, la lettre d’Œnonè à Pâris se caractérise par le rejet des catégories du registre épico-tragique. La nymphe ovidienne le souligne par deux fois : « mon amour est pour toi sans dangers : avec moi aucune guerre ne te menace53 » ; « je n’apporte point avec les Grecs toutes les fureurs de la guerre54 ». Jacqueline Fabre-Serris a analysé l’originalité de cette cinquième héroïde dans la réécriture de la guerre de Troie qu’elle constitue, en particulier par son opposition au traitement du sujet par Virgile :

Silencieux sur les exploits accomplis par la virtus des combattants, il [Ovide] n’évoque la guerre que du point de vue de ceux qui en subissent dans la vie les plus cruels effets : le texte n’est qu’une longue déploration sur le bonheur brisé d’une nymphe au cœur fidèle. […] À la suite des élégiaques, Ovide refuse de prendre pour modèle Virgile dont l’œuvre culmine, avec l’exaltation, dans L’Énéide, des valeurs héroïques célébrées comme le ferment de la cité et la condition de la domination romaine sur l’univers. Par un changement de perspective aussi ingénieux que provocant, l’Héroïde V réduit le plus illustre des conflits héroïques à n’être qu’un fond de scène sur lequel se détachent les bonheurs et les aléas de la vie pastorale […]. Ce qui relativise l’histoire du prince avec Hélène, le réduit à un simple adultère55.

17L’originalité du texte ovidien qui semble résonner dans les choix opérés dans Celles qui savaient tient aussi au point de vue adopté : une vision profondément subjective qui est celle d’une figure féminine. Car comme le remarque Évrard Delbey, « ce qui est nouveau, c’est que plus que d’autres œuvres de la poésie antique les Héroïdes semblent mettre l’individu au premier plan. Pour la première fois, des personnages mythologiques – des femmes essentiellement – prennent la parole, disent “je” sans être sur scène ou sans que leurs paroles soient introduites par un aède56 ».

18C’est donc aussi aux questions de la parole et du savoir féminins que nous convie le réinvestissement contemporain d’Œnonè.

De l’autonomie de la parole et du savoir d’Œnonè

19Les réécritures livrées par Wolf et Pujade-Renaud relèvent des entreprises contemporaines de révision des mythes qui visent à donner de l’épaisseur aux figures féminines mineures des textes fondateurs de la culture occidentale en les faisant passer au premier plan et, plus particulièrement, en réécrivant l’histoire de leur point de vue. Donner une voix aux femmes de l’ombre, faire entendre une « parole de femme57 » (Annie Leclerc) face à une culture masculine dominante qui assigne les femmes au silence dans la vie publique et dans le domaine de la création où elles sont parlées par les hommes58, c’est réviser (voire corriger) l’histoire en montrant la contribution prépondérante à la civilisation apportée par l’autre moitié de l’humanité et en proposant des modèles féminins. La réception créatrice des mythes le permet particulièrement, ceux-ci étant des matériaux transgénériques et des outils de symbolisation collectifs.

20Qu’en est-il d’Œnonè, cette figure mineure qui n’apparaît pas dans les œuvres devenues canoniques du corpus épique (Homère, Virgile) ou des principaux dramaturges tragiques (Eschyle, Euripide, Sophocle, Sénèque) ? Avant Ovide, l’énonciation à la première personne semble lui avoir été refusée (Lycophron, Parthénios de Nicée). Mais le potentiel élégiaque de son histoire conduit le poète latin à lui donner la parole dans un genre nouveau et hybride, empruntant à plusieurs formes : l’éthopée (délibération rhétorique conduite par un personnage mythologique ou historique), la lettre en vers (distiques élégiaques), le monologue d’inspiration tragique (poème fait pour être lu) empruntant son sujet à l’épopée mais en le traitant à la marge. On sait combien fut novatrice, face à l’ordre moral voulu par Auguste, l’expression directe du désir féminin que traduisent nombre d’Héroïdes59. Dans la lignée d’Ovide, c’est à la voix d’Œnonè qu’André Destouches consacre sa Cantate à voix seule (1716). Modulée à la première personne, la plainte de la nymphe se déploie aussi dans le célèbre poème d’Alfred Tennyson, tout comme elle constitue le deuxième monologue poétique du recueil de Claude Pujade-Renaud.

