Réception créatrice contemporaine des mythes et grands récits de l’Antiquité

dir. par Ariane Ferry et Véronique Léonard-Roques

Responsables scientifiques

Ariane Ferry (Université Rouen-NormandieCÉRÉdI) et Véronique Léonard-Roques (Université de Bretagne Occidentale, Brest, HCTI)

Comité de lecture 

Ariane Eissen (Université de Poitiers)
Ariane Ferry (Université de Rouen-Normandie)   
Chantal Foucrier (Université de Rouen-Normandie)        
Ute Heidmann (Université de Lausanne)    
Sylvie Humbert-Mougin (Université de Tours)    
Dimitri Kasprzyk (Université de Brest)     
Claire Lechevalier (Université de Caen)  
Véronique Léonard-Roques (Université de Brest)           
Andrea Oberhuber (Université de Montréal)

Genèse et perspectives du carnet de recherche

Ce carnet de recherche en ligne consacré à la « Réception créatrice contemporaine des mythes et grands récits de l’Antiquité » trouve son origine dans l’atelier éponyme proposé lors du VIIIe Congrès de la Société Européenne de Littérature Comparée / European Society of Comparative Literature (ESCL/SELC) intitulé « Littératures, échanges culturels et transmission de savoirs et de créations : passé, présent et avenir ». Placée sous la direction de Fiona McIntosh et de Karl Zieger, cette manifestation s’est tenue à l’Université de Lille du 28 au 31 août 2019.
Les premiers textes publiés dans ce carnet sont issus des travaux de mythocritique [1] effectués dans ce cadre initial, mais aussi des sollicitations que nous avons adressées à de jeunes docteurs en littérature comparée. Nous espérons que d’autres articles pourront prochainement les rejoindre pour venir renforcer ce chantier de réflexions dans une entreprise ouverte et collective de work in progress.

Comment proposer un article

Les propositions d’article (argumentaire de 2 000 signes maximum) accompagnées d’une courte bio-bibliographie sont à adresser à Ariane Ferry (ariane.ferry@univ-rouen.fr) et Véronique Léonard-Roques (veronique.leonard@univ-brest.fr).
Les articles seront évalués par le comité de lecture avant publication.

Problématique et pistes de réflexion

Alors que la voie des humanités classiques séduit de moins en moins d’étudiants dans les universités et que ce phénomène de désaffection menace à terme la transmission de savoirs philologiques accumulés depuis des siècles, mais aussi le renouvellement des interprétations sur les grands textes hérités de l’Antiquité, certains de ces textes (tragédies et épopées grecques et romaines ou récits historiques), fondateurs dans le développement des mythes littéraires, mais aussi dans la constitution d’un imaginaire héroïque et politique, n’en continuent pas moins à stimuler la création contemporaine dans nombre de genres littéraires et de productions artistiques [2].
La transmission et l’interprétation des mythes [3] et grands récits de l’Antiquité passent-elles aujourd’hui davantage par leur réécriture, leur adaptation, leur révision critique et ludique que par le travail philologique des spécialistes ? Pierre Judet de La Combe, dans une récente tribune du Monde (« Idées », 28/04/2018), constatait que, d’un côté, on pouvait observer une véritable « effervescence » contemporaine autour d’Homère dont les poèmes suscitaient l’« enthousiasme » à travers leurs recréations, mais que, d’un autre côté, les hellénistes les abordaient généralement avec une « incrédulité sourcilleuse », et il finissait par déplorer « un conformisme intellectuel pesant quand ils [ces hellénistes] répètent inlassablement depuis des décennies qu’après tout l’Iliade et l’Odyssée ne sont pas vraiment des poèmes construits, des patchworks », se méfiant de cette « poésie orale […] alors qu’elle est stupéfiante ». Stupéfiante et stimulante, notamment pour la création théâtrale contemporaine… On observe par ailleurs que, parmi les romanciers et essayistes contemporains qui fictionnalisent ou s’approprient, de manière personnelle et parfois autobiographique, cette matière antique, il y a des universitaires et des enseignants classicistes, conscients peut-être que la transmission traditionnelle est en crise et qu’elle se joue ailleurs aujourd’hui que dans les classes et amphithéâtres (Valerio Manfredi, Madeline Miller, Daniel Mendelsohn, William Marx, Sylviane Dupuis etc.)
Ce carnet propose donc une réflexion collective autour des modalités et enjeux de la transmission contemporaine des mythes et grands récits antiques et de leur réception à l’aune des changements de paradigmes socio-culturels et d’imaginaire. Car, comme l’a récemment remarqué Emmanuel Laurentin lors des Deuxièmes États généraux de l’Antiquité (Sorbonne, 8 et 9 juin 2018), l’Antiquité aujourd’hui « est d’abord le miroir de nos désirs, de nos fantasmes, c’est une grande toile tendue sur laquelle chacun peut projeter ses références » (article d’Agathe Moissenet, Le Monde des Livres, 29/06/2018).
Il accueille et accueillera des contributions sur toutes les formes d’adaptation (transmodalisation, hybridité générique et intermédialité) et de réécritures d’épisodes mythiques configurés dans la tragédie ou l’épopée (grecque / latine), mais aussi de réécritures ou de transformations (traductions nouvelles assorties de commentaires) des grands récits épiques et historiques à la source du canon occidental (Homère, Virgile, mais aussi Plutarque, par exemple).
Les articles ici rassemblés mettent en perspective les enjeux idéologiques, herméneutiques, éthiques et esthétiques de cette réception créatrice pour interroger la capacité des œuvres contemporaines à transmettre les grandes œuvres antiques et à assurer leur rayonnement. Si tout mythe littéraire vit de la transformation, de la contestation, de la révision idéologique (revisionist mythmaking [4]), mais aussi de la remédialisation de quelques textes fondateurs, les productions contemporaines qui actualisent, détournent, tronquent et manipulent ces récits peuvent peut-être parfois rendre incompréhensible toute une tradition d’interprétation. Nous proposons donc aussi d’examiner l’évaluation d’exemples de cette réception créatrice contemporaine dans des essais ou articles de presse, afin de mesurer comment évolue, sur les plans générique, poétique / esthétique, idéologique et éthique, notre rapport aux grands textes antiques.


[1] Sur la mythocritique, nous renvoyons par exemple aux travaux suivants : Pierre Brunel,Mythocritique. Théorie et parcours, Paris, Presses Universitaires de France, 1992 ; Danièle Chauvin et alii (dir.), Questions de mythocritique, Paris, Imago, 2005 ; Véronique Gély, « Pour une mythopoétique : quelques propositions sur les rapports entre mythe et fiction », SFLGC, bibliothèque comparatiste, 2006, URL : http://sflgc.org/bibliotheque/gely-veronique-pour-une-mythopoetique-quelques-propositions-sur-les-rapports-entre-mythe-et-fiction/?pdf=1591, page consultée le 12 avril 2021 ; Sylvie Parizet (dir.), Mythe et littérature, Nîmes, Lucie Éditions/SFLGC, coll. « Perspectives comparatistes », 2008 ; Véronique Léonard-Roques (dir.), Figures mythiques. Fabrique et métamorphoses, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise-Pascal, 2008 ; Ute Heidmann, Maria Vamvouri Ruffy et Nadège Coutaz (dir.), Mythes (re)configurés. Création, dialogues, analyses, Lausanne, collection du CLE, 2013 accessible en ligne : https://www.unil.ch/lleuc/home/menuinst/publications/collection-du-cle.html, page consultée le 12 avril 2021.

