Sommaire
Henry Becque, prince de l’amertume
Actes de la journée d’étude organisée à l’Université de Rouen en mai 2019, publiés par Marianne Bouchardon
- Marianne Bouchardon Introduction
- Inspirations et influences
- Isabelle Moindrot Sardanapale de Becque et Joncières au Théâtre-Lyrique (1867) : un début paradoxal ?
- Sylvain Ledda Becque balzacien ? À propos des Corbeaux et de La Parisienne
- Olivier Goetz Ce que Becque doit à Sardou
- Le théâtre et les mœurs
- Florence Fix La science pour rire : mérite de l’inventeur chez Becque
- Aline Marchadier L’Enlèvement : drame de la séparation, comédie du langage
- Écrire Les Corbeaux
- Roxane Martin Les ficelles mélodramatiques à l’œuvre dans Les Corbeaux
- Céline Hersant Les Corbeaux : une spéculation spatiale ?
- Jouer Les Corbeaux et La Parisienne
- Konstanza Georgakaki Henry Becque à Athènes
- Jean-Pierre Vincent Pour la journée Henry Becque, 2019
- Jean-Pierre Vincent Les Corbeaux (1982)
- Jean-Pierre Vincent Projet de mise en scène de La Parisienne
Jouer Les Corbeaux et La Parisienne
Projet de mise en scène de La Parisienne
Jean-Pierre Vincent
1Nous reproduisons ici, avec la très aimable autorisation de Jean-Pierre Vincent, que nous remercions bien chaleureusement, des extraits de ses notes de travail ainsi que les dessins qu’il a réalisés dans le cadre d’un projet de mise scène de La Parisienne daté de 1969.
Dessin 1
2On ne peut jouer La Parisienne que si on retire à la pièce son caractère spontané, que si les gens n’y reconnaissent pas un théâtre connu. Il faut que les gens soient désorientés. […] Il faut absolument retrouver un mode de vie. […] Il faut un dépaysement. […] Ne pas faire comme si ça se passait aujourd’hui.
3Superficiellement interprétée la pièce peut montrer la souveraineté diabolique de « La Femme » sur « L’Homme ». Il faut se rappeler à tout moment que « chez le bourgeois, la femme est brimée en tant que sexe : elle n’a qu’une existence parasitaire » (Simone de Beauvoir). Que toutes les subtilités de Clotilde se déploient sur un terrain vide, le terrain bourbeux de la supériorité masculine.
4Balzac, Physiologie du mariage : « La destinée de la femme et sa seule gloire sont de faire battre le cœur des hommes… La femme est une propriété que l’on acquiert par contrat ; elle est mobilière car la possession vaut titre ; enfin la femme n’est à proprement parler qu’une annexe de l’homme. »
5Balzac, Physiologie du mariage : « La femme mariée est une esclave qu’il faut savoir mettre sur un trône. »
6« La femme bourgeoise tient à ses chaînes parce qu’elle tient à ses privilèges de classe. » (Simone de Beauvoir)
7Montrer […] la prostitution implicite de la femme à l’intérieur du mariage bourgeois. La transformation de la femme en marchandise.
8Relation entre le contenu social et la comédie bourgeoise qui lui fournit sa forme ? Contradiction.
9Sur les trois maris de Clotilde. On peut imaginer de façon conventionnelle :
10Du Mesnil : un homme vieillissant
Lafont : l’homme dans la force de l’âge
Simpson : le minet
11Et dans ce cas, l’aventure de Clotilde est justifiée presque entièrement par ses besoins sexuels, elle est « naturelle ». Que faire pour rendre sensible le fait que la vie d’une femme est tributaire des vœux des hommes qui l’entourent ? Que l’aventure de Clotilde est le résultat d’une circulation marchande de la femme, plus que le résultat de ses appétits de jouissance ? […] Si l’on pose que les trois hommes sont du même âge, et en gros de la même sorte, l’aventure de Clotilde dévoile son acuité sociale, et :
12Du Mesnil n’est plus un cocu forcé
Lafont n’est plus l’amant remplaçant mais l’amant parce qu’il en faut un
Simpson n’est plus une évasion vers l’enfance et des jeux mais un moyen de satisfaire la
rapacité de Du Mesnil.
13D’autre part Clotilde peut faire tout ce qu’elle veut, entrer dans la pure débauche, et croire par là changer de vie : elle retombe toujours sur la même tête. Atroce.