21Le texte hybride de Wolf lui-même situé au carrefour des genres narratif et théâtral60 présente, dans le traitement d’Œnonè, une alternance entre énonciations directe et indirecte (déjà à l’œuvre chez Quintus de Smyrne), les paroles de la protagoniste rapportées au discours direct restant néanmoins rares. C’est que Cassandre est la principale énonciatrice et l’héroïne éponyme d’un récit où, au seuil de la mort, elle rapporte sa version de la guerre de Troie. La situation diffère chez Pujade-Renaud dans la mesure où Celles qui savaient constitue un recueil poétique. Toutefois, si la voix d’Œnonè s’y fait bien entendre à la première personne, le monologue poétique qui lui est confié n’en est pas moins l’un des plus courts d’un ouvrage dans lequel la nymphe n’a pas non plus le statut d’héroïne éponyme. La parole de la naïade ne trouve son sens que dans la construction d’un ensemble, où chacune des cinq figures féminines accède à la première personne dans des discours fédérés par les questions du savoir et de la parole publique, cette dernière ayant une portée politique majeure dans la mesure où les assignations de genre cantonnent les femmes à la sphère du privé dans un système structurel où le masculin détient le monopole de l’action publique et de l’accès aux fonctions d’autorité. Or, les locutrices de Celles qui savaient ont en commun d’énoncer des vérités que les hommes ne veulent pas entendre (ou qui ne sont admises que trop tard, une fois la catastrophe advenue : la guerre de Troie ; la guerre fratricide entre Étéocle et Polynice à Thèbes). Leur voix et leur lucidité contredisent les versions officielles qui affirment leur ignorance, leur incapacité et leur infériorité. Toutes les cinq paient leur clairvoyance et leur discernement par leur éloignement, voire leur transformation en animal (dans le cas d’Okyrrhoè), c’est-à-dire par leur rejet du champ politique sur lequel les hommes continuent à régner. Mais, à travers les propos des locutrices61, savoir et sagesse n’en sont pas moins déplacés du masculin vers le féminin grâce à une série de permutations et de repolarisations de genre.

22Celles qui savaient peut ainsi être lu comme une variation dans la littérature de l’extrême contemporain sur la constitution d’un répertoire généalogique féminin ou d’une galerie de modèles associés au champ du savoir traditionnellement dénié aux femmes. On peut donc estimer que le recueil de Claude Pujade-Renaud s’inscrit dans la lignée de l’œuvre pionnière de Christine de Pizan (Le Livre de la Cité des Dames, 1404) et des écrits philogynes de la Querelle des femmes62 (citons pour exemples Madeleine de Scudéry, Les Femmes illustres ou les Harangues héroïques [1644], Pierre Le Moyne, La Gallerie des femmes fortes [1647], Benito Jerónimo Feijoo, Defensa de las mujeres [1726] ou Felicia Hemans, Records of Woman [1828]). Développant un contre-récit collectif et choral face aux représentations traditionnelles et à l’écriture de l’Histoire, l’entreprise conduite par Claude Pujade-Renaud s’apparente à des œuvres contemporaines ou ultra-contemporaines comme Les Guérillères (1969) de Monique Wittig, Figures d’égarées (1989) et Cantate à sept voix (2009) de Sylviane Dupuis ou The World’s Wife de Carol Ann Duffy (1999) qui sont autant d’exemples de reconfigurations à l’ère des réparations63 de la forme littéraire des catalogues de figures féminines.

23Figure mineure dans la littérature antique, Œnonè conserve néanmoins ce statut second dans les actualisations allemande et française ici considérées. Même chez Pujade-Renaud où elle s’exprime à la première personne, elle reste dans l’ombre d’une figure de la parole et du savoir plus conséquente et plus puissante consacrée par la tradition littéraire, celle de la princesse-prophétesse du mythe troyen, dont la voix se fait entendre dès l’ouverture du volume. Il est à ce titre significatif que les premiers mots prononcés par Œnonè dans son monologue donnent la préséance à Cassandre :

Cassandre fille de roi
et moi la nymphe des bois
nous avions prédit la guerre
et son cortège d’épouvante64.

24De tels vers liminaires n’ont pas que fonction de lien dans un recueil savamment construit. Figure de sachante à la connaissance minorée ou ignorée, Œnonè peut apparaître comme une variante affadie de Cassandre dont le principal rôle est de chanter les valeurs de l’harmonie et de la paix :

De moi il [Pâris] tenait cette loi
j’avais su le préserver
de la jouissance du meurtre65.