[2] Parmi les études récentes consacrées à cette fécondité : Emily Greenwood and Barbara Graziosi, Homer in the Twentieth Century : Between World Literature and the Western Canon, Oxford, Oxford University Press, 2007 ; Véronique Gély, « Les Anciens et nous : la littérature contemporaine et la matière antique », Bulletin de l’Association Guillaume Budé, 2009/2 et « Partages de l’Antiquité : un paradigme pour le comparatisme », Revue de Littérature Comparée, 2012/4, no 344 ; Mélanie Bost-Fiévet et Sandra Provini (dir.), L’Antiquité dans l’imaginaire contemporain, Paris, Classiques Garnier, 2014 ; Véronique Krings et Catherine Valentini (dir.), L’Antiquité imaginée. Les références antiques dans les œuvres de fiction (XXe-XXIe siècles), Bordeaux, Ausonius, 2019 ; Fiona Cox and Elena Theodorakopoulos (eds.), Homer’s Daughters. Women’s Responses to Homer in the Twentieth Century and Beyond, Oxford, Oxford University Press, 2019 ; Claire Lechevalier et Brigitte Poitrenaud-Lamesi (dir.), Un besoin d’Homère (de la fin du XXe siècle à aujourd’hui), actes du colloque des 15 et 16 octobre 2020, Université de Caen, à paraître.

[3] Nous empruntons à Véronique Gély la définition suivante du « mythe » : « Tradition, image, scénario ou récit reconnus et répétés au sein d’une communauté humaine » (V. Gély, « Les sexes de la mythologie. Mythes, littérature et gender », dans Anne Tomiche et Pierre Zoberman (dir.), Littérature et identités sexuelles, Paris, SFLGC, coll. « Poétiques comparatistes », 2007, p. 48).

[4] Alicia Ostriker, « The Thieves of Language: Women Poets and Revisionist Mythmaking », Signs, 8, 1982.

Logos

Réception créatrice contemporaine des mythes et grands récits de l’Antiquité

Le geste de la transmission au risque du marketing

Ariane Eissen et Sylvie Humbert-Mougin


Texte intégral

1Par un paradoxe souvent relevé, les textes de l’Antiquité n’ont jamais été à la fois aussi absents et présents dans le monde contemporain. Absents, puisque désormais ils ne sont plus lus en langue originale, à l’heure où l’enseignement du latin et du grec, dans le secondaire, s’adresse à un nombre réduit d’élèves et s’oriente vers l’histoire culturelle, davantage que vers l’étude des œuvres ; à l’heure où les chaires de grec ancien disparaissent des universités de province, après des siècles d’existence. Mais présents, malgré tout, puisque les théâtres programment les tragédies grecques et latines, ou des performances inspirées des épopées antiques, tandis que les éditeurs favorisent des manuels grand public (la mythologie pour les nuls…) ou de nouvelles traductions dans des recueils à visée encyclopédique (les romans grecs et latins).

2Dans une tribune récente parue dans Le Monde (28 avril 2018), intitulée « Pourquoi Homère reste d’une brûlante actualité », l’helléniste Pierre Judet de la Combe commence par renvoyer dos à dos tant l’horizon d’attente des lecteurs non avertis que les crispations savantes des spécialistes. Les premiers sont moqués pour croire

qu’Homère serait un maître incomparable de sagesse et d’humanité : il aurait déjà tout dit, il apprendrait aux mortels à se contenter de leur destin ou qu’il est mieux d’avoir un chez-soi et sa famille, comme Ulysse, ou encore qu’il faut se prémunir contre l’hubris féroce d’un Achille et ne pas aller trop loin dans la violence […]. Si Homère était cela, ce moralisateur tranquille, on ne le lirait tout simplement plus.

3Mais les seconds sont taxés du même « conformisme intellectuel », eux à qui leur connaissance du caractère composite et en partie artificiel des épopées attribuées à « Homère » interdirait de goûter « la fascination que produit une poésie orale élaborée », c’est-à-dire sa « puissance », dont ils se méfieraient, « alors qu’elle est stupéfiante ».

4Pour échapper à cette double impasse, Pierre Judet de La Combe propose de « s’intéresser à Homère aujourd’hui, [de] le lire avec passion, [d’]en faire la base d’œuvres nouvelles, [de] l’enseigner », en faisant le pari que « le récit épique, art du passé et sans attache, art du temps et de la lenteur sait démasquer toute simplification ». En réponse à cet appel, à notre place de commentatrices, et non de créatrices, nous nous sommes demandé lesquels, parmi les best-sellers récents inspirés de l’Antiquité, et plus particulièrement d’Homère, dont les auteurs se prévalaient d’une légitimité auctoriale due à une formation d’antiquisants ou à leur talent d’écrivains, remplissent avec succès le programme fixé par Pierre Judet de La Combe. Nous nous sommes donc penchées sur des objets hybrides a priori : se démarquant du pôle de la production massive par l’affichage des qualités scientifiques ou littéraires de leurs auteurs ; et sortant néanmoins des limites du pôle restreint par le succès rencontré.

5Nous verrons comment la présentation des ouvrages construit cette double image, de compétence auctoriale et d’accessibilité au plus grand nombre, avant de nous demander ce qui parvient des textes antiques dans ces réécritures contemporaines, qui s’en démarquent autant qu’elles les reprennent, puis de poser des critères d’évaluation de ce « geste de la transmission au risque du marketing ».

La World fiction mythologisante et ses stratégies éditoriales

6L’un des points de départ de notre réflexion nous a été fourni par Pascale Casanova dans son essai La République mondiale des lettres (1999) : à la fin du chapitre 5 intitulé « De l’internationalisme littéraire à la mondialisation commerciale », la sociologue évoque l’apparition d’une « world fiction » qui constituerait selon elle un trait nouveau du paysage éditorial ; elle entend par là des livres qui sont conçus d’emblée comme « des produits commerciaux destinés à la diffusion la plus large, selon des critères et des recettes esthétiques éprouvés1 », tels les campus novel façon David Lodge, les romans néo-coloniaux de Vikram Seth ou encore – et c’est bien sûr ce qui nous intéressera ici – « les récits mythologiques et les classiques antiques colorisés [qui] mettent à la portée de tous une “sagesse” et une morale revisitées2 ». Le constat de Pascale Casanova est corroboré par l’existence de collections éditoriales spécialisées dans ce type de récits mythologiques et visant – c’est la nouveauté – une diffusion très large, voire internationale, telle la collection « The Myths » de l’éditeur britannique Canonsgate ou bien encore la collection « Mythes du Monde » de Flammarion, créées l’une et l’autre en 2005, la seconde accueillant d’ailleurs en traduction française certains des ouvrages publiés par Canonsgate, notamment L’Odyssée de Pénélope de Margaret Atwood (The Penelopiad, 2005). Le lectorat jeunesse forme évidemment un « cœur de cible » privilégié qui appelle une déclinaison spécifique de ces récits mythologiques, tels les albums BD de la collection « La sagesse des mythes » créée chez Glénat en 2016 sous la direction de Luc Ferry (plus d’une vingtaine d’albums publiés à ce jour), collection dont le nom glose d’ailleurs exemplairement l’analyse de Casanova.

7Les réécritures homériques évoquées par Pierre Judet de La Combe dans sa tribune du Monde forment depuis quelques années un secteur à part entière de ce nouveau créneau éditorial : outre le texte de Margaret Atwood déjà mentionné, signalons le roman de l’Australien David Malouf Ransom (Une rançon, 2009) ; les deux romans de l’Américaine Madeline Miller, The Song of Achilles (2012) et Circé (2018) ; ceux de l’Italien Valerio Manfredi, Odysseus (en deux volumes, Il Giuramento, 2012 et Il Ritorno, 2013) ; Le Roman d’Ulysse de Simone Bertière (2017) ; le texte autobiographique de l’Américain Daniel Mendelsohn, An Odyssey. A Father, a Son and an Epic (2017). Toutes ces fictions homériques ont en commun d’être publiées chez des éditeurs de grande diffusion (Flammarion, Lattès, de Fallois, Mondadori, Knopf, Penguin), d’être signées par des auteurs bénéficiant d’une grande notoriété, tous primés ou multiprimés, et pour certains d’entre eux traduits dans de nombreuses langues étrangères.

