Sommaire
Pierre Corneille, la parole et les vers
sous la direction de Myriam Dufour-Maître, avec le concours de Cécilia Laurin
- Myriam Dufour-Maître, avec le concours de Liliane Picciola, de Bénédicte Louvat et de Cécilia Laurin Introduction
- LA FABRIQUE DU VERS CORNÉLIEN
- Bénédicte Louvat Le vers cornélien selon Corneille : parcours des paratextes
- Sylvain Garnier La comédie cornélienne et l’élaboration du vers dramatique classique
- Jean de Guardia Combien de vers ? Ornement et dramaticité chez Corneille
- Jean-Marc Civardi Corneille poète néo-latin
- Liliane Picciola Des vers espagnols aux vers cornéliens du Cid : modalités et intentions des réécritures
- François Regnault La prose de mes vers
- Gilles Declercq Résilience de la sentence cornélienne. Enjeux et tensions d’une forme-sens
- Marc Douguet Les hémistiches répétés chez Corneille
- Jean-Yves Vialleton « Ils ne sont pas venus, nos deux rois ? » : le vers brisé chez Corneille
- Pierre-Alain Clerc Déclamer Corneille
- Ludivine Rey La génétique du vers cornélien : les rapports complexes de la parole et des vers
- Poétique
- Influence des versifications étrangères
- Matrices et formes-sens
- LE VERS DRAMATIQUE
- Françoise Poulet Les comédies de Corneille ou la mise en vers de l’honnête conversation
- Michèle Rosellini Du duo au duel : la stichomythie, marqueur de violence dans le dialogue des amants
- Fabien Cavaillé Le pouvoir de parler, l’occasion de se taire. Interruptions de vers, paroles royales et violence dans Cinna, Héraclius, Suréna
- Jérôme Lecompte Formes de l’ethos héroïque : l’exemple de Cinna
- Cécilia Laurin « Connais-moi tout entière » : parole apocalyptique et dramaturgie cornélienne
- Myriam Dufour-Maître Allures du vers et obscurcissement du discours : le « style tardif » de Corneille
- Benoît de Cornulier Stances périodiques et inscriptions rythmiques dans les pièces de Corneille de Mélite au Cid (1629-1637)
- Stella Spriet Quels vers pour Andromède (1650) et La Conquête de la Toison d’or (1660) ?
- Claire Fourquet-Gracieux « Je n’ai pas cru à propos que l’homme parlât le même langage que Dieu ». Strophe et énonciation chez Corneille
- Sarah Nancy Vers, parole, musique. Les Airs sur les stances du Cid de Marc-Antoine Charpentier
- Le dialogue et le vers
- Parole, ethos et vers
- Vers lyrique, vers dramatique
Vers lyrique, vers dramatique
Stances périodiques et inscriptions rythmiques dans les pièces de Corneille de Mélite au Cid (1629-1637)
Benoît de Cornulier
L’article analyse le fond métrique commun aux pièces de Corneille jusqu’au Cid compris (1629-1637), les suites périodiques de stances qui y sont insérées (en l’interrompant), et certaines formes métriques qui s’inscrivent sur ce fond sans l’interrompre (inscriptions métriques). Sont notamment examinées la structuration en modules et groupes rimiques, la distribution des mètres de base et des mètres contrastifs, des cadences masculines et féminines, la structuration en modules et groupes rimiques, l’inscription du rythme 4-4-4 sur fond de mètre 6-6, et le rapport des stances du Cid à leur modèle espagnol.
1Mon propos1 est ici d’esquisser une analyse de la structure strophique des suites périodiques de stances2 insérées dans le fond métrique des pièces de Corneille jusqu’au Cid (1637)3, et, à cette occasion, de quelques cas d’inscription métrique (notion définie ci-dessous). Il s’agira des paroles et des vers tels qu’ils sont offerts à lire en publication imprimée, plutôt que des paroles interprétées par tels ou tels comédiens en action lors d’une représentation4. Comme le mot pièce (de théâtre) désigne souvent une représentation, j’emploierai parfois aussi le mot poème – comme le fait parfois Corneille lui-même5 – pour désigner plus précisément le texte constitué par ces paroles et leur « interprétation » (traitement) dans l’esprit d’un lecteur, plutôt que leur diction à plusieurs voix sur scène. Corneille était conscient de s’adresser non seulement épisodiquement sur des scènes à des spectateurs-auditeurs, mais plus largement encore, et dans la durée, à des lecteurs, comme en témoigne par exemple, dans son « Examen » de La Conquête de la Toison d’or qui fut pourtant une pièce à grand spectacle, la formule par laquelle il « avertit le lecteur » de quelques particularités de cette pièce6.
2Pour chacune des pièces passées ici en revue, le poème est une suite de paroles formant une suite de vers individualisés sans ambiguïté par formatage métrique7 ; ces alinéas métriques à majuscule métrique initiale peuvent à leur tour se regrouper en paragraphes métriques dans le cas des stances.
Fond et insertions métriques
Textes métriquement hétérogènes et insertions métriques
3Quoique ces pièces incluant (très sporadiquement) des suites périodiques de stances ne soient pas communément rapprochées des mélanges de prose et de vers qu’on appelle prosimètres, elles partagent avec eux une propriété plus générale : il s’agit de textes métriquement hétérogènes, particulièrement dans des cas où diverses parties successives peuvent paraître plus ou moins métriques les unes que les autres ; dans cette vaste catégorie, ce qu’on appelle un prosimètre représente un cas limite où on peut distinguer des parties versifiées, métriques, et des parties (au moins censément) pas métriques du tout, dites en prose.
4Dans certains textes hétérogènes, certaines parties disjointes peuvent sembler constituer un fond discontinu de métricité nulle (prose) dans lequel d’autres parties, métriques, paraissent insérées de place en place ; on peut parler à leur sujet d’insertions métriques si le fond qu’elles interrompent est de prose. On en trouve des exemples bien connus dans la correspondance de La Fontaine et dans ses Amours de Psyché et de Cupidon (1669)8.
Fond métrique des pièces examinées.
5Toutes les pièces de Corneille jusqu’au Cid, comiques ou non, comportent un fond métrique homogène, uniforme dans chaque pièce, et de même forme dans toutes, qu’on peut caractériser comme suit :
Structure du fond métrique. – Suite périodique (« sp ») de vers composés de période rythmique 6‑6-voyelles (« 6‑6v », alexandrins classiques) regroupés en sp de groupes rimiques de période a‑a.
6Plus précisément, chaque vers est une suite de mots, composée de deux suites de mots (sous-vers, demi-vers ou hémistiches) à chacune desquelles est associé un rythme 6 calé sur sa tonique (sa dernière voyelle masculine)9. Soit une organisation rythmique régulière (métrique) à triple étage : sous-vers de 6, vers 6‑6 et distiques a‑a.
7À cette époque, cette organisation métrique était généralement considérée comme la plus neutre. Elle était neutre en effet, sinon absolument, du moins dans un style discursif de ton soutenu, convenant au contexte social du théâtre mondain, comme la prononciation que sa scansion supposait10. C’est dans cet esprit que Corneille pourra reconnaître dans l’« Examen » d’Andromède (1660) que « les vers qu’on récite sur le théâtre [scène] », étant « les moins vers », « sont présumés être prose » ou « tiennent nature de prose », par habitude et convention ; c’est-à-dire que les personnages qui les prononcent ne sont pas censés parler en vers. Leur propos ont simplement été mis en vers par l’auteur ; cette convention est (à certains égards) comparable à celle qui permet de faire parler sur la scène les Romains antiques en français sans prétendre qu’il aient parlé français (neutralisation du rythme et de la langue).
Cadences masculines ou féminines
8On distinguait en outre – au moins conventionnellement et en fonction de la graphie – deux sortes ou espèces de vers et de rimes quant à leur rythme de terminaison (ci-dessous cadence) : les « masculins » dont la forme catatonique11 n’incluait qu’une voyelle (la tonique du vers), comme dans « … jusques au fond du cœur », et les féminins où elle en comportait deux, comme dans « … aussi bien que cruel‑le » (la tonique, et un e posttonique donc ne contribuant pas au mètre, ce qui ne veut pas dire muet). La pertinence de cette distinction était impliquée par les deux régularités ou tendances suivantes :
Valeur conclusive de la cadence masculine. – En position conclusive, notamment en finale de stance, la terminaison masculine était plus commune que la féminine.
9Cette tendance était forte chez un poète comme Malherbe dont les stances, sauf en style métrique de chant, était généralement masculines. Il s’agit toutefois moins d’une règle que d’une sorte de préférence, variable selon l’époque et l’auteur.
10À l’intérieur de suites métriques présentant un certain type de continuité12, notamment à l’intérieur d’une stance13 en poésie littéraire, ou à l’intérieur d’une suite continue de distiques en a‑a, on observait généralement la règle suivante, aujourd’hui dite d’Alternance :
Règle d’Alternance et continuité d’Alternance. Si un vers ne rimait pas avec le précédent, il n’était pas de même cadence (si l’un était féminin, l’autre était masculin). On peut parler de continuité d’Alternance à l’intérieur des suites où l’Alternance était positivement observée ; de discontinuité d’Alternance quand, à l’intérieur d’une suite où l’Alternance était observée, pouvait se remarquer une exception (un vers ne rimant pas avec le précédent et pourtant de même cadence)14.
11Le souci moindre (ou nul) de continuité d’Alternance au passage d’une stance à l’autre était cohérent avec l’idée qu’à la fin d’une stance (proprement dite), conformément à la notion italienne de stanza, on devait pouvoir faire une pause. À ce statut pausal des fins de stance correspond le fait qu’une phrase n’était généralement pas censée enjamber d’une stance dans la suivante, alors qu’elle pouvait plus librement enjamber d’un composant à l’autre à l’intérieur d’une stance, ou encore d’un distique au suivant dans une continuité discursive de distiques en a‑a. La valeur de symptôme de discontinuité que pouvait avoir la non-Alternance peut être illustrée (plus tard dans le siècle) par la fable de La Fontaine « Le Bûcheron et Mercure » (V ,1) où la succession exceptionnelle des mots-rimes « aujourd’hui » et « gagne-pain » (de même cadence masculine) correspond à la frontière entre un prologue de portée plus générale que cette seule « fable » et le conte qui lui succède sous le même titre.
12Qu’en est-il dans les suites de distiques a‑a qui forment le fond métrique des pièces de Corneille examinées ici ? Compte non tenu des frontières des insertions déjà évoquées, et sans tenir compte de pièces où cet auteur semble avoir seulement participé (Tuileries, Aveugle de Smyrne), on peut faire les observations suivantes15 :
Alternance entre actes chez Corneille. Dans le fond métrique de chaque pièce, l’Alternance des cadences rimiques est constante d’un bout à l’autre, donc observée même aux frontières d’actes malgré la discontinuité d’action qui peut leur correspondre.
13Cette régularité contribue, dans ce corpus, à justifier de considérer comme un poème la suite des paroles proférées dans une pièce. Elle s’accordait assez bien avec l’unité de lieu (sans rideau16 ni changement de décor aux entractes). Elle semble valoir, au moins tendanciellement (et moins dans la comédie), jusqu’au début du siècle suivant17. Voltaire, par exemple, l’observera encore dans l’Œdipe (1718), pièce sérieuse et où il est encore un ancien élève des jésuites qui fait ses preuves ; il s’en affranchira dans Mariamne (1724) où l’alternance n’est pas observée à trois entractes sur quatre.
14L’observation de la continuité d’Alternance aux passages d’un acte au suivant pourrait faire douter que la fin d’un acte ait eu (rythmiquement) une valeur de pause, au moins à la lecture. Mais les actes avaient généralement une individualité (voir Scherer, p. 202) que l’ornementation typographique rendait évidente au lecteur, et qui donne sens à l’observation suivante :
Tendance aux finales masculines d’acte et de pièce. Dans les trois premières pièces de Corneille (Mélite, Clitandre, La Veuve), tous les actes (quinze) sont masculins (se terminent par une rime masculine). Les actes masculins, notamment le dernier (donc la pièce), sont encore majoritaires dans les pièces qui suivent (sauf La Galerie du Palais). Jusqu’avant Rodogune (imprimée 1647), une seule pièce sur seize est féminine.
15Il vaut donc la peine d’examiner quelques exceptions d’acte ou de pièce féminine.
16Dans Le Cid, le seul acte féminin n’est tel que par le mot refrain « Chimène » terminant les stances de Rodrigue. Ce nom de consonance espagnole et donnant au mètre la cadence féminine d’un modèle espagnol en mètre 4-6 est la clé de voûte d’un montage métrique complexe et dramatiquement pertinent ; il conclut une insertion métrique en même temps qu’un acte à un moment de suspens extrême et où le destin bascule (voir plus bas § « Stances de Rodrigue dans Le Cid »).
17Seule pièce féminine sur seize avant Rodogune, La Galerie du Palais est sur le point de se conclure par un « double hyménée » quand in extremis, dans l’avant-dernier distique, quelqu’un propose d’en ajouter un troisième ; à quoi il est objecté en derniers vers et dernière rime que « Cela sentirait trop sa fin de comédie ». Cette cadence féminine (par « comédi‑e ») coïncide comme par hasard avec le rejet explicite de ce qui sentirait trop la fin de comédie.
18Dans la dernière scène de Rodogune, alors qu’on commence à célébrer un hymen, on apprend que la mère du marié va lui faire boire une coupe empoisonnée ; démasquée au dernier moment, elle se suicide. Dans les deux derniers distiques, son fils décide de substituer à l’hymen « un deuil sans pareil » pour sa mère et son frère qu’elle vient de tuer et remet le mariage à plus tard : « Et nous verrons après, par d’autres sacrifices, / Si les Dieux voudront être à nos vœux plus propices » (je souligne). Au moment de se résoudre, le drame se conclut ainsi en suspens à l’attente pour plus tard de dieux « plus propi‑ces ».