25Sa dimension secondaire est plus nette encore chez Wolf dans un monologue narratif entièrement énoncé par Cassandre elle-même. Il semble significatif que le motif des prophéties d’Œnonè disparaisse comme s’il n’y avait de place dans Kassandra que pour une seule figure de voyante. C’était déjà le cas chez Lycophron dans Alexandra (où le monologue de Cassandre se déploie sur plus d’un millier de vers), chez Ovide où la prophétie de Cassandre sur la catastrophe à venir est intégrée au discours direct dans la lettre d’Œnonè (prophétie également rapportée par Pâris dans la XVIe héroïde, lettre que celui-ci adresse à Hélène) ou dans le poème de Tennyson. Dans les versions de l’histoire d’Œnonè que nous avons recueillies, seul le texte de Pujade-Renaud contrevient donc à ce mode opératoire puisque la nymphe, dans sa proximité revendiquée avec Cassandre, est bien aussi une visionnaire, mais qui manifeste toutefois une épaisseur moindre en termes de savoir et de parole que la protagoniste issue du corpus homérique. L’Œnonè de Celles qui savaient demeure en effet dans l’ombre d’une figure que le chœur eschyléen d’Agamemnon, pris de pitié face à l’ampleur exceptionnelle de sa connaissance totale du temps (passé, présent, avenir), avait qualifiée de « femme trop savante66 ».

Conclusion

26Le réinvestissement de la figure relativement obscure d’Œnonè dans deux reconfigurations contemporaines du mythe troyen va bien au-delà du plaisir intertextuel, du jeu littéraire et savant. Dans une perspective de révision des mythes (revisionist mythmaking), il s’agit sans doute pour Christa Wolf et Claude Pujade-Renaud de revisiter un pan de la guerre de Troie relativement oublié parce que situé à l’écart du théâtre des combats : celui d’une « chronique amoureuse67 » du conflit écrite d’un point de vue féminin de non-combattante et de victime, chronique détachée des catégories héroïques de l’épique mais sur laquelle celles-ci retentissent toutefois inévitablement.

27Faire place à Œnonè dans la littérature contemporaine68 permet d’ajouter une voix et une histoire individualisées aux représentations d’un féminin pluriel afin d’amplifier la dénonciation d’une domination patriarcale génératrice de déliaison, voire d’exclusion, et d’exprimer des revendications d’ordre éthique et politique visant à renouveler la pensée du commun et de la communauté69. Dans ce cadre et en raison des liens étroits qu’elle entretient avec le registre pastoral, la figure de la nymphe troyenne incarne particulièrement bien la recherche de l’harmonie naturelle et les valeurs pacifiques. Elle reste cependant une « mineure » au sens deleuzien du terme70 qui, dans la fiction de Wolf surtout, manque de complexité et d’épaisseur et tend à l’allégorie. C’est que le projet des deux autrices n’est manifestement pas de faire d’Œnonè une héroïne de premier plan, mais de l’intégrer à un ensemble affirmant la sororité71 (qui peut prendre une forme chorale comme Celles qui savaient en offre une illustration emblématique), répertoire ample figurant tant la pluralité féminine qu’une communauté de valeurs et de destins. Les configurations collectives que déploient le roman de Wolf et le recueil de Pujade-Renaud ont donc pour fonction non seulement de valoriser des voix féminines minorées (en cela elles participent de l’entreprise contemporaine de constitution d’un matrimoine72), mais aussi de proposer des formes alternatives de partage visant à une redéfinition du commun.

Notes

1 Michèle Biraud, Dominique Voisin, Arnaud Zucker et alii, « Commentaire », dans Parthénios de Nicée, Passions d’amour, texte grec établi et commenté par Michèle Biraud et alii, Grenoble, Jérôme Millon, 2008, p. 104.

2 Voir Jean-Pierre Néraudau, « Situation d’Ovide », dans Ovide, Lettres d’amour. Les Héroïdes, édition de Jean-Pierre Néraudau, traduction de Théophile Baudemont, Paris, Gallimard, coll. « Folio Classique », 1999, p. 225.