8L’Américaine Madeline Miller représente un cas à la fois singulier et emblématique de cette nouvelle « niche » éditoriale : à la différence des autres auteurs cités plus haut, cette jeune professeure de lettres classiques est une nouvelle venue dans le champ littéraire lorsqu’elle publie en 2012 son premier roman The Song of Achilles (Le Chant d’Achille). L’obtention du prix Orange for fiction lui assure d’un coup un succès international impressionnant : le roman est à ce jour traduit en 25 langues. Cette trajectoire en forme de success story confirme pleinement le constat de Pascale Casanova : la « matière antique », pour reprendre l’expression de Véronique Gély3, est bel et bien devenue un filon éditorial rentable, en dehors même de la fantasy, ce qui décide de jeunes auteurs doués à en faire leur spécialité (leur fonds de commerce ?) ; ainsi M. Miller, qui avait annoncé une réécriture de Shakespeare, choisit finalement de revenir à Homère et aux mythes antiques pour son second roman, Circé, qui connaît une diffusion internationale encore plus rapide que le premier : traduit en français l’année même de sa parution aux États-Unis, en 2018, il est déjà disponible au format de poche (chez Pocket, depuis mai 2019).

9Explicite ou implicite, le principal argument de vente de ces fictions mythologiques est qu’elles garantissent l’accès à un savoir fondamental et pourtant perdu, ou à tout le moins menacé. Cette dimension pédagogique et patrimoniale est particulièrement soulignée dans le cas de la collection de BD « Sagesse des mythes » : le récit mis en images est suivi d’un cahier rédigé par Luc Ferry à qui revient d’expliciter, selon le descriptif de la collection, « les leçons de sagesse d’une incomparable profondeur » délivrées par les mythes grecs. Si le public visé n’est pas le même, le cahier des charges de la collection « Mythes du monde » de Flammarion n’est au fond guère différent ; il met également l’accent sur les vérités existentielles dont le récit mythique serait dépositaire :

Histoires universelles et intemporelles qui explorent nos désirs, nos peurs et nous rappellent ce qu’être humain signifie, les mythes sont autant de miroirs reflétant les ombres et les lumières de l’existence. Dans la collection « Mythes du monde », les plus grands auteurs contemporains nous livrent leur vision d’un mythe fondateur4.

10Ce prière d’insérer fait apparaître un autre argument marketing, celui de la légitimité de l’auteur. Ces récits fondateurs doivent être (rester ?) l’affaire « des plus grands auteurs », peut-être seuls autorisés à affronter une matière si intimidante. La quatrième de couverture de l’Odyssée de Pénélope souligne cette posture d’autorité à grand renfort de superlatifs, présentant Margaret Atwood comme « l’un des plus grands auteurs canadiens », récompensée par « les plus prestigieux prix littéraires », notamment pour son « best-seller mondial » Le Tueur aveugle. Dans le cas des débutants comme Madeline Miller qui ne peuvent se prévaloir de semblable notoriété, c’est la légitimité du spécialiste qui est mise en avant : la notice biographique placée au seuil du Chant d’Achille informe – et rassure ! – le lecteur : Miller « a étudié l’histoire et la littérature classique à l’université de Yale avant de devenir professeur de grec ancien et de latin5 ». Valerio Manfredi et Daniel Mendelsohn cumulent quant à eux les deux formes de légitimité, celle de l’écrivain reconnu et celle du savant : le premier est « archéologue de formation et spécialiste de la Grèce ancienne, […] auteur de nombreux best-sellers internationaux dont la trilogie Alexandre le Grand vendue dans soixante-deux pays » (quatrième de couverture de l’édition française d’Odysseus) ; le second, « professeur de littérature classique à Bard College, l’un des contributeurs majeurs de la célèbre New York Review of Books, prix Médicis étranger 2007 pour les Disparus, est traduit dans le monde entier » (quatrième de couverture de l’édition française de An Odyssey. A Father, a Son and an Epic).

11Tous insistent sur la qualité scientifique de leur travail et certifient le retour scrupuleux à la lettre des textes sources. Ainsi la collection « Sagesse des mythes » propose un « ensemble de bandes dessinées strictement respectueuses des textes fondateurs originels6 », assure l’éditeur – on verra un peu plus loin ce qu’il en est… Atwood mime les usages académiques en indiquant dans une page de note finale l’édition de référence de l’Odyssée ainsi que les sources anciennes et modernes utilisées pour son roman (hymnes homériques, Pausanias, Apollodore, Robert Graves). Miller multiplie les gages de sérieux dans les interviews accordées à la presse comme dans sa postface qui détaille la genèse de son roman en filant la métaphore odysséenne : pas moins de dix années de labeur et de recherches assidues, explique-t-elle, son roman prenant la suite du mémoire de maîtrise qu’elle avait envisagé de consacrer au même sujet. Manfredi quant à lui truffe son roman de termes grecs translittérés (wanax, pai, atta) et l’orne d’une dédicace à son épouse, épithète homérique donnée en langue originale. Dans le livre de Mendelsohn7, ces cautions de scientificité ne se limitent plus au seul péritexte (citation de la Poétique d’Aristote placée en exergue) : elles sont ici la matière même du livre qui chronique le séminaire sur Homère dispensé par l’auteur pendant un semestre universitaire au Bard College, le texte intégrant des pages entières des deux épopées, données dans le texte original puis dans la traduction de l’auteur et commentées par Mendelsohn.

12Mais dans le même temps, c’est aussi le pur plaisir du récit qui est mis en avant par les auteurs comme par les éditeurs, en particulier par ceux qui ciblent le public jeune : les albums BD « Sagesse des mythes » promettent à leurs lecteurs des « dieux tout-puissants, un bestiaire formidable, des héros extraordinaires, des aventures merveilleuses et passionnantes8 ». Même stratégie marketing agressive pour le Chant d’Achille de Miller, le bandeau de l’édition française de poche reproduisant un extrait de la critique en forme de teaser : « Impossible de lâcher ce livre. Toute la sauvagerie et le frisson de l’antiquité ». Sous une forme moins racoleuse, la quatrième de couverture du Roman d’Ulysse de Simone Bertière (« un vrai roman d’aventures, truffé de péripéties et jalonné d’amours ») joue sur la même rhétorique, à laquelle n’échappe pas non plus le texte de Mendelsohn, pourtant a priori étranger au genre romanesque, mais où, nous assure l’éditeur, « la fascinante exploration de l’Odyssée d’Homère fait écho [au] récit merveilleux de la redécouverte mutuelle d’un fils et d’un père ». Respectueux des textes anciens, les auteurs doivent aussi savoir « réenvoûter Homère9 » pour contenter aussi bien un public étranger à la culture classique qu’un lectorat d’amateurs avertis, voire de spécialistes, auxquels ces fictions pourront procurer le plaisir de redécouvrir auteurs et mythes antiques sous un angle neuf.

13Cette gageure (transmettre Homère en le réinventant) explique la multiplication des écritures en forme de revisionnist mythmaking (selon la formule d’Alicia Ostriker10) qui s’emploient, dans le sillage des romans de Christa Wolf, à proposer des versions alternatives de l’épopée en scrutant ses angles morts. Margaret Atwood, qui avait signé la préface à la traduction américaine de la Médée de Wolf (1999), emprunte tout naturellement cette voie à son tour pour sa version féministe de L’Odyssée, The Penelopiad, issue, explique-t-elle dans l’introduction, du désir de répondre aux « deux questions soulevées par une lecture attentive » de l’épopée : « comment expliquer la pendaison des douze servantes ? Et que manigançait vraiment Pénélope11 ? ». Le Chant d’Achille de Miller relève d’une genèse analogue : il s’agit là encore de combler un « non dit12 » de l’épopée celui de la relation amoureuse entre Achille et Patrocle, qui seule permettrait de comprendre l’intensité de la douleur d’Achille au moment de la mort de son compagnon, au chant XVIII de l’Iliade.