19Comparons les cadences féminines des neuf pièces de Racine antérieures à Phèdre (1677)18. Une seule est féminine, Britannicus ; l’action se termine peu avant la fin par le désespoir de Néron après l’assassinat de son rival et la fuite de celle qu’il convoitait. On craint alors que Néron se suicide et un sage prononce en dernier vers : « Plût aux Dieux que ce fût le dernier de ses crimes ! » ; les « cri‑mes » qui rendent la fin de scène et de pièce féminine sont l’objet de vœu inquiet et suspensif, non seulement dans la pensée du personnage interne au récit, mais, par élargissement, dans la conscience historique, rétrospective, du lecteur / spectateur qui sait qu’ils ne manqueront pas.
20Phèdre est une pièce féminine sans que, comme dans les cas précédemment cités, sa fin soit suspensive en aucune manière. Cependant l’action essentielle s’est terminée, avant le dernier vers, en distique masculin et comme définitif par ces derniers mots de Phèdre mourante : « Et la Mort à mes yeux dérobant la clarté / Rend au jour qu’ils souillaient toute sa pureté19. » – Ensuite seulement son époux, qui vient par elle de perdre son « cher Fils », décide (derniers vers) qu’on lui rende les derniers honneurs, et, en dernier distique, « Que malgré les complots d’une injuste Famille, / Son Amante aujourd’hui me tienne lieu de Fille. » La cadence féminine de la pièce est déterminée par la notion d’une « Fille », notion contrastant avec celle de « Fils » à la fois par cadence féminine et implication de sexe féminin, à l’instant où cette Fille est censée tenir lieu du Fils perdu à la fin de l’action, en sorte qu’à défaut d’être (à nouveau) conclusive, la notion de « Fille » (où la cadence est contrastivement associée au sexe) est essentiellement pertinente ; cette motivation particulière prévaut ici sur la pertinence d’une cadence conclusive20.
21La fin d’Athalie (1691), dernière pièce de Racine et seule autre féminine chez ce poète, n’est nullement suspensive, et ce n’est pas une « Fille », mais un « Père », également de substitution, qui détermine sa cadence finale dans cette leçon solennelle prononcée par un Grand Prêtre : « Apprenez […] / Que les Rois dans le Ciel ont un Juge sévère, / L’Innocence un Vengeur, et l’Orphelin un Père. » Ni suspens final, ni sexe féminin (au contraire) ne motivent cette cadence. On pourrait alléguer (pour forcer l’explication) que ce Père est tout ce qu’on offre à cet orphelin à la place de ses père et mère, les notions étant fortement corrélées dans le drame, non seulement lexicalement, mais sémantiquement, et rimiquement ; cet enfant a été d’abord identifié par le même Grand Prêtre (scène 2, acte I) comme « quelque enfant rejeté par sa mère, / À qui j’ai par pitié daigné servir de père » ; invité à vivre auprès de la méchante reine qui prétend le traiter « comme [son] propre fils », il lui répond : « Quel Père / Je quitterais ! et pour… – Hé bien ? – Pour quelle Mère » ; etc. ; quoi qu’il en soit, le choix des notions, notamment celle de Père, d’une valeur centrale dans la religion et dans le drame, a pu suffire à imposer lexicalement la cadence féminine, sans qu’elle soit forcément pertinente en tant que telle. Dans ce cas comme dans le précédent, une motivation particulière (lexicale) essentielle à la conclusion de la pièce prévaut sur la tendance à une cadence masculine rythmiquement conclusive.
22Dans les cas nettement minoritaires où un acte (non dernier) est féminin, l’acte suivant commence par un vers masculin, ce qui confirme le souci d’observer l’alternance aux entre-actes en respectant la continuité de fond métrique du poème.
L’Alternance induit-elle un niveau métrique de quatrains ?
23L’Alternance des rimes produit-elle un niveau supplémentaire de structure métrique à l’échelle de la suite périodique des distiques, tour à tour masculins et féminins ? Plus précisément, le fond métrique comporte-t-il, au-delà des niveaux des sous-vers, des vers et des distiques, un quatrième niveau consistant en une suite périodique de quatrains, qu’ils soient masculins en ff‑mm ou féminins en mm‑ff ?
24Il est vrai que dans les pièces de divers auteurs dont Corneille, par moments, sans interrompre la suite de distiques alternants d’alexandrins, l’organisation du dialogue peut donner l’impression d’une suite de quatrains, disons plus prudemment « quatrains » avec des guillemets (pour modérer l’implication métrique), dont Jacques Scherer a montré qu’ils pouvaient contribuer notamment à ce qu’il appelle la pompe du discours21. Mais du même coup, complémentairement, il montrait que la formation de ces « quatrains » est loin d’être majoritaire même dans les pièces où on en remarque le plus. Il s’agit donc d’une tendance plus ou moins nettement marquée, qui, libre et sporadique, ne caractérise le fond métrique lui-même dans aucune pièce ni aucun acte22.
Inscriptions métriques convergentes
25On peut parler d’inscriptions métriques pour caractériser le rapport formel de ces « quatrains » au fond métrique – ils s’y superposent sans l’interrompre – et, plus précisément, d’inscriptions métriques convergentes pour caractériser le fait que leurs frontières externes et même internes coïncident avec des frontières métriques de ce fond (frontières de distiques). Ils sont comparables à cet égard avec ces autres moments de sur-métrification de la parole que sont les stichomythies, dialogues en réparties d’un vers chacune, notion que, dans cet esprit, Jacques Scherer généralise aux dialogues en hémistiches, en distiques ou en quatrains23. L’inscription métrique d’une organisation dialogale, généralement bi-phonique, en hémistiches, vers ou distiques peut paraître formellement redondante dans la mesure où, à la différence des « quatrains », ces sous-vers, vers et distiques sont déjà parfaitement déterminés dans le fond métrique ; mais elle ajoute au moins deux choses. D’une part, hémistiches, vers, distiques et à fortiori « quatrains », sans cesser pour autant de participer comme périodes aux suites périodiques du fond métrique ou sans le contredire (« quatrains » convergents), acquièrent dans ces suites une force particulière liée en partie au fait qu’un alexandrin, la forme d’un distique a‑a d’alexandrins, voire d’un quatrain aabb, étant familière et reconnaissable par conformité à un modèle culturel, pouvait ressortir sur le fond du texte parfois même à l’état isolé (comme signalé par Scherer à propos des « sentences »). À ce potentiel rythmique, la structure de dialogue pouvait ajouter une dimension d’alternance (énonciative, rhétorique…) que le fond ne possédait pas. Par exemple le fond métrique de la scène 2 de l’acte III de La Suivante est, comme dans le reste de la pièce, une suite périodique de vers (alexandrins) constituant une suite périodique de groupes rimiques (distiques) ; or non seulement l’alternance dialogale y confère une autonomie égale à chaque alexandrin, mais elle compose une suite périodique binaire entrelaçant la suite des énonciations d’un amoureux (Clarimond) et d’une femme (Daphnis) ; cette suite, par son caractère quasi-mécanique ostentatoire, scande ironiquement d’une mécanique bien huilée : alternance inlassable d’avances de l’homme et de rebuffades de la femme harcelée24.
26À l’intérieur d’une stance masculine rimée, par exemple, en ab‑ab ccd‑eed, la régularité de la séquence cadentielle alternante fm‑fm ffm‑ffm est une conséquence mécanique de la séquence rimique et n’ajoute rien à la structure en distiques ou tercets, et paires de distiques ou de tercets, même si elle peut la souligner. De même donc, à l’intérieur d’une suite périodique de distiques a‑a, l’alternance régulière des cadences est une conséquence mécanique de la périodicité en distiques. Il ne s’ensuit pas que la métrique de fond de ces pièces en suite périodique de distiques soit celle d’une suite périodique de quatrains ; ce n’est là plutôt qu’une disponibilité, que les « quatrains » sémantiques ou énonciatifs émergeant par moments exploitent.
27Tout de même, à défaut de produire une métrique continue en quatrains, l’Alternance produisait du moins, à partir de l’unique suite périodique (simple) de distiques, une suite périodique binaire (alternante) de distiques de l’une et l’autre cadence, à laquelle probablement certains lecteurs contemporains de Corneille pouvaient être sensibles.
Inscriptions métriques ponctuelles
28Certaines inscriptions métriques, plus brèves et parfois même ponctuelles, ne présentent pas un caractère de suite périodique. Ce sont à vrai dire les plus communes, et elles ont souvent été remarquées et commentées (sous divers noms). Un exemple parmi les plus fameux dans le duo du Cid (acte III, scène 4) entre Chimène et Rodrigue ; les voix féminine et masculine sont distinguées ci-dessous en italiques et romains et les locuteurs indiqués par leurs initiales :
R. O miracle d’amour ! C. O comble de misères !
R. Que de maux et de pleurs nous coûteront nos pères !
C. Rodrigue, qui l’eût cru ? R. Chimène, qui l’eût dit,
C. Que notre heur fût si proche et sitôt se perdît ?
R. Et que si près du port, contre toute apparence,
Un orage si prompt brisât notre espérance ?
C. Ah, mortelles douleurs ! R. Ah ! regrets superflus !
29Dans trois des vers ci-dessus, la paire d’hémistiches cadre un parallélisme verbal, exclamatif – renforcé par reprise d’exclamation « O » dans le premier, « Ah » dans le dernier – ou interrogatif – renforcé par les vocatifs en écho –, et correspondant à l’alternance des deux voix. Dans les deux premiers distiques, les voix qui se répondent d’un hémistiche à l’autre dans le premier vers se réunissent dans le second (dernier). Dans les deux derniers distiques, le second vers oppose d’un hémistiche à l’autre le bonheur proche espéré et sa perte. Ces remarques effleurant à peine l’analyse de ces vers visent à souligner qu’à divers niveaux de l’architecture binaire (vers paire d’hémistiches, distique paire de vers, voire « quatrain » paire de distiques) la rythmique métrique peut scander une opposition et l’organiser hiérarchiquement en lui donnant une résonance exceptionnelle. – Quelques vers plus tôt, comme en prélude à ce moment lyrique intense, c’est à l’intérieur du second hémistiche d’un vers que s’inscrivait en rythme binaire, symétrique en 3‑3v, le conflit du devoir d’honneur et de l’amour quand Chimène vient de dire à Rodrigue qu’elle ne le haïssait pas : « R. – Tu le dois. C. – Je ne puis. »
Inscriptions conflictuelles rhéto-forcées
30Dépassant à ce sujet la limite de notre corpus, rappelons ce passage de la dernière pièce de Corneille, Suréna (1674, acte I, scène 3) : Eurydice, fille du roi d’Arménie contrainte par son devoir d’état à épouser le fils du roi des Parthes, dit à Suréna qu’elle aime, ce qu’elle « veut » de lui :
Vivez, Seigneur, vivez, afin que je languisse […].
Le trépas à vos yeux me semblerait trop doux
Et je n’ai pas encor assez souffert pour vous. […]
Je veux, sans que la mort ose me secourir,
Toujours aimer, toujours souffrir, toujours mourir.
31Dans ce vers souvent cité et qu’aujourd’hui on peut recevoir comme un pur 4‑4‑4 (souvent dit « trimètre », en le considérant comme métrique), la triple répétition (« toujours + Infinitif ») soulignée par périodicité rythmique interne tendait à forcer la superposition du rythme 4‑4‑4 en contrepoint au mètre 6‑6 incontournable du temps de Corneille (la discordance des deux rythmes étant due à l’enjambement du 4v médian « toujours + souffrir »)25. Le 4‑4‑4 ainsi forcé s’inscrivait exactement dans le cadre de la longueur métrique totale de l’alexandrin, mais le groupe de mots médian « toujours souffrir » enjambait la frontière interne 6‑6, laissant « souffrir » en rejet au début du second 6v. La structure ternaire dramatique qui se surimposait ainsi de manière discordante au 6‑6 résultait d’une double antinomie : il s’agissait en effet d’aimer en souffrant (d’une privation d’amour), et d’autre part de souffrir sans mourir.
32Le même Corneille, quelques années plus tôt (1666), avait déjà expérimenté l’inscription forcée du 4‑4‑4 dans le cadre global du 6‑6 dans Agésilas (acte IV, scène 1), pièce dont le style relativement libre, mêlant aux 6‑6 dominants quelques 8v comme ci-dessous, avait pu l’encourager à tester des innovations. La structure ternaire dramatique tenait alors à la triple dépendance d’une femme (Elpinice) à son père, à son roi et à l’homme auquel elle était promise (Cotys)26. Cette triple dépendance lui interdisait d’épouser l’homme qu’elle aimait (Spitridate) sans qu’elle puisse même l’avouer. Dans la scène 1 de l’acte IV, celui-ci la presse de produire cet aveu :
S. – Dites, dites un mot, et ma flamme enhardie…
E. – Que voulez-vous que je vous die ?
Je suis sujette et fille, et j’ai promis ma foi ;
Je dépends d’un amant, et d’un père, et d’un roi.
S. – N’importe, ce grand mot produirait des miracles.
Un amant avoué renverse tous obstacles :
Tout lui devient possible, il fléchit les parents,
Triomphe des rivaux, et brave les tyrans,
Dites donc, m’aimez-vous ?
E. – Que ma sœur est heureuse !
33elle répond à côté, puis enfin semble amorcer un aveu en suspens ; lui : « Ah ! Madame, achevez […] » ; elle enfin27 :
Voyez le Roy, voyez Cotys, voyez mon père,
Fléchissez, triomphez, bravez,
Seigneur, mais laissez-moy me taire.
34(ce qui vaut aveu malgré la prétention de se taire). Soit un quintuple martellement dramatique ternaire dont l’alexandrin sur-rythmé en 4‑4‑4 n’est qu’un moment dans la suite des propos qu’on vient de citer :
35– Le premier triplet (avec « sujette », « fille » et « ma foi ») s’inscrit dissymétriquement mais sans discordance dans le cadre 6‑6 (deux éléments dans h1, un dans h2).
