Sommaire
Henry Becque, prince de l’amertume
Actes de la journée d’étude organisée à l’Université de Rouen en mai 2019, publiés par Marianne Bouchardon
- Marianne Bouchardon Introduction
- Inspirations et influences
- Isabelle Moindrot Sardanapale de Becque et Joncières au Théâtre-Lyrique (1867) : un début paradoxal ?
- Sylvain Ledda Becque balzacien ? À propos des Corbeaux et de La Parisienne
- Olivier Goetz Ce que Becque doit à Sardou
- Le théâtre et les mœurs
- Florence Fix La science pour rire : mérite de l’inventeur chez Becque
- Aline Marchadier L’Enlèvement : drame de la séparation, comédie du langage
- Écrire Les Corbeaux
- Roxane Martin Les ficelles mélodramatiques à l’œuvre dans Les Corbeaux
- Céline Hersant Les Corbeaux : une spéculation spatiale ?
- Jouer Les Corbeaux et La Parisienne
- Konstanza Georgakaki Henry Becque à Athènes
- Jean-Pierre Vincent Pour la journée Henry Becque, 2019
- Jean-Pierre Vincent Les Corbeaux (1982)
- Jean-Pierre Vincent Projet de mise en scène de La Parisienne
Jouer Les Corbeaux et La Parisienne
Les Corbeaux (1982)
Jean-Pierre Vincent
1Nous reproduisons ici, avec la très aimable autorisation de Jean-Pierre Vincent, que nous remercions bien chaleureusement, des extraits de ses notes de travail, ainsi que des entretiens qu’il a donnés à l’occasion de la nouvelle présentation de la pièce à la Comédie-Française le 22 mai 1982. Nous remercions également vivement les ayant droits de Nicolas Treatt de nous avoir autorisée à reproduire ses photographies du spectacle.
Photo 1
2Nous avons encore trop tendance (je dis « nous » car je m’implique aussi dans cette analyse) à amener les comportements à nous, à les « moderniser » d’une certaine façon. Et cela ne donne rien de moderne, car le texte est là, avec ses outrances grammaticales, et sa gangue bourgeoise. Dans les jours qui viennent, il faut s’efforcer d’aller vers ce texte, cette époque, ces gens, ces morales. C’est en assumant avec sincérité cette différence entre « eux » et « nous » (ou nos contemporains énervés d’une autre manière) que nous toucherons l’actualité. En face de l’histoire, de quelle efficacité pouvons-nous rêver qui ne soit faite de cette distance strictement rendue ? (Notes de travail de Jean-Pierre Vincent)
3Il s’agissait […] d’établir un décalage de traitement entre le décor et les costumes, pour ménager un vide, un interstice où l’imaginaire du spectateur puisse travailler. (« Un entretien avec Jean-Pierre Vincent à propos du décor des Corbeaux », propos recueillis par Anne Surgers, Comédie française, no 111, 1982, p. 4.)
Photos 2 et 3
4C’est une pièce inexorable. Ce qui veut dire :
5– Chaque entrée d’un personnage (surtout à partir du 2e acte) est un moment où on va retirer quelque chose aux Vigneron. On porte le premier coup, un autre le second, puis le troisième, et ainsi de suite sans cesse, sans relâchement, sans énervement. C’est le système qui veut ça. C’est normal. Ça doit arriver. Il le faut.
6– Chaque sortie de corbeau est une menace supplémentaire. Les sortis en doivent pas être un soulagement ou une disparition. Elles doivent être jouées comme un poids de plus qui plane sur la famille. (Notes de travail de Jean-Pierre Vincent)
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7Nous avons choisi des éléments concrets (velours rouges, parquet, meubles, tapisserie...) et nous ne les avons pas mis dans l’ordre attendu : tout est là, mais rien ne va. C’est l’image même de la famille Vigneron. (« Un entretien avec Jean-Pierre Vincent à propos du décor des Corbeaux », propos recueillis par Anne Surgers, Comédie française, no 111, 1982, p. 3-4.)
8Madame Vigneron : petite bourgeoise qui ne possède pas le code non écrit des « usages » (voir l’épisode du menu sur les assiettes, qui ouvre la pièce), ignorance qui redouble celle du Droit et la fragilise encore. Le manque de culture n’est pas un handicap pour son mari. Pour elle, c’est une autre affaire… […] L’analyse de son comportement prouve peut-être que pour Becque, la mécanique qui écrase tout sur son passage – la loi et la logique de la propriété privée – n’est pas la seule en cause. Il faut aussi tenir compte des forts et des faibles, de ceux qui se battent et de ceux qui ne se battent pas. Les faibles ne sont pas, par fatalité, les pauvres ou les femmes ; Becque n’est pas Dumas fils, et c’est pourquoi son théâtre, à partir des Corbeaux, ne milite pas pour un changement de la loi […]. L’irréalisme social caractérise les dames Vigneron. (Notes de travail de Jean-Pierre Vincent)
9Elles sont d’un monde qui meurt […]. Il y a là une critique acerbe de l’idéalisme petit-bourgeois. Les femmes Vigneron ne sont pas le contre-modèle des rapaces qui s’abattent sur elles ; les corbeaux ça mange de la charogne, et donc les Vigneron c’est de la charogne. (« On va rire, c’est promis ! », un entretien avec Jean-Pierre Vincent, propos recueillis par Jacques Poulet, Comédie française no 109, 1982, repris dans Les Corbeaux, Paris, Édition dramaturgique, Comédie-Française, « Le Répertoire », 1984, p. 175.)
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10Marie [représente] le personnage de l’avenir, la femme forte, le capitaliste. (Ibid.)
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11Penser qu’on est dans un appartement bourgeois où les bonnes manières – même mal digérées – gouvernent la vie et les sensibilités. Tomber, crier, gesticuler, tout cela ne peut arriver qu’en tant qu’exception et scandale. Et pas avec l’agilité que le sport et l’électricité nous ont donnée. (Notes de travail de Jean-Pierre Vincent)
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12Les Corbeaux ne sont pas une œuvre photographique. Becque est un auteur qui brouille les cartes, qui trouble les classifications trop simples entre naturalisme et symbolisme : il y a quelque chose de Pelléas et Mélisande dans l’extase des personnages féminins des Corbeaux. (« Un entretien avec Jean-Pierre Vincent à propos du décor des Corbeaux », propos recueillis par Anne Surgers, Comédie française, no 111, 1982, p. 4.)
Actes de la journée d’étude organisée à l’Université de Rouen en mai 2019, publiés par Marianne Bouchardon
© Publications numériques du CÉRÉdI, « Actes de colloques et journées d’étude », n° 27, 2020
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