14La pratique du revisionnist mythmaking tend ainsi à devenir une nouvelle norme mainstream ; la romancière britannique Angela Carter parlait d’ailleurs déjà en 1979 d’un demythologising business, à propos de ses propres réécritures des contes pour enfants13. Dans l’aire anglo-saxonne, ce « business de la démythologisation » donne lieu à ce qu’on pourrait appeler des réécritures culturalistes d’Homère, qui se multiplient ces dernières années : après l’Odyssée d’Atwood, variante féministe et subalterniste de l’Odyssée, Rançon de l’Australien Malouf raconte l’épopée de l’Iliade depuis le camp des vaincus troyens. Après Le Chant d’Achille, subtile réécriture gay menée du point de vue d’un Patrocle amoureux, Miller poursuit dans la même veine avec Circé qui embrasse la vague #Metoo non sans un brin d’opportunisme ; le compte rendu du roman (élogieux) publié par Raphaëlle Leyris dans le Monde des livres en juin 2018 s’ouvre sur cette phrase révélatrice : « Voilà une femme entrée dans la mémoire collective [= Circé] pour avoir balancé ses porcs14 »… À quand la réécriture « spéciste » d’Homère, l’Iliade racontée par Xanthos et Balios les deux chevaux d’Achille ou l’Odyssée vue par Argos, le fidèle chien d’Ulysse ?…

15Ces réécritures alternatives de l’épopée homérique renvoient également à la situation de concurrence des auteurs, non seulement mis au défi de « réenvoûter » Homère, mais aussi contraints de se démarquer les uns des autres. Cette concurrence semble induire en partie les choix narratifs des auteurs. C’est ainsi que Simone Bertière dans son Roman d’Ulysse escamote ostensiblement le personnage de Pénélope dont le lecteur apprend la mort dès les premières pages : parti-pris d’autant plus étonnant que le précédent roman mythologique de l’auteure, Apologie pour Clytemnestre (2004), pouvait laisser attendre une focalisation du même ordre sur le personnage féminin de l’épopée. Bertière s’est-elle interdit de creuser le même sillon ? A-t-elle considéré que « le créneau Pénélope » était préempté par sa consœur canadienne ? Toujours est-il que la romancière française crée à son tour un autre effet de surprise, en optant pour un récit rétrospectif mené par un Ulysse à la retraite et quelque peu blasé…

16L’article plutôt assassin que publie Daniel Mendelsohn dans The New York Times15 à propos du Chant d’Achille de Madeline Miller peut se lire également sous l’angle de cette concurrence qui, avec la multiplication des titres, tend inévitablement à s’exacerber. Mendelsohn, il est vrai, n’avait pas encore publié sa propre Odyssée lorsque paraît le roman de Miller en 2012, mais le projet était sans doute déjà en germe puisque c’est précisément cette année-là qu’il dispense son séminaire sur Homère qui fournira le point de départ de sa chronique. Publiée en 2017, son Odyssée se démarque des fictions homériques antérieures en multipliant les stratégies de distinction : refus de la facilité du récit romanesque et de la composition linéaire ; dimension réflexive appuyée ; mise en scène d’un rapport intime privilégié de l’auteur avec la matière homérique, que souligne d’ailleurs la traduction allemande du titre : Eine Odyssée. Mein Vater, ein Epos und ich.

Compilateurs de récits, explorateurs de mondes perdus, maîtres de sagesse ? Les objets de la transmission

17L’univers auquel les écrivains semblent initier leurs lecteurs est indissociablement tissé de récits mythologiques, trace d’un passé historique et matière à réflexion morale et psychologique, voire à des leçons de sagesse, à moins que, à l’inverse, il ne s’agisse de critiquer les modèles reçus à travers des lectures trop longtemps conservées.

18Bien que les titres des œuvres mettent en avant un seul personnage, les auteurs cèdent au plaisir de raconter plusieurs histoires dans un même récit. Ils se font ainsi nouveaux mythographes, fournissant une image complète de leurs héros et les faisant évoluer au contact d’autres personnages mythologiques, ce qui donne parfois une allure de compendium à leurs œuvres. Par exemple, le premier tome consacré à Odysseus par Valerio Manfredi16 raconte toute la vie du héros, de sa naissance à sa participation à la guerre de Troie, qui occupe à peine plus d’un tiers des pages. Les premiers chapitres, se succédant dans l’ordre chronologique des événements racontés, évoquent notamment le rôle d’Autolycos, le grand-père maternel, dans l’éducation du héros, l’attirance d’Hélène envers le héros, qui lui préfère sa cousine Pénélope, le serment prêté par les prétendants de défendre l’union de Ménélas, l’installation de Pénélope à Ithaque, la confection du lit dans l’olivier qui pousse dans la demeure, l’adoption d’un chiot, Argos, etc. Bref, on pourrait parler de prequel à une Iliade qui s’organiserait autour d’Odysseus. Mais d’autres figures mythologiques parcourent aussi l’ouvrage, qu’Odysseus les croise directement, bien avant leur participation à la guerre de Troie, tels Diomède, ou Eumélos, le fils d’Alceste et d’Admète (ce qui fournit l’occasion d’un nouveau développement…), ou qu’il entende parler d’elles, comme Héraclès dont il apprend la mort (trad., p. 245) ou Jason, à la fin de vie pitoyable (ibid., p. 231). Le choix d’un récit biographique, à la première personne, contribue à donner une forme d’illusion réaliste, ou de vraisemblance, à la fiction de Valerio Manfredi, pourtant toute entière issue de récits repris et croisés. Voir Héraclès avec les yeux d’Odysseus, c’est entrer dans un espace-temps cohérent, à la réalité duquel il est permis de croire, dans le mouvement de la lecture. Le plaisir des histoires enlacées contribue donc ici à un effet-monde.

19Chez un archéologue de formation comme Valerio Manfredi, auteur d’une trilogie sur Alexandre le Grand, on aurait pu s’attendre à ce que se trouve posée la question de l’articulation entre l’univers homérique, dont naît sa propre fiction, et le substrat de réalité historique dans les faits racontés. Question épineuse, on le sait, puisque le monde évoqué par Homère est en réalité composite et combine parfois, jusque dans le détail des actions guerrières, des pratiques et des éléments d’époques différentes. Il ne semble pas que Valerio Manfredi suive principalement cet axe de réflexion historique, ni qu’il distille beaucoup d’explications sur les realia présentes dans son roman : certes, on peut glaner çà et là quelques détails sur la fonction sociale des liens d’hospitalité (ibid., p. 185), sur une conception de la guerre comme razzia (ibid., p. 211), sur les techniques de calfatage (ibid., p. 243) ou de réfrigération (ibid., p. 248), sur la proximité de la langue des Grecs et de celle des Troyens (ibid., p. 215), sur la culture vivrière à Ithaque (ibid., p. 189) ou repérer une observation sur le sol du campement des Grecs, à la fin du siège, qui renverrait à une sensibilité d’archéologue (ibid., p. 390), mais il s’agit précisément de détails, jamais plus de quelques lignes et parfois même un mot seul. Dans Le Chant d’Achille de Madeline Miller, la dimension d’ethnographie historique est en revanche assez prégnante, que l’on s’intéresse aux savoirs médicaux de l’Antiquité avec les personnages de Chiron et de Machaon, ou à l’évolution socio-économique du camp grec au cours du siège (chapitre 24), ou encore, aux modes de régulation de la violence entre alliés puisque le culte de la gloire d’un héros, par définition exceptionnel, s’accommode difficilement du devoir d’obéissance au chef – cette réflexion autour de la violence héroïque étant certainement au cœur de ce roman.

20Si la part de la réflexion historique est inégale dans les œuvres de Valerio Manfredi et de Madeline Miller, ces deux auteurs ont adopté le même système de narration, à la première personne et homodiégétique, bien qu’Odysseus revienne sur sa propre existence chez Manfredi, tandis que Patrocle, chez Madeline Miller, a le double statut de héros et de témoin dans Le Chant d’Achille. Mais à chaque fois, il s’agit de donner l’illusion d’une parole, et à travers elle de retracer une expérience de vie, porteuse d’une vision du monde, et qui peut tout autant servir une morale convenue qu’introduire un point de vue nouveau et critique sur l’épopée. Sans surprise, l’Odysseus de Valerio Manfredi est défini par sa confiance dans le langage et l’intelligence, préférés à l’usage de la force. La leçon est dite et redite, devant plus d’un guerrier, Achille (trad., p. 238, p. 288) ou Ajax notamment (ibid., p. 366), lorsqu’elle n’est pas reformulée par l’un d’eux (Diomède, ibid., p. 325). On retrouve la dimension d’archétype du personnage homérique, rappelée par Pierre Judet de la Combe : « Raconter pendant une heure en classe de maternelle la différence entre Achille et Ulysse est une aventure revigorante ». Observons ironiquement que de narrer le siège de Troie dans la perspective d’un héros pour qui les combats sont des pis allers implique un certain décentrement de la matière homérique. Ce dont le héros-narrateur s’explique benoîtement à la page 263 : « De ces premiers temps de la guerre, plus que des batailles et du sang, plus que des victoires et des défaites, plus que de mes actions et celles de mes compagnons, je me souviens surtout des paroles. Tout le monde me parlait. » L’Odysseus de Manfredi multiplie donc les initiatives et le récit s’organise autour du rôle-clef qu’il joue dans le conflit grâce à sa sagacité : il confie l’éducation guerrière de Pyrrhus à Lycomède (ibid., p. 255-256 ; p. 373) ; il propose d’organiser un duel entre Ménélas et Pâris ; c’est l’homme de toutes les ambassades ou tractations, pour rendre Chryséis à son père (ibid., p. 310), ou intervenir auprès d’Achille (ibid., p. 331 ; p. 345) ; il pénètre nuitamment dans Troie afin d’en repérer le plan ; et surtout il permet la victoire des Grecs en inventant le Cheval de Troie.