36– Le second triplet, énumérant les trois personnes dont elle s’estime dépendante (« amant », « père » et « roi »), s’inscrit aussi dissymétriquement en 6‑6 (un élément dans h1, deux dans h2) ;
37– Le troisième triplet (« parents », « rivaux » et « tyrans ») s’inscrit dans une suite d’hémistiches [… h2 / h1 h2] qui n’est pas une unité métrique, mais du moins est calée contre la fin d’un distique.
38Seuls les deux triplets suivants s’inscrivent dans une unité métrique (un vers) non seulement exactement, mais sans dissymétrie : le dernier s’inscrit en trois mots dans le 8‑voyelles métriquement simple28 ; le précédent, triplet forcé de 4v en « Voyez + N » – où la variable nominale N correspond aux trois contraintes pesant sur la femme –, s’inscrit exactement dans l’alexandrin, mais en divergence interne, comme dans l’alexandrin binaire / ternaire de Suréna. Le forçage rhétorique du 4‑4‑4 en contrepoint du 6‑6 scande un conflit que l’alexandrin à double rythme, qu’on peut noter « 6‑6 × 4‑4‑4 », porte en lui. La fin de sa scène tend vers « le moyen » de le résoudre (« … les mettre d’accord »), confirmant que c’est le nœud du drame.
39Dans Suréna comme dans Agésilas, le ternaire 4‑4‑4 en tension dans un binaire 6‑6 se reformera sans cette tension dans une unité métrique simple, mais de manière plus ostentatoire. Déjà le ternaire verbal « Fléchissez, triomphez, bravez » s’inscrivait dans un 8v dont le rythme fonctionnait en clausule d’une série d’alexandrins. Au ternaire d’Eurydice fera écho à la fin de leur entretien celui de Suréna, concentré en un hémistiche : « … Où dois-je recourir, / O ciel ! s’il faut toujours aimer, souffrir, mourir ? » ; la concentration du triplet verbal et dramatique en un simple 6‑voyelles est permise par la mise en facteur commun de l’adverbe « toujours » en contre-rejet à la fin du premier hémistiche ; dans le 4‑4‑4 × 6‑6 auquel il fait écho, le fatal « toujours » était déjà en contre-rejet à « souffrir » (lui-même distingué en rejet) ; dans le second cas, il est en contre-rejet commun au triplet d’aimer, souffrir et mourir. Le caractère interrogatif et désespéré de cette pointe ternaire convient dramatiquement à cette fin de premier acte. Ainsi, comme le premier acte du Cid se terminait par un montage rhétorique, dramatique et rythmique concentrant sur le nom de « Chimène » un conflit binaire d’amour et d’honneur, le premier acte de Suréna se termine par un montage, rythmiquement différent, également original, autour d’un conflit ternaire de devoirs ou de contraintes.
40En retravaillant plus de deux siècles plus tard l’inscription du 4‑4‑4 en 6‑6, et en la poussant peu à peu plus loin dans un contexte culturel bien différent (crise du 6‑6 même), Victor Hugo ne me semble pas être allé plus loin que Corneille, qu’il admirait, dans le montage contextuel et sémantique de cette inscription métrique.
À propos d’inscription de 4‑4‑4 en 6‑6 au xviie siècle
41Corneille, s’il en a fait un brillant usage, n’est pas le premier inventeur du forçage rhétorique du 4‑4‑4 en 6‑6. Voici en ordre chronologique les cinq alexandrins à parallélisme répétitif 4‑4‑4 (incluant les deux siens) dont j’ai connaissance en ce siècle29. On cite souvent (mais hors contexte) un exemple de d’Aubigné30 (1630) à propos de petits enfants qui ne savent pas encore parler s’adressant à ceux qui veulent les massacrer : « …quand ils tendoient leurs mains, / Ces menottes montroient par signe aux inhumains : / Cela n’a point peché, cette main n’a ravie
A – Jamais le bien, jamais rançon, jamais la vie31. »
42Plus de vingt ans plus tard, Scarron, dans un vers souvent oublié dans les discussions sur ce rythme, faisait dire à Japhet dans sa pièce Japhet d’Arménie (1654, acte III, scène 4)32 :
B – Maudit Amour, maudit Orgas, maudit voyage,
B’ – Maudite Leonore, & maudit son visage :
43Exemple d’autant plus remarquable et manifestement médité que s’y succèdent, à la fois parallèles et contrastifs d’un vers à l’autre du même distique, une inscription rhétorique ternaire, puis un équivalent binaire, en 6‑6. Cette parenté contextuelle du ternaire au binaire est analogue à la parenté génétique du ternaire de d’Aubigné (voir note 33).
44Suivent, chez Corneille, les cas examinés plus haut, en 1666 dans Agésilas (acte IV, scène 1)
C – Voyez le Roi, voyez Cotys, voyez mon père,
C’ – Fléchissez, triomphez, bravez,
45puis en 1675 dans Suréna, exemple le plus fameux (volonté d’Eurydice) :
D – Toujours aimer, toujours souffrir, toujours mourir.
46à quoi fait ensuite écho, en derniers mots de l’acte 1 (angoisse de Suréna) :
… Où dois-je recourir,
D’ – O ciel ! s’il faut toujours + aimer, souffrir, mourir ?
47Sixième et dernier exemple de cette collection, en 1684, dans la comédie Ragotin ou le Roman comique de Champmeslé et La Fontaine, dérivée du roman de Scarron (acte V, scène 12)33 :
Ne trouverai-je ici qu’outrage sur outrage ?
C – Maudit château, maudit amour, maudit voyage.
48Chacun de ces exemples est-il indépendant (génération spontanée) ou influencé par le modèle d’un prédécesseur ? Que certains puissent être indépendants, on peut l’envisager a priori, conformément à l’idée de Rochette (1911 : 118) selon qui, sur le modèle connu du parallélisme binaire en 6‑6, en présence d’un troisième terme, un « léger caprice de syntaxe » pouvait suffire à faire surgir quasi-accidentellement un parallélisme ternaire.
49Sans exclure cette éventualité (du moins pour certains cas et complémentairement), il paraît presque évident que le vers de Ragotin (1684), exemple le plus tardif, fait au moins écho à celui du Japhet de Scarron (1653), ne serait-ce que parce qu’il reprend deux éléments de son triplet (« maudit amour » et « maudit voyage » avec sa rime). Cela ne suffit pas à rendre improbable qu’ils aient connu le ternaire de Suréna ; non seulement Corneille – mort quelques mois après les représentations de Ragotin – restait un monument du théâtre français, mais les deux Champmeslé avaient joué dans les années 1670 à l’Hôtel de Bourgogne où Suréna fut joué34 ; il est très peu probable qu’ils n’aient pas remarqué ce vers remarquable.
50Une remarque due à Georges Kliebenstein suggère qu’en outre, dans la bouche de Ragotin, l’alexandrin classique ternaire pouvait avoir une résonance d’ordre mimétique35 : à la suite d’un concours de circonstances fatal, ce malheureux dont le nom rime à « destin » (nom d’un personnage plus heureux dans la pièce) a le pied emboité dans un pot de chambre ; vu sa petite taille, il y semble collé comme une statue sur son pied d’estal (piédestal) et semble boiteux – parallèlement à Japhet à qui on avait réussi à donner l’impression qu’il était sourd – ; la notion de pied pouvait correspondre en métrique française à deux syllabes métriques et le 4v médian entravant la césure 6‑6 pouvait faire paraître le vers boiteux ou estropié36. Ces résonances métriques (burlesques) du drame tendent à confirmer que les auteurs sont conscients du travail rythmique et de sa pertinence dramatique. Ils ne sont sans doute pas les premiers.
51L’accident du pot de chambre / pied d’estal de Ragotin rappelait immanquablement aux contemporains la difformité physique dont Scarron plaisantait lui-même. On lit encore dans le dictionnaire de Furetière (1690)37, à l’entrée jatte (sorte de récipient peu profond) : « On appelle cul de jatte un pauvre estropié qui n’a ni cuisse ni jambes [sic] dont il puisse se servir, & qui est obligé de marcher sur ses fesses enfermées dans une jatte. Scarron s’appeloit cul de jatte, car il estoit tellement paralytique, qu’il ne pouvoit sortir de sa chaise. » Le pot de chambre où s’emboite Ragotin vaut la jatte du cul de jatte boiteux et ainsi les alexandrins de 1653 et de 1684 boitent de conserve en 4‑4‑4.
52Les cinq cas cités ci-dessus de forçage de 4‑4‑4 en 6‑6 semblent avoir, plus ou moins précisément, quelque chose en commun sur le plan du sens et de l’émotion. Cela, on l’a vu, va de soi pour les deux exemples associés au nom de Scarron ; comme Japhet, Ragotin est un personnage ridicule ; comme lui, il arrive au comble d’une situation malheureuse qui le ridiculise ; fou furieux comme lui, il maudit son sort en un alexandrin ternaire qu’on peut supposer gueulé plutôt que déclamé (rien à voir avec le 4‑4‑4 ronronnant de fin de xixe siècle)38. La femme qui prononce le 6‑6 ternaire dans Agésilas se plaint de la triple contrainte (liée à des enjeux politiques) que son sort lui inflige. Même chose exactement pour l’exemple de Suréna. Ces quatre vers ont en commun d’exprimer un triple malheur ou de constituer une triple malédiction. Même l’exemple de d’Aubigné n’est pas sans quelque rapport avec eux : il n’exprime pas un malheur (l’assassinat imminent), mais la triple innocence que les tout petits effrayés lui opposent. Son pivot rhétorique « jamais » équivaut (avec négation) au mot pivot de Suréna « toujours » et dans les deux cas il est question de « vie » ou de « mourir » ; il est vrai que destin et fatalité peuvent naturellement attirer ces notions dans un drame.
53Le rapport des vers sérieux de Corneille avec le 4‑4‑4 × 6‑6 burlesque de Scarron est moins évident. Mais Japhet d’Arménie avait eu un énorme succès et avait été joué plus de trente fois par la troupe de Molière à une époque où Corneille était en pleine activité. Scarron, dramaturge comique à succès et dont le personnage de Jodelet s’était imposé, avait rivalisé avec Thomas Corneille. Il paraît vraisemblable que le grand Corneille, qui avait lui-même brillamment métrifié l’héroïsme comique dans L’Illusion comique, ait connu vers de Japhet ; et que l’ayant entendu ou lu, il ait pu en apprécier l’effet ; et finalement, qu’à son tour il ait entrepris de transposer l’effet tragico-comique de ce montage rythmique en un effet tragique-élégiaque. Chez lui comme chez le burlesque, la série de malédictions ou de contraintes qui s’inscrit d’abord en contre-rythme ternaire dans un 6‑6 s’inscrit ensuite dans une forme différente, que ce soit, binaire, en un vers 6‑6 ou, encore ternaire, en hémistiche de 6.
Continuité cadentielle du fond métrique en cas d’insertion
54Revenons aux insertions proprement dites, qui à la différence des inscriptions métriques ne se superposent pas au fond métrique de la pièce. En l’interrompant, interrompent-elles même la continuité à l’égard des cadences ?
Insertions en prose
55La lecture de lettres – propos en quelque sorte importés de l’extérieur et sous formes d’objets dans l’action sur scène – supposait une extension de la convention de neutralité des vers : il fallait étendre à ces objets extérieurs importés sur la scène la convention selon laquelle la mise en vers du langage ne relevait pas des personnages, mais du style de l’auteur ; sans ce complément de fiction, le fait que la lettre soit écrite en vers risquait de paraître peu naturel. Peut-être est-ce une des raisons pour lesquelles, dans la comédie au moins39, parfois les propos épistolaires cités ne sont pas mis en vers. Quels rapports formels entretiennent alors ces inserts de prose avec le fond métrique de la conversation ?
56Le corpus contient (au moins40) quatre insertions en prose qui sont autant de lettres lues par un personnage : trois lettres « supposées » dans Mélite (une à l’acte II, scène 6, deux à l’acte III, scène 2) et une anonyme dans la Suite du Menteur (acte I, scène 2). À chaque fois, le distique qui précède la lecture de la lettre et le distique qui la suit sont de cadences opposées : la suite métrique de fond semble donc en quelque sorte enjamber et ignorer la lecture de la lettre ; à cet égard, celle-ci est traitée comme une action, un bruit ou un objet extérieur ou transparent à la conversation41. Cette espèce d’extériorité de la lettre citée au texte du poème permet de considérer qu’il n’est pas intrinsèquement prosimétrique.
Insertions métriques
57En cas d’insertion métrique, on peut se poser les questions suivantes :
581. Y a-t-il Alternance aux bords de l’insertion ?
59On constate que l’Alternance reste continue aux points de contact de l’insertion métrique avec le fond ; notamment le dernier vers précédant l’insertion et le premier vers de celle-ci ne sont jamais de même cadence. Ceci semble cohérent avec le fait que l’Alternance des rimes n’induit pas un quatrième niveau de structure métrique, puisque, si tel était le cas, l’insertion pourrait interrompre ce niveau métrique en même temps que les niveaux inférieurs42.
602. Le fond métrique enjambe-t-il l’insertion ?
61On peut le tester en observant les cas où l’insertion commence et finit par des rimes de même cadence ; disons qu’une insertion, envisagée en bloc, est de type « F_F » si son premier et son dernier vers sont tous deux féminins, « M_M » s’ils sont masculins. C’est le cas des stances de Florame qui, dans La Suivante (acte II, scène 2), forment un bloc de type F_F ; on constate que l’Alternance est respectée à ses frontières par les mots-rimes « sœur / finie » au début, « mienne / lieux » à la fin et que, si on effaçait ce bloc, la suite de mots-rimes « sœur / lieux » n’alternerait pas. La suite de fond n’enjambe donc pas l’insertion métrique et, à la différence des insertions en prose, l’insertion est métriquement intégrée au texte du poème (cas d’hétérogénéité métrique43)44.