3 Œnonè est également convoquée par Natalie Haynes dans sa toute récente fiction homérique intitulée A Thousand Ships (London, Mantle, 2019). Dans un dispositif choral que domine la voix de la muse Calliopé, la romancière fait entendre nombre de voix féminines pour donner une version au féminin de la guerre de Troie. Œnonè y emblématise la résilience manifestée par les veuves en temps de guerre en tant que forme oubliée ou dévalorisée d’un héroïsme du quotidien.

4 À cette figure mythique aujourd’hui largement ignorée du grand public, certains dictionnaires de mythologie accordent néanmoins une place dans les épisodes relatifs aux premières amours de Pâris. Ainsi, outre le Dictionnaire de mythologie grecque et romaine de Pierre Grimal (Paris, PUF, 1951, p. 327), le Dictionnaire de mythologie classique de H. Aubert (Paris, Vuibert, 1927, p. 144) consacre une entrée au destin tragique de la nymphe. Une place plus importante est faite à Œnonè dans The Oxford Guide to Classical Mythology in the Arts. 1300-1990s (Jane Davidson Reid, with the assistance of Chris Rohmann, New York / Oxford, Oxford University Press, 1993, p. 820-821). En revanche, la figure est absente du dictionnaire d’Elisabeth Frenzel (Stoffe der Weltliteratur, Stuttgart, Alfred Kröner Verlag, 9. Auflage, 1998) ainsi que des dictionnaires dirigés par Pierre Brunel (Dictionnaire des mythes littéraires, Monaco, Rocher, 1988 et Dictionnaire des mythes féminins, Monaco, Rocher, 2002).

5 Alicia Ostriker, « The Thieves of Langage: Women Poets and Revisionist Mythmaking », Signs, vol. 8, no 1 (Autumn, 1982), p. 68-90.

6 Christa Wolf, « De Cassandre à Médée » (mai 1997), trad. par Nicole Bary, dans Marie Goudot (dir.), Cassandre, Paris, Autrement, 1999, p. 130.

7 Medea. Stimmen date de 1996.

8 Christa Wolf, « Literaturnachweise », dans Voraussetzungen einer Erzählung : Kassandra, Frankfurt am Main, Suhrkamp Verlag, 2008, p. 241-246.

9 Gérard Genette, Seuils, Paris, Le Seuil, 1987.

10 Sur l’usage fait par Christa Wolf dans Kassandra de The Greek Myths (1955) de Robert Graves, voir dans ce même atelier en ligne l’article d’Élodie Coutier « De l’Iliade au roman contemporain : le rôle médiateur des traductions et des recueils mythographiques ». The Greek Myths rapporte l’histoire d’Œnonè au chapitre 159 qui est consacré à Pâris et Hélène.

11 Robert Graves a publié The White Goddess en 1948.

12 Ch. Wolf, Voraussetzungen einer Erzählung : Kassandra, op. cit., p. 173.

13 Voir Alain Lance, Coupures de temps, Éditions Tarabuste, 2015, p. 151-152.

14 Parthénios de Nicée, Apollodore, Quintus de Smyrne. Ovide indique simplement qu’elle est « fille d’un grand fleuve » (Lettres d’amour. Les Héroïdes, op. cit., p. 70).

15 Claude Pujade-Renaud, Celles qui savaient, Arles, Actes Sud, 2000, p. 25.

16 Ibid., p. 28.

17 Christa Wolf, Cassandre. Les Prémisses et le récit, trad. Alain Lance et Renate Lance Otterbein, Paris, Stock, 1994, p. 321 ; Kassandra. Erzählung, München, Luchterhand Literaturverlag, 2000 : « Oinone, die nach Meinung der Dienerschaft in ihrem früheren Leben eine Wassernymphe gewesen sein sollte […] », p. 70. Toutes les citations proviennent désormais de cette édition.

18 Ibid., p. 316 ; « der Übertritt aus der Palastwelt in die Welt der Berge und Wälder », ibid., p. 66.

19 Pâris est atteint par une des flèches imprégnées de poison tirées par le héros grec Philoctète (celui-ci était le dépositaire de l’arc et des flèches trempées dans le sang de l’hydre de Lerne ayant appartenu à Héraclès). De cette blessure mortelle, seule Œnonè aurait pu le sauver.

20 C. Pujade-Renaud, Celles qui savaient, op. cit., p. 27.

21 Ovide, Lettres d’amour. Les Héroïdes, op. cit., p. 76.

22 Ce trait caractérise aussi l’héroïne éponyme de Medea. Stimmen. Les quatre conférences non fictionnelles de Kassandra traitent également de la question du savoir des femmes.