21Mais Valerio Manfredi donne à son Odysseus de nouvelles caractéristiques. Selon les termes de Calchas, qui sait qu’Athéna apparaît sous des formes diverses au héros, celui-ci échappe aux déterminations communes : « […] dans notre monde, il existe deux frontières : celle du temps et celle de l’espace. Tu as franchi le temps, et si un mois s’écoule pour toi, pour les autres, cela peut être un an. Ou bien le contraire17. » Et d’ajouter une prophétie en direction de l’Odyssée (et du tome 2 de Manfredi) : « un jour tu franchiras aussi l’autre frontière. Tu passeras une ligne invisible pour rejoindre des lieux que personne d’autre ne peut voir. Athéna… peut-être est-ce sa volonté. Je ne saurais t’en dire plus18. ». Ouvert sur la dimension invisible du monde, recueillant les propos d’Athéna sur la cruauté des dieux (« ils veulent que ce jeu guerrier continue pour leur plaisir », ibid., p. 281), comprenant les limites de son intelligence et de son pouvoir d’action, précisément parce qu’il les porte au plus haut point possible, il a une conception mélancolique de l’existence. La mort lui semble la seule réalité indiscutable, ce qui supprime en un sens toute distinction entre l’infliger et la subir. Il en a la nette sensation lorsqu’il contemple le cadavre d’Hector :

Je regardai Hector un moment, livide, couvert de sang coagulé et méconnaissable ; il ne restait rien du guerrier glorieux et resplendissant comme un astre qui attaquait en hurlant nos défenses vacillantes. Pendant un moment, j’eus l’impression de voir mon propre corps abandonné sur une plage déserte, dans une terre lointaine et inconnue. C’était moi, n’importe qui, personne. On ne peut échapper au destin. Et si tel était aussi mon sort19 ?

22Tout se passe comme si Odysseus endossait ici l’expérience d’Achille au chant XXIV de l’Iliade, capable d’admirer Priam et de voir en lui un double, semblable dans son deuil, et non plus le père du meurtrier de Patrocle. Mais, pour en revenir à la question qui nous préoccupe ici, celle des leçons de sagesse éventuelles que viseraient à transmettre au grand public les reprises contemporaines de textes antiques, constatons l’effet d’un immense écart formel : « Contrairement aux auteurs modernes, Homère ne se met pas en avant, ne parle presque jamais en son nom », remarque Pierre Judet de La Combe. À l’inverse, ces fictions à la première personne, éventuellement bavardes, peuvent céder à la platitude d’un enseignement trivial, explicite, au lieu que ce soit l’émotion esthétique qui guide le lecteur dans les sens du texte.

23Cette tendance à la moralisation devient projet construit et pure répétition chez Luc Ferry, qui décline l’expression de « sagesse des mythes », comme titre de la collection de BD qu’il accompagne de ses commentaires et dans le tome 2 d’Apprendre à vivre20, où il développe sa vision des récits mythologiques :

Au fond, ce que nous offre la mythologie, et qu’elle va léguer comme point de départ à la philosophie, c’est une description pleine de vie des itinéraires possibles pour les individus que nous sommes au sein d’un univers ordonné et beau qui nous dépasse de toutes parts. Dans une époque comme la nôtre, où les religions s’estompent chaque jour davantage – je parle ici de l’espace laïc des Européens, pas des continents encore marqués le théologico-politique –, la mythologie grecque explore une question qui nous touche comme jamais : celle du sens de la vie hors théologie, et c’est cela, au fond, qui peut encore nous servir de modèle pour penser notre propre condition21.

24On le devine immédiatement, le « sens de la vie » peut être inspiré « d’un univers ordonné et beau », ou de ce que Luc Ferry désigne fréquemment par le terme d’« harmonie », en relation avec l’idée grecque de « cosmos ». Le parcours d’Ulysse dans l’Odyssée est ainsi lu comme le passage du chaos à l’harmonie, puisqu’après le pillage de Troie, la confrontation à la sauvagerie du Cyclope ou des Lestrygons, l’oubli et la perte des liens sociaux chez les Lotophages, Circé ou face aux Sirènes, etc., le retour à Ithaque lui permet de « remettre en ordre sa cité afin d’y retrouver sa juste place parmi les siens22 ». Il faut soupeser toutes les implications de cette dernière formulation : même si Luc Ferry ne propose aucune mise en perspective historique (contrairement à Karen Armstrong dans Une brève histoire des mythes) ni de réflexion politique poussée (puisqu’il s’abstient, par exemple, de s’interroger, sur le regard que jette le théâtre tragique des Grecs, en plein essor de la démocratie, sur des histoires mythiques issues d’un passé aristocratique), ses développements sont en réalité empreints d’une conception foncièrement anti-égalitaire. D’après lui, certains, comme Ulysse, seraient d’emblée à une « juste place » de chefs, et cela garantirait l’« ordre ». C’est aller vite en besogne et oublier, par exemple, qu’Ulysse doit se justifier du massacre des prétendants devant leurs familles, et le peuple tout entier, réuni en assemblée. Mais Luc Ferry se satisfait de cette lecture, dont on se demande, ici et ailleurs, si elle ne pourrait pas servir l’état néo-libéral de nos sociétés :

[pour les Grecs] l’idéal de la justice, contrairement au nôtre, repose non seulement sur l’idée qu’il existe une hiérarchie naturelle des êtres, mais surtout sur la conviction que la cité est juste quand elle imite ou reflète cette hiérarchie (là où les démocrates modernes considèrent au contraire que la justice est là pour corriger des inégalités naturelles et favoriser l’égalité des chances et des conditions). […] la cité est juste quand elle se trouve en harmonie avec cette hiérarchie harmonieuse du monde. Le juste n’est pas l’égalité, c’est l’équité, et ce qui est équitable, c’est que chacun soit à sa place23.

25Il est assez probable que cette pseudo-« sagesse des mythes » passe en contrebande une idéologie au bénéfice des puissants du moment.