623. Y a-t-il continuité d’Alternance à l’intérieur de l’insertion ?
63L’Alternance est observée sans la moindre exception à l’intérieur de chacune des stances du corpus, ce qui tend à confirmer un souci de versification proprement littéraire (dans une pure métrique de chant, l’Alternance pourrait être moins systématique). Par contre l’Alternance n’est pas toujours observée au passage d’une stance à l’autre, sans doute à cause de son incompatibilité avec la périodicité (unaire) de la formule de cadences pour les strophes qui commencent et se terminent par des vers de même cadence. Exemple : dans chacune des stances de Florame dans La Suivante (acte II, scène 2), la formule rimique abab cc entraîne que le premier et le dernier vers sont de même cadence ; en ce cas, le poète a choisi de privilégier l’alternance aux frontières de stances par rapport à l’uniformité de leurs formules cadentielles ; elles sont donc alternativement cadencées en fmfm ff et en mfmf mm. Mais inversement, pour les stances de Clarice dans La Veuve (s3.8), rimées en abab ccd ede, il a choisi l’uniformité de la formule de cadence telle que toutes sont masculines : mfmf mmf mfm.
64La continuité d’Alternance jusqu’aux frontières entre stances semble tout de même majoritaire, et les stances de Florame plutôt contraires à cette tendance générale45.
Stances de Philiste dans La Veuve
65Commençons notre essai d’analyse de la structure strophique des stances (périodiques) en examinant le premier exemple du corpus. Un tableau résumant les observations métriques essentielles est présenté à la fin de cette étude, ses notations sont expliquées au fur et à mesure des analyses ci-dessous.
66Dans La Veuve (acte II, scène 1), Philiste, amant de la veuve Clarice, seul, se plaint en une série de cinq stances de même schéma46 de rimes – superficiellement abbaccdede pour qui arrive à lire une telle formule – et de mètres, 8.8.8.8.8.8.8.7.7.7 – dont voici la première. Chaque formule de rimes « ab‑ba » et « aab‑ccb » est inscrite à hauteur du dernier vers d’un groupe rimique qu’elle décrit.
Structure de la stance en modules et groupes rimiques
67Suivant la méthode traditionnelle de décomposition des strophes qu’on peut appeler dispositionnelle, selon les modèles dits de « disposition » en aabb… (rimes dites plates ou suivies), abab (croisées) et abba (embrassées)47, les stances de Philiste sont analysables en un quatrain de rimes croisées, un distique de rimes plates et un second quatrain de rimes croisées. Ce découpage produit ici – comme souvent quand on pratique ce type d’analyse –, des groupes métriques en désaccord avec le sens. C’est ainsi par exemple que Maurice Souriau48 analyse imperturbablement en Quatrain-Distique-Quatrain des dizains classiques où Martinon (1912), plus conformément au sens et au rythme, reconnaîtrait un quatrain et une paire de tercets (sixain). Je proposerai ici, en essayant de tenir compte autant que possible du sens, une analyse selon des principes différents, selon laquelle les vers sont généralement regroupés en petits ensembles d’un à trois vers, modules, eux-mêmes regroupés en groupes rimiques de deux modules au moins (rarement plus). Ce n’est pas ici le lieu d’argumenter cette méthode49, mais disons simplement qu’elle permet de faire des analyses qui sont la plupart du temps en accord avec celles de Martinon. – Dans cet esprit, les stances de Philiste semblent métriquement analysables en quatre modules (« m.1 » signifie « module 1 » d’un groupe rimique, et ainsi de suite) :
Groupe rimique 1
m. 1 Secrets tyrans de ma pensée, / Respect, amour, de qui les lois
m. 2 D’un juste et fâcheux contre-poids / La tiennent toujours balancée,
Groupe rimique 2
m. 1 Que vos mouvements opposés, / Vos traits, l’un par l’autre brisés, / Sont puissants à s’entre-détruire !
m. 2 Que l’un m’offre d’espoir ! que l’autre a de rigueur ! / Et tandis que tous deux tâchent à me séduire, / Que leur combat est rude au milieu de mon cœur !
68Les deux modules, distiques, du premier groupe rimique (ci-dessous « GR ») sont appariés par les rimes portées par les mots « pensée / lois » et « poids / balancée » ; les deux modules suivants sont appariés en GR par les rimes portées par les mots « s’entre-détruire » et « séduire ». La rime appelée par la terminaison globale du premier module de chaque groupe – portée par « lois » dans le premier groupe, « entre-détruire » dans le second – est distinguée ci-dessus en gras comme rime principale du point de vue de l’appariement rimique en modules. On remarque, dans chacun des deux groupes rimiques de cet exemple, que ce n’est pas la dernière terminaison de vers du second module (sa terminaison globale), mais l’avant-dernière qui rime avec la terminaison globale du module initial ; on peut dire à cet égard, en s’inspirant des analyses et de la terminologie de Martinon, que la rime principale, déterminée par le premier module, est anticipée (avant-dernière) dans le second, et que le groupe rimique dont la fin est ainsi marquée est inverti.
69La notation alphabétique vers par vers abbaccdede pour une telle strophe est d’une utilité irremplaçable parce qu’elle est incontestable (ne prenant aucun risque analytique) et qu’elle permet de classer les strophes d’une manière univoque, sinon rationnelle. Souvent on les classe d’abord par leur nombre de vers (d’où les dénominations du type « quatrain », « sixain », etc.), puis on les classe subsidiairement selon leurs formules rimiques50. Ces deux principes sont efficaces pour les répertorier exhaustivement, mais sans valeur analytique. Mon propos étant ici plutôt de tenter de les analyser (au risque d’erreurs), je recourrai à un type plus analytique de notation, dont un avantage collatéral est qu’il offre des formules plus lisibles.
Notation numérique et modulaire
70Un module peut être noté par le chiffre « 1 », « 2 » ou « 3 » selon qu’il comporte un, deux ou trois vers (donc une, deux ou trois terminaisons rimantes en poésie classique). S’agissant de nombres à un seul chiffre, on peut sans ambiguïté noter non seulement par exemple « 2 2 », mais « 22 » (prononçable « deux deux » et non « vingt-deux ») une paire de deux modules de « 2 » vers (distiques). Ainsi un quatrain ab‑ab ou ab‑ba, comportant deux modules successifs de deux vers, pourra être noté « 22 » (deux et deux vers). Ci-dessous, au besoin, on distinguera au besoin les quatrains invertis en ab‑ba par un prime, ce qui permettra de les distinguer comme groupes « 22’ » (lire « deux-deux prime ») des quatrains ab‑ab non-invertis, notés « 22 » (sans prime)51. Le second GR de l’exemple ci-dessus (de Philiste), paire de modules tercets, peut donc être noté « 33 » (« trois, trois »), et plus précisément « 33’ » pour préciser qu’il est inverti.
71La combinaison des deux groupes rimiques 22 et 33 (invertis ou non) en un groupe de groupes rimiques (« GGR ») sera notée ci-dessous « 22.33 » (« deux-deux, trois-trois »), un point marquant la frontière des groupes rimiques réunis 22 et 33).
72Il s’en faut de beaucoup que cette notation numérique des modules soit applicable à toutes sortes de systèmes rimiques. Mais il se trouve qu’elle permet de décrire en formules brèves et compréhensibles au coup d’œil, donc de comparer, une grande proportion des combinaisons attestées dans la poésie française classique, d’où son utilité pour la présente étude.
73Moyennant ces conventions, l’organisation rimique de la stance de Philiste peut être notée 22’.33’, soit un groupe composé (GGR) de deux groupes rimiques simples (GR), tous deux invertis, l’un constitué de modules de deux vers (distiques), l’autre de trois (tercets52).
74On reviendra plus bas sur la structure en mètres (8 ou 6‑6) de cette stance et sur ses cadences masculines ou féminines, en lui comparant l’exemple qui suit.
Stances de Clarice dans La Veuve
75Plus tard dans la même pièce (acte III, scène 8), une veuve qu’aime Philiste, Clarice, dont les tourments sont passés et les « vœux » « exaucés », exprime sa joie en stances dont la cinquième est interrompue par des arrivants :
76C’est le même format rimique que pour les stances de Philiste dans l’acte précédent, à un détail mineur près : ici seul le second GR composant de stance est inverti (formule 22.33’ alors que les stances de Philiste commençaient en 22’). L’Alternance entraîne que les premier et dernier vers de chacune des stances de Clarice sont de mêmes cadences (par « désirs » et « moi » dans la première citée ici). De là une sorte de dilemme : ou bien l’Alternance sera observée à chaque passage d’une stance à l’autre, et alors les deux premières seront de formules cadentielles inverses : mf-mf.mmf-mfm, fm-fm.ffm-fmf… (et ainsi de suite) ; ou bien l’Alternance sera ignorée à leurs frontières, et leur suite cadentielle pourra être uniforme : mf-mf.mmf-mfm, mf-mf.mmf-mfm, … Ici l’auteur a fait ce dernier choix : toutes les stances sont donc masculines (du type M—M). Ce choix n’était pas rare, à cette époque encore, en poésie littéraire, donc ce n’est pas un trait de style métrique de chant.
77Plus frappante sans doute est la différence de mètres entre les stances de Philiste et celle de Clarice. Dans ces deux suites, le mètre de base – par lequel un sous-ensemble participe à la périodicité de sa série – est d’abord 8 ; mais alors que, dans les stances de Philiste, il se prolongeait (du moins comme mètre de base) jusque dans le premier tercet, dans les stances de Clarice, dès le premier tercet, il cède la place au mètre 6 comme second mètre de base (et non simple clausule en finale de stance)53 ; d’où, dans ces stances de Clarice, non pas simplement deux, mais trois mètres de base successifs : 8 dans le quatrain (comme premier mètre récurrent), 6 dans le premier tercet, puis 6‑6 dans le tercet final. À ce contraste entre les stances de Philiste et Clarice s’ajoute, au niveau des clausules, une autre différence de complexité : dans le quatrain initial des stances de Philiste, rythmé en 88 88, aucune clausule ne vient contraster avec la base 8, alors que dans le quatrain de Clarice, de même base 8, chaque module distique est ponctué d’une clausule en 6‑6 ; d’où la suite de mètres 8C 8C si on note « C » (prononçable « douze ») la longueur anatonique totale54 de l’alexandrin (cette notation permet de faire correspondre à chaque mètre un symbole unique). Passons au tercet conclusif : chez Philiste, il est lisse en trois alexandrins ; chez Clarice, il reçoit une clausule de 6 qui ponctue (plutôt joyeusement me semble-t-il) à la fois le tercet et la (première) strophe : « Mon Philiste est à moi ». Il y a donc, des stances de l’amant à celles de l’amante, une différence de complexité rythmique qui a d’autant plus de chances d’être sensible qu’elle contraste sur un fond de structure modulaire essentiellement identique. Ce contraste d’ornementation rythmique – du moins au plus orné – tend, peut-être, à rythmer le contraste dramatique de la tonalité plaintive des stances du premier à la tonalité désormais joyeuse des stances de la seconde. « Ce n’est plus avec des soupirs / Que je viens abuser de votre solitude / […]. L’amour est maintenant le maître de nos bouches / Ainsi que de nos cœurs » (je souligne), dit en effet Clarice heureuse.
78La complexité des mètres est l’aspect le plus évident de la complexité des strophes qui fut à la mode en cette période d’art « baroque ». Martinon (1912) dans sa magistrale « Introduction » la juge excessive en estimant qu’elle a poussé, à cette époque, à écrire à des strophes parfois si complexes que leur équivalence rythmique et leur structure n’étaient plus perceptibles. Dans les stances de Clarice, Corneille s’est aventuré dans cette direction (sans aller aussi loin que certains de ses contemporains), mais on verra que la plupart de ses autres stances périodiques sont d’un style métrique plus sobre.
79Les stances dramatiques de Philiste sont les « premières » de Corneille selon l’éditeur des Œuvres complètes (Seuil, 1963)55 ; ce commentateur tient secrètes les raisons ou les sources qui les lui font estimer antérieures à celles de Clarice. Il me paraît plus intéressant de noter la probable corrélation, à distance, de ces deux suites56 ; que cette espèce de diptyque représente la première expérience d’insertions de stances dans le théâtre de Corneille ; et que par suite, au théâtre, à part le cas très particulier des stances du Cid, il ne donnera plus tant dans la coquetterie de la sophistication baroque.
80On peut remarquer que Corneille n’a pas choisi pour la plainte de Philiste des stances féminines avec lesquelles les stances de Clarice heureuse auraient pu contraster comme masculines ; on imagine volontiers que deux siècles plus tard un Victor Hugo, attentif à ce qu’on pourrait appeler peut-être la tonalité rythmique, aurait peut-être pu jouer sur un tel contraste de cadences de strophes57.
Remarque sur les stances isolées
81On peut regretter que l’étude de la complexité ne soit pas étendue ici aux stances isolées, mais la complication rythmique d’une strophe a une conséquence spéciale dans une suite périodique : elle risque de nuire à la perceptibilité de la périodicité strophique. À la différence des stances périodiques, une stance isolée peut, si elle n’est pas simplement perçue comme conforme à un modèle strophique, s’apparenter (plus ou moins) à la liberté d’allure des vers dits mêlés ou irréguliers ; mais elle peut aussi s’apparenter à distance à une autre stance isolée comme on verra plus bas à propos de lettres lues dans La Place Royale.
Harmonie fond / insertion des mètres
82Le mètre de base premier des stances de Philiste et Clarice dans La Veuve est 8. Il ne prolonge donc pas le fond métrique dont le mètre de base (unique) est 6‑6, mais il n’entre pas en dissonance avec lui : la combinaison avec 8 était la plus banale pour les mètres composés 4‑6 et 6‑6 en poésie littéraire. Le second mètre de base dans les stances de Clarice, 6, était également commun tant en combinaison avec ces mètres composés à finale de 6 qu’avec le rythme 8. L’harmonisation du mètre de base conclusif 6‑6 dans les deux suites de stances avec le fonds métrique de la pièce va de soi.