23 C. Pujade-Renaud, Celles qui savaient, op. cit., p. 26.

24 Parthénios de Nicée, Passions d’amour, op. cit., p. 101.

25 Quintus de Smyrne, La Suite d’Homère, t. 3, texte établi et traduit du grec par Francis Vian, Paris, Les Belles Lettres, 1969, p. 27.

26 Ibid., p. 35.

27 Ovide, Lettres d’amour. Les Héroïdes, op. cit., p. 70.

28 Ibid., p. 73.

29 Quintus de Smyrne, La Suite d’Homère, op. cit., p. 29.

30 M. Biraud, D. Voisin, A. Zucker et alii, « Commentaire », dans Parthénios de Nicée, Passions d’amour, op. cit., p. 266.

31 Christa Wolf condamne les représentations idéologiques de genre qui irriguent nombre de discours sur les désordres et les excès de la passion amoureuse féminine et montre, en revisitant la matière mythique troyenne ou la geste des Argonautes, que de tels stéréotypes fonctionnent comme des instruments de domination masculine induits par le système patriarcal. Ainsi, dans sa reconfiguration de la figure de Médée, Christa Wolf se livre à la « transmotivation » (Gérard Genette, Palimpsestes, Paris, Le Seuil, 1982, p. 386) d’un motif mis en place par Euripide qui a connu une réception considérable en Occident, celui de la jalousie amoureuse. « Dans des relations à peu près matriarcales entre femmes, la jalousie à cause d’un homme n’existe pas », a-t-elle déclaré (Petra Kammann, « Pourquoi Médée ? Entretien avec Christa Wolf », trad. Gisella Hauer et Didier Plassard, propos recueillis le 25/01/1996, dans La Dimension mythique de la littérature contemporaine, La Licorne, textes réunis et présentés par Ariane Eissen et Jean-Paul Engélibert, Université de Poitiers, 2000, p. 45). Dès Kassandra (voir les quatre premières conférences de poétique), Wolf est séduite par l’idée d’une dégradation historique du statut social des femmes correspondant au passage d’une organisation matriarcale (plus égalitaire, plus respectueuse, moins tournée vers la guerre, la conquête, la dévastation) à une organisation patriarcale (hiérarchique et dominatrice, qui traite les femmes en mineures).

32 C. Pujade-Renaud, Celles qui savaient, op. cit., p. 27.

33 Ibid.

34 C. Wolf, Cassandre, op. cit., p. 309 ; « mein wirkliches Heim », dans Kassandra. Erzählung, op. cit., p. 60.

35 « Là, enfin, j’avais le “nous” », ibid., p. 415 ; « Da, endlich, hatte ich mein ‘Wir’ », ibid., p. 147.

36 Dans son ouvrage intitulé Gemeinschaft und Gesellschaft (1887), Ferdinand Tönnies oppose la Gemeinschaft (« communauté » véritable, cimentée par des liens organiques) à la Gesellschaft (« société » où les relations sont artificielles, inspirées par l’esprit de calcul et la rationalité, marquées par le triomphe de l’individualisme). Ce couple Gemeinschaft / Gesellschaft joue un rôle structurant dans la pensée sociologique au xxe siècle.

37 La pratique du chant, de la musique et de la danse que développent les femmes de la communauté du Mont Ida rappelle un motif central de la poésie pastorale et des utopies.

38 Ch. Wolf, Cassandre, op. cit., p. 426 ; « manche jungen Männer, die an Körper oder Seele durch den Krieg beschädigt waren », dans Kassandra. Erzählung, op. cit., p. 156.

39 Ibid., p. 429 ; « in die finstere Gegenwart […] einen schmalen Streifen Zukunft vorzuschieben », ibid., p. 159.

40 Ibid., p. 430 ; « Sie blieb, wie der Natur, im Wechsel immer gleich », ibid., p. 160.

41 Ibid., p. 419 ; « Schwach, Bruder, schwach. Ein Schwächling », ibid., p. 151.

42 « La maladie de Pâris lui était inconnue, et cela lui faisait peur », ibid., p. 321 ; « Die Krankheit des Paris sei ihr unbekannt und machte ihr Angst », ibid., p. 70.

