Pierre Corneille, la parole et les vers

sous la direction de Myriam Dufour-Maître, avec le concours de Cécilia Laurin

Pierre Corneille, la parole et les vers
  • Myriam Dufour-Maître, avec le concours de Liliane Picciola, de Bénédicte Louvat et de Cécilia Laurin  Introduction

Vers lyrique, vers dramatique

Quels vers pour Andromède (1650) et La Conquête de la Toison d’or (1660) ?

Stella Spriet


Résumés

La création d’Andromède marque un véritable tournant car, à cette date, sont utilisées pour la première fois en France, les machines de Torelli. Auparavant, les machines n’apparaissaient que de façon ponctuelle et étaient encore peu sophistiquées. Désormais, il devient possible d’exécuter de véritables prouesses techniques. Cette soudaine irruption du spectaculaire suppose, de la part de Corneille notamment, une réflexion en profondeur sur le vers approprié. Même s’il déclare que ses pièces ne sont faites que pour les yeux, la qualité de ses vers est saluée par la plupart des auteurs critiques. Cependant, contrairement à d’autres créations de l’auteur, il ne s’agit pas de vers « pompeux », et il s’avère qu’ils ont peu d’efficacité rhétorique et dramatique. En revanche, Corneille a particulièrement travaillé la musicalité, variant sans cesse les structures rimiques et rythmiques.

Texte intégral

1Lorsque Boileau considère, dans ses Réflexions critiques sur Longin, les œuvres de Corneille, il constate, dès 1694, que très peu sont passées à la postérité. Il affirme en effet :

Tout son mérite pourtant, à l’heure qu’il est, ayant été mis par le temps comme dans un creuset, se réduit à huit ou neuf pièces de théâtre qu’on admire et qui sont, s’il faut ainsi parler, comme le Midi de sa poésie, dont l’Orient et l’Occident n’ont rien valu1.

2Jugement tranchant s’il en est, qui ne sera remis en question que des siècles plus tard.

3Parmi les œuvres qui sont très rapidement considérées comme secondaires, figurent notamment les pièces à machines, et ce malgré le succès qu’elles ont remporté auprès du public. Leur marginalisation est liée au fait qu’elles ont longtemps représenté, comme l’indique Christian Delmas au sujet d’Andromède, « un abcès de fixation des tentatives spectaculaires refoulées par la tragédie classique2 ». De nos jours cependant, ces œuvres méritent d’être réexaminées puisque, d’une part, la notion de « classicisme », forgée a posteriori, a été réévaluée et que, d’autre part, le recensement d’un grand nombre de pièces à machines a été effectué. Dégager une poétique de ce genre s’avère toutefois une entreprise complexe puisque, comme l’a bien montré Hélène Visentin3, peu d’œuvres portent, au xviie siècle, la mention « pièces à machines ».

4L’examen du répertoire cornélien révèle que des machines interviennent dans quatre créations, dont Médée, la première tragédie de l’auteur, représentée en 1635. À la toute fin, Jason s’exclame effectivement, dénonçant l’impunité de la magicienne : « Ô dieux ! ce char volant, disparu dans la nue, / La dérobe à sa peine, aussi bien qu’à ma vue ; » (V, 7). Quelques années plus tard, en 1650, Andromède, jouée sur la scène du Petit Bourbon, est un véritable événement car elle repose sur des moyens techniques exceptionnels4. Créée dans un contexte politique particulier puisqu’elle a fait l’objet, en pleine Fronde, d’une commande de Mazarin, elle permet d’inscrire, dans le répertoire français, des pièces pouvant rivaliser directement avec les productions opératiques des Italiens. Elle est aussitôt acclamée, en particulier par tous ceux qui s’étaient élevés contre les représentations de l’Orfeo de Luigi Rossi monté en 16475. En 1660, une nouvelle pièce à machines est commandée à l’auteur : il s’agit, si l’on en croit Tallemant des Réaux, des Amours de Médée6, qui deviendra bien vite La Conquête de la Toison d’or. Cette œuvre, élaborée à la demande du marquis de Sourdéac, est présentée « par eschantillons », comme l’indique le contrat signé avec les acteurs, devant le roi, au Neubourg, puis, en intégralité, au théâtre du Marais. Si l’hommage rendu à Louis XIV dans le prologue n’a rien d’original dans le cadre d’une pièce à machines, il permet cependant, ici encore, d’ancrer l’œuvre dans un contexte politique précis, car elle est jouée lors des célébrations du mariage du roi. Enfin, en 1671, Corneille participe à la création, avec Molière et Quinault, de la tragédie-ballet Psyché, pour laquelle il compose environ 1 100 vers. En effet, après avoir rédigé l’acte I et la première scène des actes II et III7, Molière demande à Corneille de l’aider à achever la pièce dans les délais fixés par le roi.

5Si une réflexion sur le vers apparaît à travers de nombreux paratextes des œuvres de Corneille, ces quatre œuvres mythologiques, et en particulier les trois dernières, font incontestablement l’objet d’une recherche plus précise encore. Georges Couton soulignait d’ailleurs qu’aucun des Discours ne traitait véritablement de la « broderie » constituée par le vers, mais que de précieuses informations étaient cependant livrées dans l’Examen d’Andromède. Il allait alors jusqu’à formuler l’hypothèse selon laquelle il s’agirait, peut-être, de l’ébauche d’un quatrième Discours8. Corneille avait bien entendu déjà travaillé sur les variations rythmiques permises par différentes formes métriques, comme les stances, mais l’usage de l’hétérométrie se généralise ici puisqu’alexandrins et vers mêlés se côtoient fréquemment dans Andromède et dans La Toison d’or. Quant à Psyché9, cette œuvre est composée uniquement en vers mêlés, dont Molière maîtrisait parfaitement la technique puisqu’il avait précédemment proposé son Amphitryon (1668), élaboré uniquement avec ce type de vers. Ceci confirme bien l’importance des débats sur le vers qui se poursuivent tout au long du siècle et qui intéressent tant les doctes que les auteurs10.