Plainte de Célidée dans La Galerie du Palais
83Célidée se plaint ainsi dans La Galerie du Palais (acte III, scène 10) :
§1/7
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Infidèles témoins d’un feu mal rallumé. Soyez-les de ma honte, et vous fondant en larmes, Punissez-vous, mes yeux, d’avoir trop présumé Du pouvoir de vos charmes. |
84Soit une suite de quatrains de structure modulaire 22 dont la cadence globale féminine est, peut-être, en rapport avec le ton plaintif. Ces stances sont du type littéraire le plus simple : d’une part, chacune est constituée d’un seul groupe rimique (paire de modules), et non de deux comme celles de La Veuve qui à cet égard sont composées (de deux GR) ; de plus, chacune est constituée de modules de deux vers, alors que le second groupe rimique des stances de La Veuve est constitué de tercets. Leur seule « ornementation » (si on peut dire) consiste en l’abrègement métrique final (clausule de 6).
85Elles tranchent relativement peu sur le fond métrique de la pièce : leur mètre de base 6‑6, et même la taille des modules (distiques, comme les groupes rimiques a‑a du fond), le prolongent.
Esquisse de bilan provisoire
86Les stances insérées en suite périodique dans ces premières pièces de Corneille (de 1629 à avant 1634 environ) sont toutes rythmées en groupes rimiques (GR paires de modules de deux ou trois vers) ou groupes composés de deux groupes rimiques (GGR), de structure normale et régulière dans la poésie littéraire de l’époque. Une certaine complexité de mètres, spécialement dans les stances de Clarice, pourrait faire penser à un style métrique de chant, mais elle n’était pas rare à cette époque en poésie littéraire.
87Jusqu’ici nous avons passé en revue toutes les suites périodiques de stances insérées dans le fond métrique d’une pièce. Les stances périodiques des pièces suivantes ne seront pas examinées exhaustivement.
Nouveautés dans La Suivante et La Place Royale
Distique a-a de modules simples
88Dans La Suivante et La Place Royale apparaît un trait nouveau par rapport aux suites de stances antérieures, que peut illustrer la première des cinq stances de Florame dans la scène 2 de l’acte II de La Suivante :
89Soit un groupe rimique de structure modulaire 22, en mètre de base 8, conduisant à un groupe rimique de structure 11 (a‑a) en mètre de base 6‑6. On a déjà constaté l’apparition d’un second mètre de base dans des stances de La Veuve, mais la nouveauté consiste ici en la présence du groupe rimique a‑a à modules simples (d’un seul vers chacun). Un distique a‑a d’alexandrins, en soi, pourrait paraître simplement conforme au fond métrique de la pièce, mais, dans la poésie littéraire strophique française, différente à cet égard de l’anglaise et de l’italienne, les modules simples (d’un vers) étaient généralement évités, sauf, dans certains corpus, en conclusion de forme strophique (a‑a unique final) comme dans ces stances de Corneille. Cet emploi du a‑a conclusif de stance ne semble pas avoir forcément, à cette époque, une valeur de style métrique de chant comme ce sera le cas plus tard. Par contraste avec les groupes rimiques précédents constitués de modules plus complexes (de deux ou trois vers), il était peut-être favorable à l’expression condensée d’une pensée (parfois une pointe), en couronnement de la strophe.
90Quant aux cadences, l’Alternance intra-strophique entraîne que les stances de cette formule rimique sont cadencées soit en F_F, soit en M_M, ce que Corneille aurait aisément pu éviter en optant pour le quatrain inverti (ab‑ba cc au lieu de ab‑ab cc). Dans cette suite-ci, il a observé l’Alternance trans-strophique plutôt que l’uniformité des formules de cadences ; ce peut être un indice de ce qu’elle n’était pas destinée (principalement) à être chantée58 ; cependant, si on note A les stances féminines et a les masculines, cette suite de stances est de la forme A a A a A qui peut être musicalement traitée comme ternaire avec trois couplets féminins séparés par deux masculins59.
Morales en quatrains dans un couple de pièces
91Parallélisme notable d’une pièce à l’autre, chacune des deux pièces suivantes, La Suivante et La Place Royale, se termine par un monologue strophé en quatrains de structure 22 (ab‑ab), masculins, à base d’alexandrins (sans clausules). Le nombre 10 de quatrains dans chacune de ces deux suites, non sensible et sans valeur métrique, tend à confirmer la volonté (consciente) de parallélisme d’une pièce à l’autre – ce qui fait sens chez un auteur remarqué dont les « poèmes » peuvent être rassemblés en recueil.
92Ces quatrains sont d’un lyrisme strophique minimal en versification littéraire. En alexandrins sans clausules, en continuité d’Alternance intra et trans-strophique, avec leurs modules distiques, ils contrastent assez faiblement avec le fond métrique de la pièce (à part la discontinuité inhérente aux stances).
93Chacune de ces deux suites de stances, de forme et de ton faiblement lyriques, plutôt ou plus qu’elle n’exprime un état d’âme (épanchement lyrique), tire, du point de vue d’un personnage qui se retrouve finalement seul – une suivante (Amarante) dans un cas, un homme (Alidor) dans l’autre – une sorte de bilan et de morale de l’histoire : le passage du drame à la morale qui lui succède, la prise de conscience distante que cette morale implique dans l’esprit du personnage, motivent ce changement de style métrique, et, de plus soulignent le parallélisme des deux suites de stances d’une pièce à l’autre. Ce parallélisme soutient un contraste. L’une, dépitée, perd un amoureux, et finit par maudire des personnes qui l’ont déçue. L’autre, « amoureux extravagant », prétend se réjouir de sa situation. Le parallélisme de ces finales, invitait le lecteur à comparer les intrigues et le sens des deux pièces60. Soit un cas remarquable d’écho métrique ostentatoire d’une pièce à l’autre.
Stances isolées mais parallèles à distance, et groupe géminé
94Sortant un peu du cadre restreint de l’étude des stances périodiques, considérons cette stance isolée insérée dans La Place Royale (acte II, scène 2) en lecture d’une « lettre supposée » d’Alidor à Clarine :
95Cette stance est composée de trois GR, deux quatrains en 22’ et un distique en 11-vers, dont les deux premiers forment plausiblement un groupe composé (GGR) 22’.22’, que le distique en alexandrins couronne (achevant un groupe surcomposé), même si syntaxiquement le second quatrain se rattache plus précisément à la fin du second quatrain. La paire de quatrains que j’imagine, GGR composé de deux GR de même format, peut être dit géminée au sens de Martinon (1912). La gémination, et plus généralement ce qu’on peut appeler l’équi-composition de deux ou plusieurs groupes de même format, est un trait marqué de style métrique de chant, convergeant en cela avec la valeur stylistique du distique final en a‑a.
96Puis, dans la même Place Royale (acte IV, scène 7), on lit à nouveau une lettre, « Billet de Cléandre à Angélique », également constituée d’une seule stance. Elle est du même format rimique que la précédente, à cette seule différence que les deux quatrains y sont non-invertis (ab‑ab). La séquence de mètres en est peu différente et, à distance, ne marque sans doute pas un contraste significatif. La parenté formelle de ces deux stances (chacune unique) est significativement associée à leur parenté sémantique61.
97Le type GGR géminé sera attesté à l’état pur dans les stances de Médée (acte IV, scène 4), là encore conclu par un GR en base 6‑6, et dont le style plutôt pompeux confirme que ce trait de style métrique de chant ne connote dans ces stances aucune sorte de familiarité ou de légèreté.
Complexité de stance isolée vs de stance périodique
98On pourrait s’étonner que le schéma rythmique de ces lettres soit plus complexe même que celui des stances de certaines suites périodiques de stances, alors qu’inversement les lettres de Mélite (1629) sont en prose, c’est-à-dire se distinguent du fond métrique par leur moindre (nulle) métricité. Mais il y a lieu de distinguer une stance isolée dont la complexité est unique, donc non métrique (au sens de régulière) d’une stance périodique dont la complexité est métrique par équivalence de périodicité avec les autres stances de la même suite. À cet égard, ces stances isolées peuvent aussi bien s’apparenter aux suites dites de vers mêlés ou irréguliers où non seulement la rime, mais le mètre peuvent varier sans régularité évidente ; dans cette perspective, par sa (relative) liberté rythmique interne, la stance isolée peut paraître moins métrique que le fond métrique de la pièce.
Suites successives de stances d’Angélique dans La Place Royale
99Dans cette pièce, par deux fois et à peu d’intervalle, Angélique, seule, s’épanche en suites de deux stances de même structure 22’‑11-vers (ab‑ba cc), type que nous avons déjà rencontré, avec, encore, un distique final d’alexandrins. La première suite, exprimant son déchirement entre deux « tourments », précède une explication avec un amant, qui la conduit à un choix que la seconde suite confirme en sa dernière stance. Tant à l’égard des mètres et cadences que de la structure rimique, ces deux suites de deux stances sont parfaitement isométriques, ce qui, joint à leur proximité et complémentarité, marque la volonté de réaliser à distance (faible) un diptyque formel scandant comme tel un choix sentimental.
100Le nombre de stances dans chacune de ces suites, à savoir deux, n’est pas quelconque comme s’il suffisait simplement à établir une périodicité. Non seulement ce serait le strict minimum pour établir une apparence de périodicité, mais la paire est quasiment une forme (précise) en soi, comparable à la binarité des modules dans la plupart des groupes rimiques et à la binarité générale dans les GGR (groupes de généralement deux groupes rimiques). Disons qu’une « suite périodique » de deux stances seulement pourrait aussi bien être considérée comme un groupe binaire de stances comparable à un groupe géminé62. Or, dans le (petit) corpus que nous étudions ici, ces suites périodiques de stances sont les deux seules de longueur deux. Cela peut contribuer à établir non seulement leur parallélisme, mais bien leur complémentarité63.
101Il y a tout de même une particularité qui distingue la seconde paire de stances : les mots-rimes du distique conclusif de sa première stance sont « hasarder = garder », ceux du distique conclusif de la seconde, « garder = hasarder », répétition scandant elle-même la résolution d’une hésitation. Cette résolution est portée, plus précisément, par le distique final, en lequel opère l’effet de répétition. Celui-ci conclut du même coup la seconde paire de stances et le diptyque entier avec le dialogue qu’il encadre.
Stances de Rodrigue dans Le Cid
102La séquence rimique superficielle abbaccdede des fameuses stances de Rodrigue dans la scène 6 de l’acte I du Cid est la même que celles des stances de Philiste dans La Veuve, acte II, scène 1, que nous avons examinée plus haut, mais elle est structuralement ambiguë : on peut a priori la décomposer de deux manières en groupes rimiques de type classique : il pourrait s’agir de trois groupes de formules respectives ab‑ba, a‑a, puis ab‑ba (coïncidant avec un découpage dispositionnel en rimes embrassées, plates puis embrassées). Ou bien il pourrait s’agir de deux GR invertis : ab‑ba, puis aab‑cbc. – La première organisation coïnciderait avec un format quatrain-distique-quatrain, disons « Q D Q », très commun au Moyen Âge et à la Renaissance, par exemple dans des dizains rimés en ab‑ab bc cd‑cd (sorte de paire géminée de quatrains avec un module de transition, rimiquement enchaînés) ; ce type avait pratiquement disparu de la poésie lyrique littéraire vers le milieu du siècle précédent, mais il a survécu en style épigrammatique jusqu’au xviiie siècle. – Sans rapport avec lui, le GGR de format 22.33 (à GR invertis ou non), qu’on peut noter « Q T T » en y repérant le quatrain initial et les deux modules tercets, s’était solidement établi en style lyrique littéraire depuis la maturité de Malherbe – c’était la grande strophe littéraire classique, que Martinon qualifie de dizain héroïque ; Corneille l’avait d’emblée pratiqué dans les deux suites de stances périodiques de La Veuve examinées plus haut.
103Au seul vu de la séquence rimique ababccdede des stances où le Cid sous pression décide de se battre en duel, on pourrait parier, a priori, en connaissant leur contexte et leur objet : il s’agit sûrement de dizains de type 22’‑33’ ! – Pourtant, toutes sont assez naturellement rythmables en Q D Q (où le sens peut associer le distique médian tantôt plutôt au premier quatrain, tantôt plutôt au second) ; dans deux stances au moins64 un traitement en Q T T est franchement discordant. Le format qui semble le mieux tenir la route, Q D Q, serait moins surprenant si le ton des stances de Rodrigue était quelque peu satirique ou épigrammatique65 – ce qui bien sûr n’est pas le cas – ou s’il était dicté par une musique (ce qui ne semble pas avoir été le cas). Ceci est d’autant plus intrigant que l’organisation rimique des stances de Corneille que nous avons observées jusqu’ici était tout à fait classique.
104Les 22’.33’ de Philiste étaient rythmés en 88‑88 888‑CCC, combinaison limpide : au mètre de base 8 succédait, en module tercet conclusif, le mètre de base 6‑6. – Le 22’.11.22 de Rodrigue ne se prête pas à cette combinaison de mètres, mais sa formule, 8C‑CC C6 A6‑AA (où « A » note la longueur anatonique totale dix du 4‑6v) peut paraître bizarre (si du moins elle n’est pas dictée par un schéma musical). Le quatrain initial en 8C–CC, à base d’alexandrins, n’est pas surprenant : par rapport à son mètre de base alexandrin, il a simplement une modulation initiale en 8v (comme plus tard le sixain rythmé en 8CC–CCC dans Héraclius, acte II, scène 5) ; le premier vers de 6 peut paraître sonner comme clausule non seulement du distique médian C6, mais de la suite Q D obtenue à ce stade ; mais avec une autre clausule de 6 dans le seul premier module du quatrain final et un changement de mètre de base établi seulement à la fin du quatrain (ou sixain ?) final, la strophe parait d’une complexité exceptionnelle pour une métrique littéraire, et d’un effet rythmique pas évident à analyser. Était-il vraiment possible à des lecteurs contemporains d’être sensibles à cette forme exacte et à l’égalité de ces stances ? Corneille a-t-il voulu rivaliser avec certains de ses contemporains dans la mode des strophes originales, au risque de faire tarabiscoté ? avec Rotrou par exemple, qui au théâtre, comme dit Martinon à l’égard des formes strophiques « ne se répète jamais66 » ? Même en lui supposant cette sorte d’excuse (d’une valeur peu durable), on peut douter que le moment ait été bien choisi pour cette démonstration formelle, dans cette fin d’un acte haletant, au comble d’une tension exceptionnelle, – situation qui explique peut-être la célébrité de ces stances, plus que leur seule valeur rythmique.