43 Ibid., p. 321 ; « Nur besitzen will, weil sie angeblich die schönste aller Frauen sei ? Weil er durch ihren Besitz der erste aller Männer werde ? », ibid., p. 70.

44 Ibid., p. 381 ; « der gehe über Leichen – nicht Griechenleichen ; Troerleichen », ibid., p. 120.

45 Ibid. ; « Eine Scharte nach der andern hatte der auszuwetzen, sein Leben lang », ibid.

46 C. Pujade-Renaud, Celles qui savaient, op. cit., p. 28.

47 Ibid., p. 29.

48 C. Wolf, Cassandre, op. cit., « il n’existe aucune limite aux horreurs que les hommes commettent les uns contre les autres » p. 408 ; « daß es für die Greuel, die Menschen einander antun, keine Grenze gibt », dans Kassandra. Erzählung, op. cit., p. 141.

49 Ibid., p. 431 ; « Wieder eine, dacht ich, die mit diesem starren Blick geschlagen ist », ibid., p. 160.

50 C. Pujade-Renaud, Celles qui savaient, op. cit., p. 25.

51 C. Wolf, Cassandre, op. cit., p. 407 ; « Zwischen Töten und Sterben, ist ein Drittes : Leben », dans Kassandra. Erzählung, op. cit., p. 141.

52 C. Pujade-Renaud, Celles qui savaient, op. cit., p. 26.

53 Ovide, Lettres d’amour. Les Héroïdes, op. cit., p. 70.

54 Ibid., p. 76.

55 Jacqueline Fabre-Serris, « L’Héroïde V d’Ovide. Variation sur un topos de la poésie romaine : l’opposition monde pastoral / monde héroïque », dans Jacqueline Fabre-Serris et Alain Deremetz (dir.), Élégie et épopée dans la poésie ovidienne (Héroïdes et Amours). En hommage à Simone Viarre, Villeneuve d’Ascq, Université Charles-de-Gaulle Lille III, coll. « UL3 Travaux et recherches », 1999, p. 49-50.

56 Évrard Delbey, Héroïdes d’Ovide, Paris, Atlante, 2005, p. 17.

57 Annie Leclerc, Parole de femme, Paris, Éditions Grasset et Fasquelle, 1974. Signalons que l’autrice a consacré une fiction au point de vue de Pénélope (Toi, Pénélope, Arles, Actes Sud, 2001).

58 Voir à ce sujet l’article de l’anthropologue Ida Magli, « Pouvoir de la parole et silence de la femme » [« Donna Woman Femme », 1976], trad. de l’italien par J. Anzilotti et J. de Groote, https://www.persee.fr/doc/grif_0770-6081_1976_num_12_1_1079 (consulté le 30 mars 2021).

59 Voir Jean-Pierre Néraudau, Ovide ou les dissidences du poète, Paris, Les InterUniversitaires, 1989, p. 19-26.

60 Kassandra, œuvre polygénérique, joue du brouillage et du franchissement des frontières entre les formes littéraires. La fiction narrative (la cinquième conférence) consiste en un unique monologue de Cassandre et fait suite à quatre conférences relevant de genres divers : récit de voyage, journal de travail, lettre. Ce monologue de Cassandre se prête facilement à la mise en scène (citons par exemple l’adaptation française réalisée par Hervé Loichemol en 2015 avec Fanny Ardant dans le rôle de l’héroïne éponyme). En effet, il s’approche des « paroles solitaires » qui constituent l’« une des constantes du théâtre contemporain » (Florence Fix, « Avant-propos », dans Florence Fix et Frédérique Toudoire-Surlapierre, Le Monologue au théâtre (1950-2000). La parole solitaire, Dijon, Éditions Universitaires de Dijon, 2006, p. 7). Bâties autour d’un unique énonciateur, ces pièces monologales « di[sent] et répèt[ent] le manque, l’absence de l’autre, mais aussi la dépossession du langage qu’implique cette énonciation » (ibid., p. 8) ; elles influent sur la conception de l’action dramatique en en instaurant une « architecture non-actionnelle, mais narrative » (ibid., p. 11).

61 Sur la parole au féminin, renvoyons aussi à l’historienne Mary Beard, Women and Power: A Manifesto, London, Profile Books Ltd, 2017.