Les pièces à machines : une tension entre le spectacle et le vers ?

6L’immense succès d’Andromède est fortement valorisé dans l’Extraordinaire de la Gazette paru le 18 février 1650 :

[…] mais il faut que les plus critiques confessent que l’Andromède du sieur Corneille, aujourd’hui reconnu comme l’un des plus excellents auteurs en ce genre de poésie, et ici représentée dans les machines du sieur Torelli, Italien, par la Troupe Royale, dans la salle du Petit-Bourbon, s’est montrée si puissante à charmer ses spectateurs, qu’il lui est arrivé, ce qu’on n’a pu dire jusqu’ici que de fort peu de pièces, et possible d’aucune, à savoir que de plusieurs milliers d’assistants de toutes conditions, personne ne s’en est retourné que très satisfait, sans excepter ceux qui l’ont vu représenter dix ou douze fois. Car il s’y découvre tous les jours tant de nouvelles grâces qu’elles ne peuvent être goûtées dans le temps de trois heures qu’elle dure, et qui semble toujours trop court. […]
Voire je soutiens qu’il y a quelque espèce de plaisir à ignorer les mouvements ravissants de ces superbes machines qui animent avec tant de majesté tous les actes de ce théâtre et y surprennent les esprits avec tant d’artifice. (Nous soulignons)

7Apparaît donc, à travers cette description, un public « charmé », découvrant tant de « merveilleux effets », subjugué par la virtuosité du mouvement et l’éclat de ces machines dont certaines sont d’ailleurs décrites minutieusement11. Si ce long Extraordinaire mérite d’être signalé, c’est que la Gazette ne mentionne que très rarement les arts du spectacle, contrairement à la Muse historique de Loret par exemple. Il importe cependant de rappeler que les très rares fois où des créations de ce genre avaient été valorisées (Orfeo notamment), il s’agissait également d’opéras commandés par Mazarin. Et en effet, Renaudot fait partie des thuriféraires du régime, publiant parfois directement les comptes rendus d’événements rédigés par le Cardinal lui-même. Dans ce contexte, le ton dithyrambique n’est guère surprenant.

8Pour les pièces à machines, la valorisation du spectaculaire semble aller de pair avec une apparente faiblesse des vers que déplore Corneille lui-même dans l’Argument de la pièce :

Souffrez que la beauté de la représentation supplée au manque des beaux vers que vous n’y trouverez pas en si grande quantité que dans Cinna, ou dans Rodogune, parce que mon principal but ici a été de satisfaire la vue par l’éclat et la diversité du spectacle, et non pas de toucher l’esprit par la force du raisonnement, ou le cœur par la délicatesse des passions12.

9Et il conclut : « […] j’aime mieux avouer que cette pièce n’est que pour les yeux. » Ces déclarations doivent toutefois être nuancées car elles s’opposent aux conclusions de nombreux auteurs critiques, et Christian Delmas n’y voit par exemple qu’une marque de fausse humilité imposée par le genre13 (ce que l’on retrouve d’ailleurs dans d’autres pièces de Corneille14, même si l’auteur sait aussi être plus positif quant à ses vers, comme le montre l’Examen de La Mort de Pompée où il décrit son style comme « plus élevé en ce Poème qu’en aucun des [s]iens15 »). Christian Delmas ajoute : « On esquive en général le cas impur d’Andromède par un hommage à la qualité toute formelle du vers16. » Même constat pour André Stegmann, qui déclare, dans la notice de cette pièce :

Sans forcer son talent ni renier sa veine dramatique, Corneille se joue à l’aise dans cette galanterie tendre, au lyrisme assoupli par le vers libre. Malgré quelques-uns des plus beaux vers sortis de sa plume, il est heureux qu’il n’ait pas eu l’occasion d’orienter trop souvent son talent en ce sens17 […].

10L’étude de La Toison d’or fait apparaître un paradoxe identique car dans le Dessein de cette pièce, l’auteur souligne :

Voilà quelques légères idées de ce que l’on verra dans cette pièce, que je nommerais la plus belle des miennes, si la pompe des vers y répondait à la dignité du spectacle. L’œil y découvrira des beautés que ma plume n’est pas capable d’exprimer, et la satisfaction qu’en remportera le spectateur l’obligera à m’accuser d’en avoir trop peu dit dans cet avant-goût que je lui donne18.

11Ici encore, selon ces propos, le spectacle s’impose au détriment du vers19. Au xviie siècle pourtant, lorsque la pièce est présentée, aucun témoignage ne relaie cette idée, et bien au contraire, Loret évoque, dans sa Muse, « Cette pièce du grand Corneille / Propre pour l’œil et pour l’oreille » (19 février 1661), un commentaire peut-être à relativiser car la propension de l’auteur à adopter un ton hyperbolique est connue. Tel est notamment le cas dans le reste du très long paragraphe qu’il consacre à cette pièce, ce à quoi il faut également ajouter que Corneille a la très grande chance de voir son nom rimer, ici avec « oreille », mais aussi avec « merveille » et « sans pareille », dont l’auteur multiplie les occurrences20 ! Loret n’est pourtant pas le seul à louer les vers puisque Constantin Huygens, seigneur de Zuylichem, note dans son Journal de Voyage à Paris, à la date du 6 mars 1661 :

Été voir la comédie Jason au Marais, et les machines du Marquis de Sourdéac, quelques changements de théâtre étaient fort beaux, comme aussi le combat de l’air de Zéthès et de Calaïs contre Médée, les vers excellents du vieux Corneille […].