14L’histoire de la place au ministère doit être au centre du spectacle.
15Tous des gueules de chef de rayon à la samaritaine.
Dessin 2
16Jeter le soupçon sur la morale (bourgeoise), montrer que tout système moral est invivable dans la société où tout s’achète.
17Le revers de la blancheur. Il faut donc avoir de la blancheur et montrer son envers. Alterner le noir et le blanc → ruptures de jeu.
18La pièce a apparemment le ton d’une comédie aigre-douce sur les mœurs frivoles d’une femme. Introduire la discontinuité est essentiel pour faire ressentir ce qui se passe.
19Ce monde voudrait être lisse, clos sur lui-même, brisons-le, et faisons apparaître ses failles, ses veuleries, ses exaspérations (Lafont). Toujours l’importance du troc. Clotilde contre une place au ministère. Et le retour de Lafont à la fin. Montrer la vie qui recommence (le trio prenant le thé mécaniquement avec une série de répliques répétées cinq fois très longuement ; petite musique du monde qui meurt et qui n’en finit pas).
Dessin 3
20Détails
21Début. Une introduction musicale me semble peu souhaitable. Le début doit être implacable et le spectateur ne doit pas s’y couler doucement. Il doit recevoir un bloc dans l’estomac. Noir dans la salle → pleins feux = on embraye sec. Que les gens soient « interdits » par la violence du propos.
22Premier temps. On y voit à l’œuvre la cruauté, la veulerie de la vie domestique bourgeoise portée à son comble. Cela doit être électrique. […] Cruauté de Clotilde : elle torture Lafont. (cf. Nana et Muffat) mais attention à ne pas faire de cette attitude un trait psychologique de Clotilde. Il ne faut pas « qu’elle soit cruelle » mais il faut que l’ensemble le soit. Clotilde, même ici, doit avoir des failles et Lafont des moments de force. C’est une lutte pour dominer la situation […].
23Pause. Ce doit être une pause véritable, un temps qui sert à digérer et à rompre pour passer à autre chose. Clotilde se met chez elle : on la verra au II s’habiller. Extrême importance : l’objet. Il faut un boudoir douillet avec profusion de détails, petites boîtes, petits pots, houppettes, glaces, placards remplis jusqu’en haut de vêtements, lingeries, boîtes. Ça doit faire un spectacle indépendant, comme une indication collée.
24Fin. Par contre, la fin de la pièce n’est qu’un début, un recommencement mortel. Et là, on doit sortir du spectacle sans point final. Une fois le texte fini, il faut rester là, continuer à vivre tels qu’on est. 5 minutes de silence et on ferme la lumière un peu au hasard. « Pour le pas déranger ! »
Dessin 4
25La vie bourgeoise et le théâtre bourgeois. Idée de montrer les acteurs bourgeois continuant le théâtre bourgeois dans la vie bourgeoise. […] Penser à Nana, Lola Montès.
26Le salon bourgeois reproduisant de façon archéologique la représentation d’une comédie en 1900, mais isolé du cadre de scène.
27Pendant une scène très violente, faire sortir les deux protagonistes, qui continuent à s’engueuler en coulisse tout en faisant autre chose à vue.
Dessin 5
28On peut même imaginer des scènes parallèles. Début du II, scène de la bonne qui demande à sortir / scène en coulisse de la bonne-habilleuse de la diva qui demande sa soirée. Dans la vie, refusée / sur la scène, acceptée.
Dessin 6
29L’histoire parallèle. Le mari sur la scène = l’amant dans la vie. L’amant sur la scène = le mari dans la vie. Tout un développement en coulisses qui tournent mal (≠ sur la scène).
30Fin du spectacle : applaudissements à la sono, saluts de vedette avec fleurs et admirateurs. On ferme le théâtre. Sortie du mari. […] La femme vient sur le décor, elle attend l’amant. Musique de Saint-Saëns. L’amant sort de sa loge, la rejoint, long baiser de carte postale.
Dessins 7 et 8
31Le mari revient, sort un revolver de poche et atteint l’amant. Le personnel du théâtre arrive. Le mari tombe sur le décor, éploré. On emmène le blessé. La police arrive, emmène le coupable. Dans la lueur du couloir la diva sort, chancelante au bras du directeur.
Actes de la journée d’étude organisée à l’Université de Rouen en mai 2019, publiés par Marianne Bouchardon
© Publications numériques du CÉRÉdI, « Actes de colloques et journées d’étude », n° 27, 2020
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