26C’est bien ce que refuse Margaret Atwood dans sa Penelopiad, où elle revisite l’Odyssée du point de vue des opprimées, relativement protégées par leur statut de reine, ou doublement accablées, quand s’ajoute une discrimination sociale à l’infériorité « genrée ». Le propos féministe est sans doute moins affiché dans Le Chant d’Achille de Miller, mais il affleure grâce au regard porté par Patrocle, le narrateur, sur Achille. Conformément à la logique de biopic, adoptée également par Valerio Manfredi, le héros-narrateur évoque son enfance, le meurtre accidentel de Clytonymos et l’exil à Phtie qui en découle, la rencontre avec Achille et dès lors leur communauté de destin, à la cour de Pélée, puis auprès de Chiron, à Skyros plus brièvement et enfin devant Troie, jusqu’à la réunion de leurs cendres dans le même tombeau. L’histoire de leurs amours permet le portrait d’un « prince quasi divin24 » (Miller, trad., p. 272), solaire, aux talents musicaux et guerriers insolents de facilité, et lié à Patrocle par un attachement si absolu qu’il semble exclure toute faille entre eux. Celle-ci finit néanmoins par surgir, quand Achille accepte de donner Briséis à Agamemnon, alors même qu’elle s’était retrouvée dans le camp des Myrmidons à la demande de Patrocle, soucieux de lui épargner le rôle d’esclave sexuelle. En entrant dans le système d’échanges entre hommes, avec le statut d’objet désiré qui compense pour Agamemnon la perte de Chryséis, Briséis ouvre une double crise : intime entre Patrocle et Achille ; politique entre Achille et le reste de l’armée. Le second point est central dans l’Iliade mais Madeline Miller le retravaille, au prix d’un anachronisme surprenant : elle imagine que Patrocle demande avec succès à Agamemnon de respecter Briséis (ibid., p. 370), sous peine de choquer l’ensemble des combattants grecs, dont l’opinion s’interpose ainsi dans le combat entre le roi et le héros. Cette relation à quatre termes (Agamemnon, Achille, Patrocle, l’armée) fait retour pendant l’ambassade de réconciliation inspirée du chant IX, lorsque Phoenix raconte à son élève l’histoire de Méléagre : Patrocle se projette dans la figure de Cléopâtre qui obtint de son mari qu’il retourne se battre pour sauver son peuple, et il fait valoir à Achille que la gloire à laquelle il est tant attaché n’a guère de sens si les Grecs en viennent à le détester pour avoir tardé à reprendre les armes. Il y a là un questionnement de type démocratique25 qui interroge les devoirs des meilleurs et des puissants envers les autres, le personnage de Patrocle, à l’arrière-plan chez Homère, permettant ici le retour des femmes, autres figures minorées de l’épopée, dans une sorte de front uni des subalternes.

27Ce décentrement par rapport au monde élitaire de l’Iliade suggère de nous pencher plus avant sur la prise en considération des attentes du (grand) public dans notre corpus.

Le lecteur et l’horizon de la transmission

28Dans cette perspective, le roman apparaît désormais comme la forme adéquate pour raconter l’histoire des héros grecs, à rebours de l’épopée, genre non seulement savant mais aristocratique. De fait, c’est le genre adopté par Valerio Manfredi comme par Madeline Miller, Daniel Mendelsohn, ou Simone Bertière, jusque dans le titre Le Roman d’Ulysse pour cette dernière. Simone Bertière met justement en scène, avec l’ironie légère qui la caractérise, l’opposition entre roman et épopée : de retour à Ithaque, son Ulysse occupe ses loisirs de « retraité » [sic] à raconter sa vie à Euphore (personnage inventé et fils d’Eumée, le porcher dans l’Odyssée), alors que les aèdes s’en sont déjà emparés et qu’Euphore se propose de les imiter. Autrement dit, elle dresse la parole rétrospective d’un sujet sur sa vie contre ce qu’en ferait l’hommage de cour des poètes professionnels. Valerio Manfredi s’exprime en des termes similaires lors d’une rencontre devant le public italien à Pietrasanta en 201326 : avec ses romans à la première personne, il s’agirait pour lui de retrouver une formulation originelle avant sa codification savante et de donner ainsi la saveur intime et personnelle des aventures d’Odysseus27. Genre historique de l’avènement du sujet démocratique, le roman s’engage donc, chez Madeline Miller ou Valerio Manfredi, sur la voie du récit de formation. Mais il dispose d’autres avantages encore, liés à sa souplesse intrinsèque : il peut flirter avec le roman d’aventures, sous l’aspect de la robinsonnade par exemple (épisode de l’île de Calypso, chez Valerio Manfredi), ou prendre des allures fantastiques, toujours chez Manfredi qui, plus qu’un autre, accueille les manifestations du divin auprès d’Odysseus et fait percevoir les causalités mystérieuses dans le cours des choses. À croire les réactions des lecteurs sur des sites comme Babelio, c’est là l’efficacité séduisante de ses romans, bien éloignée de tout souci d’enseignement moral ! Du reste, l’ouvrage de Daniel Mendelsohn (Une Odyssée. Un père, un fils, une épopée) fournit a contrario la preuve de l’illisibilité actuelle de l’épopée et de la force d’évidence d’une mise en récit, puisque, dans son séminaire sur l’Odyssée auquel assiste son octogénaire de père, l’auteur se heurte à des réactions de rejet symptomatiques chez ses étudiants de tout âge : si Athéna est à ce point présente, quel est le mérite d’Ulysse, objecte Jay Mendelsohn (trad., p. 97 ; p. 220 ; p. 225 ; p. 429) ; est-il possible de supporter un style formulaire aussi répétitif, s’indigne un jeune lecteur (ibid., p. 233 ; p. 285) ; et comment s’extasier sur « le défi technique qui se présente à quiconque veut entrelacer le passé lointain à la trame d’un récit au présent en gommant les sutures » (ibid., p. 357) (défi que relèverait l’épisode de la cicatrice), à moins d’être écrivain, conclut, dépité, Daniel Mendelsohn.

29Plus profondément et plus imaginativement, tel est pourtant l’enjeu de notre corpus : arriver à transmettre au présent des œuvres passées, même transmutées dans une autre forme générique. Quelle temporalité imaginaire sous-tend notre corpus ? La transmission est-elle censée souligner le caractère intemporel de l’objet transmis ? Vise-t-elle à le ressusciter au présent, à le faire advenir sur une scène contemporaine ? Ou à lui laisser son statut de trace du passé, en le déplorant, en le critiquant ? Ou encore à combiner tel ou tel de ces aspects ? La réponse diffère très probablement selon les œuvres. Luc Ferry se propose de souligner « la portée profondément actuelle28 » de la mythologie, mais sans s’interroger en termes historiques, on l’a dit, sur la transformation des légendes mythologiques dès l’Antiquité, et en croyant facilement à une coïncidence de points de vue entre l’univers aristocratique et l’idéologie inégalitaire de la droite libérale de nos jours. À l’inverse, les autrices de notre corpus creusent l’écart entre le monde épique et leur regard actuel de femmes : Margaret Atwood fait entendre la voix des mortes (Pénélope, les servantes) pour mieux nous interpeller dans nos réactions de lecteurs dociles, qui oublient de se révolter contre le sort réservé aux femmes à la fin de l’Odyssée ; plus dialectiquement peut-être, en confiant l’énonciation à Patrocle, Madeline Miller introduit un point de vue « féminin » qui stigmatise l’hybris propre aux valeurs guerrières, mais elle critique aussi le rôle de Thétis, épousant la violence de son fils jusqu’à l’amplifier quand elle obtient de Zeus que les Troyens aient la victoire, aussi longtemps qu’Achille demeure éloigné des combats. Cette mise en accusation du fils comme de la mère est néanmoins prise dans un geste contraire de réconciliation et de réparation : Patrocle obtient post mortem la reconnaissance de Thétis (dans tous les sens du terme) et que son nom figure désormais à côté de celui de son amant, sur leur tombe commune ; et les lecteurs de Madeline Miller sont invités à compléter leur image d’Achille, en prenant la mesure de ce qui s’est joué avec Priam, et en incluant la part de la sensibilité (amoureuse, musicienne [trad., p. 465]…) dans leur vision du héros guerrier. Chez Daniel Mendelsohn, les choses sont encore plus complexes, ne serait-ce que parce que se tissent ici les réflexes hérités de sa formation d’antiquisant, son expérience présente de l’enseignement des lettres classiques à l’université et ses interrogations au long cours de sujet perplexe face aux aspects successifs de sa condition (de fils, il est devenu père ; il enseigne à qui il doit l’existence, etc.) et devant les surprises de ses enquêtes sur l’histoire familiale, qu’il méconnaît en partie, bien qu’il s’y soit montré particulièrement attentif. Car cette Odyssée est totalement la sienne, et il peut se projeter non dans le seul personnage d’Ulysse29 ou dans la figure d’Homère, dont il imite les procédés de composition annulaire dans les pages que nous lisons (trad., p. 59), mais encore à la place de Télémaque, sur la trace du passé de son père (ibid., p. 370), ce qui fournit une entrée privilégiée (ibid., p. 97 ; p. 424) dans l’interprétation du poème épique. Le bel ordonnancement d’une transmission qui passerait sans heurt ni transformation majeure de génération en génération, fiction conservatrice sur laquelle reposerait l’Université, est ainsi quelque peu défait, même si Daniel Mendelsohn continue par moments de croire qu’il est l’héritier en droite ligne des commentateurs de l’Antiquité (ibid., p. 143), ou que l’une de ses étudiantes poursuivra en thèse la démarche de Porphyre (ibid., p. 435). Désormais, au plan scientifique, les considérations rigoureuses de la philologie ne trouvent place que dans les conversations entre spécialistes, au téléphone (ibid., p. 304), dès lors que la liberté interprétative des étudiants n’admet guère de scrupule de méthode, ni de révérence particulière envers la parole professorale et que l’épopée est lue avec des attentes romanesques30. Et, au plan personnel, la « vérité » sur soi et sur le père ne s’appréhende que dans l’échange fluctuant de dialogues renouvelés, entre Jay et Daniel, ou entre Daniel et les témoins de la vie de Jay (famille, amis, collègues). Il y a donc là une sorte d’enquête généralisée et de commentaires infinis, une ouverture sur le futur que signifient aussi bien le poème de Cavafy31 (ibid., p. 311 sq.), que la profession de foi pédagogique, qui met l’accent sur le plaisir et le goût de lire des lecteurs à venir. La transmission est avant tout réappropriation, à destination d’un large public.