12L’année suivante (8 février 1662), il envoie une lettre à son frère lui demandant de lui faire parvenir le texte de La Toison d’or : « S’il y a moyen, envoyez-moi les vers de la Médée, que M. Corneille vous a promis de faire voir, car je ne doute pas qu’ils soient déjà imprimés, et je me souviens qu’ils étaient très beaux. »

13Au xxe siècle encore, les commentaires sur la forme sont très positifs. Pour Georges Couton par exemple : « [l]es vers ne méritent pas la désinvolture avec laquelle le poète en parle. À côté des vers descriptifs, qui ne manquent pas d’un brillant, tournant parfois au clinquant, de beaux vers fermes, de beaux vers tendres, attestent que la pièce n’est pas seulement pour les yeux21. » Et il souligne également que les

[…] sentiments amoureux déploient beaucoup de finesse en vers d’une musicalité que l’on croit d’ordinaire inventée par Racine […]. La tragédie à machines libère chez le poète, tenu d’ordinaire par les contraintes d’un art plus austère, l’imagination, la sensibilité. Elle lui permet de s’épanouir dans la tendresse, les mélodies élégiaques, la féerie22.

14Ainsi, une des raisons pour lesquelles ces pièces (que l’on monte désormais très rarement) ont retenu l’attention, était justement liée, quoi qu’en dise Corneille, à la qualité du vers.

Le rapport au spectaculaire

15Dans Andromède et La Toison d’or, la spectacularité a malgré tout un impact évident sur les vers qui perdent souvent leur puissance persuasive et leur efficacité dramatique ; c’est sans doute la raison pour laquelle Corneille considérait qu’il ne s’agissait pas de « beaux vers » ou de « vers pompeux ». En effet, Andromède est une tragédie de la contemplation où le regard sous toutes ses formes est privilégié. À la fascination visuelle pour les surprenantes machines23 s’ajoute, si nous examinons l’intrigue même, une valorisation de la beauté de l’héroïne qui renvoie au principe de la « splendeur active » analysé par Jean Starobinski24. L’éblouissement, le rapt du héros, est repris d’Ovide puisque, dans la quatrième métamorphose, Persée « demeure stupéfait et, saisi à la vue de tant de beauté, il oublie presque de battre les airs de ses ailes25 ». Cet effet s’inscrit de même dans un vers de Corneille, où la fulgurance est traduite par la simultanéité de la cause et de la conséquence ainsi que par la coupe à l’hémistiche : « Pouvais-je avoir des yeux26 et ne pas l’adorer » (I, 4). Parmi les autres éléments qui évoquent cette valorisation du regard, nous retrouvons l’effet de miroir créé par l’onde au tout début de la pièce, l’immédiate pétrification du rival regardant la tête de Méduse brandie par Persée ou encore les multiples reprises du terme « spectacle » : « ce fameux spectacle » (I, 1), « un spectacle étrange et merveilleux » (II, 5), « un horrible spectacle » (III, 1), « l’indigne spectacle » (III, 1).

16Cette importance de l’opsis va de pair avec un changement au niveau de la présentation de l’action qui est montrée, bien plus que décrite. Corollairement, le spectacle, qui a sa propre force persuasive, n’a plus besoin du relais de longues démonstrations. Ainsi par exemple, face à l’urgence de la situation, Persée, prêt à sauver Andromède enchaînée au rocher, déclare : « Le temps nous est trop cher pour le perdre en paroles » (II, 6), et la didascalie indique ensuite que, chevauchant Pégase, il va tuer le monstre.

17L’inefficacité de la parole humaine provient aussi de la configuration même de ces pièces puisque les humains, opposés aux Dieux qui descendent de leurs superbes machines27, sont impuissants. Phinée par exemple, incapable de contrecarrer l’action du dieu Éole, ne trouve qu’un recours : blasphémer, mais cette tentative de révolte verbale est inutile car l’ordre lui est immédiatement donné de se taire et son infériorité lui est rappelée :

Téméraire mortel, n’en dis pas davantage ;
Tu n’obliges que trop les dieux à te haïr :
Quoi que pense attenter l’orgueil de ton courage,
Ils ont trop de moyens de se faire obéir.
      Connais-moi pour ton infortune ;
      Je suis Éole, roi des vents. (II, 5, nous soulignons)

18Il n’y a besoin d’aucune construction éthique dans le discours : le nom du dieu correspond à l’affirmation d’un pouvoir absolu.

19Dans La Toison d’or la magicienne Médée est au premier plan, mais ici, contrairement à la pièce de 1635, ce sont ses actions spectaculaires qui sont mises en avant. Lorsque le victorieux roi de Colchos demande à Jason ce qu’il souhaite en remerciement de son action décisive, le chef des Argonautes commet une grave erreur : il demande la Toison d’or et non Médée. Il en résulte plusieurs dialogues qui ne font nullement évoluer la situation car Jason ne parvient pas à convaincre la magicienne de son amour. Lorsque Jacques Scherer étudie cette œuvre, il note que les amants ne font que se défier et qu’il n’y a jamais de scène de réconciliation, ce qui est paradoxal puisqu’ils finissent tout de même par fuir ensemble28. Il en conclut que le conflit psychologique a été interrompu par l’irruption du spectaculaire, qui a totalement absorbé la tragédie.