62 Sur la Querelle des femmes (appellation apparue dans la critique aux alentours de 1880), nous renvoyons principalement aux publications suivantes : Joan Kelly, « Early Feminist Theory and the ‘Querelle Des Femmes’, 1400-1789 », Signs, vol. 8, no 1, 1982, p. 4-28 ; Margarete Zimmermann, « Querelle des femmes, querelles du livre », dans Dominique de Courcelles et Carmen Val Julian (dir.), Des femmes et des livres : France et Espagne, xive-xviie siècles, Publication de l’École Nationale des Chartes, 1999, p. 79-94 ; Revisiter la Querelle des femmes (collectif), Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 4 volumes, 2012, 2013 et 2015. Voir aussi la rubrique « Revisiter la Querelle des femmes » sur le site de la SIEFAR : http://siefar.org/revisiter-la-querelle-des-femmes/ (consulté le 26 mars 2021).

63 Voir, par exemple, Alexandre Gefen, Réparer le monde. La littérature française face au xxie siècle, Paris, Éditions Corti, coll. « Les essais », 2017.

64 C. Pujade-Renaud, Celles qui savaient, op. cit., p. 25.

65 Ibid., p. 26.

66 Eschyle, Agamemnon, v. 1295, dans L’Orestie, texte établi et traduit par Daniel Loayza, Paris, Flammarion, coll. « GF », 2001, p. 151.

67 É. Delbey, Héroïdes d’Ovide, op. cit., p. 34.

68 Comme le fait aussi A Thousand Ships, le roman de Natalie Haynes déjà mentionné.

69 Sur ce point, nous renvoyons à Jean-Luc Nancy, La Communauté désœuvrée, Paris, Christian Bourgois, 1986 et à Giorgio Agamben, La Communauté qui vient. Théorie de la singularité quelconque [La comunità qui viene, 1990], trad. Marilène Raiola, Paris, Le Seuil, 1990 ou Jacques Rancière, Politique de la littérature, Paris, Galilée, 2007.

70 Dans la pensée deleuzienne, le « mineur » s’oppose au « majeur » en tant que ce dernier constitue la « constante idéale », le « mètre-étalon » en matière de normes sociales et de relations de domination. Voir Gilles Deleuze, « Philosophie et minorité », Critique, no 369, Paris, Minuit, février 1978, p. 154.

71 Sur cette valeur fondamentale dans la pensée féministe qui s’affirme dans les années 1970-1980, voir l’ouvrage considéré comme fondateur de Robin Morgan : Sisterhood Is Powerful. An Anthology of Writings from the Women’s Liberation, New York, Random House, 1970.

72 Le matrimoine désigne l’héritage culturel des femmes et des créatrices. Il s’agit d’un terme emprunté au vocabulaire juridique utilisé au xive siècle et en vigueur jusqu’aux xvie et xviie siècles pour désigner l’héritage transmis par la mère.

Pour citer ce document

Véronique Léonard-Roques, « Revisiter une figure mineure du mythe troyen dans la littérature contemporaine : l’exemple d’Œnonè chez Christa Wolf et Claude Pujade-Renaud » dans Réception créatrice contemporaine des mythes et grands récits de l’Antiquité,
dir. par Ariane Ferry et Véronique Léonard-Roques

© Publications numériques du CÉRÉdI, « Les Carnets comparatistes du CÉRÉdI », n° 1, 2021

URL : http://publis-shs.univ-rouen.fr/ceredi/index.php?id=1116.

Quelques mots à propos de :  Véronique Léonard-Roques

Université de Brest
HCTI, UR 4249
Véronique Léonard-Roques est professeure des universités en littérature générale et comparée à l’université de Bretagne occidentale (Brest). Ses recherches portent particulièrement sur la réception des mythes, l’écriture de l’Histoire et des interactions sociales, les études de genre (gender). Elle a consacré deux monographies à l’étude du mythe de Caïn et Abel (Caïn, figure de la modernité, Paris, Champion, 2003 ; Caïn et Abel. Rivalité et responsabilité, Monaco, Rocher, 2007). Elle a notamment dirigé ou co-dirigé les volumes collectifs suivants : Figures mythiques. Fabrique et métamorphoses (Clermont-Ferrand, PUBP, 2008), Le Fils prodigue et les siens. xxe et xxie siècles (Paris, Éditions du Cerf, 2009) et Cassandre, figure du témoignage (Paris, Kimé, 2015).