Tentative de bilan

30On se risquera, pour terminer, à une évaluation de ce corpus : les contraintes marketing qui régissent ces récits mythologiques et posthomériques sont-elles compatibles avec l’exigence de transmission qu’ils revendiquent implicitement ou explicitement ? Quid de la qualité esthétique et littéraire de ces textes qui visent une large diffusion ? N’apporteraient-ils pas un spectaculaire démenti à l’affirmation optimiste de Judet de La Combe pour qui, dans l’article du Monde cité en introduction, « reprendre Homère aujourd’hui signifie interroger l’art sur ses possibilités les plus en pointe », « aller à contre courant32 » ? Il convient ici de nuancer selon nos textes.

31L’Américain Daniel Mendelsohn est sans doute, de tous les auteurs envisagés dans notre échantillonnage, celui qui se distingue le plus nettement, cherchant à concilier son statut d’écrivain international avec une posture d’auteur légitime exigeant. La notice biographique qui figure sur l’édition française de son Odyssée, citée plus haut, refuse d’ailleurs les ficelles les plus grossières de la communication commerciale : pas de référence ici à la notion de best-seller ; Mendelsohn y est présenté comme un écrivain « traduit dans le monde entier » et non « vendu », la nuance est significative. Son Odyssée témoigne d’une recherche formelle manifeste, par la complexité de sa composition, par le brouillage générique qu’elle opère entre chronique et autofiction, par la multiplicité des références savantes qui tissent le texte d’un bout à l’autre. Mendelsohn récuse le geste de réécriture au profit d’un culte du texte homérique, cité, traduit, infiniment glosé, mais qui demeure au fond intouchable – ce qui explique aussi sans doute sa virulente critique adressée au roman de Miller. Hanté par la question de la transmission, générationnelle aussi bien que pédagogique, son livre est foncièrement réflexif ; il paraît écrit, en partie du moins, pour conjurer la mélancolie, voire l’angoisse qui est celle de l’humaniste classique d’aujourd’hui, chargé de transmettre un savoir dont, à l’exception du public restreint et privilégié des campus universitaires, « plus personne ne veut » (trad., p. 85).

32Dans un registre beaucoup plus léger, Margaret Atwood, tout en exploitant le filon rentable du demythologizing business, aspire elle aussi à une exigence littéraire que traduit un travail très concerté sur la forme. La déconstruction du modèle épique, soupçonné d’encoder les valeurs patriarcales, passe par une savante hétérogénéité de tons et de références ; le monologue rétrospectif de Pénélope est ponctué d’intermèdes burlesques et anachroniques assurés par le chœur des douze servantes qui entonnent comptines, chansons populaires et complaintes de marins33. Le procédé se veut pastiche de l’esthétique irrévérencieuse du drame satyrique antique (c’est ce qu’explique la romancière dans son introduction) ; il interrompt la linéarité du récit et crée une pause distanciée qui invite le lecteur à s’interroger sur la pérennité de la domination masculine à travers les âges et les cultures ; il tire la pratique féministe du revisionnist mythmaking du côté du ludique, de la parodie (les titres des différents sections du monologue de Pénélope sont à cet égard très parlants : « mon enfance », « mon mariage », « Hélène gâche ma vie », « Les prétendants s’empiffrent ») – au risque, peut-être, d’une certaine facilité consensuelle du « deuxième degré ».

33Les autres textes de notre corpus (les romans de Manfredi, de Miller, de Bertière) n’ont aucune prétention à l’innovation formelle et à l’investigation esthétique ; l’épopée homérique représente ici un matériau diégétique, coulé dans une forme romanesque largement traditionnelle et d’autant moins problématisée que ces fictions visent souvent un public jeune, même si elles ne relèvent pas explicitement de la littérature jeunesse : la composition en chapitres courts, les jeux d’identification aux personnages adolescents (étudiés plus haut), et, dans le cas de Miller, les touches de fantasy sont autant de signaux adressés à ce lectorat jeunesse, avec succès semble-t-il si l’on en juge par les témoignages recueillis sur les blogs. Ces textes sont sans doute ceux qui correspondent le mieux à cette « world fiction » mythologisante évoquée par Pascale Casanova. S’agit-il pour autant de produits commerciaux jetables, voués à une péremption rapide ? Trop tôt pour le dire. Il nous paraît en tout cas nécessaire de nuancer l’analyse de Casanova : ce conformisme esthétique n’est pas incompatible avec un propos politique qui, on l’a vu, ne se réduit pas (sauf, sans doute dans le cas des BD commentées par Ferry) à une « sagesse » convenue; la dimension poétique de l’œuvre homérique n’est pas l’affaire de ces romans, et le spécialiste pourra s’en désoler ; mais en se réappropriant activement la matière homérique, en reconfigurant les récits mythiques pour interroger l’héroïsme, la violence, la guerre, ils contribuent indéniablement à cette « actualité d’Homère » commentée par Judet de La Combe.

Conclusion

34Le succès international que connaissent depuis quelques années les romans mythologiques confirme le constat dressé par Pascale Casanova à l’aube des années 2000 : les récits mythologiques sont bel et bien devenus un secteur à part entière florissant de la fiction globalisée. L’universalité prétendue des mythes les destinait peut-être tout particulièrement à ce processus de mondialisation éditoriale, qu’explique peut-être aussi, dans le cas plus précis des réécritures homériques ici prises en compte, le sentiment diffus d’une « actualité » d’Homère, voire d’un « besoin d’Homère34 ». Les récits envisagés dans cette étude ont en commun de concilier une fonction pédagogique et patrimoniale avec un objectif commercial ; à mi-chemin entre les réécritures lettrées, dans la grande tradition européenne de « l’Odyssée seconde35 » (Tennyson, Joyce, Cavafy, Borges) et les réappropriations des littératures populaires et de la fantasy auxquelles l’Antiquité fournit traditionnellement un matériau privilégié36, ces romans – car c’est bien la forme romanesque qui s’impose désormais pour ces reprises – dessinent un nouveau secteur, moins homogène qu’il n’y paraît au premier abord ; ils contribuent à faire vivre les textes anciens en les rendant accessibles à des lecteurs coupés des études classiques ; ils forment à ce titre de plein droit un objet d’investigation privilégié pour l’enquête mythocritique comme pour les études de réception de l’Antiquité.

Notes

1 Pascale Casanova, La République mondiale des Lettres, Paris, Éditions du Seuil, 1999, p. 236.

2 Ibid.

3 Véronique Gély, « Les Anciens et nous : la littérature contemporaine et la matière antique », Bulletin de l’Association Guillaume Budé, 2009/2, p. 19-40.

4 Prière d’insérer, Paris, Flammarion, coll. « Mythes du monde », 2005.

5 Madeline Miller, Le Chant d’Achille [The Song of Achilles, 2012], trad. fr. Christine Auché [2014], Paris, Éditions Rue Fromentin, Pocket, 2015, n. p. La notice biographique de Madeline Miller qui figure dans l’édition française n’a pas d’équivalent dans l’édition originale.