20De plus, comme Médée entre bien dans la catégorie des monstres, la construction éthique n’a pas besoin d’être affirmée à travers le vers. Si la fureur de la Cléopâtre de Rodogune et la menace qu’elle représente sont construites tout au long de la pièce, en revanche, la magicienne n’a qu’à affirmer ici « Et moi je suis Médée […] » (III, 4) repris par la suite en « Connaissez-moi, madame, et voyez où vous êtes » (III, 4). Le fait qu’elle vient de transformer « le palais doré en un palais d’horreur » d’un coup de baguette, remplace tout autre discours persuasif29. De même, lorsqu’elle veut inspirer de la crainte à Jason, elle affirme :

N’en croyez plus, seigneur, que les événements.
Ce ne sont plus ici ces taureaux, ces gendarmes
Contre qui son audace a pu trouver des charmes :
Ce n’est point le dragon dont il est menacé ;
C’est Médée elle-même, et tout l’art de Circé. (V, 4, nous soulignons)

21L’actio est particulièrement significatif puisque, lorsque ces vers sont prononcés, Médée est dans les airs, chevauchant le dragon, ce qui constitue une illustration de ses propos et a pour but d’accentuer la menace qui plane. Là encore, l’affirmation de son identité est très brève (une brièveté qui lui donne plus de force) et elle n’a pas besoin d’être développée davantage.

22Dans le dénouement de la pièce, Médée s’empare elle-même de la Toison, ce qui s’oppose certes à la tradition, mais permet à l’auteur de créer une scène dont il souligne la nouveauté dans ses Desseins :

L’art des machines n’a rien encore fait voir à la France de plus beau, ni de plus ingénieux que ce combat. Les deux héros ailés [les deux Argonautes] fondent sur le dragon, et se relevant aussitôt qu’ils ont tâché de lui donner une atteinte, ils tournent face en même temps, pour revenir à la charge. Médée est au milieu des deux, qui pare leurs coups, et fait tourner le dragon vers l’un et vers l’autre, suivant qu’ils se présentent. (Acte V)

23Ainsi, dans cette pièce, la primauté du spectacle, si elle séduit le spectateur, va toutefois de pair avec une impuissance de la parole, et l’envergure des protagonistes est dès lors fortement réduite30.

Musicalité et puissance émotionnelle des « vers tendres »

24La prégnance du spectacle a nécessairement des répercutions sur l’intrigue. Ainsi, dans Andromède, si l’existence du monstre représente bien une source extérieure de tension, il n’y a pas, en revanche, d’enjeux politique ou tragique31 aussi marqués que dans d’autres œuvres de Corneille. Le conflit psychologique est, dans l’ensemble, évincé puisque l’héroïne, parfait modèle des innocentes victimes, accepte le sacrifice qui lui est demandé sans aucune résistance. De même, lorsque le roi, pour récompenser Persée, lui offre sa fille en mariage, c’est sans aucun regret ni déchirement qu’elle abandonne Phinée. Une large place est alors laissée à la conversation galante et Persée, amant glorieux et généreux, possédant la plupart des attributs des héros cornéliens, assure Andromède de sa pleine liberté : « Ils [ses parents et les Dieux] vous donnent à moi ; je vous rends à vous-même […] » (IV, 1). Dans sa Gazette, Renaudot affirme qu’il s’agit de « l’un des plus parfaits modèles des discours qu’un serviteur passionné, mais discret, et qu’une fille amoureuse, ainsi sage, puissent tenir l’un à l’autre ». Georges Couton insiste en ce sens sur les « tendresses et emportements de l’amour32 » qui imprègnent les pièces à machines, rappelant que ce genre a hérité de la structure de la pastorale et de la tragi-comédie. Même constat pour Jacques Scherer dans son étude de La Toison d’or, qui note que la psychologie sentimentale y est fort développée, mais voyant, dans cette œuvre, un modèle bien plus accompli qu’Andromède : il insiste sur l’importance du conflit politique et déclare de plus : « […] l’on voit affleurer le mécanisme tragique d’Andromaque33. »

25Ces scènes « charmantes34 » possèdent une importante puissante émotive, renforcée par la musicalité des vers. Les très grandes variations rimiques et rythmiques assurent l’originalité de ces œuvres et maintiennent le spectateur en alerte. À cette époque, la pratique des vers mêlés s’oppose à l’exception française que constitue l’alexandrin, mais plusieurs doctes, comme Chapelain et d’Aubignac, avaient déjà dénoncé le caractère invraisemblable de ce vers. Dans ses pièces à machines, Corneille introduit différents types de vers, dans trois cas notamment.

26Premier cas : les stances. Contrairement à d’Aubignac, il les défend au nom du principe de plaisir et de vraisemblance35. Il définit leur utilité au sein de l’action dramatique, soulignant qu’elles permettent de marquer une pause et de relayer la méditation d’un personnage. Si elles n’ont pas pour but d’exprimer la colère, la fureur ou la menace, elles permettent en revanche, comme l’indique l’auteur dans son Examen d’Andromède, d’exprimer des sentiments moins violents :

les déplaisirs, les irrésolutions, les inquiétudes, les douces rêveries, et généralement tout ce qui peut souffrir à un acteur de prendre haleine, et de penser à ce qu’il doit dire ou résoudre, s’accommode merveilleusement avec leurs cadences inégales, et avec les pauses qu’elles font faire à la fin de chaque couplet. La surprise agréable que fait à l’oreille ce changement de cadence imprévu rappelle puissamment les attentions égarées, mais il faut éviter trop d’affectation36.