105On peut s’étonner que ce soit dans le paragraphe sur « le dizain classique » (hétérométrique) que Martinon, sans s’en justifier expressément, traite de cette stance, dont il commente la bizarrerie en contestant que ce soit « vraiment une strophe67 ». Il est vrai qu’elle peut rappeler l’époque, pourtant déjà lointaine, où Malherbe trébuchait encore sur la coupe du dizain classique, le coupant parfois apparemment en Q D Q au lieu de Q T T (du moins était-ce en stances monométriques68) ; il n’est donc pas impossible que Corneille ait composé ces stances abbaccdede en imaginant faire des dizains du même type que celles de Philiste, dont la séquence rimique (superficielle) est la même, dans La Veuve.
Modèle strophique espagnol du Cid
106Peut-être faudrait-il plutôt comparer les stances de Cid français à celle de son modèle espagnol69. Ci-dessous, les séparations verticales visent uniquement à distinguer des ensembles métriques principaux ; en colonne « mèt. » sont chiffrés les mètres, en colonne « mod. » les modules, rassemblés par paires en groupes rimiques ; des éléments de répétition sont distingués en gras :
107Globalement, la stance espagnole est du type géminé Q Q. Dans la 1re et la 3e (dernière) stances, le quatrain initial est un ab‑ab (formule numérique 22). Les autres quatrains, donc les deux de la stance médiane, sont eux-mêmes des GGR géminés de formule 11.11, type de quatrain évité en métrique littéraire française. Donc les trois quatrains conclusifs de stance sont de ce type 11.11 (aa‑bb). – Tous ces vers, donc tous ces quatrains, sont féminins (cadence assez commune et non marquée en métrique espagnole).
108Le poète espagnol a inscrit dans cette suite périodique une métrique sémantique de répétition du type refrain à variation : le GR distique de chaque stance est représenté par la paire de mots-rimes « pena = Jimena », répétition qui s’étend à un syntagme « Adj – pena » ou « (el) padre de Jimena ». À la parenté formelle entre les deux stances extrêmes qui commencent toutes deux par un quatrain de formule 22, se joint une répétition renforcée, les deux distiques incluant tous deux l’idée de « mi padre el ofendido » et en dernier vers « el ofensor el padre de Jimena ».
109Le poète français a retenu le couplage « peine = Chimène » dont l’effet, comme chez l’espagnol, est comme chargé dans le mot-conclusif : « Chimène »70. Il en a renforcé l’effet en l’étendant sur six plus longues stances (nombre de stances moins commun que trois en métrique de chant). Il a conservé le bouclage par renforcement de répétition en lui faisant scander le passage du problème à la décision. Il a surtout amplifié considérablement la portée de cette rhéto-métrique, – d’abord, en adossant la notion-clé « le père de Chimène » à la révélation bouleversante longtemps suspendue dans la scène précédente et à l’interdiction de la reprononcer (« … c’est… – De grâce, achevez. – Le père de Chimène. – Le… – Ne réplique point ») ; – enfin, en faisant de la dernière occurrence de « père de Chimène » le groupe de mots conclusifs du premier acte du drame. Le nom de Chimène ne sera pas prononcé au début de l’acte suivant, et seul le Comte fera allusion à « ma fille » dans la scène de provocation en duel. Corneille semble donc soucieux d’amplifier métriquement les résonances dramatiques de ses vers, bien plus que (si c’est le cas) se faire valoir comme poète lyrique.
110L’influence du modèle métrique espagnol est confirmée au niveau des rythmes de vers (mètres). La stance du Cid est exceptionnelle dans notre corpus (et même au-delà) par le fait qu’elle exhibe quatre mètres distincts, deux composés (6‑6 et 4‑6) et deux simples (8 et 6) ; de plus, c’est la seule où apparaît le 4‑6 ; et c’est presque la seule où apparaît le mètre 6. Ces propriétés exceptionnelles convergent de la manière suivante : la stance du Cid comporte – dans son quatrain initial – du 6‑6 (de base) et du 8 qui sont les deux mètres dominants, en combinaison, dans le corpus. Aucun des deux mètres du modèle espagnol ne correspond à ces deux mètres-là ; il est constitué, exclusivement, de 4‑6 et de 6 dont la combinaison, d’une culture à l’autre, est comparable à la combinaison métrique française dominante71. La combinaison 6‑6 et 8 du premier quatrain français correspond donc exactement à la combinaison 4‑6 et 6 du premier quatrain espagnol (le mètre 6‑6 ayant succédé au 4‑6 comme grand vers en poésie française dans la seconde moitié du siècle précédent). À cette transposition culturelle succède une correspondance exacte dans le quatrain conclusif : le 4‑6 et le 6, au lieu du 6‑6 et du 8, dans le quatrain français, y correspondent pour ainsi dire littéralement au 4‑6 et au 6 de l’espagnol.
111On peut se demander à quoi tient cette différence, mais la réponse paraît évidente. Le dernier groupe rimique de la stance espagnol est le distique dont les deux modules (simples, d’un vers) riment par le couple verbal (tragique) « pena = Jimena ». Le dernier groupe rimique de la stance française est le quatrain dont les deux modules (distiques) riment principalement et globalement par le couple verbal « peine = Chimène ». Le souci de traduction culmine dans le dernier distique de la dernière stance française où « mon père est l’offensé » et « l’offenseur est père de Chimène » traduisent deux propositions du dernier distique de la première stance espagnole.
112Si l’appréciation négative de Martinon, en pur métricien, sur la qualité métrique de la strophe est tant soit peu pertinente, on peut soupçonner que sa particularité, pour ne pas dire sa bizarrerie72, témoigne de la difficulté qu’a éprouvé l’auteur du Cid à transposer la paire sémantique et métrique peine / Chimène de la stance espagnole dans le cadre d’une stance française. Les stances du Cid français sont les seules, dans le corpus examiné, qui incluent un composant distique a‑a non terminal entre leurs deux quatrains, et les seules de format global Q D Q ; parmi celles qui incluent une paire de quatrains, ce sont donc les seules où cette paire est séparée par un tiers composant. Il est donc tentant de rapprocher la structure équi-composée du français (Q…Q) de celle de l’espagnol (QQ). Dans cette hypothèse, on peut imaginer que l’insertion d’un distique intermédiaire est motivée par un désir d’amplifier la strophe source (de huit à dix vers), donc de l’étendre à la dimension du dizain que Martinon nomme héroïque. Deux types de cette longueur sont illustrés dans notre corpus : le format 22.33 de ce dernier dizain purement littéraire (comme dans La Veuve), et le format 22.22.11 (en stance isolée dans les lettres de La Place Royale mentionnées plus haut). Or ce dernier format n’offrait qu’un cadre étroit – le distique 11-vers conclusif – pour la paire rimique maîtresse en « peine = Chimène ». Reconsidérons le distique final des deux stances ci-dessus73 :
mi padr(e) el ofendid(o) -¡extraña pena!- |
En cet affront mon père est l’offensé |
113En italiques est souligné ici l’énoncé complet que Corneille traduit mot par mot, demi-vers par demi-vers, en respectant jusqu’à son parallélisme en miroir – combinaison rhéto-métrique qui convenait parfaitement à son style. Problème pour lui : « mi padre el ofendido » ne pouvait pas se condenser en français en 4v ; dans un système métrique où le 4‑6v (dûment ordonné) répondait seul au 4‑6v espagnol (à ordre libre en 4‑6 ou 6‑4), le « padre » devait passer en demi-vers final, imposant une rime masculine (puisque différente de la féminine de « Chimène »), ce à quoi la traduction naturelle « offensé » se prêtait spontanément. D’où les deux vers en « …offensé / … Chimène » et le distique final m.f de Corneille74. Leur cadre le plus précis possible, pour un calque à la fois sémantique et métrique, était celui, exact, d’un module de deux vers plutôt que celui d’un tercet sur la fin duquel les deux vers quasi-refrain se seraient simplement calés. – Le distique (GR) a-a inséré entre les deux quatrains français hérités du modèle forme une sorte de modulation au niveau des mètres en prolongeant les 6‑6 du premier et annonçant le 6v du second.
114Les contraintes d’ordre mêlé, linguistique et métrique, ont donc pu jouer un rôle dans la détermination métrique des stances du Cid français. Mais le relatif exotisme métrique de ces stances avait surtout peut-être, en son temps, une valeur positive en contribuant à la tonalité espagnole de la pièce, et en particulier de son premier acte75.
115Le coupe verbal, rimique et cadentiel (f f) « peine = Chimène », scandant le conflit intérieur au cœur de Rodrigue, et transposant exactement le couple verbal, rimique et cadentiel du poème espagnol, semble donc être un élément générateur, direct à certains égards, moins direct et mécanique à d’autres égards plus complexes, de la stance du Cid. Dans la dernière stance, la notion « le père de Chimène », répétant la notion finale des deux premières et concluant l’acte I, concentre les deux éléments constitutifs de la tension dramatique (le nom de la femme aimée et sa parenté à l’offenseur qu’il faut affronter). Aujourd’hui banalisé par référence à la pièce même de Corneille, le nom de « Chimène » pouvait ajouter à la pièce française, quand elle a paru, comme pure francisation phonologique d’un prénom peu familier, une forte connotation espagnole en accord avec l’évocation du modèle et de l’esprit espagnols.
Stances de l’Infante dans Le Cid
116On peut penser que les stances de l’Infante (Acte V, scène 2) font (bien faiblement) écho – du dernier acte au premier, au moins à la lecture qui facilite les rapprochements – à celles de Rodrigue, à l’amour duquel elle renonce en délibérant comme lui entre devoir d’amour et devoir d’honneur :
117Particularité de structure : quoique, dans les trois dernières de ces quatre stances, le sens tende plutôt à confirmer l’accomplissement d’un GR 22-vers, les deux vers suivants forment, sur les mêmes rimes, un troisième module venant s’ajouter à ce quatrain initial, sans probablement l’annuler ; soit, plausiblement, un GR ab‑ab augmenté d’un troisième module ; celui-ci, en deux 6v, correspond, dans cet exemple, au rythme d’un alexandrin. Le résultat est tout de même ternaire (suite de trois modules76) et contribue peut-être avec le a‑a final à un style métrique de chant.
Relevé métrique
118Le relevé métrique qui suit rassemble en tableau – de la manière la plus succincte, mais la plus visuelle possible, donc au prix de quelques abréviations – les descriptions métriques des suites périodiques de stances insérées dans les pièces de Corneille jusqu’au Cid (plus trois autres insertions arbitrairement choisies, distinguées en lignes italiques)77. Ces formules impliquent des critères d’analyse en partie déjà définis ci-dessus (au fur et à mesure des besoins), rappelés ou complétés ci-dessous en annexe au présent article.
Relevé métrique des suites de stances
119Si les analyses impliquées par les formules rimiques de ce tableau sont justes, elles permettent d’apercevoir, presque d’un coup d’œil, que ces stances sont assez conformes en général à la « grammaire » des strophes « classiques » qui s’était à peu près établie avant la fin du siècle précédent et qui a prévalu (à quelques détails près) au moins jusque vers le milieu du xixe siècle. Toutes ces stances sont analysables en un petit nombre (un à trois) de groupes rimiques. Chaque groupe rimique est une paire de modules ; seules les stances de l’Infante du Cid incluent un groupe rimique ternaire 222, encore est-il plausiblement analysable en « 22]2 » si on note ainsi qu’il commence par un quatrain, augmenté après coup d’un troisième module. L’Alternance des rimes féminines et masculines, régularité de poésie littéraire78, est observée à l’intérieur de toutes ces stances sans exception ; la seule exception à l’Alternance, observée aux frontières entre stances dans La Suivante (acte II, scène 2), reflète simplement la discontinuité impliquée par le statut même des stances (indépendantes). Les mètres observés, 8 et 6‑6 surtout, rarement 6 et 4‑6 ne dissonent pas par rapport aux fond métrique de la pièce (mono-métrique en 6‑6)79. Par ces groupes et modules rimiques, par ces mètres, par l’Alternance, enfin par leur périodicité globale en mètres et schémas de rimes (M-r-périodicité), ces suites de stances insérées dans le fond métrique de la pièce, lui restent donc assez homogènes, tant métriquement qu’en tonalité discursive80.
Annexe
Conventions de notation
120Dans une colonne quelconque, le symbole « = » indique qu’à l’égard du critère examiné dans cette colonne le passage examiné ne se distingue pas du fond métrique ; « ≠ » indique qu’il s’en distingue au moins à quelque égard.
121Colonne « scène » :
122 « s2.4 » : acte II, scène 4. Dans « s5.9fin », « fin » précise que la scène est finale de l’acte (donc de la pièce).
123Colonne « Global » (forme globale du passage) :
124 « =, 5§ » : « = » indique que l’insertion est comme le fond métrique de la pièce, une suite périodique en mètre et schéma de rime (même si le mètre et le schéma de rimes peuvent être différents de ceux du fond). « 5§ » précise le nombre des périodes de cette suite, donc 5 stances.
« =, 5§ | » » précise par une barre que la dernière stance est interrompue (suture au fond métrique).