6 Descriptif de la collection « Sagesse des mythes » consultable sur le site de l’éditeur Glénat (https://www.glenat.com/bd/collections/la-sagesse-des-mythes, consulté le 27 février 2020).

7 Daniel Mendelsohn, Une Odyssée. Un père, un fils, une épopée [An Odyssey. A Father, a Son and an Epic, 2017], trad. fr. Clotilde Meyer et Isabelle D. Taudière, Paris, Flammarion, 2017. Par commodité, nous renverrons à la réédition au format poche, chez « J’ai lu », en 2018.

8 Descriptif de la collection « Sagesse des mythes » consultable sur le site de l’éditeur Glénat (https://www.glenat.com/bd/collections/la-sagesse-des-mythes, consulté le 27 février 2020).

9 Raphaëlle Leyris, « Madeline Miller réenvoûte Homère », Le Monde des Livres, Le Monde, 27 juin 2018.

10 Alicia Ostriker, « The Thieves of Language: Women Poets and Revisionist Mythmaking », Signs, vol. 8, no 1 (Autumn, 1982), p. 68-90.

11 Margaret Atwood, L’Odyssée de Pénélope [2005], trad. fr. Lori Saint-Martin et Paul Gagné, Paris, Flammarion, « Mythes du monde », 2005, p. 12. Texte original : « […] two questions that must pose themselves after any close reading of The Odyssey : what led to the hanging of the maids, and what was Penelope really up to ? », The Penelopiad, Edinburgh-New York-Melbourne, Canonsgate, « The Myths », 2005, p. xv.

12 Le roman est « une audacieuse plongée dans un non-dit de l’Iliade » selon la journaliste Raphaëlle Leyris (art. cité).

13 Cité par Michelene Wandor dans Michelene Wandor (éd.), On Gender and Writing, London, Pandora Press, 1983, p. 71.

14 Raphaëlle Leyris, art. cité.

15 Le 27 avril 2012. https://www.nytimes.com/2012/04/29/books/review/the-song-of-achilles-by-madeline-miller.html (consulté le 27 février 2020). Le roman de Miller y est présenté, notamment, comme un « conte moderne d’hormones » (a modern tale of hormones).

16 Valerio Manfredi, Les Rêves d’Ulysse [Il Giuramento, 2012], trad. fr. Elsa Damien, Paris, JC Lattès, 2014.

17 Valerio Manfredi, Le Retour d’Ulysse [Il ritorno, 2013], trad. fr. Elsa Damien, Paris, JC Lattès, 2015, p. 268-269.

18 Ibid.

19 Ibid., p. 359.

20 Luc Ferry, La Sagesse des mythes. Apprendre à vivre-2, Paris, Plon, 2008.

21 Ibid., p. 385.

22 Ibid., p. 185.

23 Luc Ferry, Jason et la toison d’or, tome 1, Glénat, 2016, p. 50.

24 On remarque ici le clin d’œil au vers 7 de l’Iliade, avec l’ironie qu’introduit l’adverbe « presque ». Sur l’intertexte homérique dans le roman de M. Miller, et plus largement sur son usage d’Homère, consulter la thèse d’Elodie Coutier : Partages de l’Iliade dans le roman occidental contemporain, préparée sous la direction de Véronique Gély et soutenue à Sorbonne Université, le 7 décembre 2019.

25 Observons d’ailleurs que, bien que le roman soit porté par la voix de Patrocle, M. Miller conserve plusieurs scènes de débats (dialogues vifs entre proches, assemblées, ambassades, etc.) présentes chez Homère.

26 Consultable sur youtube : https://www.youtube.com/watch?v=eNiqGIqeotE (consulté le 5 mars 2020).

27 Il s’en explique, notamment dans la postface au premier tome (op. cit., p. 176) : « La langue que j’emploie vise à transporter le lecteur dans l’atmosphère de la tradition homérique. Dans la mesure du possible, elle privilégie une syntaxe simple, renonçant aux constructions sophistiquées ou aux concepts trop abstraits, et l’histoire est racontée d’une manière pour ainsi dire réaliste, précisément parce qu’elle est imaginée comme un récit qui ne serait pas encore filtré et élaboré par le chant des aèdes et des rhapsodes, et parce que le “je” narratif est le protagoniste même de l’histoire. »

28 Luc Ferry, La Sagesse des mythes, op. cit., p. 4.

29 Ainsi qu’il le note plaisamment : « Tout au long du semestre, je m’étais mis dans ce rôle illusoire d’une sorte d’Ulysse de la pédagogie, guidant mes troupes au cœur de l’aventure palpitante du texte, mais en fin de compte je n’étais que le Cyclope. » (Daniel Mendelsohn, Une Odyssée. Un père, un fils, une épopée, op. cit., p. 434).

30 L’Odyssée serait « une sorte de biographie » (Daniel Mendelsohn, Une Odyssée. Un père, un fils, une épopée, op. cit., p. 444).

31 Daniel Mendelsohn relève que, chez Cavafy, Ulysse est interpellé au début de sa route vers Ithaque et qu’on lui souhaite un long voyage et non un prompt retour (« Aie toujours Ithaque en tête. / Y parvenir est ta destinée. / Mais ne hâte en rien ton voyage. / Mieux vaut qu’il dure nombre d’années [.] »)

32 Pierre Judet de La Combe, art. cité.

33 Sur le roman de Margaret Atwood et en particulier sur l’hybridation du genre épique auquel procède la romancière canadienne, voir Véronique Léonard-Roques, « Pénélope au xxie siècle ou de la majoration d’une voix de mineure (Margaret Atwood, Annie Leclerc) », dans Sylvie Humbert-Mougin (dir.), Figures mythiques féminines dans la fiction contemporaine. Reconfigurations et décentrements, à paraître chez Kimé.

34 L’expression, employée par Pierre Judet de La Combe dans l’article du Monde déjà cité, sert de titre à un colloque organisé à Caen en octobre 2020.

35 Voir Evanghelia Stead, Seconde Odyssée : Ulysse de Tennyson à Borges, Grenoble, J. Million, 2009.

36 Voir Mélanie Bost-Fievet et Sandra Provini (dir.), L’Antiquité dans l’imaginaire contemporain. Fantasy, science-fiction, fantastique, Paris, Classiques Garnier, 2014 ; Vivien Bessières, Le Péplum et après ? L’Antiquité gréco-romaine dans les récits contemporains, Paris, Classiques Garnier, 2016.

Pour citer ce document

Ariane Eissen et Sylvie Humbert-Mougin, « Le geste de la transmission au risque du marketing » dans Réception créatrice contemporaine des mythes et grands récits de l’Antiquité,
dir. par Ariane Ferry et Véronique Léonard-Roques

© Publications numériques du CÉRÉdI, « Les Carnets comparatistes du CÉRÉdI », n° 1, 2021

URL : http://publis-shs.univ-rouen.fr/ceredi/index.php?id=1113.

Quelques mots à propos de :  Ariane Eissen

Université de Poitiers
(FoReLLIS, EA 3816)
Ariane Eissen est maître de conférences HDR émérite en littérature générale et comparée à l’Université de Poitiers. Elle s’intéresse à la réception et à la réécriture des mythes grecs (Les Mythes grecs, Belin, 1993, Belin poche, 2010), à La Dimension mythique de la littérature contemporaine (La Licorne, 2000) et plus largement aux imaginaires collectifs (La Figure d’Hercule dans les littératures anglaise et française à la fin du xixe et au début du xxe siècle, 1997).

Quelques mots à propos de :  Sylvie Humbert-Mougin

Université de Tours
Interactions culturelles et discursives (ICD, EA 6297)
Sylvie Humbert-Mougin est professeure de littérature comparée à l’Université de Tours. Ses travaux portent sur la réception du théâtre antique (Dionysos revisité. Les tragiques grecs en France de Leconte de Lisle à Claudel, Belin, 2003) et sur les réécritures des mythes (Figures mythiques féminines dans la fiction contemporaine. Reconfigurations et décentrements, collectif à paraître chez Kimé).