27Il critique certaines des rimes des stances du Cid qui n’ont « rien de naturel » et insiste sur la nécessité de créer plus de variations qu’il ne l’a fait dans ses pièces précédentes. Les vers utilisés doivent donc être marqués par leur irrégularité, le but étant de « [sentir] l’emportement et les élans d’un esprit qui n’a que sa passion pour guide ». Pour émouvoir les auditeurs, le discours doit donc sembler aussi spontané que possible. Dans la pièce, des stances déploratives sont prononcées lorsqu’Andromède, livrée au monstre marin, attend la mort enchaînée à un rocher :

      Étrange effet de mes malheurs !
      Mon âme traînante, abattue,
N’a qu’un moment à vivre, et ce moment me tue
      À force de vives douleurs :
Ma frayeur a pour moi mille mortelles feintes,
      Cependant que la mort me fuit ;
Je pâme au moindre vent, je meurs au moindre bruit,
      Et mes espérances éteintes
      N’attendent la fin de mes craintes,
      Que du monstre qui les produit. (III, 2)

28Ici, l’irrégularité, créée par l’alternance des octosyllabes et des alexandrins, ainsi que par les rimes embrassées, montre la défaillance de l’héroïne, et le pathos engendre une forte empathie de la part du spectateur. Dans La Toison d’or, le recueillement de Médée est traduit par des stances délibératives, dans lesquelles elle commence par regretter sa passivité :

J’en viens soupirer seule au pied de vos rochers :
Et j’y porte avec moi dans mes vœux les plus chers
      Mes ennemis les plus à craindre :
Plus je crois les dompter, plus je leur obéis ;
Ma flamme s’en redouble ; et plus je veux l’éteindre,
      Plus moi-même je m’y trahis. (IV, 2).

29Elle s’exhorte ensuite à l’action :

      Silence, raison importune ;
Est-il temps de parler quand mon cœur s’est donné ?
Du bien que tu lui veux ce lâche est si gêné,
Que ton meilleur avis lui tient lieu d’infortune.
Ce que tu mets d’obstacle à ses désirs mutins
Anime leur révolte et le livre aux destins,
      Contre qui tu prends sa défense :
Ton effort odieux ne sert qu’à les hâter ;
Et ton cruel secours lui porte par avance
      Tous les maux qu’il doit redouter.

      Parle toutefois pour sa gloire ;
Donne encore quelques lois à qui te fait la loi :
Tyrannise un tyran qui triomphe de toi […] (IV, 2)

30Ces vers soulignent l’animation soudaine de Médée qui tente de se ressaisir par différents procédés (tel le recours au pronom « tu » comme si elle se dédoublait, l’impératif et les polyptotes). La construction, identique à celle d’Andromède, évoque le trouble du personnage. La victoire finale ne sera cependant que de courte durée car, dès la scène suivante, Junon lui déclare : « Vous vous promettez plus que vous ne voudrez faire, / Et vous n’en croirez pas toute cette colère. » (IV, 3).

31Second cas : le chant. Dans les pièces de Corneille, la musique n’a encore qu’une importance relative, ce qui s’explique par le fait que ses œuvres constituent une réponse à l’opéra italien. Progressivement cependant, la musique investira de plus en plus les pièces à machines et sera très fréquente chez Boyer ou Thomas Corneille par exemple. Comme l’indique l’auteur dans l’Examen d’Andromède, l’une de ses principales fonctions est d’accompagner l’apparition des machines, dont d’Aubignac raille le fonctionnement. Corneille précise :

Vous trouverez cet ordre gardé dans les changements de théâtre, que chaque acte aussi bien que le prologue a sa décoration particulière, et du moins une machine volante avec un concert de musique, que je n’ai employée qu’à satisfaire les oreilles des spectateurs, tandis que leurs yeux sont arrêtés à voir descendre ou remonter une machine, ou s’attachent à quelque chose qui leur empêche de prêter attention à ce que pourraient dire les acteurs, comme fait le combat de Persée avec le monstre : mais je me suis bien gardé de rien faire chanter qui fut nécessaire à l’intelligence de la pièce, parce que communément les paroles qui se chantent étant mal entendues des auditeurs, pour la confusion qu’y apporte la diversité des voix qui les prononcent ensemble, elles auraient fait une grande obscurité dans le corps de l’ouvrage, si elles avaient eu à instruire l’auditeur de quelque chose d’important37.

32Contrairement aux opéras italiens, la musique ne doit pas briser l’action et n’en est pas le commentaire ; il s’agit toujours de propos très généraux. Si la majeure partie de la partition d’Andromède, composée par Dassoucy38, a été perdue39, les fragments qui restent montrent bien que le musicien tentait par différents moyens de rendre claires les paroles prononcées par les chanteurs40. Comme les machines, la musique est présente dans tous les actes : à l’acte I, par exemple, l’arrivée de Vénus, puis quelques vers plus loin, son départ, sont accompagnés de la célébration de cette déesse :

Le Chœur.
      Ainsi toujours sur tes autels
      Tous les mortels
      Offrent leurs cœurs en sacrifice !
      Ainsi le Zéphyre en tout temps
Sur tes palais de Cythère et d’Éryce
Fasse régner les grâces du printemps !

      Daigne affermir l’heureuse paix
      Qu’à nos souhaits
      Vient de promettre ton oracle ;
      Et fais pour ces jeunes amants,
Pour qui tu viens de faire ce miracle,
Un siècle entier de doux ravissements. (I, 3)

33Ce chant, composé de trois sizains, se termine par l’intervention de Céphée : « C’est assez… La déesse est déjà disparue. » Cette scène est minutieusement décrite dans la Gazette de Renaudot, où apparaît clairement le lien entre texte / musique et intrigue :

Cependant la Reine ayant sacrifié le jour précédent à la déesse Vénus, voici nos artifices qui commencent à produire leurs merveilleux effets : les nuages, qui étaient épais, se dissipent, le ciel s’ouvre ; et dans son éloignement cette déesse paraît assise sur une grande nue, son visage étant si éclatant que les rayons qui en sortent forment une grande et lumineuse étoile qui suffit à éclairer toute l’étendue de cette scène. […]
Les hymnes chantés à la louange de cette déesse sont interrompus par l’assurance qu’Andromède sera mariée dans ce jour-là même à son illustre époux : de quoi on lui rend grâce par de nouveaux hymnes, qui charment toutes les oreilles et les esprits, soit par la douceur des voix ou par l’excellence de la composition de l’un des plus fameux maîtres en cet art41.