« ≠ » : l’insertion n’est pas, comme le fond, périodique. « ≠, 1 » : elle comporte une seule occurrence d’une forme (stance unique par exemple). Sa forme globale (unique) est explicitée dans un cas (« sonnet »).
125Colonne « Alt » (concernant l’Alternance des cadences) :
126 « = » signifie que le passage décrit ne se distingue pas du fond métrique de la pièce en ce qui concerne l’Alternance des rimes féminines et masculines.
« ≠, inter§ » signifie que le passage se distingue du fond, et « inter§ » précise que c’est à l’égard des inter-strophes, où l’Alternance n’est pas observée.
127Colonnes « Mbase » (Mètre de base) et « séq.mètres » (séquence de mètres) :
128 « = », en colonne « Mb » pour La Galerie du Palais (s3.10) indique non seulement que le passage a, comme le fond, dans toutes ses stances un mètre de base, mais que c’est le même mètre de base (donc 6‑6) que celui du fond.
« CC C6 » (lire douze-douze, douze-six), pour la même scène, précise par « C » le mètre de base (douze donc 6‑6), et par « 6 » que le dernier vers a un mètre 6 contrastant ponctuellement avec ce mètre de base.
« 8/C » en colonne « Mbase » pour La Veuve, sc.2.1, signifie : mètre de base 8, puis second mètre de base C (6‑6). Le premier, 8, installé dans le groupe rimique initial (ab‑ba), tient encore dans le module tercet suivant ; mais, dans le module tercet conclusif, il semble faire place, non à une simple variation ponctuelle (mètre contrastif en clausule), mais à un second mètre de base, 6‑6 (qui pourrait être directement noté « = » en tant que conforme au fond de la pièce).
« 8/6/C » pour La Veuve, s3.8, signale la présence successive de trois mètres de base (8 dans le ab‑ba initial, 6 dans le premier tercet, 6‑6 dans le second, qui a une clausule de 6).
En « séq.mètres », dans « 88 88 • 888 CCC », un « • » sépare les groupes rimiques, une espace sépare les modules. « A » (total 10) note la longueur anatonique totale dix du 4‑6 comme « C » note celle du 6‑6.
129Colonne « struct.Rim » (structure rimique) :
130 Pour Mélite, « 33’ » note une paire de modules de trois vers, le prime indiquant anticipation de la rime principale dans le second module (aab‑cbc) ; « 22 », une paire de modules de deux vers (sans anticipation de la dernière rime, donc ab‑ab ; sans donner d’indication sur les rapports de rime d’un quatrain à l’autre). Un point sépare les groupes rimiques. Aucune indication n’est donnée sur la reprise de couleurs rimiques du premier quatrain dans le second.
131Colonne « Cadences » (masculines ou féminines) :
132 « §M », pour La Veuve, s2.1, indique que toutes les stances (« § ») se terminent par un vers masculin.
« §FM », pour La Veuve, s3.8, indique que chaque stance commence en F et se termine en M.
« §MM/FF », pour La Suivante, s2.2, indique que les stances, alternativement, commencent et se terminent par un vers masculin, ou inversement.
« FM », pour Mélite, signifie que l’insertion (sonnet), globalement, commence par un vers féminin et se termine par un masculin.
133Colonne « Inter-section » :
134 Signale (sans les analyser) des rapports métriques entre des insertions décrites dans des lignes différentes du tableau. Si elles n’appartiennent pas à la même pièce, les pièces sont spécifiées (cas du rapport entre les finales de La Place Royale et La Suivante).
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Scherer Jacques, La Dramaturgie classique en France, Paris, Nizet, 1986.
Sebastiani Florence, « La musique dans l’Andromède de Pierre Corneille (1650) : l’usage, le goût et la raison », Littératures classiques, no 21, 1994, p. 195-205.
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1 Merci à Myriam Dufour-Maître, Jean-Noël Laurenti, Laura Naudeix, Bertrand Porot pour leur aide.
2 Jacques Scherer (La Dramaturgie classique en France, Paris, Nizet, 1986, p. 285) constatant les flottements dans l’usage du mot stance, choisit de nommer ainsi ces suites périodiques (comme un poème à part), mais non chacune de leurs périodes, qu’il appelle parfois strophe plutôt que stance. Toutes ces suites de strophes n’étaient pas désignées sous le nom de « stances » dans les éditions du temps de Corneille. Je réserve ici le nom de stance à des strophes individualisées par le formatage graphique (par exemple par marge spéciale au début du premier vers), ce qui justifierait de comparer leur formatage dans diverses éditions.
3 Soit ce mini-corpus : Mélite, Clitandre, La Veuve, La Galerie du Palais, La Suivante, La Place Royale, Médée, L’Illusion comique, Le Cid (neuf pièces), plus l’acte III de La Comédie des Tuileries (collaboration incertaine) qui ne contient aucune insertion. Nuance importante sur l’historicité du corpus : je me suis paresseusement fondé d’abord, principalement, sur l’édition du Théâtre complet de Corneille par Lièvre et Caillois (Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1950). Il vaudrait la peine de confronter mes observations aux premières éditions de toutes ces pièces (ce que je n’ai fait qu’occasionnellement), compte tenu de l’importance des remaniements que l’auteur a pu ensuite y apporter.
4 Sur l’importance de cette distinction en ce qui concerne la perception métrique des paroles, voir Benoît de Cornulier, « L’alexandrin de Cyrano », dans Edmond Rostand, poète de théâtre, dir. Hélène Laplace-Claverie, Olivier Goetz et Bertrand Degott, Presses Universitaires de Franche-Comté, à paraître. – Il semble que ces stances n’étaient généralement pas chantées sur scène dans la période étudiée ; de toute façon, elles n’étaient accompagnées d’aucune indication de nature musicale.
5 Dans son Examen d’Andromède (1660), Corneille se justifie des « stances dont [il s’]est servi en beaucoup d’autres poëmes, et contre qui [il voit] quantité de gens d’esprits et savants au théâtre témoigner aversion » (je souligne).
6 Corneille, OC, éd. citée, t. II, p. 615.
7 Passage au début de ligne suivante, avec majuscule métrique initiale, déterminé par la métrique, non par le sens. Le vers est ainsi constitué en alinéa métrique. Un formatage sémantique est parfois surimposé au formatage métrique sans l’annuler ; ainsi dans les éditions où un changement de locuteur peut être marqué par un décrochage vertical.
8 Pour autant que la parole chantée comporte une métrique musicale, on peut considérer l’insertion d’une partie chantée dans un texte à fond non-chanté comme un cas d’hétérogénéité métrique (parole musicalement métrifiée sur fond de parole non musicalement métrifiée). Cette éventualité incite à préciser qu’on entend ici par prose de la parole non-chantée.
9 Dans l’alexandrin classique, chaque demi-vers est métriquement indépendant en ce sens que son rythme 6 ne requiert jamais contribution d’une posttonique du demi-vers précédent (cas de césure à l’italienne). La notion de groupe rimique en a‑a est plus restrictive que celle de rimes « plates » ou « suivies » ; elle ne vaut pas des rimes suivies en laisses de longueur libre, ni des paires de rimes suivies qui ne forment pas un groupe rimique (distique) dans une stance littéraire (classique) rimée en aab‑ccb, ni des groupes rimiques ternaires en a‑a‑a. Sur les groupes rimiques classiques et modules dont ils sont constitués, voir Cornulier, « “Groupes d’équivalence rimique”, modules et strophes “classiques” en métrique littéraire française vers 1560-1870 », 2008, http://www.normalesup.org/~bdecornulier/gr.pdf, consulté le 30 novembre 2020.
10 La métrique d’un conte ou d’une épitre familière en vers simples (≤8-voyelles) rimés en suite périodique de a‑a comme au milieu de la fable de « La Cigale et la Fourmi » était d’un style moins relevé, et, avec sa structure à double et non triple étage (sans considérer l’alternance), moins lyrique à certains égards que celle d’une suite de distiques d’alexandrins.
11 La forme catatonique d’une suite de mots implique par définition la voyelle tonique de cette suite (normalement dernière voyelle stable et « tonique » de son dernier mot) ainsi que tout ce qui éventuellement lui succède.
12 Ce type de continuité n’est pas facile à définir d’une manière générale.
13 Le mot stance correspond souvent à peu près à ce que certains métriciens des xix et xxe siècles ont plus souvent nommé strophe. Il s’agit, graphiquement, de groupes métriques de vers formatés comme tels sur le papier, que ce soit par renfoncement initial (marge gauche du premier vers, marquage encore parfois pratiqué du temps de Corneille) ou espacement vertical entre groupes.
14 La continuité à l’égard des cadences peut être marquée par d’autres systèmes que l’Alternance, par exemple l’uniformité, dans un poème tout en rimes féminines (ou masculines).
15 Je parle ici des éditions que j’ai consultées. Je les ai systématiquement contrôlées aux frontières d’actes et de poème, ainsi qu’aux bords des insertions, mais moins systématiquement contrôlées à l’intérieur même de chaque acte.
16 Voir J. Scherer, op. cit., p. 171-174.
17 Je ne l’ai vérifiée que dans quelques pièces (notamment) de Racine, Quinault, Regnard, Destouches. Je suppose que cette tendance a été étudiée plus systématiquement dans des travaux dont je n’ai pas connaissance. Dans l’édition du Cid parmi les Pieces dramatiques choisies, et restituées par M*** à Amsterdam, chez Changuion, 1734, l’Avertissement anonyme prévient qu’on a retranché les passages qui impliquaient l’Infante, et « qu’il n’en a coûté pour cela que le supplément de deux vers de liaison au second Acte, & de deux autres au cinquieme, qu’il a fallu nécessairement y ajouter » ; ces deux distiques ménagent justement la continuité de l’Alternance dans deux cas où l’élagage l’aurait interrompue.
18 Le fond métrique de toutes ces pièces est une suite périodique d’alexandrins rimée en suite périodique de a‑a.
19 Cette pureté rendue au jour dans les derniers mots de Phèdre boucle en quelque sorte le poème par renvoi à ce qu’elle dit à sa première entrée en scène : « Mes yeux sont éblouis du jour que je revoi » (acte I, scène 3) (Voir William D. Howarth, « L’alexandrin classique, instrument du dialogue théâtral », dans Dramaturgies, Langages dramatiques, Paris, Nizet, 1986, p. 349).
20 De même chez Hugo une contrainte lexicale sur les mots de la fin prévaut parfois sur une cadence masculine conclusive (Voir Benoît de Cornulier, « Métrique de Hugo dans Les Contemplations (régularités, exceptions, interprétations) », 2017, http://www.normalesup.org/~bdecornulier/contemplat.pdf, consulté le 30 novembre 2020.
21 J. Scherer, op. cit., p. 297-299.
22 On pourrait alléguer que la majorité des actes des pièces du corpus non seulement se terminent par un distique masculin, mais commencent par un distique féminin ; mais il s’en faut de beaucoup que ces mêmes actes se prêtent sémantiquement à une décomposition exhaustive en quatrains ff‑mm (sur ce point voir notamment Valérie Beaudouin, Mètres et rythmes du vers classique, Corneille et Racine, Paris, Champion, 2002 et Romain Benini et François Dell, La Concordance chez Racine. Rapports entre structure grammaticale et forme métrique dans le théâtre de Racine, Paris, Classiques Garnier, à paraître.
23 J. Scherer, op. cit., p. 300-315.
24 Cette mécanique (avec ou sans humour selon les cas) a des modèles non seulement dans la tradition antique (chants amébées…), mais plus généralement dans certains types de chants traditionnels (dans diverses cultures).
25 Les impressions rythmiques supposées ici sont des aspects du traitement de la parole dans l’esprit : il s’agit donc de polyrythmie mentale, non de la manière dont on pouvait, éventuellement, prononcer ces vers pour favoriser phoniquement l’un ou l’autre rythme, voire plus difficilement les deux à la fois.
26 À ces trois hommes correspond le fait que finalement « l’amour » se conclura par un « triple hymen ».
27 Cité d’après P. Corneille, Agesilas, Tragedie. En Vers libres rimez, Paris, 1666, p. 47.
28 La subdivision rythmique non symétrique 3‑3‑2 de « Fléchissez, triomphez, bravez » n’est pas métrique, le mètre de ce vers simple étant simplement 8.
29 Je ne liste ici que des 4‑4‑4 à parallélisme répétitif où chaque 4‑voyelles est constitué de deux mots dont le premier ne varie pas et le second varie, ce qu’on pourrait noter en s’inspirant d’Auguste Rochette (L’Alexandrin chez Victor Hugo, Lyon, Librairie catholique Emmanuel Vitte, 1911, p. 103-121) [Ax Ay Az] où A note le mot constant et x un mot variable (tous mots de rythme 2). Je n’ai découvert aucun de ces exemples, dont quatre sont cités par Rochette (p. 118) en ordre non chronologique et comme indépendants. Conscient comme Martinon de l’historicité du traitement rythmique et contrairement à une opinion répandue en son temps, il considère (à juste titre) que le rythme « métrique » 6‑6 valait encore même dans ces vers dans la tête de ces « poètes classiques » ; mais ce ne sont selon lui que des « ternaires apparents », dans lesquels l’« apparence » ternaire relève de la « syntaxe », mais non du rythme (il n’envisage pas la possibilité d’un double rythme en contrepoint et n’envisage ici de rythme que métrique).