34À la scène 3 de l’acte III, suite à une didascalie qui indique : « chœur de musique cependant que Persée combat le monstre », le héros est exhorté au combat. Après avoir entonné un quatrain, il est interrompu par « une voix seule », puis reprend le quatrain initial comme s’il s’agissait d’un refrain. À la fin de la scène, le chœur intervient de nouveau pour souligner la victoire contre le monstre. À l’acte IV, l’union des amants est célébrée grâce à un chant qui semble suivre une structure en quatrain, ce qu’indique la quadruple reprise du refrain : « Vivez, vivez, heureux amants. » Enfin à l’acte V, le chant intervient lors de la descente de Jupiter à la scène 6 et la pièce se termine par un chant nuptial à la scène 7. Corneille privilégie donc de nouveau les variations. L’intervention de plusieurs dieux n’est cependant pas accompagnée de musique, comme celle d’Éole (II, 5), celle de Junon (IV, 5) ou celle de Mercure (V, 6), ce qui montre bien que Corneille ne cherche pas à étendre son utilisation. À l’acte II, l’un des chants n’est pas lié à la descente d’une machine : c’est un duo amoureux entre Andromède et Phinée, qui se fait entendre juste avant l’intervention de l’oracle qui indique que l’héroïne a été désignée pour être offerte au monstre. Tout se joue par personnages interposés car ceux qui chantent sont le page de Phinée et la nymphe d’Andromède. Les propos tenus par Vénus à l’acte précédent, annonçant un dénouement heureux, sont sans cesse repris, constituant de nouveau un refrain. Plusieurs chants sont également repérables dans La Toison d’or, tel le chant d’Orphée qui, à l’acte V, scène 5, s’élève lorsque Calaïs et Zéthès tentent d’affronter Médée sur le dragon, ou un chant des sirènes, à l’acte II, scène 4, qui correspond à l’arrivée d’Hypsipyle dans la conque.

35Au fil du temps, la musique sera de plus en plus touchante, comme le prouvent les plaintes en italien du premier intermède de Psyché, et prendra une importance bien plus grande, comme le montre la reprise d’Andromède par Charpentier en 1682, où les parties chantées sont transformées en opéra.

36Dernier cas : l’intervention des dieux. À chaque fois, la différence de statut entre les hommes et les dieux est relayée par une opposition rythmique : les hommes s’expriment en alexandrins alors que les vers mêlés des dieux comprennent des octosyllabes, des décasyllabes et des alexandrins. D’où les vers suivants :

Vénus, au milieu de l’air
Ne tremblez plus, mortels ; ne tremble plus, ô mère !
On va jeter le sort pour la dernière fois,
Et le ciel ne veut plus qu’un choix
Pour apaiser de tout point sa colère.
Andromède ce soir aura l’illustre époux
Qui seul est digne d’elle, et dont seule elle est digne.
Préparez son hymen, où, pour faveur insigne,
Les dieux ont résolu de se joindre avec vous. (I, 3)

37Subtilement, dans La Toison d’or, Junon déguisée en Chalciope, la sœur de Médée, parle en alexandrins, alors que l’Amour et le Soleil s’expriment par vers mêlés.

38Pour conclure, lorsque Corneille compose ses pièces à machines, l’examen du paratexte montre qu’il s’interroge sur la force et l’efficacité de ses vers et qu’il tente de briser la monotonie en variant les structures rythmiques et rimiques. Alors que, dans Médée, la machine n’intervenait qu’à la fin de la pièce et ne perturbait en rien l’intrigue, la composition d’Andromède et de La Toison d’or est plus complexe et il lui faut réfléchir sur la façon d’intégrer les machines et la musique. La structure de la tragédie cornélienne est alors modifiée, à la fois contaminée par le modèle italien et construite en réaction avec le genre opératique.

39Un rapport très étroit se dessine alors entre le vers et le spectacle puisque, suite aux critiques énoncées par d’Aubignac après la création d’Andromède42, Corneille s’efforce de décrire la machine dans le vers même, créant de la sorte un effet de miroir. Par ailleurs, bien souvent les effets spectaculaires rendent vaine la parole et réduisent l’effet persuasif produit par le vers. À l’inverse, seul le récit peut prendre en charge la mort de Phinée, qui ne peut être montrée.

Notes

1 Nicolas Boileau, Réflexions critiques sur Longin, dans Œuvres de Boileau Despréaux, Paris, Didot L’Aîné, tome 2, 1789, p. 216. Nous soulignons.

2 Christian Delmas, « Mythologie et Magie, 1666-1671 », dans Mythologie et mythe dans le théâtre français, 1650-1676, Genève, Droz, 1985, p. 77-78. Jacques Scherer signale de même que la pièce a été perçue comme un « contrepoison au projet classique » (Jacques Scherer, Le Théâtre de Corneille, Paris, Nizet, 1984, p. 97).

3 Voir Hélène Visentin, Le Théâtre à machines en France à l’âge classique : histoire et poétique d’un genre, thèse sous la dir. de Georges Forestier, Paris IV, 1999.

4 Avant l’arrivée de Torelli, la France était très en retard par rapport à l’opéra italien. Initialement prévue pour le carnaval de 1648, la représentation de cette pièce a été repoussée à cause de la petite vérole du roi et de la Fronde.