30 D’après l’édition par Ludovic Lalanne, Les Tragiques, Paris, Jannet, 1857, p. 276-277.
31 Dans Agrippa d’Aubigné, Œuvres complètes, éd. Caussade, Lemerre, 1877, t. 4, p. 253. À en juger par la suite des éditions, le ternaire définitif résulte d’un travail rythmique, à partir de : « Jamais nulle rançon et jamais nulle vie », (1re édition), « Jamais le bien, jamais nulle rançon ni vie » (2de éd.) (Marie-Hélène Prat, « Dire Les Tragiques : les rythmes du texte dans Vengeances et Jugement », p. 63, dans La Chanson de Roland, Aubigné, Racine, Rousseau, Balzac, Jaccotet, éd. Catherine Fromilhague et Anne-Marie Garagnon, Paris, PUPS, 2003, p. 47-63). Même format d’inscription parallèle ternaire, sans la répétition lexicale, dans l’un de ces vers des Princes (1620) où l’auteur donne la recette à des jeunes pour s’élever dans le monde de la Cour : « « Il reste que le corps comme l’accoustrement, / Soit aux loix de la Cour, marcher mignonnement, / Trainer les pieds, mener les bras, hocher la tête, / Pour bransler à propos d’un pennache la creste, / Garnir & bas & haut de roses & de nœuds, / Les dents de muscadins [petites pastilles contenant du musc], de poudre les cheveux » ; l’affectation rythmique du ternaire contrariant la période binaire scande une affectation (peut-être dansante ?) d’allure, le forçage en 4-4-4 pouvant contrarier le mètre 6-6 comme la gestuelle affectée contredit la naturelle.
32 D’après l’édition de Dom Japhet d’Armenie, Paris, 1754.
33 Ragotin est joué en 1684 sous le nom de Champmeslé quelques mois avant la mort de Corneille et imprimé en 1702 sous le nom de La Fontaine (d’après la Notice de Ragotin ou le Roman comique, Comédie, de La Fontaine, 2016, BnF collection, ebooks). Les éditeurs récents considèrent généralement que la part de La Fontaine est faible dans cette pièce (au moins parce qu’ils la jugent médiocre). Rochette l’attribue au seul La Fontaine comme on le faisait souvent de son temps.
34 Corneille avait suivi en 1647 Floridor à l’Hôtel de Bourgogne où pouvaient jouer Champmeslé, sa femme et une nièce de cette dernière.
35 Georges Kliebenstein, communication personnelle.
36 Il y a d’autres traces d’humour métrique dans cette pièce, par exemple dans l’acte IV, scène 7, où le second vers d’un distique manque à rimer avec le premier parce qu’un comédien (d’une pièce dans la pièce) y substitue par erreur le mot « jambes » au mot « pieds », faute de rime et de cadence : ça boite (comme l’auteur), et là aussi le mal au pied rythmique scande un mal au pied.
37 Antoine Furetière, Dictionaire universel, contenant generalement tous les mots françois…, tome 2, La Haye et Rotterdam, 1690. – On pouvait se faire de Scarron une image caricaturale : « Mille gens se sont figuré que Scarron étoit véritablement un cul-de-jatte, tel que nous en voyons dans les Places publiques, & à la porte des Églises. Ils ont pris trop litteralement ce mot, qu’il employe en parlant de soi-même burlesquement dans ses Poésies, & dont ses ennemis se sont quelquefois servis comme d’une injure très humiliante. On a poussé la chose si loin qu’il y a eu des Portraits de Scarron, où il étoit représenté de face ayant les jambes rangées autour d’une jatte de bois dans laquelle le bas de son corps étoit enchâssé ; ou même sans cuisses absolument. Le tout étoit posé fur une table. » (« Histoire de Mr Scarron et de ses ouvrages » dans Œuvres de Monsieur Scarron, Amsterdam 1737, tome 1, p. 63-64). Il est vrai par exemple que, dans le Virgile travesty en vers burlesques, le narrateur dit Énée moins enclin à faire un voyage « Que moy, cul de jatte follet / ne songe à danser un ballet » (livre 4).
38 La syntaxe de « maudit son voyage » dans Japhet d’Arménie, où « maudit » ne peut pas être une simple épithète accolée à un substantif, confirme que « maudit » y constitue une malédiction en acte.
39 À la fin de Don Sanche d’Aragon (1649, acte V, scène 7), on lit un « billet » en forme de suite périodique de stances, que ponctue hors métrique le nom du signataire. Mais, d’une part, c’est un billet « du Roi » (dont le nom « Don Ferdinand d’Aragon » consonne au titre de la pièce), et qui résout définitivement l’intrigue ; de plus, en suite d’alexandrins, il ne contraste, modérément, avec le fond métrique que par leur groupement en suite périodique de ab‑ab (masculins) ; en quoi on peut le comparer aux suites de stances qui, une quinzaine d’années plus tôt, concluaient parallèlement La Suivante et La Place Royale.
40 Je ne suis pas sûr de les avoir toutes repérées.
41 Il se trouve de plus que, dans ces quatre cas d’insertion de prose lue (citée), la terminaison rythmique de la lettre citée est féminine, ou masculine (au moins si on lui applique les principes de scansion des vers), selon que le vers qui suit est masculin, ou féminin. Il conviendrait d’examiner plus de cas pour voir si les combinaisons observées ici peuvent être aléatoires.
42 Je n’ai pas examiné un nombre suffisant de cas pour que ceci soit plus qu’une conjecture.
43 L’hétérogénéité métrique provoquée par les suites de stances dans une pièce de théâtre est comparable à celle induite par un supplément passager de métrique dans un poème composite comme pour le chant de la Terre à la gloire de Napoléon dans « L’expiation » de Hugo (Les Châtiments).
44 Pour comparaison distante : dans une comédie comme Le Misanthrope de Molière (1667, acte I, scène 2), la suite métrique de fond enjambe les morceaux récités du sonnet d’Oronte et l’Alternance (avec le fond) à leurs bords n’est pas observée.
45 Une étude exhaustive de corpus plus vastes permettrait de juger avec moins de flou et d’incertitude. J’ignore si elle a déjà été faite.
46 Cette uniformité (périodicité) est le cas de toutes les suites de stances examinée dans le corpus.
47 Terminologie dispositionnelle ainsi à peu près fixée au xxe siècle.
48 Maurice Souriau, L’Évolution du vers français au dix-septième siècle, Paris, Hachette, 1893, p. 183.
49 Sur l’analyse en modules et groupes rimiques, voir B. de Cornulier, « “Groupes d’équivalence rimique”, modules et strophes “classiques” en métrique littéraire française vers 1560-1870 », art. cité, et Art poëtique, Notions et problèmes de métrique, 1995, http://www.normalesup.org/~bdecornulier/AP95.pdf, consulté le 30 novembre 2020.
50 Tel est à peu près le cas dans le Répertoire de Martinon (1912) : classement précieux, mais non sans inconvénients analytiques dont se ressent cet ouvrage magistral.
51 Une ambiguïté résulte du choix notationnel adopté ici pour cause de simplicité et pour ne pas alourdir le relevé métrique fourni à la fin de cette étude : tantôt une formule comme « 22 » désigne aussi bien les ab‑ab que leur variante invertie ab‑ba ; tantôt, par contraste (sans prime) avec « 22’ » (avec prime) distinguant les ab‑ba, elle ne désigne que les non-invertis (comme dans le relevé métrique ci-dessous). Je me suis contenté ici de cette codification parce que cette ambiguïté me semblait levée dans les divers contextes.
52 Les notions de distique ou tercet ne s’appliquent pas seulement à des modules, mais à des ensembles métriques en fonction de leur nombre de vers. Ainsi le distique a‑a comporte deux modules d’un vers. Par contre la notion de distique ne me semble pas applicable aux deux premiers vers d’un module littéraire classique aab comme dans la stance analysée parce que les deux vers rimant en a n’y forment généralement pas (en poésie littéraire classique) un ensemble métrique.
53 Un changement de mètre de base intra-strophique, dans une suite périodique de strophes, s’apparente, dans la plupart des cas, à une sorte de périodicité strophique binaire.
54 Comme en notation hexadécimale où les symboles « 0, 1… 9, A, B, C… » notent nos « 0, 1…, 9, 10, 11, 12… ».
55 André Stegmann dans Corneille, OC, Paris, Éditions du Seuil, 1963, p. 82, note 17.
56 Je ne prétends pas que la plupart des auditeurs ou lecteurs devait être sensible à ce contraste à distance, mais il me paraît vraisemblable que l’auteur, au moins, les a conçues et rythmées parallèlement.
57 Sur les cadences de strophes chez Hugo, et notamment l’emploi contrastif des stances féminines et masculines, voir B. de Cornulier, « Métrique de Hugo dans Les Contemplations (régularités, exceptions, interprétations) », art. cité.
58 Même en composant des stances destinées à être, sur la scène, déclamées plutôt que chantées, le poète (caché sous le dramaturge) pouvait peut-être s’intéresser à ce qu’elles puissent ensuite être mises en musique et chantées en société, hors du théâtre.
59 Je n’ai pas aucune compétence musicologique pour me prononcer sur cette éventualité.
60 Voir l’« Examen » de La Suivante par Corneille.
61 N’analysant pas la composition des strophes en groupes rimiques, Maurice Souriau (op. cit., p. 174) voit simplement dans ces lettres-stances « deux lettres en vers libres, sans grand intérêt ».
62 Le nombre deux, ou trois, des couplets dans une chanson est parfois lui-même une propriété typique, musicalement exploitable. Je réserve le nom de groupe à des suites dont la longueur exacte est rythmiquement pertinente et possiblement métrique.
63 Hugo a construit un bizarre parallélisme, à longue distance, de deux paires de quintils dans les Contemplations (voir B. de Cornulier, « Métrique de Hugo dans Les Contemplations (régularités, exceptions, interprétations) », art. cité).
64 Stances 1 et 5 dans la version éditée par Lièvre et Caillois (dans le corpus examiné ici). L’édition originale de 1637 donne la même impression globale.
65 Même l’esquisse de refrain par les mots-rimes « peine » et « Chimène » s’accorde mieux à un style lyrique qu’épigrammatique.
66 Philippe Martinon, Les Strophes, Paris, Champion, 1912, p. 59, n. 2.
67 Ibid., p. 390-404.
68 Par exemple dans cette stance d’une ode inachevée coupée comme la première de Rodrigue : « Les peuples pipés de leur mine, / Les voyant ainsi renfermer, / Jugeoient qu’ils parloient de s’armer, / Pour conquérir la Palestine, / Et borner de Tyr à Calis / L’empire de la fleur de lis : / Et toutefois leur entreprise / Était le parfum d’un collet, / Le point coupé d’une chemise, / Et la figure d’un ballet. ». On dirait que Malherbe coupait le dizain comme certains commentateurs aujourd’hui l’analysent, en rimes croisées ou embrassées, et plates au milieu ! (Poésies de Malherbe, p. 235 de l’édition in-8o de 1666).
69 Texte espagnol copié sur le site http://www.cervantesvirtual.com/ de la Biblioteca virtual Miguel de Cervantes, consulté le 31 mars 2020. Ponctuation du texte français conforme à celle de l’édition de 1637 (site gallica).
70 Sachant qu’en rythmique temporelle, une relation d’équivalence ou de contraste entre deux éléments successifs est révélée par le second, donc peut être spécialement associée à son support verbal.
71 La première voyelle du demi-vers de rythme 4 « y el ofensor » ne contribue pas au rythme métrique (par « synalèphe » devant « el » comme disent certains métriciens). La tonique du « Jimena », donc du vers, est le « e » de « Jim’ena » (rime en « ’ena »).
72 L’appréciation esthétique de Martinon, formulée plus de deux siècles et demi après l’œuvre jugée, ne constitue pas en soi un argument de poids (je profite de cette remarque pour avouer, avec plus de retard encore, que j’ai toujours trouvé ces strophes du Cid rythmiquement bizarres…).
73 Je mets entre parenthèses des graphies de voyelles qui ne contribuent pas au rythme anatonique (qu’on les suppose prononcées ou non) ; le /a/ final est posttonique (hors du champ anatonique du vers).
74 L’Alternance des rimes féminines et masculines excluait une paire rimique terminale en « père / Chimène ».
75 Le point d’honneur à la mode espagnole en matière de duel est dramatisé dans Le Cid jusqu’à la scène de la provocation en duel. Une trentaine d’années plus tard La Fontaine opposera, à la « sotte vanité » française, l’« orgueil » espagnol « beaucoup plus fou, mais pas si sot » dans la fable 2.15 « Le Rat et l’Elephant » (Fables choisies…, Troisieme Partie, Paris, 1678, p. 161).
76 Cette structure ternaire ab‑ab‑ba est seule notée (par « 222’ ») dans le Relevé métrique ci-dessous.
77 Manque dans ce tableau, pour signaler les répétitions périodiques de mots-rimes, une colonne qui n’aurait servi que pour les stances de Rodrigue.
78 L’Alternance intra-strophique est observée dans certains corpus de vers de chant ; mais c’est par extension à ce domaine du modèle littéraire.
79 Ils sont notamment conformes à la Contrainte de discrimination, en évitant la promiscuité de mesures voisines d’une seule voyelle (8 et 7, ou 7 et 6) peu favorable à la distinction des rythmes.
80 De cette homogénéité témoigne, quasi ludiquement, la suture métrique de l’insertion au fond dans les suites de stances dont la dernière est interrompue en plein vers par la reprise du dialogue. La chanson « Si je perds bien des maîtresses… », de composition antérieure, donne une idée de ce dont Corneille était capable dans un registre métrique et discursif moins complètement assujetti aux contraintes métriques et discursives de la poésie littéraire (voir b. de Cornulier, « Métrique du texte d’une chanson de Corneille (≤1632) », http://www.normalesup.org/~bdecornulier/chancor.pdf, consulté le 30 novembre 2020).
sous la direction de Myriam Dufour-Maître, avec le concours de Cécilia Laurin
© Publications numériques du CÉRÉdI, « Actes de colloques et journées d’étude », n° 26, 2020
URL : http://publis-shs.univ-rouen.fr/ceredi/index.php?id=1095.
Quelques mots à propos de : Benoît de Cornulier
Laboratoire de Linguistique de Nantes
Enseignant-chercheur en linguistique et littérature française au Centre de Marseille-Luminy, à l’Université de Dakar puis à celle de Nantes, Benoît de Cornulier est professeur émérite au Laboratoire de Linguistique de Nantes. Site de mise en ligne de travaux divers: http://www.normalesup.org/~bdecornulier/.