5 Même si cet opéra a obtenu un grand succès, il a été critiqué dans plusieurs mazarinades, comme dans celle de Scarron, qui commente les importantes dépenses qu’il a engendrées et insiste sur la longueur de ce récitatif de 6 heures, donné dans une langue étrangère : « […] ce cher ballet, / Ce beau, mais malheureux Orphée, / Ou, pour mieux parler, ce Morphée, / Puisque tant de monde y dormit […] » (Scarron, La Mazarinade, 1651). Ces déclarations sont cependant opposées aux 12 pages de la Gazette de Renaudot où est célébrée cette création.

6 Tallemant des Réaux, « Extravagants, visionnaires, fantasques, bizarres, etc. », Les Historiettes [1657], CCCXXVI, Paris, Garnier-pères, tome 9, 1861, p. 194.

7 Telle est la déclaration du libraire au lecteur, à l’ouverture de la pièce : « Quant à la versification, il n’a pas eu le loisir de la faire entière. Le carnaval approchait, et les ordres pressants du Roi, qui se voulait donner ce magnifique divertissement plusieurs fois avant le carême, l’ont mis dans la nécessité de souffrir un peu de secours. Ainsi, il n’y a que le prologue, le premier acte, la première scène du second et la première du troisième dont les vers soient de lui. Monsieur Corneille a employé une quinzaine au reste ; et, par ce moyen, Sa Majesté s’est trouvée servie dans le temps qu’elle l’avait ordonné. » (Molière, Psyché, dans Œuvres complètes, éd. Georges Forestier, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », tome 2, 2010, p. 423).

8 Voir la notice de la pièce dans Pierre Corneille, Œuvres complètes, éd. Georges Couton, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », tome 2, 1984, p. 45.

9 Dans le cadre de cet article, nous nous concentrerons sur Andromède et La Toison d’or.

10 Chapelain traite par exemple du problème de l’alexandrin et de la rime dans sa lettre à Antoine Godeau sur la règle des 24 heures (29 novembre 1630), tout comme l’abbé d’Aubignac dans sa Pratique du théâtre [1657] (éd. Hélène Baby, Paris, Champion classique, 2011). Agésilas (1666) est une pièce écrite en vers libres.

11 Melpomène, par exemple, qui apparaît dans le Prologue, est présentée de la sorte : elle « […] vole ensuite dans ce chariot ardent avec tant de subtilité, que tous ceux qui voient son transport dans les cieux, sans être soutenu d’aucune autre chose que de l’adresse du machiniste, considérant l’impossibilité apparente de ce mouvement contre nature, ne le pourraient imputer à autre cause qu’à un art magique, s’ils ne savaient bien que rien d’illicite ne saurait compatir avec la pièce de ce prince, non plus qu’avec la pureté à laquelle est aujourd’hui le théâtre. » (Extraordinaire de la Gazette, 18 février 1660). Cette même fascination pour les machines est inscrite dans le Journal de Dubuisson-Aubenay qui souligne, en parlant du samedi 26 février 1650 : « Le soir, Leurs Majestés vont voir la comédie d’Andromède avec machines très belles dans la salle du Petit Bourbon. » (Journal des guerres civiles, 1648-1662, éd. Gustave Saige, Paris, Champion, 1883, p. 228.

12 Pierre Corneille, dans Œuvres complètes, éd. André Stegmann, Paris, Le Seuil, « L’intégrale », 1963, p. 464. Nous soulignons.

13 Christian Delmas, « Le merveilleux dans Andromède », dans Mythologie et mythe dans le Théâtre français, 1650-1676, op. cit., p. 68.

14 Voir notamment la lettre à M. de Zuylichem au sujet de Médée : « C’est là, là seulement ce que je lui ai pris [à Sénèque] : voilà ce que, d’une veine facile et abondante, dans de doux vers, qui toutefois n’ont rien de bas, mon style industrieux, souvent, hélas ! trop peu sûr interprète, a détourné à notre usage. » (6 mars 1649) dans Pierre Corneille, Œuvres complètes, op. cit., p. 853.

15 Pierre Corneille, Œuvres complètes, op. cit., p. 316.

16 Pierre Corneille, Andromède, éd. Christian Delmas, Paris, Marcel Didier, 1974, p. XV.

17 André Stegmann dans Pierre Corneille, Œuvres complètes, op. cit., nous soulignons. De même, pour Jacques Scherer, « il n’est pas jusqu’au détail de l’expression qui ne se ressente de la fluidité que permet et même qu’exige l’emploi de la musique. Les vers les plus variés abondent dans Andromède, et l’Examen envisage même de pousser cette liberté jusqu’à l’abandon de la régularité strophique, ce qui est sur le chemin du véritable vers libre. » (Jacques Scherer, Le Théâtre de Corneille, op. cit., p. 98).

18 Pierre Corneille, Œuvres complètes, op. cit., p. 591. Nous soulignons.

19 Bénédicte Louvat parle en ce sens d’un système de compensation « entre séduction des vers et nudité de l’intrigue » (Pierre Corneille, Trois discours sur le poème dramatique, éd. Bénédicte Louvat et Marc Escola, Paris, Flammarion, 1999, p. 287). Corneille déclare en ce sens, dans l’Examen de Cinna : « [les pièces simples] n’ayant pas le même secours du sujet, demandent plus de force de vers, de raisonnements, de sentiments » (Œuvres complètes, op. cit., p. 269).

20 Dans la suite du paragraphe, la magnificence des machines est également valorisée.

21 Georges Couton, dans Pierre Corneille, Œuvres complètes, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », tome 3 (1987), p. 1419 (nous soulignons).

22 Georges Couton, Corneille, Paris, Hatier, « Connaissance des Lettres », 1969, p. 153.

23 Une fascination perceptible également dans les Desseins, les toiles de Chauveau et de Le Pautre, ainsi que dans les didascalies et propos tenus par les personnages. Tout est effectivement fait pour créer un saisissement par le regard.

24 Jean Starobinski, L’Œil vivant, Paris, Gallimard, « Tel », 1961, p. 32.

25 Ovide, Les Métamorphoses, éd. Jean-Pierre Néraudau, Paris, Folio, « Folio classique », 1992, p. 157.

26 Dans la pièce, les occurrences de ce terme sont très nombreuses.

27 Telle est, dans la Gazette, la description de l’arrivée d’Éole qui crée effroi et admiration grâce aux effets élaborés par le machiniste : « [Phinée] échappe à des imprécations contre le Destin et contre les Dieux mêmes, qui les obligent à obscurcir le ciel, le remplir d’éclairs et de tonnerres si horribles et redoublés avec tant de promptitude […] » (Gazette de Renaudot, 18 février 1650).

28 Jacques Scherer, Le Théâtre de Corneille, op. cit., p. 116.

29 Sur l’évolution de ce personnage de la magicienne dans les pièces de Corneille, voir Liliane Picciola, « De la tragédie sénèquienne à la tragédie de machines : permanence de Médée », xviie siècle, no 190, 1996, p. 43-52.

30 Selon Georges Couton, dans les pièces à machines « […] la part taillée aux dieux ne permet pas les raffinements psychologiques habituels ». Il ajoute que la construction conventionnelle des personnages leur fait perdre leur profondeur (Georges Couton, La Vieillesse de Corneille, Paris, Maloine, 1949, p. 74).

31 Pour Jacques Scherer, il s’agit d’une « pièce brillante qui n’est que brillante » et qui est « fort peu tragique » (Le Théâtre de Corneille, op. cit., p. 98).

32 Georges Couton, Corneille, op. cit, p. 153.

33 Jacques Scherer, Le Théâtre de Corneille, op. cit., p. 116.

34 Georges Couton admirait en effet ces « scènes émouvantes ou charmantes » (Georges Couton, Corneille, op. cit., p. 131.) Quant à Christian Delmas, il rétorque aux détracteurs d’Andromède qui ne reconnaissent à la pièce que ses qualités formelles : « […] comment concevoir de beaux vers exempts de toute émotion […] ? » (Pierre Corneille, Andromède, éd. Christian Delmas, op. cit., p. XV.)

35 Objet de controverses parmi les doctes, les stances apportent, pour La Mesnardière, une « plaisante variété : les approbateurs de stances disent que ce changement est agréable à l’oreille. Qu’après avoir entendu une infinité de vers composés de même sorte, l’auditeur prend plaisir à l’aimable diversité qui règne dans cette espèce. » (Hyppolite de La Mesnardière, La Poétique, Paris, A. de Sommaville, 1639, p. 399-400). Pour D’Aubignac, elles « ont assez bien réussi sur notre théâtre, en partie par l’humeur des Français qui s’ennuient des plus belles choses quand elles ne sont point variées […]. Mais les poètes les ont quelquefois mises dans la bouche de leurs acteurs avec si peu de vraisemblance, qu’ils ont rendu méprisables et ridicules les plus excellents endroits de leurs ouvrages […]. » (Abbé d’Aubignac, La Pratique du théâtre, op. cit., p. 383-384, nous soulignons).

36 Pierre Corneille, Examen d’Andromède, dans Œuvres complètes, op. cit., p. 465.

37 À ce sujet, voir également le « Discours de l’utilité et des parties du poème dramatique », dans Trois Discours sur le poème dramatique, op. cit., p. 85.

38 Il déclare, dans ses Rimes redoublées : « C’est moi qui ai donné l’âme aux vers de l’Andromède de M. de Corneille » (Paris, C. Nego, 1671, p. 119).

39 Voir Henry Prunières, L’Opéra italien en France avant Lulli, Paris, Honoré Champion, 1913.

40 Les chanteurs sont généralement en coulisse. Selon Denise Launay, « […] la musique de d’Assoucy présente un certain intérêt sous divers rapports. En premier lieu parce qu’elle est homophone, en particulier dans le chœur nuptial et que, par conséquent, les chanteurs profèrent simultanément les mêmes paroles, les mêmes syllabes, ce qui va tout à fait dans le sens des idées de Corneille puisque le texte peut être perçu nettement ; en deuxième lieu, à cause du rythme qui suit pas à pas celui des mots […] » (Denise Launay, « Les deux versions musicales d’Andromède : une étape dans l’histoire du théâtre dans ses rapports avec la musique », dans Pierre Corneille, éd. Alain Niderst, Paris, PUF, 1985, p. 413-441, citation p. 416.

41 Extraordinaire de la Gazette de Renaudot, 18 février 1650.

42 Les critiques portent sur l’intégration des machines en particulier.

Pour citer ce document

Stella Spriet, « Quels vers pour Andromède (1650) et La Conquête de la Toison d’or (1660) ? » dans Pierre Corneille, la parole et les vers,

sous la direction de Myriam Dufour-Maître, avec le concours de Cécilia Laurin

© Publications numériques du CÉRÉdI, « Actes de colloques et journées d’étude », n° 26, 2020

URL : http://publis-shs.univ-rouen.fr/ceredi/index.php?id=1017.

Quelques mots à propos de :  Stella Spriet

University of Saskatchewan (Canada)
Stella Spriet est associate professor à l’Université de Saskatchewan (Canada). Ses recherches portent principalement sur les tragédies politiques du xviie siècle et sur les journaux de cette époque comme La Gazette, La Muse historique et Le Mercure galant. Elle travaille également sur le théâtre contemporain, en particulier sur les mises en scène de Daniel Mesguich, et sur l’œuvre de Pascal Quignard.